AT III, 587

AU R. P. MERSENNE.

LETTRE CVII.

MON REVEREND PERE,
On a divers moyens pour empescher les cheminées de fumer, selon les diverses causes de la fumée ; et la cause la plus commune est que souvent il ne vient pas assez d’air de dehors en la chambre, pour y remplir la place de la fumée qui en doit sortir. Car il faut remarquer que la force du feu chasse une grande quantité d’air, avec les petites parties du bois, lesquelles mélées avec cét air composent la fumée, comme les plus grosses parties de ce bois composent les cendres ; et que n’y ayant point de Vuide en l’Univers, il est necessaire qu’il rentre tousiours autant de nouvel air dans la chambre, comme il en sort de fumée ; Comme l’on voit manifestement en certains fourneaux d’Alchymistes, au bas desquels il y a un trou par lequel il entre continuellement un grand vent qui souffle vers le feu ; Car ce vent n’est autre chose que l’air chassé de la place où entre la fumée qui sort du feu. De façon AT III, 588 que lors quu’une chambre est bien fermée, il faut necessairement qu’il y fume, c’est à dire que la fumée qui sort du feu entre dans la chambre, à cause qu’il n’y a que l’air de la chambre, qui puisse retourner vers le feu ; A quoy l’on a coustume de remedier en ouvrant quelque porte ou quelque Clerselier II, 504 fenestre. Mais pource que cela donne de l’incommodité, on peut l’éviter en faisant des ouvertures au derriere de la cheminée, qui ne regardent que vers le feu ; et mesme on peut cacher ces ouvertures sous les pieds de ces gros chenets de cuivre, dont on se sert d’ordinaire : Comme si A est la Cheminée, B l’un des chenets, D le feu, C le trou qui vient de derriere la muraille, et qui conduit l’air vers le feu D, à mesure que ce feu chasse la fumée par A vers E.

Une autre cause de la fumée, qui est aussi fort ordinaire, est que le vent ou le Soleil qui donne dessus la cheminée l’empesche d’en pouvoir sortir, et principalement les vens de pluye qui soufflent de haut en bas, ainsi que i’ay remarqué en mes Meteores. A quoy l’on peut remedier en couvrant tout le haut de la cheminée, et n’y laissant d’ouverture que par les costez entre des planches mises de biais, ainsi que vous voyez vers E, AT III, 589 ou bien avec un tourniquet, dont l’usage est ce me semble commun à Paris.

Mais si le haut de la cheminée est plus bas que quelques autres bastimens, qui repoussent le vent contre elle, ces remedes ne sont pas suffisans, si on ne la hausse davantage, ou qu’on ne la ferme entierement du costé de ces bastimens.

Enfin en abaissant fort le manteau de la cheminée, ou mesmes la fermant quasi iusques au bas, de lames de cuivre, ou d’autre matiere, qui estans échauffées rendent mesme chaleur dans la chambre que feroit le feu, c’est à dire en convertissant les cheminées en poësles, on peut remedier à tous ces inconveniens. Voila tout ce qui m’est tombé sous la plume touchant cette matiere ; et ie n’ay pas voulu differer de vous l’écrire, à cause que c’est pour Monsieur Clerselier II, 505 des Argues, que ie serois tres-aise de pouvoir servir ; mais ie m’assure que ie ne vous mande rien icy qu’il ne sçache desia mieux que moy.

Pour ceux qui reprennent les figures de ma Dioptrique, ie vous ay desia mandé il y a huit iours ce que i’en pensois, à sçavoir que i’ay parlé de la proportion double, dans le discours des pages dix-sept et dix-huit pour le rendre plus intelligible, à cause qu’elle est la plus simple ; Mais que i’en ay fait exprimer une moindre dans la figure, pour monstrer que le mesme discours se doit entendre de toutes sortes de proportions ; Et aussi AT III, 590 afin qu’elle ne parust pas si éloignée de l’experience. C’est monstrer puerilement qu’on a envie de reprendre, et qu’on n’en a aucune matiere que de s’arrester à reprendre de telles choses.

Pour ce que vous me demandez du jet des eaux ie ne vous en puis rien determiner ; car cela dépend de quelques experiences que ie n’ay iamais faites, et il me faudroit avoir plus de revenu que le Roy de la Chine, si ie voulois entreprendre de faire toutes celles qui me pourroient estre utiles à la connoissance de la verité ; il faut que ie me contente de faire les plus necessaires, et que ie me mesure selon mon pouvoir.

Vous ne m’avez encore rien mandé du Pere B. ny de ce qui se dit à Paris de mes septiesmes objections depuis qu’elles y sont arrivées.

Ie viens de recevoir une Lettre de Monsieur de Candische, mais il n’y met rien des Lunettes ; ce n’est qu’un compliment pour me convier de publier ma Physique. On m’a dit aussi que M. d’Igby estoit remis en liberté, dont ie suis fort aise. Ie suis,
MON R. P.
Vostre tres-humble, et tres-obeïssant
serviteur, DESCARTES.