AT I, 517

A MONSIEUR ***.

LETTRE LXXXVI.

MONSIEUR,
Ayant vû plusieurs marques de vostre bien-veillance, AT I, 518 tant dans la Lettre que M. R. a reçuë icy de vostre part, que dans une autre que vous m’avez fait l’honneur de m’écrire cét Esté dernier, avant le siege de Breda, ie pense estre obligé de vous en remercier par celle-cy, et vous dire que i’estime si fort l’affection des personnes de vostre merite, qu’il n’y a rien en mon pouvoir que ie ne fasse tres volontiers, pour tâcher de me rendre digne de la vostre. Que si tous les hommes estoient de l’humeur que ie vous croy, ie vous assure que ie n’aurois nullement deliberé touchant la publication de mon Monde, et que ie l’aurois fait imprimer il y a plus de deux ans ; Mais les raisons qui m’en ont empesché, me semblent de iour à autre plus fortes ; et si ie ne puis si bien faire, que certaines gens ne trouvent aucune occasion de me reprendre ; I’aime mieux que ce soit desormais mon silence qu’ils blâment, que mes discours. Ie tiens à grand honneur que vous veüillez prendre la peine d’examiner ma Geometrie, et ie vous garde l’un des six exemplaires qui sont destinez pour les six premiers qui me feront paroistre qu’ils l’entendent. Pour le petit écrit des Mechaniques, que i’envoyay il y a quelque temps à M. Z. ie ne m’y suis reservé aucun pouvoir ; et ainsi comme ie ne sçaurois trouver que tres-bon qu’il vous le communique, s’il AT I, 519 lui plaist ; aussi ne sçaurois-ie trouver mauvais qu’il s’en abstienne, Clerselier II, 376 pour la honte que i’ay qu’on voye de moy un écrit si imparfait.

AT I, 655 Veu que vous m’avez fait cy-devant la faveur de m’avertir de l’employ que vous donniez au Tourneur d’Amsterdam, pour faire quelque essay des Lunettes, ie pense estre obligé de vous mander ce qui s’est passé depuis peu entre luy et moy. Il s’est resolu de suivre tout au long la pratique de la Dioptrique ; et i’estois Ieudy dernier à AT I, 656 Amsterdam, où ie vis un modelle de bois qu’il avoit fait, lequel me servit à luy faire entendre toutes les mesures et circonstances qui me semblent devoir estre observées en la machine ; ce qu’il témoigne comprendre si bien, et ie l’ay laissé si plein d’esperance et de desir d’en venir à bout, que pourveu qu’il continuë, ie ne sçaurois aucunement douter que la chose ne reüssisse. Toutesfois ce ne pourra estre si-tost, tant à cause qu’il luy faudra du temps pour preparer ses machines, lesquelles il veut faire toutes de cuivre et d’acier, que pource que n’ayant pas encore l’usage de polir le verres, ie crains qu’il luy faudra un peu d’exercice pour l’acquerir. Mais il dit avoir appris que quelques autres ont mesme dessein que luy, et qu’ayant desia taillé quelque verre, qui leur donne de l’esperance, ils se proposent de demander un octroy de Messieurs les Estats, de quoy ie lui ay promis de vous écrire, et de vous prier, si vous en entendez quelque chose, d’empescher autant qu’il se pourra civilement, qu’ils n’obtiennent rien à son prejudice ; En quoy ie m’assure que vous le favoriserez plus qu’aucun autre, tant pource que l’ayant employé cy-devant à tailler quelques verres, c’est vous qui luy avez fait venir l’envie de les mettre à perfection, qu’à cause que ie vous en prie, et que ie suis,
MONSIEUR,
Vostre tres-humble, et tres-obeïssant
serviteur, DESCARTES.