Introductio monachorum [1]

Installation des moines

I.

I.

1. [C/f.133r] [a'/f.11r] Provincia Lugdunensis secunda, quae nunc dicitur Normannia, non immerito asseritur praecipua ceterarum quas infra se continet Gallia, utpote quae non solum esse sufficiens [B/f.10v] sibi rerum omnium affluentissima copia, verum etiam circumjectis provinciis non minima probatur conferre subsidia. Namque aeris salubritate, opimae telluris ubertate, vinearum fertilitate, silvarum delectabilitate, nemorum fructiferarumque arborum apricitate, hortorum salubriumque herbarum amoenitate, metallorum quorumque congerie, silvestrium domesticarumque bestiarum multiplicitate, avium cujusque generis multitudine, piscium marinorum dulciumque aquarum copiosa effusione, navium cunctarumque mercium assiduitate, clarissimarum urbium dignitate, nobilium coenobiorum numerositate, illustrium virorum animosissimorumque militum populositate, ut testimonio sunt Cenomannicus [2] pagus, Anglica regna [3], Campania, Apulia, Calabria, Sicilia aliaque plura ab eis armis [4][a'/f.11v] adquisita diversis temporibus [5], cunctis ad postremum commodis humanae vitae omni suae vicinitati [6] noscitur longe praestare.

1. La province de la Seconde Lugdunaise [1], qui s’appelle aujourd’hui la Normandie, passe à juste titre pour occuper le premier rang parmi toutes les autres provinces que la Gaule renferme à l’intérieur de ses frontières, du fait que, comme cela a été bien reconnu, non seulement elle se suffit à elle-même par l’abondance considérable de toutes ses ressources, mais elle fournit aussi aux provinces voisines des contributions non négligeables. En effet la salubrité de l’air, la fécondité d’un sol riche, la fertilité des vignes, le charme [2] des forêts, la douceur [3] des bois et des vergers, l’agrément des jardins et des plantations salutaires, l’abondance des matériaux de toutes sortes [4], la diversité [5] des animaux sauvages et domestiques, la multitude d’oiseaux de toutes espèces, la grande profusion de poissons de mer et d’eau douce, la circulation permanente des navires et de toutes les marchandises, la notoriété des villes illustres, le grand nombre de monastères prestigieux, la foule des hommes remarquables et des chevaliers pleins de hardiesse, comme en témoignent les conquêtes militaires, effectuées à diverses époques, du pays du Maine, des royaumes d’Angleterre, de la Campanie, de l’Apulie, de la Calabre, de la Sicile et de plusieurs autres régions, enfin tous les autres avantages utiles à la vie des hommes constituent, c’est un fait reconnu, une supériorité manifeste de la Normandie sur toutes les provinces voisines.

2. Haec maxima sui parte, ab occidente scilicet orientem versus per totum [7] septentrionalem circulum, oceano cingitur ; ab oriente Epta, a meridie Sarta, ab occasu Coysnon [8] fluminibus oceanoque disterminatur. Et cum [9] omnibus, ut dictum est, vitae emolumentis ceteras praecellat, universo tamen occidenti in hoc longe superemicat, quod infra se, in monte qui dicitur Tumba, beati Michaelis [10] continet patrocinia. Ibidem nempe haberi patrocinia ejusdem caelestis militiae principis concursus paene totius testatur orbis. Quo [11] innumerabilibus choruscavit [12] nostraque adhuc [B/f.11r] aetate choruscat miraculis, angelicae tantum sublimitati congruis. Ex quibus aliqua, quorumdam nostrorum bonae voluntatis fratrum compulsi precibus, nullo fastu sed amore sancti ipsius [13] memoriae mandare studuimus, prout vel ipsi nostra aetate vidimus vel a nostris majoribus, subnixae auctoritatis viris [14], audivimus.

2. Cette province est, dans sa plus grande partie, c’est-à-dire sur toute sa limite septentrionale, d’ouest en est, bornée par l’océan ; elle est délimitée, outre par l’océan, par des rivières : l’Epte à l’est, la Sarthe au sud et le Couesnon à l’ouest. Et bien qu’elle l’emporte sur toutes les autres provinces, comme cela a été dit, en offrant tous les avantages matériels de l’existence, si elle rayonne [6] sur l’Occident tout entier, c'est parce qu’elle détient chez elle, sur le Mont appelé Tombe, les reliques du bienheureux Michel. C’est en ce lieu assurément que se trouvent les reliques du prince de la milice céleste, comme en témoigne l’affluence des gens venus presque du monde entier. C’est là que l’archange a resplendi et resplendit encore de nos jours par d’innombrables miracles, qui ne concordent qu’avec la seule majesté angélique. Voilà pourquoi nous avons, pressés par les prières de certains de nos frères animés d’une noble intention, entrepris de confier à la postérité quelques-uns de ces miracles, non par orgueil, mais par amour du saint archange, selon ce que nous avons vu nous-même à notre époque ou appris de nos anciens, qui furent des hommes à l’autorité incontestée.

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1   Division administrative d’origine romaine, datant du début du IVe siècle apr. J.-C.

2   delectabilitas: ce substantif, inconnu à l’époque classique et à l’époque tardive, semble une création de l’auteur à partir de l’adjectif delectabilis « agréable », « charmant », « séduisant ».

3   apricitas: nom formé à partir de l’adjectif apricus, « ensoleillé », « exposé au soleil »; terme rare utilisé par Columelle (7, 4, 5: apricitas diei), Pline l’Ancien (Nat. 6, 46) et le géographe du IIIe siècle Solin (61, 1). Ce mot a été repris par la suite par des auteurs chrétiens comme Salvien de Marseille (Eccl. 4, 35) et Rurice de Limoges (Epist. 1, 17) au Ve siècle.

4   metallorum congerie: metallum signifie « matériaux de toutes sortes » (métaux, marbre, pierres, terres particulières) que renferme le sous-sol de Normandie. C’est en ce sens que Walafrid Strabon l’a employé au IXe siècle dans l’expression ligni lapidicisque metallo (Vita sancti Mamme monachi, Dümmler [éd.], MGH, Poetae, II, 23, 11).

5   multiplicitas: terme de latin chrétien qui évoque soit « le grand nombre », soit « la diversité »; cf. Greg. M., Mor. 1, 54.

6   superemicare: ce verbe signifie dans ce texte « illuminer », « rayonner sur ».

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1   Le texte de l’Introductio monachorum se lit dans les manuscrits Avranches, BM, 210, f. 10-19 (B); 211, f. 11-26 (cahiers du XVe siècle, a’), et 213, f. 133-138 (C). En outre, un bref résumé est présenté dans le manuscrit 212, f. 5-6 (D), que nous donnons en appendice, après le texte complet. Le manuscrit Paris, BNF, lat. 14832, f. 177-178v (F), contient les chapitres X à XII. Le manuscrit a’ commence par un titre rubriqué: Miracula per beatum Michaelem archangelum patrata in ecclesia que dicitur Tumba, in periculo maris sita, nomine ipsius archangeli fabricata. Le manuscrit C présente un titre différent, tracé lui aussi à l’encre rouge: De gestis principum et miraculis magis habetur in antiquis libris deintus et cronicis. Le manuscrit B présente le texte à la suite de la Revelatio sans aucun titre.

2   cinomannicus C.

3   regia C.

4   armis om. a’.

5   diverso tempore BC.

6   viscinitati suae C.

7   per totum om. C.

8   coysnum B.

9   cum om. C.

10   post michaelis add. archangeli a’.

11   que C.

12   coruscavit C.

13   ipsius sancti transp. a’.

14   viris om. C.