Clerselier II, 377 AT II, 659

A MONSIEUR ***.

LETTRE LXXXVII.

MONSIEUR,
Vous avez sujet de trouver estrange que vostre Campanella ait tant tardé à retourner vers vous, mais il est desia vieil, et ne peut pas aller fort viste. En effet bien que ie ne sois pas éloigné de La Haye de cent lieuës, il a neantmoins esté plus de trois semaines à venir iusques icy, où m’ayant trouvé occupé à répondre à quelques objections qui m’étoient venuës de diverses parts, i’avouë que son langage, et celuy de l’Allemand qui a fait sa longue Preface, m’a empesché d’oser converser avec eux avant que j’eusse achevé les dépesches que i’avois à faire, crainte de prendre quelque chose de leur stile. Pour la Doctrine, il y a quinze ans que i’ay vû le Livre de Sensu rerum du mesme Autheur, avec quelques autres Traittez, et peut-estre que cetuy-cy en estoit du nombre ; mais i’avois trouvé dés-lors si peu de solidité en AT II, 660 ses écrits, que ie n’en avois rien du tout gardé en ma memoire ; Et maintenant ie ne sçaurois en dire autre chose, sinon que ceux qui s’égarent, en affectant de suivre des chemins extraordinaires, me semblent bien moins excusables, que ceux qui ne faillent qu’en compagnie, et en suivant les traces de beaucoup d’autres. Pour mon Livre, ie ne sçay quelle opinion auront de luy les gens du monde ; mais pour ceux de l’Ecole i’entens qu’ils se taisent, et que faschez de n’y pas trouver assez de prise pour exercer leurs Argumens, ils se contentent de dire, que si ce qu’il contient estoit vray, il faudroit que toute leur Philosophie fust fausse.

Pour M. Fromondus, le petit different qui a esté entre Clerselier II, 378 luy et moy ne meritoit pas que vous en eussiez connoissance, et il ne peut y avoir eu si peu de fautes dans la copie que vous en avez veuë, que ce n’ait esté assez pour défigurer entierement ce que vous y eussiez pû trouver de moins desagreable. Au reste, cette dispute s’est passée entre luy et moy comme un jeu d’échets, nous sommes demeurez bons amis aprés la partie achevée, et ne nous renvoyons plus l’un à l’autre que des complimens. Le Docteur Plempius Professeur en Medecine à Louvain m’a fait aussi quelques objections contre le mouvement du cœur, mais comme amy, afin de mieux découvrir la verité, et ie tâche à répondre à un chacun du mesme stile qu’il m’écrit. Il y a un Conseiller de Thoulouse qui a un peu disputé contre ma Dioptrique, et ma Geometrie ; puis quel AT II, 661 Geometres de Paris luy ont voulu servir de seconds ; mais ie me trompe fort, ou ny luy ny eux ne sçauroient se dégager de ce combat, qu’en confessant que tout ce qu’ils ont dit contre moy sont des paralogismes. Ie n’oserois vous rien envoyer de ces écrits : car bien qu’ils me semblent valoir bien la peine que vous les lisiez, il en faudroit neantmoins trop prendre pour les copier, et peut-estre qu’ils seront tous imprimez dans peu de temps ; En effet ie souhaitte que plusieurs m’attaquent de cette façon, et ie ne plaindray pas le temps que j’employeray à leur répondre, iusques à ce que j’aye dequoy en remplir un volume entier ; car ie me persuade que c’est un assez bon moyen pour faire voir si les choses que i’ay écrites peuvent estre refutées, ou non. I’eusse sur tout desiré que les R. R. P. P. Iesuites eussent voulu estre du nombre des opposans, et ils me l’avoient fait esperer par Lettres de La Fleche, de Louvain, et de l’Isle ; mais i’ay receu depuis peu une Lettre d’un de ceux de La Fleche, où ie trouve autant d’approbation que i’en sçaurois desirer de personne ; iusques-là qu’il dit ne rien desirer en ce que i’ay voulu expliquer, mais seulement en ce que ie n’ay pas voulu écrire ; d’où il prend occasion de me demander ma Physique et ma Metaphysique avec grande instance ; AT II, 662 Et pource que ie scay la correspondance Clerselier II, 379 et l’union qui est entre ceux de cét Ordre, le témoignage d’un seul est suffisant pour me faire esperer que ie les auray tous de mon costé ; mais pour tout cela, ie ne voy encore aucune apparence que ie puisse donner au moins de long-temps mon Monde au monde ; et sans cela, ie ne sçaurois aussi achever les Méchaniques dont vous m’ecrivez, car elles en dépendent entierement, principalement en ce qui concerne la vitesse des mouvemens : Et il faut avoir expliqué quelles sont les loix de la Nature, et comment elle agit à son ordinaire, avant qu’on puisse bien enseigner comment elle peut estre appliquée à des effets ausquels elle n’est pas accoustumée.

Ie n’ay rien à répondre touchant le desir qu’a M. de Pollot de voir les trois feüillets qu’il vous a demandez, et comme c’est en vous un excez de courtoisie, de me vouloir laisser quelque droit sur une chose qui vous appartient, c’est en luy un témoignage qu’il fait plus d’estat de moy, que de ce que i’ay écrit, que d’avoir envie de le voir. Mais c’est sans doute le favorable iugement qu’il vous en aura vû faire, qui luy aura donné cette envie.

AT II, 51 Ie vous remercie tres-affectueusement des nouvelles et du Livre dont il vous a plû me faire part, i’en suis aussi tres obligé à M. de Saumaise, puis que c’est de luy qu’elles me viennent, et ie l’estime à tel point, que ie tiens a beaucoup de bon-heur, si i’ay quelque part en ses bonnes graces. Pour ce que l’Autheur de ce Livre dit de ma Philosophie qu’elle suit celle de Democrite, ie ne sçaurois dire s’il a raison ou non : car ie ne croy pas que ce qu’on nous rapporte de cét Ancien, qui vray semblablement a esté un homme de tres bon esprit, soit veritable, ny qu’il ait eu des opinions si peu raisonnables qu’on luy fait accroire ; Mais ie vous avoüe que i’ay participé en quelque façon à son humeur, lors que i’ay ietté les yeux sur le Livre que vous m’avez envoyé : car tombant par hazard sur l’endroit ou il dit que Lux est medium proportionale inter substantiam et accidens, ie me AT II, 52 suis quasi mis a rire, et n’en aurois pas lû davantage, Clerselier II, 380 n’estoit l’estime que ie fais de son Autheur, et de tous ceux qui comme luy travaillent autant qu’ils peuvent à la recherche des choses naturelles, et qui tentans des routes nouvelles, s’écartent pour le moins du grand chemin, qui ne conduit nulle part, et qui ne sert qu’à fatiguer et égarer ceux qui le suivent. Ie suis,