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Pensées 115 à 119

M :Montesquieu 1726/1727-1755.
D :Bottereau-Duval 1718-1731.
E :1734-1739.
U :1739.
H :1741-1742.
J :1742.
K :1742-1743.
F :1743.
I :1743.
L :1743-1744.
O :1745-1747.
P :Damours 1748-1750.
Q :1750-1751.
R :Saint-Marc 1751-1754.
S :1754-1755.
V :1754.
JB :Jean-Baptiste Secondat ?-1795.
T :écriture des manchettes 1828-1835

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M : Montesquieu.
D : Bottereau-Duval_1721-1731.
H : 1741-1742.
P : Damours_1748-1750.
E : 1734-1739.
L : 1742-1744.
O : 1745-1747.
T : écriture des manchettes
JB : Jean-Baptiste_Secondat.
J : 1742.
K : 1742-1743.
F : 1743.
E2 :
I : 1743.
R : Saint-Marc_1751-1754.

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Pensées, volume I

115

L’ouvrage divin de ce siecle Telemaque dans

Télemaque

lequel Homere semble respirer est une preuve sans replique de l’excellence de cet ancien poëte,
Je ne suis point du nombre de ceux qui regardent Homere comme le pere et le maitre de toutes les sciences[1]. Cet eloge est ridicule en faveur de tout auteur, mais il est absurde pour un poëte.

Main principale D

116

Mr. de la Mottee est un enchanteur qui nous seduit

Mr de Lamothe

par la force des charmes, mais il faut se defier de l’art qu’il employe {p.109} il a porté dans la dispute ce genie divin, ces talens heureux si connus dans ce siecle ciy mais que la posterité connoitra mieux encore, madame Dacier au contraire a joint a tous les defauts d’Homere tous ceux de son esprit

Made Dacier

, tous ceux de son ses etudes et j’ose même dire tous ceux ceux de son sexe, telle que ces prêtresses superstitieuses qui deshonoroient le dieu qu’elles reveroient et qui diminuoient la religion a force d’augmenter le culte[1].
Je ne dis pas que madame Dacier ne meritâtsse de plus cette belles places qu’on lui a données dans la republique des lettres et qu’elle semble avoir obtenuë malgré le destin même qui l’avoit plutôt faite naitre pour faire le bonheur de quelque moderne que pour la gloire des anciens, tout le {p.110} monde a senti la justesse le tour et même le feu de ses traductions[2] mais elle a fini sa vie dans un siecle ou le souverain merite est de penser juste et qui dans le tems qu’il admire une belle traduction de l’Iliade n’est pas moins frapé d’un mauvais raisonnement sur l’Iliade.
Ainsi l’on pouvait dire de cette guerre ce qu’on dit dans celle de Pyrrhus et des Romains que les Epirotes n’avoient pas vaincu les Romains, mais que le consul avoit eté vaincu par le roi des Epirotes[3].

Main principale D

117

J’avouë qu’une des choses qui m’a le plus charmé dans la dispute les ouvrages des anciens c’est qu’ils attrapent en même tems le grand et le simple

Anciens attrapent en meme tems le grand & le simple

, au lieu qu’il arrive presque toujours que nos modernes {p.111} en cherchant le grand perdent le simple ou en cherchant le simple perdent le grand, il me semble que je vois dans les uns de belles et vastes campagnes avec leur simplicité et dans les autres les jardins d’un homme riche avec des bosquets et des parterres :
Je vous prie de voir la plupart des ouvrages des Italiens et des Espagnols, s’ils donnent dans le grand ils outrent la nature au lieu de la peindre, s’ils donnent dans le simple on voit bien qu’il ne s’est pas presenté a eux mais qu’ils l’ont recherché et qu’ils n’ont tant d’esprit que parce qu’ils manquent de genie.

Main principale D

118

De

Pourquoi les modernes egalent les anciens dans le genre drammatique

tous les genres de poesies celui ou nos modernes ont a mon {p112} gré egalé les anciens c’est dans le poëme dramatique, je crois en deviner la raison. C’est que le sistéme payen y entre pour beaucoup moins ; cette sorte d’ouvrage est de sa nature le mouvement même, tout y est pour ainsi dire en feu, il n’y a ni recits, ni rien d’historique qui ait besoin de secours etranger, tout y est action, on y voit tout, on n’y entend rien, la presence des dieux seroit trop choquante et trop peu vraisemblable, c’est plutôt un spectacle du coeur humain que des actions humaines, ainsi il a moins besoin de merveilleux[1].
Je ne dis pourtant pas que le systême payen n’y influë pour beaucoup, car trés souvent l’esprit et presque toutes les idées principales ou accessoires en derivent {p.113} temoin le commencement de la mort de Pompée ou il n’entre pour acteurs ni dieux ny deesses,
le de

Le destin se declare et nous venons d’aprendre

Ce qu’il a decidé du beau pere et du gendre

Quand les dieux etonnés sembloient se partager

Pharsale a decidé ce qu’ils n’osoient juger[2]

Et cet autre endroit ou Cornelie dit &c[3]

Main principale D

119

Nos

Opera

modernes sont inventeurs d’un certain genre de spectacle qui uniquement fait pour ravir les sens et pour enchanter l’imagination a eu besoin de ces ressorts etrangers que la tragedie rejette ; dans ce spectacle fait pour etre admiré et non pour etre examiné on s’est servi si heureusement des ressorts de la fable ancienne et moderne que la raison s’est indignée en vain que ceux qui ont echoüé a la simple {p.114} tragedie ou rien ne les aidoit a agiter le cœur ont excedllé dans ce nouveau spectacle ou tout sembloit leseur servir et tel en a eté le succés que l’esprit même y a gagné car tout ce que nous avons de plus tendre exquis et de plus ex delicat, tout ce que le coeur a de plus tendre se trouve dans les operas de Quinaut, Fontenelle, Lamotthe, Danchet, Roi &c[1]

Main principale D


115

n1.

La connaissance de la cosmographie, de la géographie, des sciences militaire et médicale, soulignée dès l’Antiquité par Strabon, Athénée et le pseudo-Plutarque, était un argument des panégyristes du poète en faveur de sa science universelle, dont se moque Houdar de La Motte dans son Discours sur Homère [1re éd. 1714] (Œuvres, Paris, Prault, 1754, t. II, p. 4). L’opinion relevait des préjugés des partisans des Anciens qui ne voulaient créditer les Modernes d’aucune découverte, comme l’avait souligné Adrien Baillet (Jugements des savants sur les principaux ouvrages des auteurs [1re éd. 1685-1686], Paris, C. Moette, C. Le Clerc, P. Morisset, P. Prault et J. Chardon, 1722, t. I, p. 71) ; voir Noémi Hepp, Homère en France au XVIIe siècle, Paris, Klincksieck, 1968, p. 43, 105-110.

116

n1.

Voir Pensées, nº 894 et 895 ; BM Bordeaux, ms 2526/2a, f. 19r. L’affrontement entre Anne Dacier et Houdar de La Motte, qui réagit à la traduction en prose de l’Iliade publiée par l’helléniste (L’Iliade d’Homère, traduite en français, avec des remarques, Paris, Rigaud, 1711) dans son Iliade abrégée en alexandrins, précédée d’un Discours sur Homère (Paris, G. Dupuis, 1714 – Catalogue, nº 2058), suscite la seconde phase de la Querelle (voir Noémi Hepp, Homère en France au XVIIe siècle, Paris, Klincksieck, 1968, p. 629-772 ; Salvatore Rotta, « L’Homère de Montesquieu », dans Homère en France après la Querelle, 1715-1900, F. Létoublon et C. Volpilhac-Auger (éd.), Paris, H. Champion, 1999, p. 141-149). Mme Dacier est visée dans les Lettres persanes comme auteur Des causes de la corruption du goût (Paris, Rigaud, 1714) ; voir LP, 137 (143), p. 521, note 8.

116

n2.

Voir cependant Pensées, nº 1681.

116

n3.

Plutarque, Vie de Pyrrhus, XVIII, 1.

118

n1.

Selon la Poétique d’Aristote (chap. 24), l’irrationnel convient mieux au poème épique qu’à la tragédie qui met l’action sous les yeux, argumentation reprise par Anne Dacier pour condamner l’opéra, prisé par les Modernes (Des causes de la corruption du goût, Paris, Rigaud, 1714, p. 28 et suiv. ; voir ci-après). Sur le système païen, voir nº 112.

118

n2.

Corneille, La Mort de Pompée (I, 1, v. 1-4 ; c’est Ptolémée qui parle). Montesquieu cite de mémoire en modifiant le v. 1 : « et nous venons d’entendre » ; et le v. 2 : « Ce qu’il a resolu du beau-père et du gendre ».

118

n3.

Peut-être la tirade de Cornélie qui ouvre l’acte V de cette même tragédie.

119

n1.

Voir nº 118, note 1. Montesquieu possédait un recueil d’œuvres des auteurs français d’opéras mentionnés ici, à l’exception de Roy (Catalogue, nº 2106).