Afficher Masquer
Passages biffés :
Sauts de pages :
Changements de mains :
Mots clés en marge
(main T) :
DistinguerIntégrer
Corrections du transcripteur :

Fermer

Accueil|Présentation du projet|Abréviations|Introductions|Texte|Index

Français|English Contacts

Volume I|Volume II|Volume III|Citer le texte et les notes| Écritures|Affichage

Pensées 29 à 33

M :Montesquieu 1726/1727-1755.
D :Bottereau-Duval 1718-1731.
E :1734-1739.
U :1739.
H :1741-1742.
J :1742.
K :1742-1743.
F :1743.
I :1743.
L :1743-1744.
O :1745-1747.
P :Damours 1748-1750.
Q :1750-1751.
R :Saint-Marc 1751-1754.
S :1754-1755.
V :1754.
JB :Jean-Baptiste Secondat ?-1795.
T :écriture des manchettes 1828-1835

Fermer

M : Montesquieu.
D : Bottereau-Duval_1721-1731.
H : 1741-1742.
P : Damours_1748-1750.
E : 1734-1739.
L : 1742-1744.
O : 1745-1747.
T : écriture des manchettes
JB : Jean-Baptiste_Secondat.
J : 1742.
K : 1742-1743.
F : 1743.
E2 :
I : 1743.
R : Saint-Marc_1751-1754.

Fermer

Pensées, volume I

29

26

Vengeance v. p 397

Le vray but naturel de la veng[e]ance est de reduire un home a ce sentiment de desirer de ne nous avoir point offensés mais la vengense ne nous meine point a ce but mais a celui de nous faire croire que l’on seroit hureux si l’on pouvoit nous offencer encore. Le pardon rameneroit bien plus surement un home au repentir
Il y a encor un autre plaisir qui est celui {p.23} de l’honneur que l’on croit obtenir pour l’avantage que l’on a pris sur son ennemy
L’Italien qui fait faire un peche mortel a son ennemi avant de le tuer aime la vangeance par elle meme et independament du point d’honneur il veut que pendant toutte l’æternité il scache se repente de l’avoir outrage.
Rien ne racourcit plus les grands homes que l’attention qu’ils donnent a de certeins procedes personels j’en conois deux qui y ont esté entierement insensibles Cæsar et le dernier duc d’Orleans.
Lors que celui cy cy parvint au gouvernement il recompensa ses amis et soulagea ses ennemis de leurs justes creintes ils se trouverent tranquiles a l’ombre de son authorité[1].

- - - - -

Main principale M

30

{p.24} Le bonheur[1]

Voy p 37 et p 60 p 65 p 460 p. 474 p 523 second vol p 27 vº ibid 2 vol p 82

ou le malheur consistent dans une certeine disposition d’organes favorable ou deffavorable
Dans une disposition favorable les accidens come les richesses les honneurs la senté les maladies augmentent ou diminüent le bonheur dans au contraire dans une disposition deffavorable les accidents augmentent ou diminuent le malheur.
Quand nous parlons

Bonheur et malheur

du bonheur ou du malheur nous nous trompons toujours parce que nous jugeons des conditions et non pas des persones, une condition n’est jamais malhureuse lors qu’elle plait ny hureux et quand nous disons qu’un {p25} home qui est dans une certeine situation est malhureux [une lettre biffée non déchiffrée] cela ne veut dire autre chose si ce n’est que nous serions malhureux si, nous estions en sa place avec les organes que nous avec les organes que nous avons, sin nous estions en sa place[2].
Retranchons

On dit que tout le monde se croit malhureux il me semble au contraire que tout  [...]

donc du nombre des malhureux touts les gens qui ne sont pas de la cour quoy qu’un courtisan les regarde come infortunés de l’espece humeine, retranchons en touts ceux qui habitent les provinces quoy que ceux qui vivent dans la capitale les regardent come des estres qui vegettent retranchons en les philosophes quoy qu’ils ne vivent pas dans le bruit du monde et les gens du monde quoy qu’ils ne vivent pas dans la {p.26} retraite,
Ottons de meme du nombre des gens hureux les grands quoy qu’ils soyent charges de tittres, les financiers quoy qu’ils soyent riches les gens de robe quoy qu’ils soyent fiers, les gens de guerre quoy qu’ils parlent souvent d’eux memes, les jeunes gens quoy qu’on leur done croye qu’ils ont des bones fortunes, les fames quoy qu’on les cajole enfin les ecclesiastiques quoy qu’ils puissent obtenir de la reputation par leur opiniatreté ou des dignités par leur ignorance les vrais delices ne sont pas toujours dans le coeur des rois mais ils peuvent aisement y estre. Ce que je dis ne scauroit guere estre dispute. Cependant si cela est vray de quoy que deviendront toutes les refflections morales ancienes et modernes {p.27} on ne s’est guere jamais trompé plus grossierement que lors qu’on a voulu reduire en sistheme les sentimens des homes et sans contredit la plus mauvaise copie de l’home est celle qui se trouve dans les livres qui sont un amas de propositions generalles presque toujours fausses.

Voyes les galeriens fort guais alles apres cela chercher un cordon bleu pour votre bonheur[3]

Un malhureux autheur qui ne se sent pas propre aux plaisirs qui est accable de tristesse et de degouts qui par sa fortune ou son esprit ne peut ne peut pas joüir des comodites de la vie ou par son esprit des comodites de celles de sa fortune a cependant l’orgueil de pretendre estre hureux et s’etourdit {p.28} des mots de souverein bien de prejuges de l’enfance et d’empire sur les passions.
Il y a deux sortes de gens malhureux. Les uns ont une certeine deffaillance d’ame qui fait que rien ne la remüe elle n’a pas la force de rien desirer et tout ce qui la touche n’eveille que des sentimens sourds le proprietaire de cette ame est toujours dans la langeur la vie lui est a charge touts les momens lui pesent il n’aime pas la vie mais il hait creint la mort.
L’autre espece de gens malhureux opposée a ceux cy est de ceux qui désirent impatiament tout ce qu’ils ne peuvent pas avoir et qui sechent sur l’esperance d’un bien qui recule toujours
{p.29} Je ne parle icy que d’une phrenesie de l’ame et non pas d’un simple mouvement ainsi un home n’est pas malhureux parce qu’il a

J’ay mis quelque part dans ce [lettres biffées non déchiffrées] combien l’embition done de plaisirs

de l’embition mais parce qu’il en est devoré et meme un tel home a presque toujours les organes tellement construits qu’il seroit malhureux tout de meme si l’embition ne lui estoit si par quelque hazart l’embition c’est a dire le dessein ne lui estoit pas venue l’embition c’est a dire le desir de faire de grandes choses ne lui n’avoit pu lui entrer dans la teste.
Mais le simple desir de faire fortune bien loin de nous rendre malhureux est au contraire un jeu qui nous egaye par mille esperances mille {p.30} routes paroissent nous y conduire et quand a peine l’une se trouve t’elle fermée que l’autre semble s’ouvrir :
Il y a aussi deux sortes de gens hureux les uns sont vivement ebranlés excit excittés par des objects accessibles a leur ame

La chasse le jeu qu’on peut suporter

et qu’ils peuvent facilement acquerir ils esperent ils desirent vivement ils esperent ils jouissent et bientost ils recomencent a desirer. LeD’s autres ont leur machine tellement construitte qu’elle est doucement et continuellement ebranlée elle est entretenue et non pas agitée une lecture une conversation leur suffit
Il me semble que la nature a travaillé {p.31} pour des ingrats nous somes hureux et nous ne le soubsonnons presque et nos discours sont tels qu’il semble que nous ne le soubconnions pas cependant nous trouvons partout des plaisirs ils sont attachés a notre estre et les peines ne sont que des accidents les objets sont ornes de touts les objects semblent toujours partout preparés pour nos plaisirs lors que nous nous couchons les le sommeil va nous apelle les tenebres nous plaisent et lors que nous nous eveillons la lumiere du jour nous ravit la nature est parée de mille couleurs nos oreilles sont flatées par les sons les mets ont des gouts agreables et come si ce n’estoit {p32} ce n’est pas assés du bonheur de l’existance il faut encor que notre machine ait besoin d’estre reparée sans cesse pour nos plaisirs
Notre ame qui a la faculté de recevoir par les organes des sentimens agreables ou douleureux a l’industrie de se procurer les uns et d’en ecarter les autres et en cela l’art supplée sans cesse a la nature ainsi nous corrigeons sans cesse les objects exterieurs nous en ottons ce qui nous pourroit nuire et y adjoutons ce qui peut les rendre agreables
Il y a plus c’est que les peines des sens nous ramenent par l necessairement aux plaisirs je vous deffie de faire jeuner un anachorete sans doner en meme temps un nouveau gout a ses {p.33} legumes, il n’y a meme, que les peines vives qui puissent nous blesser les peines moderées sont tres pres des plaisirs et au moins elles ne nous ottent point celui de l’existance d’exister quand aux peines de l’esprit elles ne scauroint estre comparées avec les satisfactions que notre orgeuil perpetuel nous done, et il y a tres peu de carts d’heures ou nous ne soyons a quelque egart contents de nous l’orgeuil est un miroir toujours favorable il diminue nos deffauts augmente nos vertus c’est un nouveau sens de l’ame qui lui donne a touts les instants des satisfactions nouvelles les passions agreables nous servent bien {p.34} plus exactement que les tristes si nous creignons des choses qui n’arriveront pas nous en esperons un bien plus grand nombre qui n’arriveront pas aussi et ce sont autant de bons quart d’heures hureux de gagnés. Une fame espera hier qu’elle se feroit un amant si elle ne reussit pas elle espere que celu qu’un autre qu’elle a vu prendra la place et ainsi elle passe sa vie ou a jouir ou a esperer come nous passons plus notre vie dans l’esperance que dans la jou possession nos esperances sont bien autrement plus no multipliées que les creintes. Tout ceci est une affaire de calcul et par la il est facile de voir combien ce qui est pour nous est va au dela de ce qui est contre.

- - - - -

Main principale M

31

{p.35} Que si les peines

J’ay oui dire au marquis de Tesse Tessé, René-Louis de Froullay, marquis deque  [...]

nous distrayent des plaisirs nles plaisirs ne nous distrayent t’ils pas des peines et le le moindre object qui agira sur les sens est capable de nous otter les pensées d’embition les plus devorantes.

Jʼay vu cela moy meme

Il faudrait conveincre les hommes du bonheur qu’ils ignorent lors meme qu’ils en jouissent

- - - - -

Main principale M

32

27

Le seul avantage qu’un peuple libre

Mis dans mes Pensées sur la moralle[1]

ait sur un autre c’est la securité ou chacun est que le caprice d’un seul ne lui otera point ses biens ou sa vie un peuple sommis qui auroit cette securité la bien ou mal fondée seroit aussi hureux qu’un peuple libre les meurs d’ailleurs egalles car les moeurs contribuent encor plus au bonheur d’un peuple que les loix[2].
{p.36} Cette securité de son estat est beaucoup moindre n’est pas plus grande en Angleterre qu’en France et elle n’estoit de meme moindre dans les guere plus grande dans quelques ancienes republiques greques et d’Italie car la liberté, pour ne parler que de l’Angleterre qui come dit Teucidide estoint divisées en deux factions[3] or la liberté faisant souvent naitre dans un estat deux factions la faction superieure se sert sans pitié de ses avantages une faction qui domine n’est pas moins terrible qu’un prince en colère[4]. Combien avons nous vu de particuliers dans les derniers troubles d’Angleterre perdre leur vie et leurs biens ou leurs biens il ne sert de rien de dire qu’on n’a qu’a se tenir neutre car qui peut estre sage quand tout le monde est fou sans conter que l’home moderé est hay des deux partis[5] ; d’ailleurs {p.37} dans les estats libres le menu peuple est ordinairement insolent on a beau faire il n’y a guere d’heure dans le jour ou un honete home n’ait affaire avec le bas peuple et quelque grand seigneur qu’on soit on y aboutit toujours, au reste je conte pour tres peu de chose le bonheur de disputer avec fureur sur les affaires d’estat et de ne dire jamais cent mots sans prononcer celui de liberté ny le privilege de hair la motie de ses citoyens

- - - - -

Main principale M

33

28

Qui sont les gens hureux? Les dieux le scavent car ils voyent le coeur des philosophes celui des roisx et celui des bergers.

- - - - -

Main principale M


29

n1.

Selon Plutarque, César refusa d’accuser Clodius, soupçonné d’être l’amant de sa femme Pompéia, sauva la vie des partisans de Pompée après la mort de celui-ci, pardonna à Cicéron, Brutus, d’autres, qui avaient porté les armes contre lui (Vie de César, X, XLVIII, LIV). Sur la clémence du Régent, voir Pensées, nº 173 ; Lettres de Xénocrate à Phérès, OC, t. 8, p. 301 ; Correspondance I, p. 79.

30

n1.

Sur ce thème, outre les fragments signalés en marge, cf. nº 1661 et 1631 bis, 1662, 1675, 2010 ; voir Philip Stewart, Dictionnaire électronique Montesquieu, art. « Bonheur » [en ligne à l’adresse suivante : http://dictionnaire-montesquieu.ens-lyon.fr/index.php?id=384].

30

n2.

Les Lettres persanes opposaient ainsi l’heureux naturel de Rica, à la disposition d’Usbek au malheur (LP, 25 [27], p. 202, l. 9-13). Sur ces interactions, voir Sur la différence des génies (nº 6, note 1), l’Essai sur les causes qui peuvent affecter les esprits et les caractères (env. 1734-1736, OC, t. 9, p. 242-243) et L’Esprit des lois dans le livre sur le rapport des lois avec la nature du climat (XIV, 2) ; dans les Pensées, Montesquieu nuance cette idée du rôle de la « disposition d’organes » ou « machine » (nº 58) et évoque sa propre disposition au bonheur (nº 213).

30

n3.

Cf. nº 31. Le « cordon bleu » (ruban portant une croix de Malte) est réservé aux chevaliers de l’ordre du Saint-Esprit, premier ordre de la monarchie.

31

n1.

Note écrite au retour des voyages, après mai 1731. René-Louis de Froullay (1682-?), marquis de Tessé, est le fils cadet du maréchal de Tessé (1648-1725) ; voir Spicilège, nº 587 et Voyages, p. 291. Le grand prieur de France est Jean-Philippe, chevalier d’Orléans (1702-1748), fils légitimé du duc d’Orléans et de Mme d’Argenton. Montesquieu, séjournant à Venise du 16 août au 14 septembre 1728, y a vu des galéasses, galères toujours armées et l’Arsenal (Voyages, p. 112 et 128). En novembre de la même année il visite le port de Livourne (ibid., p. 217-219).

32

n1.

Voir nº 57, 220.

32

n2.

Première trace, dans le recueil, d’un projet d’ouvrage qui sera intitulé La Liberté politique (nº 884, 934, 935). Le lien entre la liberté politique et la sécurité du citoyen, indépendant du type de constitution, sera développé dans L’Esprit des lois (XII, 1).

32

n3.

Thucydide décrit les troubles civils qui déchirèrent les cités grecques ; les deux factions désignent les oligarques et le parti populaire (III, 82 – Catalogue, nº 2798-2799).

32

n4.

Cf. nº 918. L’ouvrage de Clarendon donnait maints exemples du fait qu’en se débarrassant de leur roi, les Anglais n’avaient pas obtenu la liberté et s’étaient mis sous le joug de Cromwell et des factions dominantes (Histoire de la rébellion et des guerres civiles d’Angleterre, depuis 1641 jusqu’au rétablissement du roi Charles II, La Haye, L. et H. Van Dole, 1704, préface, p. 5-6 ; voir Correspondance I, lettre de Bulkeley du 22 octobre 1723). Sur l’idée que la république n’est pas la condition de la liberté, voir les citations des Lettres à Atticus de Cicéron dans le Catalogue (nº 3198, p. 400).

32

n5.

Cf. nº 887.