Chapitre 2
Capitulum II1caput 2 1536.
Anguilla [l’anguille1Il n’y a pas d’hésitation à avoir sur
l’identification de l’anguille (Anguilla anguilla Linné,
1758).] [+][VB 17, 31 De anguilla [-]][+]
Anguilla [+][VB 17, 31 De anguilla [-]][+]
Lieux parallèles : TC, De
anguilla (7, 2) ; AM, [Anguilla] (24, 3
(8)).
[1] [•] VB 17, 31, 1Isidore. [•] Isid. orig. 12, 6, 41L’anguille tire son nom de sa ressemblance avec le serpent [anguis]. C’est la vase
qui la produit ; pour cette raison, elle est si visqueuse que,
quand on l’attrape, plus on la serre fort, plus elle glisse
rapidement. On rapporte que le Gange, un fleuve d’Orient, donne
naissance à des anguilles dotées de pieds pour la terre2Le texte original d’Isidore de
Séville comportait la leçon tricenis
pedibus et reproduisait une information de Solin sur la
longueur exceptionnelle (trente pieds) des anguilles du Gange. La
bévue terrenis pedibus, « avec des pieds
terrestres », introduite par l’éditeur de l’Hortus sanitatis, n’a pas gêné le traducteur
médiéval de la version française de Vérard, peut-être parce
qu’elle coïncidait avec le caractère amphibie de
l’anguille..
[1] [•] VB 17, 31, 1Isidorus. [•] Isid. orig. 12, 6, 41
— Anguillae
similitudo anguis nomen dedit. Origo huius ex limo ; unde et
quando capitur, adeo leuis est ut quando fortius presseris, tanto
citius elabitur. Ferunt autem Orientis fluuium Gangen anguillas
tricenis pedibus gignere.Anguilla dicitur ab anguis similitudine. Hujus origo ex limo est. Unde et,
quando capitur, adeo le[1491/vue 3] nis est ut, quanto2quando 1536 VBd. fortius presseris, tanto citius
labatur. Ferunt autem Orientis fluvium Gangen anguillas terrenis3tricenis VBd. pedibus gignere.
[2] [•] VB 17, 31, 2Pline, livre 9. [•] Plin. nat. 9,
74Les anguilles vivent huit ans. Elles peuvent même vivre sans
eau durant six jours quand souffle le vent du nord, mais moins
longtemps quand c’est le vent du sud. Elles ne résistent pas à
l’hiver si elles se trouvent dans une eau peu profonde ou
trouble3Vincent de Beauvais
a cité fidèlement le texte de Pline sans chercher à élucider ses
obscurités. En effet, les informations de Pline sont tirées du
chapitre d’Aristote consacré aux anguilles (Arist. HA 592 a), mais il faut suspecter
une altération de la tradition manuscrite de Pline (De Saint-Denis
1955, 123), qui aboutit à des indications incohérentes et
compromet la justesse des observations contenues dans la source
grecque. On peut mesurer l’ampleur des détériorations en se
reportant au texte d’Aristote : « les anguilles sont vite
asphyxiées, si leur eau n’est pas pure, car elles ont les
branchies petites. Voilà pourquoi, quand on les pêche, on trouble
l’eau et pourquoi on en prend dans le Strymon au lever des
Pléiades [lever héliaque en mai, lever vespéral en octobre] : car
à ce moment-là l’eau et la boue se mêlent sous le souffle de vents
opposés […]. Lorsque les anguilles sont mortes, elles ne flottent
pas et ne remontent pas à la surface comme les autres poissons
[…]. Une fois retirées de l’eau, elles vivent encore cinq ou six
jours, davantage par vent du nord, moins par vent du sud. Et quand
on les transporte en été des mares dans les viviers, elles
meurent, ce qui n’arrive pas en hiver » (Louis 1969, 13)..
On les attrape donc surtout au moment des Pléiades, quand les
cours d’eau sont particulièrement troublés. Elles s’alimentent
pendant la nuit ; ce sont les seuls poissons à ne pas flotter
quand ils sont morts. [•] Plin.
nat. 9, 73Les poissons qui sont
longs, comme les anguilles et les congres, ont deux nageoires en guise de
pattes.
[2] [•] VB 17, 31, 2Plinius libro IX. [•] Plin. nat. 9, 74
— Anguillae
octonis uiuont annis. Durant et sine aqua, quinis et senis diebus
aquilone spirante, austro paucioribus <…> aut hieme ; eadem
in exigua aqua non tolerant neque in turbida. Ideo circa Vergilias
maxime capiuntur fluminibus tum praecipue turbidis. Pascuntur
noctibus. Exanimes piscium solae non fluitant.Anguillae octonis4octennis 1491 Prüss1. vivunt annis. Durant et sine aquis
diebus senis aquilone spirante, austro paucioribus. At hiemem in
exigua aqua non tolerant neque in turbida. Ideo circa Vergilias
maxime capiuntur, fluminibus tum5tamen 1491 Prüss1 VB. praecipue turbidis. Pascuntur
noctibus. Exanimes6examnis
Prüss1. piscium
solae non fluitant. [•] Plin. nat. 9, 73
— Ideo pinnarum
quoque fiunt discrimina, quae pedum uice sunt datae piscibus,
nullis supra quaternas, quibusdam binae, aliquis nullae. […]
Binae omnino longis et lubricis, ut anguillis et
congris.Porro vice pedum pinnae datae sunt
binae piscibus omnino longis7longitudo 1491 Prüss1 1536. ut anguillis et congris.
[3] [•] VB 17, 31, 2Le même. [•] Plin. nat. 9,
160Les anguilles se frottent aux rochers, et leurs raclures
prennent vie : elles n’ont pas d’autre mode de reproduction4La reproduction des anguilles,
qui fraient dans la mer des Sargasses, éloignée de 4 000 ou 7 000
km de leur habitat, n’est connue que depuis peu de temps. Les
civelles issues de la métamorphose des larves émigrent dans les
eaux saumâtres, les unes restant dans les estuaires, les autres
gagnant les eaux douces des rivières et des fleuves..
[•] Plin. nat. 9, 177Les anguilles vivent plus longtemps que tous les autres
poissons hors de l’eau5Les
capacités de résistance des anguilles sont bien connues et
réellement étonnantes. Elles peuvent supporter un long séjour à
l’air, car elles n’ont pas d’écailles, et sont recouvertes d’un
mucus abondant, ce qui les protège de la
dessiccation..
[3] [•] VB 17, 31, 2Item. [•] Plin. nat. 9, 160
— Anguillae
atterunt se scopulis ; ea strigmenta uiuescunt, nec alia est earum
procreatio.Anguillae scopulis se atterunt8atterant 1491 Prüss1. eaque strigmenta vivescunt ; nec
alia est earum procreatio. [•] Plin. nat. 9, 177
— […] propter
quod et anguillas diutius uiuere exemptas aquis.Diutius autem ceteris vivunt anguillae aquis exemptae.
[4] [•] VB 17, 31, 3Le même au livre 10. [•] Plin. nat. 10,
189Chez toutes les anguilles, on ne distingue pas de mâle et de femelle,
elles ne produisent ni petit ni œuf. L’anguille est de genre neutre6Les ovaires et les testicules des anguilles se
développent tardivement et leur maturation sexuelle ne s’achève
que dans la mer des Sargasses., de même qu’on ne distingue
pas les sexes chez les huîtres et les autres espèces animales qui vivent
attachées au fond de la mer ou aux rochers.
[4] [•] VB 17, 31, 3Idem in9in om. Prüss1 1536. libro X. [•] Plin. nat. 10, 189
— […] neque est
in his masculum femininumue, sicut neque in anguillis omnibusque
quae nec animal nec ouum ex sese generant. Neutrum est et ostreis
genus et ceteris adhaerentibus uado uel saxo.In anguillis omnibus nec est masculinum neque femineum10foemininum 1491 VB. genus – quae nec animal nec
ovum ex se generant – sicut neutrum est et ostreis genus
ceterisque vado11vaso 1491 Prüss1 1536.12Il faut corriger la
forme vaso transmise par les éditions de
l’Hortus sanitatis et rétablir vado. On peut supposer que le lecteur médiéval
effectuait facilement ce rétablissement, bien que l’édition en
ancien français propose scrupuleusement une traduction par
« vaisseau », au sens de récipient, bien peu satisfaisante pour le
sens. On notera, par ailleurs, que la confusion pouvait être
entretenue avec le terme vasus, i, m. (« ponton, pieu »), attesté en latin
médiéval, qui n’aurait rien d’aberrant ou de déconcertant dans ce
contexte pour un lecteur contemporain. vel saxo
adhaerentibus.
[5] [•] VB 17, 31, 4D’après le Liber de natura
rerum. [•] TC 7, 2, 3L’anguille naît de la fange des autres poissons. On ne
l’écorche qu’avec difficulté. [•] TC 7, 2, 17Face à la mort, elle est
très résistante ; même écorchée, elle vit encore. [•] TC 7, 2, 7-8Elle
s’effraie des grondements du tonnerre. Elle aime les eaux
fluviales limpides, [•] TC 7, 2, 13et on l’attrape
principalement quand les Pléiades se cachent, parce qu’alors des
vents contraires troublent les eaux. [•] TC 7, 2, 8-9Elle s’attaque avec
voracité aux petits poissons moins forts qu’elle, surtout quand
ils se présentent à l’état d’alevins.
[5] [•] VB 17, 31, 4Ex Libro de naturis rerum13Pour tout ce chapitre,
Vincent de Beauvais suit de très près Thomas de
Cantimpré.. [•] TC 7, 2, 3Anguilla ex aliorum piscium limo nascitur14nasci dicitur VB.. Difficulter excoriatur15excoriator 1491.. [•] TC 7, 2, 17Durissimam habet mortem ;
quae etiam excoriata vivit. [•] TC 7, 2, 7-8Ad vocem tonitrui
commovetur. Aquis claris fluvialibus gaudet, [•] TC 7, 2, 13et in
absconsione Pliadis16pleiadarum VBd. maxime capitur, quia tunc ex
ventis oppositis aqua turbatur. [•] TC 7, 2, 8-9Ad pisciculos inferioris
potestatis rapax est, maxime tamen cum in semine17La tradition manuscrite de
Thomas de Cantimpré serait-elle ici corrompue ? On pourrait
imaginer un texte original qui aurait opposé la voracité des
anguilles pour les petits poissons d’une part et les gros (maximos), d’autre part, mais à l’état
d’alevins… reperiuntur18reperiunitur Prüss1..
Propriétés et
indications
Operationes
[6] [•] VB 17, 31, 4A. Nota HSD’après l’ouvrage ci-dessus. [•] TC 7, 2,
15-19Elle est le seul poisson qui ne flotte
pas quand elle est morte7Ce
fait s’explique par l’absence de vessie natatoire chez
l’anguille., sinon une fois pourrie et décomposée dans
l’eau. Il faut la cuire plus longtemps qu’un autre aliment, sans
quoi elle n’est pas comestible. Il vaut mieux rôtir sa chair au
feu, parce que sa malignité ainsi s’évapore.
[6] [•] VB 17, 31, 4A. compil.Ex19ex
— supra non hab. VB. libro ut
supra20ex lib. de nat.
rer. 1536.. [•] TC 7, 2,
15-19Exanimis21ex amnis Prüss1. sola piscium non fluitat, nisi cum
aquis putrefacta dissolvitur. Plus alio cibo decoquatur22decoquitur VB. ; aliter nocivus est cibus ejus. Ad
ignem assata plus competit, quia malitia ejus illic
evaporatur.
[7] [•] VB 17, 31, 4B. [•] TC 7, 2, 16Avec sa graisse, on soigne
les oreilles.
[7] [•] VB 17, 31, 4B. [•] TC 7, 2, 16Pinguedo ejus auribus
medetur.
[8] [•] VB 17, 31, 1C. Le même. [•] TC 7, 2,
6-7En buvant du vin où on a noyé une anguille, on perd le goût du vin.
[8] [•] VB 17, 31, 1C. Item23Cette information vient à l’origine
d’Isidore de Séville. Thomas de Cantimpré l’a reprise mot pour
mot, comme Vincent de Beauvais. Tous deux ont indiqué
précisément leur source, Isidorus.
L’auteur de l’Hortus sanitatis a
recopié Vincent de Beauvais en modifiant l’ordre des citations
– le marqueur item chez lui a perdu la
signification qu’il avait chez Vincent de Beauvais et renvoie
logiquement au Liber de natura rerum.
Par un heureux hasard cette attribution n’est pas fausse
puisque Thomas de Cantimpré cite ce passage. Isidore de
Séville lui-même a sans doute emprunté cette information à Plin. nat. 32, 138 :
Mullus in uino necatus uel piscis rubellio uel anguillae II,
item uua marina in uino putrefacta ii, qui inde biberint
taedium uini adfert.. [•] TC 7, 2,
6-7Anguillae vino necatae24necantur 1536.,
qui ex eo biberint taedium vini habent.
~
1Il n’y a pas d’hésitation à avoir sur
l’identification de l’anguille (Anguilla anguilla Linné,
1758).
2Le texte original d’Isidore de
Séville comportait la leçon tricenis
pedibus et reproduisait une information de Solin sur la
longueur exceptionnelle (trente pieds) des anguilles du Gange. La
bévue terrenis pedibus, « avec des pieds
terrestres », introduite par l’éditeur de l’Hortus sanitatis, n’a pas gêné le traducteur
médiéval de la version française de Vérard, peut-être parce
qu’elle coïncidait avec le caractère amphibie de
l’anguille.
3Vincent de Beauvais
a cité fidèlement le texte de Pline sans chercher à élucider ses
obscurités. En effet, les informations de Pline sont tirées du
chapitre d’Aristote consacré aux anguilles (Arist. HA 592 a), mais il faut suspecter
une altération de la tradition manuscrite de Pline (De Saint-Denis
1955, 123), qui aboutit à des indications incohérentes et
compromet la justesse des observations contenues dans la source
grecque. On peut mesurer l’ampleur des détériorations en se
reportant au texte d’Aristote : « les anguilles sont vite
asphyxiées, si leur eau n’est pas pure, car elles ont les
branchies petites. Voilà pourquoi, quand on les pêche, on trouble
l’eau et pourquoi on en prend dans le Strymon au lever des
Pléiades [lever héliaque en mai, lever vespéral en octobre] : car
à ce moment-là l’eau et la boue se mêlent sous le souffle de vents
opposés […]. Lorsque les anguilles sont mortes, elles ne flottent
pas et ne remontent pas à la surface comme les autres poissons
[…]. Une fois retirées de l’eau, elles vivent encore cinq ou six
jours, davantage par vent du nord, moins par vent du sud. Et quand
on les transporte en été des mares dans les viviers, elles
meurent, ce qui n’arrive pas en hiver » (Louis 1969, 13).
4La reproduction des anguilles,
qui fraient dans la mer des Sargasses, éloignée de 4 000 ou 7 000
km de leur habitat, n’est connue que depuis peu de temps. Les
civelles issues de la métamorphose des larves émigrent dans les
eaux saumâtres, les unes restant dans les estuaires, les autres
gagnant les eaux douces des rivières et des fleuves.
5Les
capacités de résistance des anguilles sont bien connues et
réellement étonnantes. Elles peuvent supporter un long séjour à
l’air, car elles n’ont pas d’écailles, et sont recouvertes d’un
mucus abondant, ce qui les protège de la
dessiccation.
6Les ovaires et les testicules des anguilles se
développent tardivement et leur maturation sexuelle ne s’achève
que dans la mer des Sargasses.
7Ce
fait s’explique par l’absence de vessie natatoire chez
l’anguille.
~
1caput 2 1536.
2quando 1536 VBd.
3tricenis VBd.
4octennis 1491 Prüss1.
5tamen 1491 Prüss1 VB.
6examnis
Prüss1.
7longitudo 1491 Prüss1 1536.
8atterant 1491 Prüss1.
9in om. Prüss1 1536.
10foemininum 1491 VB.
11vaso 1491 Prüss1 1536.
12Il faut corriger la
forme vaso transmise par les éditions de
l’Hortus sanitatis et rétablir vado. On peut supposer que le lecteur médiéval
effectuait facilement ce rétablissement, bien que l’édition en
ancien français propose scrupuleusement une traduction par
« vaisseau », au sens de récipient, bien peu satisfaisante pour le
sens. On notera, par ailleurs, que la confusion pouvait être
entretenue avec le terme vasus, i, m. (« ponton, pieu »), attesté en latin
médiéval, qui n’aurait rien d’aberrant ou de déconcertant dans ce
contexte pour un lecteur contemporain.
13Pour tout ce chapitre,
Vincent de Beauvais suit de très près Thomas de
Cantimpré.
14nasci dicitur VB.
15excoriator 1491.
16pleiadarum VBd.
17La tradition manuscrite de
Thomas de Cantimpré serait-elle ici corrompue ? On pourrait
imaginer un texte original qui aurait opposé la voracité des
anguilles pour les petits poissons d’une part et les gros (maximos), d’autre part, mais à l’état
d’alevins…
18reperiunitur Prüss1.
19ex
— supra non hab. VB.
20ex lib. de nat.
rer. 1536.
21ex amnis Prüss1.
22decoquitur VB.
23Cette information vient à l’origine
d’Isidore de Séville. Thomas de Cantimpré l’a reprise mot pour
mot, comme Vincent de Beauvais. Tous deux ont indiqué
précisément leur source, Isidorus.
L’auteur de l’Hortus sanitatis a
recopié Vincent de Beauvais en modifiant l’ordre des citations
– le marqueur item chez lui a perdu la
signification qu’il avait chez Vincent de Beauvais et renvoie
logiquement au Liber de natura rerum.
Par un heureux hasard cette attribution n’est pas fausse
puisque Thomas de Cantimpré cite ce passage. Isidore de
Séville lui-même a sans doute emprunté cette information à Plin. nat. 32, 138 :
Mullus in uino necatus uel piscis rubellio uel anguillae II,
item uua marina in uino putrefacta ii, qui inde biberint
taedium uini adfert.
24necantur 1536.