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Pensées 2175 à 2179

M :Montesquieu 1726/1727-1755.
D :Bottereau-Duval 1718-1731.
E :1734-1739.
U :1739.
H :1741-1742.
J :1742.
K :1742-1743.
F :1743.
I :1743.
L :1743-1744.
O :1745-1747.
P :Damours 1748-1750.
Q :1750-1751.
R :Saint-Marc 1751-1754.
S :1754-1755.
V :1754.
JB :Jean-Baptiste Secondat ?-1795.
T :écriture des manchettes 1828-1835

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M : Montesquieu.
D : Bottereau-Duval_1721-1731.
H : 1741-1742.
P : Damours_1748-1750.
E : 1734-1739.
L : 1742-1744.
O : 1745-1747.
T : écriture des manchettes
JB : Jean-Baptiste_Secondat.
J : 1742.
K : 1742-1743.
F : 1743.
E2 :
I : 1743.
R : Saint-Marc_1751-1754.
Q : 1750-1751.
S : 1754-1755.
V : 1754.

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Pensées, volume III

2175

Quelqu’[u]n racontoit touts les vices de Voltaire on répondoit toujours il a bien de l’esprit : impatienté quelqu’[u]n dit eh bien c’est un des vice de plus :

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Main principale M

2176

[Passage à la main S] Les theologiens ne s’appaisent sur une dispute qu’en faveur d’une seconde ils font com̃e les cormorans qu’on envoye pecher ils viennent vous rendre le poisson qu’un anneau a arreté dans leurs goziers mais vous y mettés un goujon[1]

Passage de la main M à la main S

2177

{f.361v} [Passage à la main V] Je croyois faire l’eloge de Mr l’archeveque de Sens[1], je disois, on peut dire de luy que dans un temps ou la plus part des gens faisoit voir plus une de passion que de zele celuy cy a montré plus de zele que de passion.
Ses souffrances sa pauvreté sans derangement prouveront a jamais que ce zele pour la religion ou etoit de l’amour pour la religion.
Je n’en saurois douter je sais des gens qu’il avoit cru etre ses adversaires je suis sur qu’il ne les prenoit pas pour ses enemis ennemis.
L’eloquence est relative, la varieté des talens la caracterisent, le caractere de celle de Mr de Sens étoit la discussion celuy de votre esprit est une imagination et une gayeté qui ne vous quitte jamais {f.362r} quel bonheur quand la nature a donné a l’esprit pour caractere, cette joye qui ne fait que le bonheur passager des hommes. Cette joye qui fuyt tous ceux qui la cherchent, qui est sourde a tous ceux qui l’invoquent, qui suit ceux qui veulent la recevoir, qui fuit ceux qui veulent la communiquer. Cette gayeté qui depuis si longtemps a quitté l’esclavage, les richesses, et les palais : cette gaieté que la grandeur peut envier, que la grandeur peut avoir, mais que certainement elle ne donne jamais.
{f.362v} Une page blanche

Passage de la main S à la main V

2178

{f.363r} [Passage à la main S] Litterature et belles lettres 
Quint Curse[1]

On ne sait gueres quel est le rheteur que qui sans savoir et sans jugemt promene Alexandre sur une terre qu’il ne connoit pas et qui le couvre de petites fleurs et qui a ecrit sans connoitre une seule des sources où il devoit puiser. Les anciens ont eu plus de bon sens que nous. Ils ne l’ont [trois lettres biffées non déchiffrées] cité nulle part et quoique la pureté de son stile nous prouve son antiquité {f.363v} il est resté dans l’oubli, et il semble qu’on attendit la barbarie pour l’en faire sortir et le produire comme un modele dans les ecoles. Come si pour apprendre une langue il falloit commencer par gater l’esprit. Q. Curse nous dira qu’Alexandre desesperant de se faire suivre par ses Macedoniens leur dit qu’ils n’avoient qu’a s’en retourner en Macedoine et qu’il iroit seul conquerir l’univers. Arrien nous dira que le desespoir la tristesse et les larmes des Macedoniens vinrent de ce qu’Alexandre avoit formé une armée qui le mettoit en etat de se passer des Macedoniens et d’achever sa conquete. Les cris {f.364r} et les larmes de l’armée les soupirs d’Alexandre les reconcilierent[2]

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Passage de la main V à la main S

2179

Homere

Les Amadis[1] decrivent des combats come Homere mais ils les decrivent avec une uniformité qui fait de la peine et donne du degout. Homere est si varié que rien ne se ressemble. Les combats des Amadis sont longs, ceux d’Homere rapides. Il ne s’arrete jamais et il court court d’evenemens en evenemens pendant que les Amadis s’appesantissent ses comparaisons sont riantes et admirables[2] tout est froid dans les Amadis
{f.364v} Tout est chaud dans Homere dans le poete grec tous les evenemens naissent du sujet. Dans les Amadis tout nait de l’esprit de l’ecrivain et toute autre avanture auroit convenu com̃e celle qu’ils imaginent. On ne sait pas pourquoi la plupart des choses se sont passées ainsi : c’est que dans Homere le merveilleux est dans le tout ensemble[3]. Dans les Amadis il n’est que dans les details.
L’Iliade et l’Odissée. Dans l’une la varieté des mouvemts dans l’autre la varieté des recits.
{f.365r} Virgile plus beau lorsqu’il imite l’Odissée dans ses Irs livres que lorsque dans les derniers il imite l’Iliade[4] il manquoit du beau feu d’Homere[5]

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Sans l’Iliade et l’Odissée il y a apparence que nous n’aurions pas l’Eneide.
On a reproché a Homere que ses rois faisoient la cuisine : ce qui fait dit on une impression de degout[6] je repons qu’il n’est pas etonnant que cela fut ainsi dans les tems heroïques. Outre que les mœurs y etoient simples c’est que les rois et les {f.365v} chefs de famille faisoient eux meme les sacrifices[7]. Ils tuoient la victime ils bruloient une partie de la graisse et comme on devoit en manger il etoit tout simple qu’ils la partageassent en morceaux &c
Ainsi l’idée de la cuisine dans les tems heroiques est liée avec les idées les plus nobles des autres tems qui celle de sacrifice. Voyes au 2e livre de l’Iliade Agamemnon offrit au puissant fils de Saturne un bœuf de 5 années et les chefs {f.366r} les plus considerables de l’armée furent presens a ce sacrifice et Nestor roi des Pyliens Idomenée &c. On amene la victime et apres que l’on eut presenté les gateaux Agamemnon fit cette priere. &c.
Cepandant on presente la victime et ils l’egorgent devant l’autel. Ils la coupent, ils la mettent au feu et ayant preparé le festin qu’ils en devoient faire ils mangerent ensemble &c[8]
{f.366v} Je remarque que l’amour de la patrie tant exprimé dans l’Odissée devoit plus frapper les peuples grecs a cause de leur bonheur et de leur liberté[9].
Que la plupart des recits de l’Odissée etoient les bruits populaires rapportés par les voyageurs dans ces tems la où la navigation etoit si difficile
Que les palais faits d’une maniere surnaturelle {f.367r} comme celui de Circé et autres rapportés par Homere sont moins merveilleux que ceux de nos romans a proportion des idées du luxe des uns et des autres

- - - - -

Main principale S


2176

n1.

Les voyageurs et naturalistes évoquaient la pratique des pêcheurs chinois qui dressaient les cormorans à attraper le poisson sans qu’ils puissent l’ingurgiter, en plaçant un anneau serré autour de leur gosier ; voir Juan Eusebio Nieremberg, Historia naturae, Anvers, B. Moreti, 1635, chap. 54, p. 224 ; Henri de Feynes, Voyage à la Chine, Paris, P. Rocolet, 1630, p. 173-174 ; Histoire générale des voyages, Paris, Didot, 1748, t. VI, liv. II, p. 221.).

2177

n1.

Jean-Joseph Languet de Gergy (1677-1753), de l’Académie française, archevêque de Sens en 1731, favorable à la Constitution ; sur ce personnage, voir nº 822. Buffon fut élu à l’Académie française pour le remplacer en juin 1753, au moment où Montesquieu en était le directeur : voir nº 2165.

2178

n1.

Montesquieu possédait trois éditions en latin des Histoires d’Alexandre de Quinte-Curce (De rebus gestis Alexandri Magni, Bâle, Froben, 1545, exemplaire annoté par Montaigne – Catalogue, nº 2772 ; Leyde, A. Gryphium, 1569 – Catalogue, nº 2775 ; De rebus gestis Alexandri Magni cum supplementis Freinshemii, Bordeaux, [S. Bae], 1688 – Catalogue, nº 2773) et la traduction française par Vaugelas avec les suppléments de Freinshemius traduits par Du Ryer (Paris, C. Osmont, 1680 – Catalogue, nº 2774). Dans le chapitre de L’Esprit des lois consacré à Alexandre (EL, X, 14), l’auteur s’appuie essentiellement sur l’Anabase d’Arrien dont il possède deux traductions latines, une édition bilingue grec-latin et la traduction française par Perrot d’Ablancourt (Catalogue, nº 2767-2770). Cet article fit sans doute partie des matériaux pour une comparaison entre les deux auteurs : voir nº 2204.

2178

n2.

Avant Montesquieu, Jean Le Clerc, dans son Ars critica, suivi par Bayle, soulignait les défauts de l’historien latin ; l’auteur de L’Esprit des lois opte délibérément pour la supériorité d’Arrien comme source de l’histoire d’Alexandre : voir Pierre Briant, Alexandre des Lumières, Paris, Gallimard, 2012, p. 81-82, 110-112.

2179

n1.

Montesquieu connaissait la version française des Amadis d’Herberay des Essarts, librement traduite de l’espagnol à partir de 1540 (diverses éditions : Paris, Lyon, Anvers) : voir Spicilège, nº 454 ; Catalogue, nº 2224 (plusieurs éditions non spécifiées). Les Amadis étaient encore très lus au XVIIIe siècle : selon Lenglet Du Fresnoy, « c’est le meilleur de tous les romans de chevalerie, le plus amusant et le mieux écrit en son genre » (Gordon de Percel [Lenglet Du Fresnoy], Bibliothèque des romans, Amsterdam [Paris], veuve de Poilras, 1734, t. II, p. 208).

2179

n2.

Montesquieu se distingue des Modernes qui critiquaient vivement les comparaisons homériques : Houdar de La Motte notamment souhaitait les rendre « plus exactes et moins fréquentes » (Discours sur Homère [1714], dans Œuvres, Paris, Prault, 1754, t. II, p. 130 ; voir aussi p. 78-79).

2179

n3.

Cette notion de « tout ensemble » fait partie du vocabulaire esthétique commun au XVIIIe siècle : voir Roger de Piles, Cours de peinture par principes, Paris, J. Estienne, 1708, p. 109-113. Sur son usage chez Montesquieu, voir Denis de Casabianca, « “Ed io anche son pittore” : poétique du regard et politique dans L’Esprit des lois », dans Du goût à l’esthétique : Montesquieu, J. Ehrard et C. Volpilhac-Auger (éd.), Pessac, Presses universitaires de Bordeaux, 2007, p. 228 et suiv.

2179

n4.

Voir nº 1110.

2179

n5.

Même métaphore chez Pope (Traduction de la première partie de la préface de l’Homère anglais de M. Pope [1re éd fr. 1718-1719], dans La Querelle des Anciens et des Modernes, XVIIe-XVIIIe siècles, A.-M. Lecoq (éd.), Paris, Gallimard, 2001, p. 560).

2179

n6.

La Valterie, dont Montesquieu admire pourtant la traduction, souligne ainsi dans sa préface de l’Iliade que « pour prévenir […] le dégoût » de ses lecteurs, il n’a pas « osé faire paraître Achille, Patrocle, Ulysse et Ajax dans la cuisine » (Paris, C. Barbin, 1681, [p. VII]). Voir aussi Charles Perrault, Parallèle des Anciens et des Modernes, Paris, J.-B. Coignard veuve et fils, 1690, t. II, p. 230 ; Antoine Houdar de La Motte, Discours sur Homère [1714], dans Œuvres, Paris, Prault, 1754, t. II, p. 41-42).

2179

n7.

« Les plus saints actes de la religion, chez les anciens Grecs comme chez les Juifs, étaient les sacrifices. Les rois en étaient souvent les ministres. Ils immolaient eux-mêmes les victimes » (Jean Boivin, Apologie d’Homère […], Paris, F. Jouenne, 1715, p. 111-112).

2179

n8.

Homère, Iliade, II, v. 402-405, 410-411, 421-431 ; voir L’« Iliade » d’Homère, traduite en français par M. D*** [La Valterie], Paris, M. Brunet, 1709, t. I, chant II, p. 43 – Catalogue, nº 2059-2060.

2179

n9.

L’idée est reprise à peu près dans les mêmes termes dans les extraits de lecture annotés de l’Odyssée dont tout laisse à penser que leur rédaction est à peu près contemporaine de ces remarques (voir ms 2526/2b [f. 1v], OC, t. 17, à paraître).