AT I, 500

AU R. P. MERSENNE.

LETTRE LXXXIV.

MON REVEREND PERE,
Ie vous remercie tres-humblement des soins que vous avez pris pour la distribution de nos Livres. Pour la Lettre de mon frere, et celle que vous me mandez m’avoir cy-devant écrite, dans laquelle vous l’aviez mise, ie ne les ay point receuës, dequoy ie suis un peu en peine, et ie vous Clerselier II, 370 prie de me mander si vous les aviez envoyées par le mesme Messager que celle que vous écriviez au Maire, dans laquelle estoit enfermé l’écrit De maximis et minimis, ou par quelque autre, afin que ie tasche à les recouvrer, ou à découvrir par quelle faute elles ont esté perduës. Ie ne doute point que vous n’entendiez plusieurs iugemens de mes écrits, et plus à mon desavantage que d’autres : Car les esprits qui sont d’inclination à en médire, le pourront aisément faire d’abord, et en auront dautant plus d’occasion, qu’ils auront esté moins connus par les autres ; au lieu que pour en iuger equitablement, il est necessaire d’avoir eu auparavant beaucoup de loisir, pour les lire, et pour les examiner. Ie suis extrémement obligé à M. Des Argues, de l’envie qu’il témoigne que M. le Cardinal fasse reüssir AT I, 501 l’Invention des Lunettes. Et pour les objections de l’Artisan dont vous m’écrivez, elles sont ridicules, et témoignent une ignorance tres-grande, en ce qu’il suppose que le Diametre des verres, pour les plus longues Lunettes, n’a pas besoin d’estre plus grand que de deux ou trois doigts ; au lieu qu’elles seront d’autant meilleures, qu’on les pourra faire plus grands. Mais ie ne sçay si ie dois desirer que M. le Cardinal y fasse travailler suivant mon dessein : Car qui que ce soit qui y travaille sans ma direction, i’apprehende qu’il n’y reüssisse pas du premier coup, et peut-estre que pour s’excuser il m’en attribuëra la faute. I’avois donné un Livre à M. de Ch. pour M. le Cardinal, mais sa mort estaneestant depuis intervenuë, ie ne sçay s’il l’a envoyé ou non, ie ne trouve pas estrange que M. Mydorge ne soit pas d’accord avec moy en plusieurs choses de ce que i’écris de la Vision, car c’est une matiere qu’il a cy-devant beaucoup estudiée, et n’ayant pas suivy les mesmes principes que moy, il doit avoir pris d’autres opinions ; mais i’espere que plus il examinera mes raisons, plus elles le satisferont ; et il a l’esprit trop bon, pour ne se rendre pas du costé de la verité. Ie ne ferois nulle difficulté de luy envoyer ma vieille Algebre, sinon que c’est un écrit qui ne me semble pas meriter d’estre vû ; et pource qu’il n’y a personne que ie sçache Clerselier II, 371 qui en ait de Copie, ie seray bien aise qu’il ne sorte plus d’entre mes mains ; mais s’il veut AT I, 502 prendre la peine d’examiner le troisiéme Livre de ma Geometrie, i’espere qu’il le trouvera assez aisé, et qu’il viendra bien aprés à bout du second. Au reste ie crains bien qu’il n’y ait encore gueres personne qui ait entierement pris le sens des choses que i’ay écrites, ce que ie ne iuge pas neantmoins estre arrivé à cause de l’obscurité de mes paroles, mais plutost à cause que paroissant assez faciles, on ne s’arreste pas à considerer tout ce qu’elles contiennent ; Et ie voy que vous mesme n’avez pas bien pris les raisons que ie donne pour les couronnes de la chandelle : car ie n’y parle d’aucune pression, ou dislocation de l’œil, ainsi que vous me mandez, mais de plusieurs diverses dispositions, qui peuvent toutes causer le mesme effet, et entre lesquelles, celle que vous dites avoir éprouvée, est comprise ; en sorte que vostre experience fait entierement pour moy. Voyez en la page 279. ligne cinq. Ie vous diray neantmoins que ce que vous attribuez à l’humidité qui couvre vostre œil, me semble proceder plutost de ce qu’il n’est pas assez remply d’humeurs, ou d’esprits ; en sorte que ses superficies sont un peu ridées, suivant ce que i’écris en la mesme page ligne 8. car ces humeurs se diminuent pendant le sommeil, et reviennent facilement un peu aprés qu’on est éveillé ; Mais vous pouvez voir fort aisement ce qui en est par experience : car si c’est l’humidité qui couvre vostre œil, au mesme instant que vous l’aurez essuyé avec un mouchoir, ce phainomene cessera ; mais si c’est autre chose, il ne cessera pas du tout si-tost. AT I, 503 Ie ne vous renvoye point encore les écrits de Monsieur Fer. de Locis planis et solidis, car ie ne les ay point encore lus ; et pour vous en parler franchement, ie ne suis pas resolu de les regarder, que ie n’aye veu premierement ce qu’il aura répondu aux deux Lettres que ie vous ay envoyées pour luy faire voir. Vous ne devez pas craindre que les advis que vous m’obligerez de me donner, touchant ce qui se dira contre moy, tournent iamais à vostre prejudice ; car il n’y a rien que ie ne souffrisse plutost, que de vous Clerselier II, 372 interesser en mes querelles ; Mais ie m’assure aussi que vous ne voudriez pas me tenir les mains, pendant qu’on me bat, pour m’empescher de me deffendre ; et ceux qui vous donnent des objections contre moy, ne peuvent aucunement s’en prendre à vous des réponses que j’y feray, ny se fâcher que vous me les envoyez : car sçachant l’affection que vous me portez, ils ne vous les peuvent donner à autre fin, que pour me les faire voir ; et toute la civilité dont i’ay crû pouvoir user envers Monsieur N. a esté que i’ay feint d’ignorer son nom, afin qu’il sçache que ie ne répons qu’à son Ecrit, et que vous ne m’avez envoyé que ses objections, sans y engager sa reputation. L’objection que l’on vous a faite contre vos experiences de l’Echo, ne me semble d’aucune importance : car bien qu’il soit vray que le son s’étend en cercles de tous costez, ainsi que le mouvement qui se fait dans l’eau quand on y iette une pierre ; il faut toutesfois AT I, 504 remarquer que ces cercles s’étendent beaucoup plus loin du costé vers lequel on iette la pierre, ou vers lequel on s’est tourné en parlant, que vers son contraire ; d’où vient que l’Echo, qui ne se fait que par la reflexion de la partie de ces cercles qui va le plus loin, ne s’étend que vers le lieu vers lequel elle se reflechist. Ie suis,