PREFACE.
Si le prompt debit, et l’approbation generale, sont des marques assurées de la bonté d’un Livre ; il faut croire que le premier Volume des Lettres de Monsieur Descartes que i’ay donné au public, est un des meilleurs qui ayent iamais parû ; puis que la premiere Impression en est desia debitée, et qu’elle a eu autant d’Approbateurs que de Lecteurs. Cette approbation si universelle, m’a fait remarquer combien les gousts des hommes sont differens touchant le prix et la valeur des choses ; Et ie ne me suis estonné qu’apres l’Edition de tant d’autres excellens écrits de cét illustre Autheur, qui luy avoient acquis l’estime et l’admiration des plus Sçavants, il ait fallu neantmoins que ce dernier Ouvrage ait encore esté mis en lumiere, pour achever de couronner sa memoire et sa reputation. Car il s’est trouvé quantité de personnes fort éclairées, qui n’ont ouvert les yeux à l’éclat de la doctrine de ce grand Homme, que depuis qu’ils ont veu ses Lettres. Ce genre d’écrire aisé et familier a reveillé leur curiosité ; et voyant que ses Lettres, qui leur sembloient si belles, n’estoient neantmoins que de simples extraits de ses autres productions, ils ont eu ie ne sçay quelle honte de n’en avoir pas fait d’estime, et ont commencé à connoistre que le peu de compte qu’ils en avoient fait, ne venoit que de leur negligence, pour n’avoir pas voulu se donner la peine de mediter avec luy, sur des pensées qu’il n’auoit proposées que sous le titre de Meditations.
Il est de Monsieur Descartes comme de tous les autres Clerselier II, (2) celebres Autheurs, dont les écrits sont ordinairement de deux sortes. Les uns sont appellez Acroamatiques, c’est à dire, difficiles, relevez, et qui estant plus serrez demandent l’explication du Maistre, ou du moins une attention fort serieuse du Lecteur ; Et de ce genre sont les Meditations Metaphysiques de Monsieur Descartes, ses Principes de Philosophie, sa Dioptrique, et sa Geometrie. Les autres sont appellez Exoteriques, c’est à dire faciles, populaires, qui n’ont presque besoin d’aucune explication, et qui peuvent estre entendus de tout le monde ; Et de ce genre sont la methode du mesme Autheur pour bien conduire sa raison, ses réponses aux libelles de ses envieux, et les Lettres qu’il a écrites à ses Amis.
Mais si le premier Volume de ses Lettres a bien pû desia faire connoistre la bonté de ses autres Ouvrages, et leur a fait rendre l’estime qui leur est deuë, comme estant les fondemens sur lesquels il a appuyé les sçavantes réponses qu’il a faites aux difficultez qui luy ont esté proposées sur toutes sortes de sujets, et par des personnes de toutes sortes de conditions ; Ie ne doute point que ce second Volume ne produise un effet encore plus avantageux que le premier, tant pour le grand nombre et la diversité des Questions qui s’y rencontrent, que pour la qualité des matieres qui y sont traittées ; dont non seulement on n’a eu iusques icy aucune parfaite connoissance ; mais où l’on ne croyoir pas mesme que l’on pust iamais arriver à quelque chose de plus certain que le probable. L’on en a bien parlé avant Monsieur Descartes, mais ce n’est pas connoistre les choses que d’en parler beaucoup : Et ie ne feindray point de dire, que si nous en connoissons auiourd’huy la verité, nous en sommes redevables aux lumieres qu’il y a apportées par la simplicité et l’evidence de ses principes, qui ont dissipé toute l’obscurité dont elles estoient auparavant envelopées.
Toutesfois ie ne veux point prevenir les esprits, i’aime mieux attendre le iugement des Lecteurs ; et ie n’ai point d’autre dessein maintenant, que d’inviter tout le monde à lire les écrits qu’il nous a laissez, mais à les lire avec tout l’esprit Clerselier II, (3) et toute l’attention qu’ils demandent. C’est une envie que i’ay desia fait venir à plusieurs ; et il n’y en a point encore eneu iusques ici, qui ne m’en ait sceu gré, et qui ne m’ait re de mon avis.
Aussi est-ce une chose remarquable, qu’on ait veu plusieurs Sçavants hommes, apres avoir esté les plus échauffez à combattre cette doctrine dans sa naissance, par la prevention qu’ils avoient pour les opinions communes, et l’aversion qu’ils sentoient pour les nouvelles, se departir tout à coup de leurs premiers sentimens, renoncer aux maximes de leurs Maistres qu’ils estimoient les seuls et veritables Genies de la Nature, et tourner le dos à ces anciens Instaurateurs des Sciences, pour se ranger du party de nostre Nouveau, mais incomparable Philosophe. On a veu mesme des Academies toutes entieres prendre la mesme route, et s’abandonnant à la conduite de ce sage Guide, suivre pas à pas toutes les démarches qu’il a faites pour la découverte de la verité.
Il y a eu aussi dans l’Alemagne un Professeur des plus anciens et des plus celebres, qui avoit pris à tasche de contre-quarrer cette doctrine, et d’en sapper les fondemens ; lequel, apres avoir beaucoup dépensé pour faire des experiences qui pussent dementir la certitude de ses principes, et des conclusions qu’il en a tirées, a esté enfin obligé, apres des Années entieres vainement employées à un semblable examen, de confesser que plus il avoit cherché à les destruire, et plus il en avoit reconnu la verité En sorte que rien ne luy avoit davantage confirmé la certitude de cette science, que cela mesme par quoy il avoit tasché d’en découvrir la fausseté.
Mais pourquoy passer iusqu’en Alemagne pour trouver des témoins d’une verité si publique ? Paris est remply d’un tres-grand nombre de personnes, que le desir d’insulter à cette nouvelle façon de Philosopher, ou du moins la curiosité de sçavoir ce qui en estoit, a fait aller à l’Assemblée qui se tient tous les Mercredis chez Monsieur Rohault, tres-sçavant Mathematicien, et fort experimenté dans les Mechaniques, et celuy de ma connoissance qui est le plus versé dans Clerselier II, (4) cette Philosophie, lesquels, apres avoir esté surpris de la nouveauté de ses discours, apres avoir esté conduits à l’intelligence des Matieres qu’il traittoit par sa facilité et sa maniere de s’expliquer, apres avoir esté convaincus par la force de ses demonstrations, et pleinement persuadez par la justesse et la convenance que les experiences ont avec ses raisonnemens, ont enfin esté contraints de donner les mains, et d’ennemis ouverts qu’ils estoient de cette doctrine, de s’en declarer les sectateurs et les deffenseurs.
I’ay crû estre obligé de donner cét avis, afin que ceux qui pourroient douter de la verité de ce que i’avance, en fassent eux-mesmes l’épreuve, et qu’ils en viennent informer leur esprit par le témoignage de leurs yeux ; Ie suis assuré qu’ils s’en retourneront entierement satisfaits, et qu’ils m’auront obligation de les en avoir avertis. Le grand nombre de personnes de condition qui se trouvent en cette Assemblée (où les Dames mesme tiennent souvent le premier rang) et qui n’en sortent iamais qu’avec applaudissement et admiration, doit convier tous ceux qui ont quelque desir de connoistre et de se détromper, à l’honorer quelquesfois de leur presence, et se rendant les Spectateurs des experiences que l’on y fait, se rendre aussi les Iuges et les Arbitres des explications qu’on leur donne. Car pourquoy s’en rapporter au iugement d’autruy, qui bien souvent est celuy d’une personne ignorante, ou qu’un faux honneur engage à ne pas relascher de son premier sentiment, quand on peut s’en éclaircir soy-mesme, et demander à sa propre raison ce que l’on en doit croire ? Ce n’est pas en ces choses qui ont esté laissées à la dispute des hommes iusqu’à ce que la verité se découvre elle-mesme, que l’authorité doit avoir lieu. Ie veux bien que tant que notre raison est trop foible pour se conduire, on obeïsse à celle des autres ; Mais quand l’âge nous a une fois tirez de la sujection de nos Precepteurs, et qu’il nous laisse à nous-mesmes, comme la meilleure marque que nous ayons pû donner de la bonté de nostre Esprit, a esté de nous soûmettre à la raison d’autruy pendant nostre enfance ; ce seroit aussi Clerselier II, (5) une marque de lascheté et de bassesse, si nous demeurions dans cette aveugle soûmission, et si nous nous contentions tousiours de croire nos Maistres, en des choses que nous avons droit d’examiner aussi bien qu’eux à nostre tour, iusqu’à iuger de leurs iugemens, et les pezer contre les nostres. C’est en cela mesme que ces grands hommes dont l’on vante tant l’authorité, nous doivent servir d’exemple : Et Aristote tout le premier, est celuy de tous les Anciens qui a le moins deferé aux sentimens de ceux qui l’avoient precedé, et qui a le plus librement repris leurs opinions : C’est pourquoy l’on ne fera point d’injure à ce Philosophe, si apres un regne de deux mille ans, on le traitte de la mesme façon qu’il a traitté ses Contemporains. Quelque respect qu’il ait eu pour son Maistre, il a crû que la verité luy devoit estre plus venerable ; et quoy qu’il n’ait pas mieux reüssi dans la recherche qu’il en a faite, le motif qui l’a porté à s’écarter du chemin des autres, n’en a pas esté moins loüable.
Aussi voyons-nous tous les iours que ceux mesmes qui font profession d’enseigner ses opinions, usant de cette liberté raisonnable qui nous fait preferer le vray au faux, et le certain au douteux, ne font point de scrupule de s’éloigner de ses sentimens, et se donnent la liberté de le contredire, quand ils croyent qu’il se soit mépris ; ou si le respect en retient encore quelques-uns, ils tentent toutes sortes de voyes pour luy faire dire les choses comme ils pensent qu’il les a dû dire. Et c’est delà que vient ce grand nombre d’opinions toutes differentes, que l’on attribuë toutes à Aristote, chacun s’efforçant de l’attirer à son party, et faisant gloire de donner à ses pensées une explication plus recevable que celle des autres. Si bien que i’estime qu’on ne sçauroit rien faire de plus glorieux pour sa memoire, que de trouver moyen de luy faire dire une fois les choses de telle sorte, qu’on ne puisse plus rien changer en ses pensées sans s’éloigner de la raison ; et de luy attribuer de telles opinions en Physique, que l’evidence de leurs principes, fort differente de l’obscurité de ceux qu’on luy impute, avec la certitude des conclusions qu’on en peut tirer, les fasse Clerselier II, (6) embrasser à tout le monde. C’est un moyen assez commode, ce me semble, pour faire cesser cette animosité qui met tant de division parmy les Doctes, et pour ramener à la raison ceux qui ne iurant que par luy, ne veulent pas qu’on puisse rien dire de bon, s’il n’est tiré de ses Ecrits. Et c’est ce qu’auparavant le Decret authentique d’une des Academies du Païs-Bas, qui donne pouvoir à tous les Professeurs d’enseigner publiquement la Doctrine de Monsieur Descartes, un des plus celebres Professeurs de ces quartiers-là avoit desia fait ; lequel ayant vû les emportemens de ses Collegues contre un d’entr’eux, qui sans respect à Aristote avoit osé enseigner ces nouvelles opinions, avoit adroitement trouvé moyen de les faire recevoir à ceux de sa Ville, en les proposant sous le nom d’Aristote, et comme les propres et veritables pensées de cét ancien et fameux Autheur.
Mais Monsieur Descartes n’a pas seulement bien merité de la Republique des Lettres par les beaux secrets qu’il nous a revelez de la Physique ; S’il y a quelque chose qui le rende recommandable pardessus les autres, c’est principalement ce qu’il a écrit des choses Metaphysiques, dont il n’y a que luy seul, que ie sçache, qui nous en ait fait concevoir les veritables idées. Ie dis les choses Metaphysiques, et non pas les veritez Metaphysiques, car il y a bien de la difference entre les unes et les autres. Celles cy ne sont autre chose que certaines propositions claires et evidentes, communément connuës de tout le monde, qui nous servuent de regle pour iuger de la verité des choses, mais qui ne nous menent à la connoissance de l’existence d’aucune ; et qui considerées en elles-mesmes, ne sont point conceuës comme les proprietez d’aucune substance, mais seulement comme des veritez qui resident en l’entendement, et qui hors de luy ne subsistent point ; Au lieu que par les choses Metaphysiques nous entendons des Choses ou des Substances intelligentes, ou bien des Proprietez qui appartiennent à ces Substances, lesquelles sont détachées de la Matiere, et ont une propre Subsistance independante d’elle ; qui sont connuës sans elle, et premierement connuës qu’elle. Clerselier II, (7) Ce n’est pas qu’auparavant Monsieur Descartes, plusieurs grands Personnages n’ayent parlé des choses Intellectuelles, et n’en ayent parlé dignement ; Mais neantmoins s’il m’est permis de dire icy ce que i’en pense, vous n’en trouverez aucun, qui ait conceu bien distinctement en quoy consiste precisément l’Essence d’une chose Spirituelle, et qui l’ait si nettement distinguée de celle des choses Materielles, qu’il n’ait point confondu les fonctions des unes, avec les fonctions des autres. Monsieur Descartes est le seul à qui nous avons l’obligation de nous en avoir donné les veritables notions, et de nous avoir en mesme temps découvert le moyen dont il s’est servy pour parvenir à une connoissance si distincte et si exacte. Car quiconque voudra mediter avec luy, ne pourra douter non plus que luy de l’existence de son Ame, c’est dire de sa propre existence, entant qu’il est une chose qui pense ; qui est la veritable notion que l’on doit avoir de la Substance Spirituelle, et parquoy l’on reconnoist manifestement qu’elle est distinguée de la Substance Corporelle ; comme ayant en soy des Proprietez ou des Attributs totalement differens de ceux que nous concevons pouvoir appartenir à la Substance Corporelle, ou Estenduë.
Ie n’ignore point que nonobstant tout ce qu’a pû dire ou écrire Monsieur Descartes sur ce sujet, plusieurs ne laissent pas d’avoir encore auiourd’huy bien de la peine à concevoir la Substance de leur Ame. Mais ie sçay bien aussi qu’il y en a fort peu qui veulent comme luy se donner la peine de détacher leur Esprit du commerce des sens, écoûter ce que dicte la vraye raison, et donner plus à leur Intelligence qu’à leur Imagination. Et ie pense pouvoir dire avec quelque assurance de verité, que la seule chose qui fait qu’on a de la peine à concevoir la substance de l’Ame, c’est qu’estant accoustumez dés nostre enfance, à ne rien concevoir à quoy l’on n’applique en mesme temps son imagination, l’on pense ne rien connoistre en une chose, en laquelle on ne trouve rien qui puisse estre imaginé. Ainsi, pource que ny nostre Ame, ny ses Facultez, ny ses Actions, n’ont rien qui puisse estre Clerselier II, (8) imaginé, on pense ne rien connoistre en elle ; et on va la cherchant où elle n’est pas, et par là l’on se trompe, lors que pour la mieux concevoir, et pour avoir, pour ainsi dire, quelque prise sur elle, l’on fait une Anatomie ou Dissection du Cors, on le subtilise et on le rend agile, afin de nous faire, ce semble, comme appercevoir nostre Ame et ses Fonctions. Mais si l’on considere que nostre Imagination n’est pas propre à representer toutes sortes des choses, mais seulement celles qui sont Corporelles ; ainsi que la Peinture ne peut pas representer toutes sortes de choses Corporelles, mais seulement celles qui sont Visibles ; et par consequent que c’est autant d’erreur de vouloir imaginer nos Ames, que de vouloir voir des sons ou des odeurs dans un Tableau ; On pourra aysément se satisfaire, en considerant que comme c’est assez appercevoir les sons que de les ouïr, et les odeurs que de les sentir, encore qu’on ne les voye pas ; c’est aussi assez entendre la Nature de nostre Ame, que de connoistre qu’elle est le Sujet ou la Substance en laquelle sont toutes nos pensées, encore qu’on ne puisse aucunement imaginer cette Substance ; Car on ne peut douter que nos Pensées n’ayent quelque Sujet dans lequel elles soient, ny penser que ce Sujet soit le Corps, d’autant que l’on ne reconnoist aucune Affinité entre elles et luy.
Mais en voilà assez pour le dessein que i’ay eu de faciliter l’intelligence de quelques Lettres : Ceux à qui le peu que ie viens de dire, aura fait venir l’envie d’en sçavoir dauantage, pourront se satisfaire en lisant à fonds les Ecrits de nostre Autheur ; C’est là, et non dans une Preface qu’ils doivent pleinement s’instruire ; c’est à cette source qu’ils doivent se desalterer ; et ie croiray avoir beaucoup fait, si ie puis seulement irriter la soif de quelque curieux, et l’obliger par la lecture de ce Livre de recourir aux autres. Au reste, que le Lecteur m’excuse si i’en ay differé l’impression plus qu’il n’auroit souhaité ; et qu’il sçache que ie l’ay fait pour la commodité et la satisfaction de tout le monde. En voicy la cause. Les Libraires m’ont témoigné que le grand nombre de Lettres Latines Clerselier II, (9) qu’il y avoit dans le premier Volume, avoit esté cause que plusieurs personnes qui n’ont point de commerce avec cette langue, ne l’avoient pas acheté, et mesme avoit fait croire à quelques-uns que le plus beau du Livre leur estoit caché. I’ay voulu pourvoir à cela ; Et en mesme temps iettant les yeux sur une personne qui me touche de fort prés, que i’avois dessein d’introduire dans cette Science, et d’exercer aussi en la Version du Latin, ie luy ay donné une bonne partie de ces Lettres à traduire, et c’est ce qui en a retardé l’Edition. Ie ne pretens pas par là m’excuser des fautes qui pourroient s’y estre glissées ; i’avouë que ie me suis tousiours reservé le droit de reveuë ; mais il est vray aussi que pour donner à ce ieune Traducteur quelque satisfaction de son travail, i’ay laissé la pluspart de ses expressions, ausquelles on auroit bien pû donner un tour plus elegant, mais non pas plus de rapport avec le sens de l’Autheur, que i’y ay trouvé assez fidellement rendu.
Peut-estre aussi que i’aurois pû estre plus soigneux et plus retenu, que ie n’ay esté en une chose de plus grande importance, et qui auroit répondu davantage au desir de l’Autheur, qui nous avertit souvent dans ses Lettres qu’il ne les a pas écrites de la maniere qu’il voudroit qu’elles fussent, si elles devoit paroistre au jour, mais avec la liberté dont on use envers ses Amis. I’ay desia employé cette excuse dans une Lettre que i’ay écrite à quelqu’un de ceux qui s’estoient offensez de cette honneste liberté, pour iustifier l’Autheur, et me iustifier aussi moy-mesme auprés de luy. Que s’il se trouvoit encore icy quelques termes qui sentissent l’aigreur ou la chaleur de la dispute ; Ie prie tous les Lecteurs de les excuser en faveur du dessein que i’ay eu de ne rien suprimer de ce qui pouvoit servir à la gloire ou à la iustification de mon Amy, et au desir qu’il avoit d’avancer tousiours de plus en plus dans la connoissance de la verité. Et luy et moy sommes bien dignes de pardon ; luy parce que ces termes ont esté rendus publics contre son intention ; et moy parce qu’ils me sont échappez par mégarde : car quelque soin que i’aye apporté à les adoucir, et à taire les noms de ceux qu’ils concernoient, il pourra bien estre arrivé Clerselier II, (10) que ie m’en sois quelquesfois oublié. Mais aprés tout, ce sont des guerres innocentes que ces sortes de disputes où les coups de plume les plus sanglans ne sont donnez que pour égorger l’erreur, s’il est permis de parler ainsi, et pour faire triompher la verité ; outre qu’une injure, ou un dementy n’est pas si offensant, et ne porte pas si loin, quand il est donné par des Sçavans, et avec les restrictions receuës parmy les Latins.
Ces excuses ne sont-elles pas suffisantes ? faut-il encore quelque chose de plus, afin de satisfaire ceux qui se pourroient trouver interessez ; et pour achever d’adoucir leur aigreur, est-il besoin de les flatter de l’esperance de quelque nouveau present ; Ie le veux pourtant, et leur en promets un au plutost du mesme Autheur, qui ne cede en rien aux plus excellens de ses Ouvrages, pour la noblesse de sa Matiere, et la nouveauté de son invention. C’est un des plus riches effets de la succession de ce grand Homme, qui m’ait esté mis entre les mains par celuy qui a esté le Depositaire de tous les biens de son Esprit. On ne peut rien donner à l’homme de plus beau ny de plus precieux, que ce qui porte son Nom et son Caractere. Telle sera la marque du Livre que ie promets ; son titre est, L’HOMME DE RENÉ DESCARTES ; Ouvrage tout à fait curieux, auquel il eût esté à souhaiter pour sa derniere perfection, que son Autheur y eût pû mettre la derniere main luy-mesme. Ie tâche maintenant de luy donner toute la meilleure forme qu’il est possible ; Et parce qu’entre autres choses les Figures y manquent, i’invite tous les Sçavants de me vouloir aider à les suppléer. Que si quelque obligeante personne, ialouse de la reputation de M. Descartes, et de la sienne propre, vouloit s’offrir à ce glorieux travail, ie le prie de vouloir m’en donner avis. Fût-il Estranger, pourvû qu’il me donne de seures et de fidelles adresses, ie luy feray mettre entre les mains tout ce qui sera necessaire ; et ne stipuleray point d’autre condition auec luy, sinon que ce Traitté ne sera point imprimé en nostre Langue dans les Païs Estrangers, qu’il ne l’ait premierement esté en France.