A UN REVEREND PERE IESUITE.
LETTRE LXXXIII.
MON REVEREND PERE,
Ie suis extremement aise d’apprendre par la Lettre qu’il vous a plû m’écrire, que ie suis encore si heureux que d’avoir part en vostre souvenir, et en vostre affection ; Ie vous remercie aussi de ce que vous me promettez de faire examiner le Livre que ie vous ay envoyé, par ceux des vostres qui se plaisent le plus en telles matieres, et de m’obliger tant que de m’envoyer leurs Censures ; Ie souhaitterois seulement outre cela, que vous voulussiez prendre la peine d’y AT I, 455 ioindre les vostres ; car ie vous assure qu’il n’y en aura point dont l’authorité puisse plus en mon endroit, ny ausquelles ie defere plus volontiers. Il est vray que ceux de mes Amis qui ont desia vû ce Livre, m’ont appris qu’il falloit du temps et de l’estude pour en pouvoir bien iuger, à cause que les commencemens (au moins ceux de la Dioptrique et des Meteores) ne peuvent estre bien persuadez, que par la connoissance de toutes les choses qui suivent apres ; et que ces choses qui suivent, ne peuvent estre bien entenduës, si on ne se souvient de toutes celles qui les precedent : c’est pourquoy ie vous auray une tres-particuliere obligation, s’il vous plaist d’en prendre la peine, ou de faire aussi que d’autres la prennent. Car en effet, ie n’ay autre dessein que celuy de m’instruire ; et ceux qui me reprendront de quelque faute, me feront Clerselier II, 369 tousiours plus de plaisir, que ceux qui me donnent des loüanges. Au reste, il n’y a personne qui me semble avoir plus d’interest à examiner ce Livre, que ceux de vostre Compagnie : car ie voy desia que tant de personnes se portent à croire ce qu’il contient, que (particulierement pour les Meteores) ie ne sçay pas de quelle façon ils pourront doresnavant les enseigner, comme ils font tous les ans en la pluspart de vos Colleges, s’ils ne refutent ce que i’en ay écrit, ou s’ils ne le suivent. Et pource que ie sçay que la principale raison qui fait que les vostres rejettent fort soigneusement toutes sortes de nouveautez en matiere de Philosophie, est la crainte qu’ils ont qu’elles ne causent aussi quelque changement en la Theologie ; ie veux icy particulierement vous avertir, qu’il n’y a AT I, 456 rien du tout à craindre de ce costé-là pour les miens, et que i’ay sujet de rendre graces à Dieu, de ce que les opinions qui m’ont semblé les plus vrayes en la Physique, par la consideration des causes naturelles, ont tousiours esté celles qui s’accordent le mieux de toutes avec les mysteres de la Religion ; comme i’espere faire voir clairement aux occasions. Et cependant ie vous supplie de me continuer la faveur de vostre affection, et de croire que ie seray toute ma vie,