Présentation de l’auteur et de l’œuvre
L’Histoire du Grand Comte Roger et de son frère Robert Guiscard fait le récit des hauts faits accomplis au XIe siècle par les fils de Tancrède de Hauteville en Campanie, Pouille, Calabre et Sicile. Elle a été composée quelques années après l’Historia Normannorum d’Aimé du Mont-Cassin (entre 1078 et 1085) et très vite après les Gesta Guillelmi de Guillaume de Pouille (vers 1095-1098). Ces trois œuvres célèbrent la gloire des Hauteville, et en particulier de Robert Guiscard, mais Geoffroi Malaterra a donné le principal témoignage que nous possédions sur la conquête de la Sicile et les exploits de Roger.
L’auteur
La plupart des informations dont on dispose sur Geoffroi Malaterra sont données dans l’œuvre elle-même et surtout dans les deux épîtres qui la précèdent. La première est adressée à l’abbé de Geoffroi, Anger, évêque de Catane et abbé de Sant’Agata, dont l’auteur espère le soutien auprès du commanditaire du récit, et la seconde à l’ensemble du clergé de Sicile. On apprend que Geoffroi est venu d’au-delà des Alpes. S’il n’était pas normand, on peut penser qu’il était originaire d’une région située au sud de la Normandie, peut-être le sud du Perche. Il précise qu’il est arrivé récemment dans l’île et qu’il a eu connaissance des événements qu’il rapporte grâce à des témoignages oraux. Doté d’une solide formation littéraire, il entend relater les faits à la manière des historiens de l’Antiquité, en particulier de Salluste, et il compose son récit à la demande du Grand Comte désireux que ses triomphes soient rapportés dans « une langue claire et facile à comprendre ».
L’œuvre
L’œuvre comporte quatre livres, ordonnés selon la chronologie jusqu’à la concession à Roger par Urbain II de la légation apostolique en 1098.
Le contenu
Le premier livre raconte brièvement la conquête de la Normandie par le Viking Rollon, présente Tancrède et les premiers exploits de ses aînés en Italie méridionale et en Sicile aux côtés du général grec Maniakès. De retour en Pouille, Guillaume Bras de fer et Dreux conquièrent un territoire en Pouille aux dépens des Byzantins et prennent successivement le commandement des Normands. Le récit s’intéresse bientôt à Robert, dit Guiscard, installé à Scribla en Calabre, et à son frère cadet Roger. À la mort d’Onfroi, troisième fils de Tancrède, Robert et Roger s’emparent ensemble de la Calabre. Après la prise de Reggio en 1059 ou 1060, Robert est reconnu duc de Pouille, de Calabre et de Sicile.
À partir du livre II, l’auteur s’intéresse surtout à la Sicile et aux prouesses de Roger dans l’île, accomplies parfois avec l’aide de Robert. En 1061, ils sont maîtres du Val Demone, le Nord-Est de la Sicile. Ils progressent lentement, contraints de se réapprovisionner sur le continent ou de revenir pacifier la Pouille et la Calabre où les contestations s’élèvent. En 1062, les deux frères se querellent et perdent une grande partie de leur conquête. Mais en 1063, Roger, aidé de son neveu Serlon, remporte la célèbre bataille de Cerami, grâce à l’apparition miraculeuse de saint Georges. De 1068 à 1071, Robert est occupé par le siège de Bari. Dès que la ville est prise, ils préparent une expédition d’envergure à Palerme, qu’ils assiègent par terre et par mer. Ils soumettent la ville au bout de cinq mois et prennent soin de restaurer aussitôt le culte chrétien. Serlon cependant tombe dans une embuscade.
Les livres III et IV rapportent les étapes suivantes de la conquête de la Sicile qui s’achève avec la prise de Noto en 1091. Le livre III témoigne aussi de la tentative de conquête de Constantinople par Robert Guiscard, interrompue par l’appel de Grégoire VII prisonnier à Rome en 1083. Après la mort de Guiscard, qui intervient au dernier chapitre du livre III, Malaterra rapporte comment Roger arbitre le litige qui oppose ses neveux, Bohémond et Roger Borsa, au sujet de la succession de Robert Guiscard, pacifie le duché et réorganise l’Église de Sicile. Il apparaît comme le meilleur soutien du pape, qui lui concède finalement le privilège de la légation apostolique.
Le projet historiographique
Geoffroi Malaterra est chargé par Roger de consigner par écrit ses triomphes pour les conserver dans la mémoire. Les choix et les actes du protagoniste prennent une valeur exemplaire, utile à l’instruction des lecteurs. L’auteur élabore progressivement une composition habile de la figure du Grand Comte, qui apparaît d’abord comme le digne frère de ses valeureux aînés, puis les dépasse. La légitimation de l’ascension de Roger aux plus hauts honneurs est programmée dès le début du livre I, par le bref récit de la conquête de la Normandie, le portrait des Normands et l’annonce de l’élection divine des Hauteville. Les moyens en sont le jeu des figures épiques, les rapprochements et analogies, qui rompent parfois, mais rarement, avec la progression chronologique, ou encore la variété du ton. Ces éléments contribuent à peindre les Hauteville comme des personnages hors du commun et à mettre en scène l’élévation politico-spirituelle de Roger, qui accomplit le vœu, exprimé au début du livre II, d’unir, en Sicile, le temporel au spirituel.
En se soumettant au devoir de mémoire comme ses modèles anciens, au premier rang desquels figurait Salluste, Geoffroi Malaterra a élaboré un récit historico-panégyrique des exploits du Grand Comte, dont la qualité littéraire trahit un évident plaisir d’écrire. Sans doute a-t-il voulu réjouir son commanditaire et un public éclairé, dont il est difficile d’apprécier la qualité.
Pour plus d’informations, nous renvoyons le lecteur à l’introduction qui figure dans le volume imprimé.