AT V, 369

RESPONSE DE MR DE CARCAVI
à Monsieur Descartes.
A Paris le 9. Iuillet 1649.

LETTRE LXXVI.

MONSIEUR,
Si ie n’eusse esté absent de cette Ville pendant un mois et davantage, ie n’aurois pas manqué de faire plustost réponse à la Lettre que vous avez pris la peine de m’écrire du onziéme du mois passé, et vous remercier de la faveur que vous me faites de me donner de vos nouvelles, et d’agréer que ie vous écrive de temps en temps celles que ie croyray vous apporter davantage de satisfaction ; Si i’avois les mesmes habitudes et la mesme pratique pour les experiences que le feu bon Pere Mersenne, vous en AT V, 370 recevriez le mesme contentement ; Mais ie tascheray de suppléer à cela par la curiosité de ceux que ie sçauray qui les font avec plus de soin et de diligence. Celle que vous me demandez de M. Pascal le jeune est imprimée il y a desia quelques mois, et a esté faite fort exactement sur une haute montagne d’Auvergne, appellée le Puys de Domme ; Sa hauteur est d’environ 500 toises ; On fit premierement l’experience au Couvent des Reverends Peres Minimes de la ville de Clairmont, qui est Clerselier III, 440 presque le plus bas lieu de la Ville. L’on prit deux tuyaux de verre longs chacun de quatre pieds, le Vif-argent qui resta en chacun d’eux, joints l’un contre l’autre, se trouva à mesme niveau, et il y en avoit au dessus de la superficie du vaisseau dans lesquels on les vuida, la hauteur de vingt-six pouces trois lignes et demie ; apres cela on monta au haut de la montagne qui est tout proche de la Ville, plus haute, ainsi que i’ay dit d’environ 500 toises, où l’on trouva qu’il ne restoit plus de Vif-argent dans le tuyau que la hauteur de vingt-trois pouces deux lignes ; et ainsi entre les hauteurs du Vif-argent de ces deux experiences, il y eut trois pouces une ligne et demie de difference, ce qu’estant reïteré diverses fois se trouva tousiours de mesme. Et encore en descendant de la montagne, l’on fit l’experience en un lieu appellé la fon de l’Arbre, bien plus haut que les Minimes, mais aussi plus bas que le sommet de la montagne, et la hauteur du Vif-argent se trouva de 25. pouces.

Voilà, Monsieur, en substance ce que vous m’avez demandé, à quoy ie n’adjoûteray pas grand-chose pour maintenant, à cause du peu de temps qu’il y a que ie suis AT V, 371 arrivé, qui ne m’a pas mesme donné le loisir de lire deux petits Livres qu’on m’a envoyez de Rome, et que ie faits porter chez M. Picot, parce qu’il en a un qui parle avec estime des Principes que vous avez fait imprimer, mais qui ne les a pas, ce me semble, bien entendus. Et Monsieur Picot s’est chargé de m’en écrire son advis, pour le luy faire tenir à Rome, où il y a un Minime, nommé le Pere Magnan, plus intelligent que le feu Pere Mersenne, qui m’a fait esperer quelques objections contre vos mesmes Principes, ce que ie souhaitterois estre fait avec iugement, et qui meritast une Réponse de vostre main. Nous attendons bien-tost vostre traitté des Passions, et ce que Monsieur de Schooten a fait imprimer touchant vostre Geometrie. Icy il n’y a que la Philosophie democritique de Monsieur Gassendi, qu’il a faite au sujet de la vie d’Epicure ; Un ramas de Betinus, qu’il appelle Ærarium, semblable à son Apiarium ; Quelques Clerselier III, 441 traittez de AT V, 372 feu Cavalieri ; et une Deffense de la quadrature du Pere Gregorius à S. Vincentio, contre ce qu’en a remarqué le Pere Mersenne dans ses derniers ouvrages ; lequel Pere Mersenne ayant laissé à Monsieur de Roberval le soin d’achever ce qu’il adjoûtoit à l’impression de la Perspective du Pere Niceron, ledit sieur de Roberval prendra cette occasion pour montrer en peu de mots en quoy il croit qu’il s’est trompé.

Vous me permettrez, s’il vous plaist, de vous écrire ce qu’il m’a dit sur le sujet des asymmetries de Monsieur de Fermat, sçavoir, que vous ne prenez pas, ou qu’il semble que vous ne vouliez pas prendre, ce que ie vous ay mandé de luy sur ce sujet, et que sa solution porte sa demonstration avec soy, quelque nombre qu’il y ait de racines ; et que ce que Monsieur de Fermat nomme Vba, il l’appelle b, et ainsi des autres, ne s’arrestant point dans la suitte de l’operation, iusques à ce que l’équation subsiste sous b2 , ou ses degrez plus hauts par nombre pair, et qu’ainsi l’asymmetrie en est ostée. Voila tout ce qu’il m’a dit sur AT V, 373 ce sujet, sur lequel ie crois que vous me ferez la faveur de me mander vostre methode avec sa demonstration, ainsi que ie vous en ay supplié par ma precedente.

Ledit Sieur m’a encore dit, sur ce que vous l’appellez vostre ennemy, qu’il n’a iamais eu d’autre pensée que de vous honorer, et m’a prié de vous l’écrire formellement, comme ie feray cy-apres, pourveu que vous me fassiez la grace de le trouver bon, et de croire que ie ne le fais pas pour luy plaire, mais par un desir que i’ay de restablir, si ie pouvois, la paix entre vous, qui a peut-estre esté troublée innocemment par le bon Pere Mersenne, qui prenoit par fois les choses un peu trop cruëment, et les écrivoit souvent plustost selon son genie, que comme elles estoient en effet. Ledit sieur de Roberval m’a donc dit, que si vous l’appellez vostre ennemy, parce qu’il vous a recherché en particulier pour vous dire quelque chose qui ne luy sembloit pas bien dans vostre Geometrie, dont il a esté obligé de donner des Clerselier III, 442 demonstrations à ceux qui l’en pressoient, suivant l’obligation de sa charge, il ne peut éviter d’estre vostre ennemy de cette sorte, mais que cette inimitié ne sera pas reciproque, car elle ne sera que dans la creance que vous en aurez, estant disposé par tout ailleurs à rendre ce qu’il doit à vostre merite et à vostre condition, ainsi qu’il vous a protesté de vive voix ; Or ce qu’il trouve n’estre pas bien dans vostre Geometrie est,

1. Page 326. Que le point C est par tout les angles que vous avez nommez, et que vous ne nommez point celuy où il ne peut estre ; et que iamais la question n’est impossible.

AT V, 374 2. Page 373. vous dites qu’il y a autant de racines vrayes que les signes + et – se trouvent de fois estre changez en une équation, etc. Il y a demonstration du contraire en une infinité de cas.

3. Pages 405. 406. touchant le cercle qui couppe vostre parabole ou plustost conchoïde parabolique, il y a une faute et une omission. La faute est en ce que vous soûtenez que le cercle peut coupper cette conchoïde en six endroits, sans avoir égard à sa compagne qui est de l’autre part de la ligne DO, et que vous n’avez pas representée ; Il y a demonstration qu’il ne la peut coupper qu’en quatre endroits, de quel que façon qu’elle puisse estre faite. L’omission est en ce que vous ne vous servez pas de sa compagne qui est absolument necessaire pour resoudre les équations qui ont six racines vrayes ; et que cette omission devient bien plus considerable, en ce que pour six racines vrayes vous faites tomber vos perpendiculaires CG, NR, QO, etc. sur la ligne DO, et cependant elle y est absolument inutile, et il se faut servir d’une autre, comme dans la parabole ordinaire, qui la voudroit faire servir à une équation cubique, ou quarréequarrée quarrée, affectée sous tous les degrez, accompagnant cette parabole d’un cercle, comme vous faites tres-elegamment, il ne faut pas se servir de l’axe. Excusez, s’il vous plaist, ma liberté, qui ne part que d’un cœur sincere et de