AT I, 280

AU R. P. MERSENNE.

LETTRE LXXX.

MON REVEREND PERE,
Encore que ie n’aye aucune chose particuliere à vous mander, toutesfois à cause qu’il y a desia plus de deux mois que ie n’ay receu de vos nouvelles, i’ay creu ne devoir pas attendre plus long-temps à vous écrire ; car si ie n’avois eu de trop longues preuves de la bonne volonté que vous me faites la faveur de me porter, pour avoir aucune occasion d’en douter, i’aurois quasi peur qu’elle ne fust un peu refroidie, depuis que i’ay manqué à la promesse que ie vous avois faite, de vous envoyer quelque chose de ma Philosophie ; Mais d’ailleurs la connoissance que i’ay de vostre vertu, me fait esperer que vous n’aurez que meilleure opinion de moy, de voir que i’ay voulu entierement supprimer le Traitté que i’en avois fait, et perdre presque tout mon travail de quatre ans, pour rendre une entiere obeïssance à l’Eglise, en ce qu’elle a deffendu l’opinion du Mouvement de la Terre ; Et toutesfois pource que ie n’ay point encore vû, que ny le Pape, ny le Concile ayent ratifié cette defense, faite seulement par la Congregation des Cardinaux establis pour la Censure des Livres, ie serois bien aise d’apprendre ce qu’on en tient maintenant en France, et si leur autorithé a esté suffisante pour en faire un article de foy. Ie me suis laissé dire, que les Clerselier II, 359 N. AT I, 282 avoient aidé à la condamnation de Galilée ; et tout le livre du P. N. monstre assez qu’ils ne sont pas de ses amis ; Mais d’ailleurs les observations qui sont dans ce Livre, fournissent tant de preuves, pour oster au Soleil les mouvemens qu’on luy attribuë, que je ne sçaurois croire que le P. N. mesme en son ame ne croye l’opinion de Copernic ; ce qui m’étonne de telle sorte que ie n’en ose écrire mon sentiment. Pour moy ie ne cherche que le repos et la tranquillité d’esprit, qui sont des biens qui ne peuvent estre possedez par ceux qui ont de l’animosité ou de l’ambition, et ie ne demeure pas cependant sans rien faire, mais ie ne pense pour maintenant qu’à m’instruire moy-mesme, et me iuge fort peu capable de servir à instruire les autres, principalement ceux qui ayant desia acquis quelque credit, par de fausses opinions, auroient peut-estre peur de le perdre, si la verité se découvroit.

AT I, 374 Ie suis extremement marry d’avoir écrit quelque chose en mes dernieres qui vous ait déplû, ie vous en AT I, 375 demande pardon ; Mais ie vous asseure et vous proteste que ie n’ay eu aucun dessein de me plaindre en ces Lettres-là, que du trop de soin que vous preniez pour m’obliger, et de vostre grande bonté, laquelle me faisoit craindre, ce que vous mesme m’avez mandé depuis estre arrivé, sçavoir que vous eussiez mis le livre entre les mains de quelqu’un, qui le retinst par devers luy pour le lire, sans demander le Privilege : et ie craignois que pour avoir d’autant plus de temps à cét effet, il ne vous eust persuadé d’en demander un general, qui seroit refusé, et ainsi qu’il ne se passast beaucoup de temps ; Et c’est pour cela seul que ie vous mandois que ie n’osois écrire ce que i’en pensois : Car de dire que vous eussiez aucune envie de vous prevaloir de ce qui est en ce Livre, ie vous iure que c’est une chose qui ne m’est iamais entrée en la pensée, et que ie dois estre bien éloigné d’avoir de telles opinions, d’une personne de l’amitié et de la sincerité duquel ie suis tres-asseuré ; veu que ie ne l’ay pas mesme pû en avoir de ceux que i’ay sceu ne m’aimer pas, et estre gens Clerselier II, 360 qui tâchent d’acquerir quelque reputation à fausses enseignes, comme de B. H. F. et semblables. Que si ie me suis plaint de la forme de ce Privilege, ce n’a esté qu’afin que ceux à qui vous en pourriez parler ne crûssent point que ce fust moy qui l’eusse fait demander en cette sorte, à cause qu’on auroit ce me semble eu tres-iuste raison de se mocquer de moy, si ie l’eusse AT I, 376 osé pretendre si avantageux, et qu’il eust esté refusé. Mais l’ayant obtenu, ie ne laisse pas de l’estimer extrémement, et de vous en avoir tres grande obligation. Et ie sçay bien qu’il y a force gens qui seroient bien glorieux d’en avoir un semblable. Iusques là que quelqu’un icy en ayant vû la copie, disoit qu’il l’estimoit plus, qu’il n’eust fait des Lettres de Chevalerie. Au reste, pour ce que vous avez dit mon nom à quelques-uns, et leur avez fait voir ce Livre, ie sçay tres-bien que vous ne l’avez fait que pour m’obliger ; et il faudroit que ie fusse de bien mauvaise humeur, si ie m’offensois d’une chose que ie sçay qu’on n’a faite que pour me beaucoup obliger ; et ie me sens particulierement redevable à cette Dame qui vous a écrit, de ce qu’il luy plaist iuger de moy si favorablement. I’ay receu cy-devant tous les paquets dont vous me faites mention en votre derniere, mais ie ne vous ay rien mandé du billet où estoient les fautes de l’Impression, pour ce qu’elles estoient desia imprimées, ny du passage de saint Augustin, pource qu’il ne me semble pas s’en servir à mesme usage que ie fais. Monsieur de Zuytlichem a aussi receu vos Livres, mais s’il ne vous en a point écrit, ce sera que la maladie et la mort de sa femme, qui l’ont fort affligé depuis deux mois, l’en auront diverty. Ie n’ay receu que depuis peu de iours les deux petits livres infolio que vous m’avez envoyez, l’un desquels de Perspective n’est pas à desapprouver, et la curiosité et netteté de son langage est à AT I, 377 estimer ; Mais pour l’autre, ie trouve qu’il refute fort mal, une chose qui est ie croy fort aisée à refuter, et qu’il eust bien mieux fait de s’en taire. Vous m’envoyez aussi une proposition d’un Geometre, Conseiller de Thoulouse, qui est fort belle, et qui m’a Clerselier II, 361 fort réjoüy : car d’autant qu’elle se resoût fort facilement, par ce que i’ay écrit en ma Geometrie, et que i’y donne generalement la façon, non seulement de trouver tous les lieux plans, mais aussi tous les solides ; i’espere que si ce Conseiller est homme franc et ingenu, il sera l’un de ceux qui en feront le plus d’estat, et qu’il sera des plus capables de l’entendre : car ie vous diray bien que i’apprehende qu’il ne se trouvera que fort peu de personnes qui l’entendront.

Pour le Medecin, qui ne veut pas que les Valvules du Cœur se ferment exactement, il contredit en cela à tous les Anatomistes, qui l’écrivent, plutost qu’à moi, qui n’ay point besoin que cela soit, pour demonstrer que le mouvement du Cœur est tel que ie l’écris : car encore qu’elles ne fermeroient pas la moitié de l’entrée de chaque vaisseau, l’Automate ne laisseroit pas de se mouvoir necessairement comme i’ay dit. Mais outre cela, l’experience fait tres-clairement voir à l’œil en la grande Artere, et en la Veine Arterieuse, que les six Valvules qui y sont, les ferment exactement, et bien que celles de la Veine cave et de l’Artere veneuse ne semblent pas faire le mesme AT I, 378 dans le cœur d’un animal mort, toutesfois si on considere que les petites peaux dont elles sont composées, et les fibres où elles sont attachées, s’étendent beaucoup plus dans les animaux qui sont vifs que dans les morts, où elles se resserrent et se retirent, on ne doutera point qu’elles ne se ferment aussi exactement que les autres. Pour ce qu’il adjouste que i’ay consideré le cerveau et l’œil d’une beste, plutost que d’un homme, ie ne voy pas d’où il le prend, sinon peut-estre que pour ce qu’il sçait que ie ne suis pas Medecin de profession, il croit que ie n’en ay pas eu la commodité, comme ie le veux bien avoüer, ou bien pource que la figure du cerveau que i’ay mise en la Dioptrique, a esté tirée aprés le naturel sur celuy d’un mouton, duquel je sçay que les ventricules et les autres parties interieures, sont beaucoup plus grandes à raison de toute la masse du cerveau, qu’en celuy d’un homme, mais ie l’ay iugé pour ce sujet d’autant plus propre à faire bien voir ce dont Clerselier II, 362 i’avois à parler, qui est commun aux Bestes et à l’Homme. Et cela ne fait rien du tout contre moy : Car ie n’ay supposé aucune chose de l’Anatomie, qui soit nouvelle, ny qui soit aucunement en controverse entre ceux qui en écrivent. Enfin, pour ce que mon explication de la Refraction, ou de la Nature des couleurs, ne satisfait pas à tout le Monde, ie ne m’en étonne aucunement ; car il n’y a personne qui ait eu encore assez de loisir pour les bien examiner : Mais lors qu’ils l’auront eu, ceux qui voudront AT I, 379 prendre la peine de m’avertir des deffauts qu’ils y auront remarquez, m’obligeront extremement, principalement s’il leur plaist de permettre que ma réponse puisse estre imprimée avec leur Ecrit, afin que ce que i’auray une fois répondu à quelqu’un, serve pour tous. Enfin ie vous remercie de tous vos soins, et suis,