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La vie de l’abbé de Saint-Pierre

Portrait de l’abbé de Saint-Pierre

Portrait de l’abbé de Saint-Pierre
Source : Wikimanche.

Charles-Irénée Castel de Saint-Pierre est né le 13 février 1658 à Saint-Pierre-Église, dans le Cotentin, cadet d’une famille de la noblesse d’épée bas-normande1. Nicolas Castel, sieur de Saint-Pierre, son grand-père paternel, capitaine-colonel garde de côte du Val-de-Saire, participa en 1595 à la lutte contre le chef ligueur, Raffoville, qui dévasta le pays et brûla le château du sieur de Saint-Pierre. Le grand-père maternel de l’abbé de Saint-Pierre, Bernardin Gigault de Bellefonds (1580-1639), fut gouverneur du château de Caen. Sa fille, Laurence Gigault de Bellefonds (1612-1683), la tante de l’abbé, à qui son père le confia avec ses deux frères cadets à la mort de leur mère, était bénédictine de l’abbaye de Sainte-Trinité de Caen et fonda le monastère des religieuses bénédictines de Rouen. C’est à elle, après la mort de la mère de notre auteur, qu’il est confié pour suivre ses études au collège de Bourbon de Rouen (1667-1673). Il y côtoie, comme condisciple, le futur historien, Vertot. Rappelé à Saint-Pierre par son père qui veut l’instruire des affaires de sa maison, le jeune homme, à la mort de ce dernier, reprend ses études au collège de jésuites du Mont à Caen. Il y rencontre le mathématicien Pierre Varignon (1654-1722) dont il devient l’ami.

Il s’installe à Paris avec lui en 16802. Il y fréquente Fontenelle, Vertot, Malebranche et Nicole, étudie la physique, la chimie, l’anatomie, assiste chez l’abbé Bourdelot et chez M. de Launay à des conférences. Il entend Duverney, Lémery, et a accès à des savoirs scientifiques considérés comme les meilleurs de son temps3. Par ses frères, dont l’un, Louis-Hyacinthe, est premier écuyer de la duchesse d’Orléans, épouse du futur régent, l’autre, Bernardin, confesseur de Madame, belle-sœur du roi, la princesse Palatine, il intègre le clan d’Orléans en devenant aumônier de cette dernière par l’achat de la charge en 1693 et il s’installe à la Cour.

Lié au cercle de madame de Lambert, il est élu à l’Académie française en 1695 grâce à l’appui des Modernes. Il est nommé en 1702 abbé commendataire de l’abbaye de Tiron, réformée dans l’ordre de bénédictins de Saint-Maur. Le premier imprimé publié sous son nom qui nous est parvenu, si l’on excepte son discours de réception à l’Académie française, est un mémoire contre la politique de cet ordre, rédigé en 17044. À partir de 1708, il compose des mémoires et projets sur des sujets divers : la réparation des chemins, le commerce, la fiscalité, la mendicité, l’éducation, la science du gouvernement… Il se rend célèbre par son Projet de paix perpétuelle dont la version la plus achevée (tomes I et II) paraît en 1713, l’année de l’aboutissement des pourparlers d’Utrecht5.

Académicien assidu lorsqu’il séjournait à Paris, l’auteur participa activement aux débats sur les activités de l’institution en 1712-1714. Il en sera expulsé en mai 1718 à la suite de la parution de son Discours sur la polysynodie pour avoir critiqué le gouvernement de Louis XIV mais aussi le système des conseils tel qu’il avait été mis en place par le régent. L’abbé de Saint-Pierre, entre 1717 et 1726, s’intéresse aux questions fiscales et financières de son temps, alimentés par les tentatives de redressement de Noailles, les expérimentations de John Law et l’échec du Système. Entre 1724 et 1727, il fait paraître plusieurs articles dans le Mercure de France et dans l’organe des jésuites, les Mémoires de Trévoux. Il fut admis au club de l’Entresol, fondé par l’abbé d’Alary, sur la recommandation du marquis d’Argenson qui l’appréciait. Ce cercle de réflexion politique, qui avait commencé ses activités en 1724, et pour lequel il fournit de nombreux projets, devra finalement cesser ses activités en 1731 à la demande du cardinal Fleury6. À partir de 1730, l’abbé de Saint-Pierre, âgé de soixante-douze ans, commence à réunir ses écrits, d’abord sous la forme d’un volume d’Œuvres diverses et d’un recueil manuscrit rassemblant ses principaux projets et mémoires, destiné à la branche aînée de sa famille (manuscrit de Rouen), et conçu pour une édition d’œuvres morales et politiques. Dans la décennie qui suivra, il réunit, corrige, modifie des écrits existants, en fournit de nouveaux, publiant entre 1733 et 1741 la série en seize tomes des Ouvrages de politique et de morale à Rotterdam chez Jean Daniel Beman, pour les textes assez brefs, donnant des éditions séparées remaniées pour le Projet de taille tarifée et le Nouveau plan de gouvernement des États souverains.

À partir de 1735, l’abbé de Saint-Pierre fréquente le cercle de l’épouse du fermier général Claude Dupin, Louise Dupin, dont il encourage les écrits ; il séjourne souvent, jusqu’à sa mort, dans le château de Chenonceau qui appartenait au couple, où il rencontre le jeune Jean-Jacques Rousseau, dans celui de son amie madame d’Aiguillon et chez madame d’Avaray7. Il s’éteint à Paris rue du faubourg Saint-Honoré, le 29 avril 17438.

Carole Dornier


1. Sur les sources de ces informations biographiques, voir Maria Grazia Bottaro Palumbo, Charles-Irénée Castel de Saint-Pierre e la crisi della monarchia di Luigi XIV, 1658-1710, Gênes, ECIG, 1983 ; Jean-Pierre Bois, L’abbé de Saint-Pierre, entre classicisme et Lumières, Ceyzerieu, Champ Vallon (Époques), 2017 ; et dans cette édition les Annales de Castel laissées par l’auteur : voir Autobiographie.
2. Sur cet épisode, voir Autobiographie ; Éloge de Varignon, in Œuvres de Monsieur de Fontenelle, Paris, M. Brunet, 1742, t. VI, p. 184-187 (qui mentionne la date de 1686).
3. OPM, t. V, p. 324 ; voir ses notes dans BPU Neuchâtel, ms. 243.
5. Sur la légende de Saint-Pierre accompagnant Polignac dans la ville des pourparlers, voir Paix, « L’histoire du texte » par Carole Dornier.
6. Marquis d’Argenson, Journal et mémoires, Edme-Jacques-Benoît Rathery (éd.), Paris, Vve de J. Renouard, 1859, t. I, p. 91-111.
7. Voir Jean Buon, Madame Dupin, une féministe à Chenonceau au siècle des Lumières, Joué-lès-Tours, La Simarre, 2013.
8. Voir l’extrait du scellé (Archives nationales, Y 15172) publié par Joseph Drouet dans L’abbé de Saint-Pierre : l’homme et l’œuvre, Paris, H. Champion, 1912, p. 360-363.