Clerselier II, 454 AT II, 523

AU R. P. MERSENNE.

LETTRE XCVIII.

MON REVEREND PERE,
Ie n’ay gueres de matiere pour vous écrire à ce voyage, mais ie n’ay pas voulu differer de répondre à Monsieur de Beaune, tant pour le remercier de ses Notes sur ma Geometrie, que pour luy mander ce que i’ay trouvé touchant ses lignes Courbes ; car ie croirois AT II, 524 qu’il iroit du mien, si quelqu’autre luy pouvoit en cela satisfaire, ou mieux, ou plutost que moy. Il n’y a pas un seul mot en ses Notes, qui ne soit entierement selon mon intention, et il a fort bien vû en ma Geometrie les constructions et les demonstrations de tous les lieux plans et solides, dont les autres disoient que ie n’avois mis qu’une simple Analyse. Ie n’ay aucune connoissance de ce Geometre dont vous m’écrivez, et ie m’étonne de ce qu’il dit, que nous avons estudié ensemble Viete à Paris ; car c’est un Livre dont ie ne me souviens pas avoir seulement iamais vû la couverture pendant que i’ay esté en France.

Pour l’experience des œufs, des verres, ou des noix, etc. qui estant entassez, ne cassent point ceux de dessous par leur pesanteur, elle ne contient rien d’admirable, que pour ceux qui la supposent autre qu’elle n’est : Car il est certain qu’on peut mettre tant d’œufs l’un sur l’autre, que ceux de dessous seront cassez par la pesanteur de ceux de dessus ; Mais pour bien faire son compte, il faut considerer que si on met par exemple 50000. œufs dans un tonneau, qui soit si large qu’il y en ait mille qui touche le fonds, chacun de ces mille n’a que la charge de 49 à soustenir, lesquels ne pesent comme ie croy que 3. ou 4. livres tout au plus ; De Clerselier II, 455 façon que si chacun de ses œufs peut soustenir un poids de 3. ou 4. livres sans se rompre, ils ne se doivent nullement casser estant au fond de ce tonneau ; et s’ils ne le peuvent soûtenir, ils s’y casseront certainement, AT II, 525 quelque experience qu’on die avoir faite. Et pour des noix, elles sont si dures, que ie croy que chacune en pourroit soûtenir plus de 10000. et ainsi qu’on en pourroit remplir la plus haute tour qui soit au monde, sans que pour cela elles se cassassent.

La multitude et l’ordre des nerfs, des veines, des os, et des autres parties d’un Animal, ne monstre point que la Nature n’est pas suffisante pour les former ; pourveu qu’on suppose que cette Nature agit en tout suivant les loix exactes des Mechaniques, et que c’est Dieu qui luy a imposé ces loix ; En effet, i’ay consideré non seulement ce que Vezalius et les autres écrivent de l’Anatomie, mais aussi plusieurs choses plus particulieres que celles qu’ils écrivent, lesquelles i’ay remarquées en B 1000 faisant moy-mesme la dissection de divers Animaux : C’est un exercice où ie me suis souvent occupé, depuis unze ans, et ie croy qu’il n’y a gueres de Medecin qui y ait regardé de si prés que moy ; Mais ie n’y ay trouvé aucune chose, dont ie ne pense pouvoir expliquer en particulier la Formation, par les causes Naturelles, tout de mesme que i’ay expliqué en mes Meteores, celle d’un grain de sel, ou d’une petite Etoille de neige ; Et si j’estois à recommencer mon Monde, où i’ay suposé le Corps d’un Animal tout formé, et me suis contenté d’en monstrer les fonctions, i’entreprendrois d’y mettre aussi les causes de sa Formation, et de sa Naissance. Mais ie n’en sçay pas AT II, 526 encore tant pour cela, que ie pûsse seulement guerir une fiévre. Car ie pense connoistre l’Animal en general, lequel n’y est nullement sujet, et non pas encore l’homme en particulier, lequel y est sujet.

Monsieur de Beaune me mande qu’il desire voir ces petites observations sur le livre de Galilée que ie vous ay envoyées ; Et puis que vous luy avez fait voir toute nostre dispute de M. N. et de moy, touchant sa regle pour les Clerselier II, 456 Tangentes, ie serois bien aise qu’il vist aussi ce que i’en ay une fois écrit à M. Hardy, où i’ay mis la demonstration de cette regle, laquelle M. N. n’a iamais donnée, quoy qu’il l’eust promise, et que nous l’en ayons assez pressé vous et moy ; Vous en aurez aysément une copie de M. Hardy, et ie seray bien aise que M. de Beaune iuge par là, qui c’est qui a le plus contribué à l’invention de cette regle. I’écriray à Leyde auiourd’huy ou demain, pour faire que le Maire vous envoye les livres que vous demandez. Ie suis,