Clerselier III, 596 AT III, 334

AU R. PERE MERSENNE.
De Leyde le 18. Mars 1641.

Lettre CIX.

MON REVEREND PERE,
Ie vous envoye enfin ma réponse aux objections de Monsieur Arnault, et ie vous prie de changer les choses suivantes dans ma Metaphysique, afin qu’on puisse connoistre par là que i’ay deferé à son iugement, et ainsi que les autres, voyant combien ie suis prest à suivre conseil, me dient plus franchement les raisons qu’ils auront contre moy, s’ils en ont, et s’opiniastrent moins à me contredire sans raison.

La premiere correction est In Synopsi ad quartam Meditationem. Apres ces mots, quam ad reliqua intelligenda, où ie vous prie d’adjoûter ceux-cy : (Sed ibi interim est advertendum nullo modo agi de peccato, vel errore qui committitur AT III, 335 in persecutione boni et mali, sed de eo tantum qui contingit in dijudicatione veri et falsi ; nec ea spectari quæ ad fidem pertinent, vel ad vitam agendam, sed speculativas tantum, et solius luminis naturalis ope cognitas veritates) et de les enfermer dans une parenthese, afin qu’on voye qu’ils ont ont esté adjoûtez.

Dans la sixiéme Meditation page 96. apres ces mots : Cum authorem meæ originis adhuc ignorarem, ie vous prie de mettre (vel saltem ignorare me fingerem) aussi en parenthese.

Puis dans ma Réponse aux premieres objections, où il est question, an Deus dici possit esse à se ut à causa, à l’endroit où sont ces mots : Adeo ut si putarem nullam rem idem quodammodo esse posse erga se ipsam, etc. ie vous prie de mettre à la marge : Notandum est per hæc verba nihil aliud intelligi, Clerselier III, 597 quam quod alicuius rei essentia talis esse possit, ut nulla causa efficiente indigeat ad existendum.

Et un peu plus bas, où sont ces mots : Ita, etiam si Deus nunquam non fuerit, quia tamen ille ipse est qui se reverà conservat, etc. Ie vous prie aussi de mettre à la marge : Notandum etiam hic non intelligi conservationem quæ AT III, 336 fiat per posituum ullum causæ efficientis influxum ; Sed tantum, quod Dei essentia sit talis ut non possit non semper existere.

Et trois lignes plus bas, où sont ces mots : Etsi enim ij qui putant impossibile esse ut aliquid sit causa efficiens sui ipsius, non soleant, etc. Ie vous prie de corriger ainsi le texte : Etsi enim ij qui non nisi ad propriam et strictam efficientis significationem attendentes, cogitant impossibile esse, ut aliquid sit causa efficiens sui ipsius, nullumque hic aliud causæ genus efficienti analogum locum habere animadvertunt, non soleant, etc. Car mon intention n’a pas esté de dire que aliquid potest esse causa efficiens sui ipsius, en parlant de efficiente proprie dicta, mais seulement que lors qu’on demande an aliquid possit esse à se, cela ne se doit pas entendre de efficiente proprie dicta ; Parce que comme i’ay dit, Nugatoria esset quæstio ; Et que l’axiome ordinaire de l’école, nihil potest esse causa efficiens sui ipsius, est cause qu’on n’a pas entendu le mot à se au sens qu’on le doit entendre ; en quoy ie n’ay pas voulu toutesfois apertement blasmer l’école.

Ie vous prie aussi de n’oublier pas la correction dont ie vous ay écrit dans mes precedentes pour la fin des mesmes Réponses, où sont ces mots, Deinde quia AT III, 337 cogitare non possumus, etc. Car pendant que mon écrit n’est pas imprimé, ie pense avoir droit d’y changer ce que ie iugeray à propos. Ie pense aussi avoir quelque droit de desirer que dans les objections de M. Arnault, vers la fin de celle où il examine an Deus sit à se ut à causa, et où il cite de moy ces paroles. Adeo ut si putarem nullam rem idem esse posse erga seipsam, etc. qu’on mist, Idem quodammodo esse, etc. Car ce mot quodammodo, qu’il a oublié change le sens, et il est ce me semble mieux que ie vous prie de l’adjoûter dans son texte, Clerselier III, 598 que si ie l’accusois dans ma Réponse de n’avoir pas cité le mien fidelement ; outre qu’il semble ne l’avoir obmis que par oubliance. Car il conclud, cum evidentissimum sit nihil ullo modo erga se ipsum, etc. où son ullo modo se rapporte à mon quodammodo.

Ie pourrois en mesme façon vous prier de mettre au commencement de la mesme objection, où il cite de moy ces mots : Ita ut Deus quodammodo idem præstet respectu sui ipsius, etc. de mettre, dis-ie, ceux-cy, Ita ut liceat nobis cogitare Deum quodammodo idem præstare, etc. comme il y a dans mon texte. Et un peu plus bas où il me cite, disant que efficientis significatio non videtur ita esse restringenda, il obmet la principale raison que i’en ay donnée, qui est que nugatoria AT III, 338 quæstio esset, etc. et rapporte seulement la moins principale ; mais i’ay remedié à cela tout doucement par ma Réponse ; C’est pourquoy il importe moins de le changer, et il ne le faudroit pas faire sans sa permission.

Ie viens à vostre derniere du deuxiéme Mars que i’ay reçeuë il y a huit iours, car ie n’ay point eu de vos Lettres à ce voyage, vous y parlez de l’opinion de l’Anglois qui veut que la reflexion des corps ne se fasse qu’à cause qu’ils sont repoussez comme par un ressort, par les autres corps qu’ils rencontrent ; mais cela se peut refuter bien aisément par l’experience. Car s’il estoit vray, il faudroit qu’en pressant une balle contre une pierre dure, aussi fort qu’elle frappe cette mesme pierre quand elle est jettée contre elle, cette seule pression la pust faire bondir aussi haut que lors qu’elle est jettée contre. Et cette experience est aisée à faire, en tenant la balle du bout des doigts, et la tirant en bas contre une pierre qui soit si petite qu’elle puisse estre entre la main et la balle, ainsi que la corde d’un arc de bois est entre la main et la fléche, quand on la tire du bout des doigts pour la décocher ; Mais on verra que cette balle ne rejaillira aucunement, si ce n’est peut-estre fort peu en cas que la pierre se plie fort sensiblement comme un arc. Et pour leur faire avoüer que la balle ne s’arreste en aucune façon au point de Clerselier III, 599 la reflexion, il leur faut faire considerer que si elle s’arrestoit quand la reflexion se fait iustement à angles droits, AT III, 339 elle devroit aussi s’arrester quand ils sont tant soit peu moindres, et ainsi par degrez, encore qu’ils soient les plus aigus qui puissent estre, car il n’y a pas plus de raison pour l’un que pour l’autre ; Mais ces angles plus aigus sont les angles de contingence qui se trouvent en tous les points imaginables qui sont en la circonference d’un cercle, en sorte qu’il faudroit imaginer que lors qu’une balle se meut en rond, elle s’arreste en tous les points de la ligne qu’elle décrit, ce qui ne se peut soûtenir que par une opiniastreté ridicule ; Si ce n’est qu’on avoüe aussi qu’elle s’arreste en tous les points de son mouvement quand elle va en ligne droite ; car on ne voit point qu’elle aille notablement plus viste en droite ligne qu’en rond. Et si on veut qu’elle s’arreste en tous les points de son mouvement, ce n’est rien de particulier de dire qu’elle s’arreste aussi au point de reflexion ; et il leur faut expliquer la cause qui luy fait reprendre son mouvement apres qu’elle l’a perdu en chacun des points où elle s’arreste, ainsi qu’ils pretendent la donner par leur ressort, qui le luy fait reprendre au point de la reflexion. Mais ie ne me souviens point d’avoir dit que ses conclusions touchant la refraction suivissent mal de ses suppositions ; car en effet ie croy qu’elles suivent bien, et il n’est pas mal-aisé de bâtir des principes absurdes dont on puisse conclure des veritez qu’on a apprises d’ailleurs ; Comme si ie disois omnis equus est rationalis, omnis homo est equus ; Ergo omnis homo est AT III, 340 rationalis, la conclusion est bonne, et l’argument est en forme, mais les principes ne valent rien.

Ie suis bien-aise que Monsieur Petit ait pris quelque goust en ma Metaphysique ; car vous sçavez qu’il y a plus de joye dans le Ciel pour un pecheur qui se convertit, que pour mille iustes qui perseverent.

Ie vous laisse le soin de tous les titres de ma Metaphysique ; car vous en serez s’il vous plaist le parain : Et pour les objections, il est fort bon de les nommer primæ objectiones, Clerselier III, 600 secondæ objectiones, etc. et apres de mettre, Responsio ad objectiones, plustost que solutiones objectionum, afin de laisser iuger au Lecteur si mes Réponses en contiennent les solutions, ou non. Car il faut laisser mettre solutiones à ceux qui n’en donnent que de fausses ; ainsi que ce sont ordinairement ceux qui ne sont pas nobles, qui se vantent le plus de l’estre.

Ie ne vous envoye pas encore le dernier feüillet de ma Réponse à M. Arnault, où i’explique la transubstantiation suivant mes Principes ; Car ie desire auparavant lire les Conciles sur ce sujet, et ie ne les ay encore pû voir.
Ie suis,