Clerselier III, 514 AT IV, 558

A MONSIEUR ***.

LETTRE XCI.

MONSIEUR,
Ie mets au nombre des obligations que ie vous ay que vous n’ayez pas voulu que ie receusse de vous la AT IV, 559 derniere Lettre de Monsieur de Roberval, et ie le tiens pour un effet de vostre courtoisie, parce que cette Lettre contenant plusieurs invectives et point du tout de doctrine, comme elle ne meritoit pas d’estre leuë de vous, aussi n’aurois-ie pas fait grande perte de ne la point voir. Mais le Pere Mersenne a voulu que i’y fisse réponse, et l’affection que ie sçay qu’il a pour moy a esté cause que ie n’ay pû manquer de luy obeïr. Cependant afin que vous ne pensiez pas que le desir de contredire à un homme pour qui ie n’ay pas toute l’estime qu’en font plusieurs, et que i’ay sceu dés long-temps n’estre pas fort ardent à tascher de m’obliger, m’ait fait écrire aucune chose contre mon sentiment, ie repeteray icy en peu de mots tout ce qui me semble pouvoir estre dit touchant la cause de la durée des Vibrations de chaque corps. Premierement, ie fais distinction entre ce qui fait mouvoir le corps, et ce qui l’empesche, puis aussi entre ce qui peut estre determiné par le raisonnement, et ce qui ne le peut estre que par l’experience. Les causes qui le font mouvoir sont la pesanteur de celles de ses parties qui descendent, et l’agitation tant de celles qui descendent, que de celles qui montent ; Les causes qui l’empeschent, sont la pesanteur de celles qui montent, et la resistance de l’air, laquelle resistance est considerable en deux façons ; La premiere consiste en ce que les parties de l’air peuvent n’estre pas disposées à sortir de leur place si viste que le corps qui se meut tend à y Clerselier III, 515 entrer, et cette resistance n’est icy gueres sensible, dautant que les AT IV, 560 Vibrations des corps suspendus sont assez lentes ; L’autre n’appartient pas tant à l’air grossier que nous respirons, qu’à la matiere subtile qui est dans les pores de tous les corps terrestres, laquelle fait que lors que ces corps sont en parfait équilibre, bien que la raison semble persuader que la moindre force soit capable de les mouvoir, on trouve neantmoins par experience, que cette force doit avoir quelque proportion avec leur grandeur, et la vitesse dont elle les meut. Et cette resistance n’a point de lieu dans les triangles ou autres corps suspendus en la façon que i’ay décrite, à cause que toutes leurs parties descendent ensemble, ou montent ensemble ; Mais elle en a beaucoup dans les corps plats suspendus en l’autre façon, à cause qu’il y a presque tousiours un de leurs costez qui monte, pendant que l’autre descend, et le plus petit de ces deux costez est en équilibre avec une portion de l’autre qui luy est égale ; ainsi qu’il me semble avoir remarqué dans la premiere Lettre que i’ay eu l’honneur de vous écrire sur ce sujet. Or l’effet general de la pesanteur est que les Vibrations de chaque corps doivent avoir certaine proportion avec les mouvemens des Cieux ; et c’est ce qui fait qu’un funependule de telle longueur doit faire iustement mille Vibrations, par exemple, en une heure, et non plus, ny moins, mais cela ne peut estre determiné par le raisonnement, mais par l’experience seule ; C’est pourquoy ie ne m’y suis point arresté, et i’ay seulement examiné l’autre effet, qui est la diverse vitesse des Vibrations de divers corps, comparez les uns aux autres, AT IV, 561 comme lors qu’un triangle est comparé avec un funependule, etc. à quoy la pesanteur et l’agitation contribuent conjointement, en telle sorte qu’on ne les peut considerer l’une sans l’autre ; et c’est ainsi que ie les ay considerées, pour former la regle que i’ay cy-devant écrite. Pour l’empeschement qui vient de la pesanteur des parties qui montent, entant qu’elles ne sont point en équilibre avec d’autres qui descendent, ie ne me suis point aussi arresté à l’examiner, à Clerselier III, 516 cause qu’ayant mesme rapport dans tous les corps, avec l’agitation que ces mesmes parties acquierent en descendant, il ne peut causer aucune varieté dans leurs Vibrations. Si bien qu’il ne reste que l’empesche ment de l’air, lequel i’ay excepté tres-expressément dans ma regle, à cause que sa quantité ne peut aucunement estre determinée par le raisonnement, mais seulement par l’experience, et mesme i’ay donné la façon de faire cette experience, et adverty en quel sens les corps plats doivent estre suspendus, afin que cét empeschement y soit moins sensible. De façon que ie ne voy point encore à present que ie puisse adjoûter ny changer aucune chose en cette regle. Et comme ledit sieur de Roberval me semble peu habile de s’estre embarassé en des imaginations superfluës, en considerant le centre de gravité dans un corps qui est suspendu, et la direction de tous ses points rapportez à ie ne sçay quelle perpendiculaire, pour determiner par ses raisonnemens une question qui est purement de fait. Il me AT IV, 562 semble aussi fort injuste de dire que ma regle ne s’accorde pas à l’experience, à cause que l’experience monstre, que ce que i’en ay excepté, en doit estre veritablement excepté ; et de m’accuser d’avoir failly, pour ce que ie n’ay pas suivi les chemins par lesquels il s’est égaré.

Pour la difficulté que vous trouvez dans l’article 153. de la quatriéme partie de mes Principes, i’ay tasché de l’oster par l’article 56. de la seconde partie, où ie prouve qu’un corps dur, tant gros qu’il soit, peut estre determiné à se mouvoir par la moindre force, lors qu’il est environné tout autour d’un corps fluide ; Comme icy les aymans O et P sont environnez d’air, et la force qui les determine à s’approcher l’un de l’autre, est que l’air qui est entr’eux deux vers S, est poussé plus fort par la matiere subtile qui sort de ces deux aymans, et qui agit conjointement contre luy, que celuy qui est vers R et T n’est poussé par la matiere subtile, qui ne sort que de l’un de ces mesmes aymans ; d’où vient que cét air doit aller d’S vers R et T, et ainsi pousser les aymans O et P l’un vers l’autre. Au reste, Monsieur, ie Clerselier III, 517 suis bien glorieux, de ce que la premiere difficulté que vous me faites l’honneur de me proposer est au 153. article de la derniere partie, car cela me fait esperer que vous n’en aurez point trouvé en ce qui precede ; Mais ie n’ay point de plus grande ambition que de vous pouvoir assurer que
ie suis,
MONSIEUR,
Vostre tres-humble et fidele serviteur, DESCARTES.