Clerselier II, 535 AT IV, 516

A MONSIEUR *****.

LETTRE CXIII.

MONSIEUR,
Ie vous remercie tres-humblement du Livre de Pluvij purpurea, que vous m’avez fait la faveur de m’envoyer ; L’observation qu’il contient est belle, et ayant esté faite par M. Vendelinus, qui est homme sçavant aux Mathematiques, et de tres-bon Esprit, ie ne fais point de doute qu’elle ne soit vraye. Ie ne voy rien aussi à dire contre les raisons qu’il en donne, pource qu’en telles matieres, dont on n’a pas plusieurs experiences, c’est assez d’imaginer une cause qui puisse produire l’effet proposé, encore qu’il puisse aussi estre produit par d’autres, et qu’on ne sçache point la vraye. Ainsi ie croy facilement qu’il peut sortir quelques exhalaisons des divers endroits de la Terre, et particulierement de ceux où il y a du Vitriol, qui se meslant avec l’eau de la pluye dans les nuës, la rendent rouge ; Mais pour asseurer qu’on a iustement trouvé AT IV, 517 la vraye cause, il me semble qu’il faudroit faire voir par quelque experience, non pas comment le Vitriol tire la teinture des Roses, mais comment quelques vapeurs ou exhalaisons, qui sortent du Vitriol, jointes à celles qui sortent du bitume se meslant avec celle de l’eau de pluye, la rendent rouge ; et adjouster pourquoy les mesmes mines de Vitriol et de bitume demeurans tousious aux mesmes lieux proches de Bruxelles, on n’a toutesfois encore iamais remarqué que cette seule fois, qu’il y soit tombé de la pluye rouge. Pour la pierre de Bologne il y a long-temps que i’en ay oüy parler, mais ie ne l’ay iamais veuë, et ainsi ie serois temeraire d’en vouloir dire la raison. Pour le Livre de Monsieur le Roy, il ne contient pas un mot touchant la Metaphysique, Clerselier II, 536 qui ne soit directement contraire à mes opinions : Et touchant la Physique, bien que ie n’y aye quasi rien veu que ie ne puisse soupçonner qu’il a emprunté de moy, toutesfois il y a mis beaucoup de choses que i’estime fausses, en la façon qu’il les a écrites, à cause qu’il les a mal comprises ; comme particulierement ce qu’il repete deux fois touchant le mouvement des muscles, qu’il a tiré, comme ie m’imagine, d’un écrit que ie n’ay point encore publié, duquel n’ayant eu sans doute qu’une AT IV, 518 copie imparfaite, et sans figures, ie ne m’estonne pas qu’il l’ait mal compris.

Ie suis obligé de ne point blasmer l’Autheur de l’imprimé qu’il vous a plû m’envoyer, pource que ie voy qu’il a tasché de mettre en pratique quelque chose de ce dont i’ay proposé la Theorie en ma Dioptrique, ou encore que mon principal dessein ait esté d’expliquer les Lunettes à longue veuë, toutesfois au commencement du septiesme ou du huitiesme discours, i’y ay parlé aussi en passant de celles qui soulagent les deffauts de la veüe ; Et tant pour les Vieillards, qui voyent mieux de loin que de prés, que pour ceux qui ne peuvent voir que de prés, i’ay dit qu’elles doivent estre creuses ou concaves du costé qu’on met vers l’œil, et relevées en rond de l’autre costé, et qu’il n’est pas necessaire que leur figure soit si exacte, que celle des autres, de quoy il semble que ce Lunetier a voulu faire l’épreuve ; Mais ie ne puis deviner si elle luy a reüssi : Car les iugeant beaucoup plus difficiles à tailler que les vulgaires, ie n’ay iamais tasché d’en faire l’essay, ny n’ay point sceu qu’aucun autre l’ait fait ; Et ce qui m’en donne moins bonne opinion, est que ie voy que cét imprimé n’est autre chose qu’un galimatias de charlatan, qui monstre qu’il n’entend pas ce qu’il dit, et ne tasche qu’à debiter sa drogue ; car si les Lunettes estoient si bonnes qu’il les vante, il n’en pourroit tant faire qu’on en voudroit AT IV, 519 achepter, et ainsi n’auroit pas eu besoin de faire cét effort de son esprit, pour en publier les loüanges. Ie suis,
MONSIEUR,
Vostre tres-humble, et tres-acquis
serviteur, DESCARTES.