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Pensées 105 à 109

M :Montesquieu 1726/1727-1755.
D :Bottereau-Duval 1718-1731.
E :1734-1739.
U :1739.
H :1741-1742.
J :1742.
K :1742-1743.
F :1743.
I :1743.
L :1743-1744.
O :1745-1747.
P :Damours 1748-1750.
Q :1750-1751.
R :Saint-Marc 1751-1754.
S :1754-1755.
V :1754.
JB :Jean-Baptiste Secondat ?-1795.
T :écriture des manchettes 1828-1835

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M : Montesquieu.
D : Bottereau-Duval_1721-1731.
H : 1741-1742.
P : Damours_1748-1750.
E : 1734-1739.
L : 1742-1744.
O : 1745-1747.
T : écriture des manchettes
JB : Jean-Baptiste_Secondat.
J : 1742.
K : 1742-1743.
F : 1743.
E2 :
I : 1743.
R : Saint-Marc_1751-1754.

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Pensées, volume I

105

[Passage à la main M]

Ouvrages originaux

Un ouvrage original en fait presque toujours construire cinq ou six cens autres, les derniers se servant du premier a peu pres come les geometres se servent de leurs formulles.

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Passage de la main D à la main M

106

{p.98} Quand un home manque d’une qualité qu’il ne peut pas avoir la vanité supplée et lui fait immaginer qu’il l’a, ainsi une fame laide croit estre belle un sot croit avoir de l’esprit, quand un home sent qu’il manque d’une qualité qu’il peut avoir il se dedomage par la jalousie ainsi on est jaloux des riches et des grands.* La vraye raison c’est qu’il n’est pas possible a la vanite de se tromper sur les richesses et les grandeurs

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Main principale M

107

Plaire dans une conversation veine et frivole est aujourd’hui le seul merite[1]. Pour cela le magistrat abandone l’etude de ses loix le medecin croiroit estre decredité par l’etude de la medecine. On fuit come pernicieuse toutte etude qui pourroit otter le badinage.
Rire sur rien et porter d’une maison a l’autre une chose frivole s’apelle science du monde[2] et on creindroit de perdre celle cy si on s’appliquoit a une autre.
{p.99} Ottes des conversations continuelles le detail de quelque grossesse ou de quelque acouchement celui des femmes qui estoint ce jour la au cours ou a l’opera quelque nouvelle portée de Versailles que le prince a fait ce jour la ce qu’il fait touts les jours de sa vie quelque changement dans les interets d’une cinquanteine de femmes d’une certeine façon qui se donnent se troquent et se rendent une cinquanteine d’homes aussi d’une certeine façon vous n’avés plus rien.
Je me souviens que j’us autrefois la curiosité de conter combien de fois j’entendrois faire une petite histoire qui ne meritoit certeinement d’estre ditte ny retenuë pendant trois semeines qu’elle occupa le monde poli [;] je l’entendis faire deux cens vint cinq fois apres quoy je dont je fus tres content.

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Main principale M

108

{p.100}

De plusieurs idées que j’avois voicy celles qui n’ont pu entrer dans mon  [...]

[Passage à la main D] Nous devons a la vie champêtre que l’homme n’ai n’ait n’est menoit dans les premiers tems cet air riant repandu dans toute la fable[2], nous lui devons ces descriptions heureuses, ces avantures naives, ces divinités gracieuses, ce spectacle d’un etat assés different du notre pour le desirer

Vie champêtre

et qui n’en est pas assés eloigné pour choquer la vraisemblance, enfin ce melles ce melange de passions et de tranquilité, notre imagination rit a Diane a Pan a Apollon, aux Nimphes, aux bois, aux prés, aux fontaines, si les premiers hommes avoient vêcu comme nous dans les villes les poëtes n’auroient pu nous decrire que ce que nous voyons tous les jours avec inquietude ou que nous sentons avec degoût, tout respireroit l’avarice l’ambition et les passions qui tourmentent {p101} il ne seroit question que de regle de police, de loix, de soins et enfin de tout le detail fatigant de la societé
Les poëtes qui nous decrivent la vie champêtre nous parlent de l’age d’or qu’ils regrettent, c’est à dire nous parlent d’un tems encore plus heureux et plus tranquille[3]

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Passage de la main M à la main D

109

Il n’y a gueres jamais eu de legislateur qui pour rendre

Legislateurs usant de mystere

ses loix ou sa religion respectables n’ait eu recours au mystere ; les Egyptïens qui sont les auteurs de toute sainteté cachoient leur culte avec un tres grand soin[1] , ;
Il etoit deffendu chés les Grecs de decouvrir les ceremonies de Ceres, et les Romains regardoient comme un sacrilege inexpiable d’avoir revelé les misteres de cette divinité {p.102} grecque et ceux des divinités egyptiennes[2].
Il y avoit une autre espece de mystere qui consistoit a cacher le nom de la divinité

Cacher le nom des divinités

qu’on adoroit, il etoit deffendu aux juifs sous peine de mort de prononcer le nom de Dieu[3], et il etoit deffendu aux Romains sous la même peine de prononcer celui des dieux de leur ville et meme je croy le vray nom de la ville
La raison de cette deffence n’etoit pourtant pas la même pour les deux nations, une crainte religieuse l’interdisoit aux juifs, et une crainte politique l’interdisoit aux Romains ;

Mysteres religieux

Les juifs regardoient le nom comme le principal attribut de la chose, aussi Dieu qui agissoit toujours conformément aux idées que ce peuple devoit avoir, eut un soin {p103} particulier d’imposer un nom aux choses a mesure qu’il les créoit et de changer le nom des patriarches a mesure qu’ils changeoient de situation et de fortune : nom
Mais les Romains craignoient que si les etrangers sçavoient le nom des dieux de leur ville ils ne les evoquassent et ne les privassent par la de leur secours et de leur presence[4].
Il y a une autre sorte de mystere religieux qui consiste a attribuer a de certains lieux une sainteté qui doit en exclu exclure les profanes.

Chrétiens

Les chretiens ont aussi leurs mysteres qui ne consistent pas comme ceux des anciens dans de certaines ceremonies cachées, mais dans une soumission aveugle de la raison a de certaïnes verités revelées[5], {p.104} ce seroit ici une question : sçavoir si les mysteres des anciens qui consistoient a cacher le culte frapoit plus que ceux des chretiens qui consistent a cacher le dogme ; quoiqu
Quoiqu’il en soit toutes les religions ont eu leurs mysteres et il semble que sans cela il n’y auroit point de religion

- - - - -

Main principale D


107

n1.

Sur l’importance du badinage en société, voir LP, 61 (63), p. 298.

107

n2.

Titre d’un ouvrage de François de Caillères (1645-1715 ou 1717), De la science du monde et des connaissances utiles à la conduite de la vie (Paris, É. Ganeau, 1717). Le premier chapitre porte sur les moyens de plaire dans la conversation.

108

n1.

Première référence, pour les nº 108 à 135, au projet d’un ouvrage sur le goût, encore limité ici aux belles-lettres (Annie Becq, « Les Pensées et l’Essai sur le goût », RM, nº 7, 2004, p. 58-59).

108

n2.

« Se prend aussi dans un sens collectif, pour signifier “Toutes les Fables de l’Antiquité Payenne” » (Académie, 1694, art. « Fable »).

108

n3.

Réflexion publiée dans les Œuvres posthumes de 1783 (Londres – Paris, Bure fils aîné, p. 178-179), sous le titre « Autre effet des liaisons que l’âme met aux choses » (OC, t. 9, p. 501, apparat critique.). La phrase « Il ne serait question que de tout le détail fatigant de la société » y est omise. L’éloge de la noble simplicité des mœurs primitives est fréquente parmi les partisans des Anciens. Montesquieu fait ainsi écho aux propos de Pope (Traduction de la première partie de la préface de l’Homère anglais de M. Pope [1re éd. fr. 1718-1719], dans La Querelle des Anciens et des Modernes, XVIIe-XVIIIe siècles, A.-M. Lecoq (éd.), Paris, Gallimard, 2001, p. 574), de Fénelon (Lettre à l’Académie, X, 10, dans Œuvres, J. Le Brun (éd.), Paris, Gallimard, 1997, p. 1163) ou encore de Fontenelle (Discours sur la nature de l’églogue [1708], dans Œuvres, Paris, M. Brunet, 1742, t. IV, p. 125-169).

109

n1.

Hérodote, II, 61.

109

n2.

L’interdit concernant les mystères d’Éleusis en l’honneur de Déméter-Cérès est évoqué par Horace (Odes, III, 2, 26 et suiv.). Sur le secret entourant l’initiation au culte d’Isis, voir Apulée, XI, 23.

109

n3.

Le nom de Jéhovah, considéré comme ineffable, est remplacé par Adonaï (« mon seigneur ») dans la lecture du texte hébreu de la Bible. Voir nº 860 et suiv.

109

n4.

Macrobe, Saturnales, III, 9, 2-5 (Catalogue, nº 1912-1913) ; voir aussi Plutarque, Les Demandes des choses romaines, dans Œuvres morales et mêlées, LI, Paris, M. de Vascosan, 1575, t. II, p. 469 – Catalogue, nº 2793. Par l’evocatio, les Romains cherchaient à attirer dans leur patrie les dieux tutélaires de leurs ennemis dont ils craignaient les mêmes tentatives à leur égard. La dimension sociale et politique de la religion romaine a été présentée par Montesquieu lors de sa première intervention à l’académie de Bordeaux en 1716 (Dissertation sur la politique des Romains dans la religion, OC, t. 8, p. 83-98).

109

n5.

Cf. nº 112 : dans « le sistême chrétien […] les mysteres sont plutôt sublimes pour la raison ».