AT I, 456

A UN REVEREND PERE IESUITE.

LETTRE XXVI.

AT I, 457 MON REVEREND PERE,
Ie vous suis tres obligé de ce qu’il vous plaist prendre la peine de voir le Livre que ie vous avois envoyé ; et ie reçoy en tres-bonne part la faveur que vous me promettez de me traitter en amy, bien que vous l’interpretiez, que ce sera en Clerselier III, 115 toute rigueur ; Car ne desirant rien autre chose que de connoistre la verité, i’aime beaucoup mieux la rigueur, c’est à dire, le soin et la diligence à remarquer tout, au moins en ceux de vostre sorte, que ie sçay n’estre portez que d’un bon zele, et n’estre pas capables de commettre aucune injustice, que ie ne ferois leur negligence. Et ie ne suis nullement pressé d’entendre vostre iugement ; car i’ose me promettre qu’il me sera dautant plus favorable qu’il viendra plus tard. Sur tout ie voudrois qu’il vous plust prendre la peine d’examiner ma Geometrie, c’est une chose qui ne se peut faire que la plume à la main, et suivant tous les calculs qui y sont, lesquels peuvent sembler d’abord difficiles, à cause qu’on n’y est pas accoustumé, mais il ne faut que peu de jours pour cela ; et si vous passez du premier Livre au troisiéme, avant que de lire le second, vous y trouverez plus de facilité que peut-estre vous ne croyez. Si i’avois des aisles pour voler, comme Dedale, AT I, 458 ie voudrois m’aller rendre pour huit jours auprés de vous, afin de vous en faciliter l’entrée, mais vous vous la pourrez assez ouvrir de vous-mesme, et ie me promets, que vous ne plaindrez point par apres le temps que vous y aurez employé. C’est un traitté que ie n’ay quasi composé que pendant qu’on imprimoit mes Meteores, et mesme i’en ay inventé une partie pendant ce temps-là ; mais ie n’ay pas laissé de m’y satisfaire, autant ou plus que ie ne me satisfaits d’ordinaire de ce que i’écris. Mon Neveu est heureux de vous avoir pour Maistre, et ie suis,
Mon R. P.
Vostre tres-humble et tres-acquis
serviteur, DESCARTES.