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Pensées 85 à 89

M :Montesquieu 1726/1727-1755.
D :Bottereau-Duval 1718-1731.
E :1734-1739.
U :1739.
H :1741-1742.
J :1742.
K :1742-1743.
F :1743.
I :1743.
L :1743-1744.
O :1745-1747.
P :Damours 1748-1750.
Q :1750-1751.
R :Saint-Marc 1751-1754.
S :1754-1755.
V :1754.
JB :Jean-Baptiste Secondat ?-1795.
T :écriture des manchettes 1828-1835

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M : Montesquieu.
D : Bottereau-Duval_1721-1731.
H : 1741-1742.
P : Damours_1748-1750.
E : 1734-1739.
L : 1742-1744.
O : 1745-1747.
T : écriture des manchettes
JB : Jean-Baptiste_Secondat.
J : 1742.
K : 1742-1743.
F : 1743.
E2 :
I : 1743.
R : Saint-Marc_1751-1754.

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Pensées, volume I

85

Come il ne faut point de præceptes de relligion pueriles il ne faut pas de meme de loix veines et sur des choses frivoles[1]

- - - - -

Main principale M

86

{p.79} Notre eau de vie

Eau de vie

qui est un[e] invention nouvelle des Europeens a detruit un nombre infiny de Caraibes[1] et meme depuis qu’ils en boivent ils ne vivent pas si longtemps et je ne suis pas estoné que n’estant pas prepares a l’ivresse de l’eau de vie par l’usage du vin elle fasse sur eux des effets si etranges, les Arab nous avons aussi apporté aux Caraibes le mal de Siam[2].
Je croy que nous leur avons aussi apporté la petite verole

Petite vérole

come a l’Amerique laquelle nous avoit esté apportée par les Arabes
Ces pais nous ont rendu le pian[3] qui est communique (disent quelques uns) par la piqure de certeines mouches dans un endroit ecco ecorché ce qui le communique dans le sang ou come dit un {p.80} autheur anglois par la morsure d’un serpan[4].
Les maladies mortelles

Maladies

ne sont donc pas les plus funestes si ces mouches n’avoint comuniqué que la peste ceux qui l’auroint eue seroint morts et la communication auroit cessé au lieu qu’elle est devenüe æternelle. Avec les richesses de touts les climats, nous avons les maladies de touts les climats[5].

- - - - -

Main principale M

87

Quand on voit des statues antiques on trouve une changement tres notable

Visages
Phisionomie

difference des visages des anciens aux notres et il est impossible que cela ne soit ainsi chaque nation ayant pour ainsi dire sa couleur sa taille et sa phisionomie mais depuis les Grecs et les Romains tout les nations ont tellement change de place[1] tout {p.81} a esté si derrangé que toutes les ancienes figures phisionomies des peuples se sont perdues et qu’il s’en est formé de nouvelles et il n’y a plus dans le monde de vigage[2] grec ny romain.
Notre immagination nous trompe extraordinairement come nous scavons que les Romains estoint un peuple victorieux et maitre des autres nous nous immaginons que c’estoit un peuple d’une grande stature

Taille

et nous [deux lettres non déchiffrées] et une petite fame ne nous reveillera jamais l’idée d’une dame romeine cependant dans les statues antiques qui ne sont pas flatées les yeux trouvent toujours quelque chose de racourci et effectivement nous devons estre plus grands qu’eux parce que depuis eux les peuples du Nord ont innondé l’Europe[3].
Vegece dit en termes exprés que les Romains ne sçauroient disputer aux Gaulois de grandeur[4]
{p.82}

Couleur

Pour peu que notre comerce avec les Indes occidentales devint plus grand c’est a dire si les Espagnols faisoint cesser la deffance qu’ils ont faitte sous peine de la vie d’a a touts les Europeens d’aborder aux Indes[5] la couleur blanche courroit risque de se perdre dans le monde et il ne resteroit plus seulement l’idée de nos beautés d’aujourd’hui
Une preuve de cela c’est que dans les Indes oriccidanntales occidentales ou les trois nat couleurs la noire la blanche et celle des visages de l’Amerique se sont melées de cent il n’y a plus proprement de blancs et de 200 visages il n’y en a pas un de meme couleur
La nation turque et la persane est une sont des nations faittes par art par les masles de ces nations {p.83} et des femmes de Circassie de Mingrelie et de Georgie[6].
Si une nation plus reculée que la tartare avoit conquis la Chine[7] adieu les visages chinois et si les peuples jaunes d’Asie se repandoint en Europe de quoy deviendrions nous
Et que scavons nous les changemens qui arriveroint dans notre espece meme non seulement sur la figure mais aussi sur la raison si on n’avoit soin de tuer touts les monstres.
Les sculpteurs d’aujourd’huy ne doivent donc point prendre pour modelle une statüe greque ny juger des statues greques par nos figures modernes
A l’egart de l’esprit je ne voudrois pas {p.84} dir dire qu’il ne put y avoir un certein melange de nations tel qu’il se format une nation la plus ingenieuse par raport aux organes corporels qu’il fut possible

- - - - -

Main principale M

88

Quand a la differente constitution[1]

Constitution

je ne voud si tost que l’on en parle on se prend d’abort aux epiceries[2] come si elles estoint l’unique cause du mal ou une cause nouvelle
Les anciens avoint leurs epiceries leurs ragouts come nous ils excittoint leur apetit come nous.

Main principale M

89

Il y a un autheur qui a fait un traité sur les maladies des arts[1] je voudrois en faire un sur les maladies des relligions.

- - - - -

Main principale M


85

n1.

À lire dans la continuité du fragment précédent.

86

n1.

Le père Labat, source principale de cet article, note la passion des Caraïbes pour l’eau de vie et les liqueurs fortes (Jean-Baptiste Labat, Nouveaux voyages aux îles de l’Amérique […], Paris, G. Cavelier, 1722, t. II, p. 26 – Catalogue, nº 2746).

86

n2.

Nom donné à la fièvre jaune. Le vaisseau du roi de France, l’Oriflamme, revenu de Siam à la suite de l’expulsion des Français (1688), en passant par le Brésil, pays gravement touché par cette maladie, l’aurait introduite à la Martinique (Jean-Baptiste Labat, Nouveaux voyages aux îles de l’Amérique […], Paris, G. Cavelier, 1722, t. I, p. 72).

86

n3.

Selon Labat, les Européens ont apporté dans les îles la petite vérole et y ont contracté le pian (Jean-Baptiste Labat, Nouveaux voyages aux îles de l’Amérique […], Paris, G. Cavelier, 1722, t. IV, p. 366).

86

n4.

Montesquieu ne reprend pas Labat, qui confond le pian avec le « mal de Naples », c’est-à-dire la syphilis (Jean-Baptiste Labat, Nouveaux voyages aux îles de l’Amérique […], Paris, G. Cavelier, 1722, t. IV, p. 358) et qui invoque deux causes possibles de ce mal : la corruption de l’air et des aliments, le commerce des femmes (ibid., t. IV, p. 360). Dans le Spicilège, c’est l’hypothèse de la contamination par la « morsure » d’une mouche qui est attribuée à un « anglois » et la référence au serpent a disparu (nº 517).

86

n5.

Le Rhedi des Lettres persanes, évoquant la syphilis et les métaux précieux d’Amérique, déplorait que les voyages aient répandu les maladies plutôt que les richesses (LP, 102 [105], p. 417, l. 24-25 ; cf. nº 1813 ; EL, XIV, 11 ; voir nº 77).

87

n1.

Sur les changements continuels chez les êtres vivants, voir nº 102.

87

n2.

Lire : visage.

87

n3.

Dans l’Essai sur les causes qui peuvent affecter les esprits et les caractères, Montesquieu parlera de la « force des fibres » des peuples du Nord, qui leur donne « de grands corps » (env. 1734-1736, OC, t. 9, p. 221, l. 35).

87

n4.

D’après le De re militari de Végèce (I, 1 – Catalogue, nº 1742 et 1743 : éd. de 1553 et 1606-1607).

87

n5.

Allusion au monopole des échanges transatlantiques institué par l’Espagne dès les débuts de la conquête de l’Amérique, par l’intermédiaire de la Casa de contratación, chambre de commerce de Séville, créée en 1503, déplacée en 1717 à Cadix, qui filtre l’émigration. Un nombre réduit de ports du Nouveau Monde est autorisé à servir de relais à ces échanges ; voir Antonio García-Baquero González, La Carrera de Indias, histoire du commerce hispano-américain (XVIe-XVIIIe siècles) [1992], B. Bennassar (trad.), Paris, Desjonquères, 1997, p. 13-38. Cf. nº 169.

87

n6.

Régions situées au sud du Caucase qui fournissaient des femmes esclaves pour les sérails des Turcs et des Perses (voir Jean-Baptiste Tavernier, Les Six Voyages, Paris, G. Clouzier et C. Barbin, 1676, liv. V, chap. XIV, p. 635).

87

n7.

La conquête de la Chine par les Tartares ou Mongols s’est effectuée au XIIIe siècle, sous la conduite de Gengis Khân et de son fils Koubilaï ; voir LP, 79 (81) et note 2, p. 355.

88

n1.

« On dit [...] qu’un homme est de bonne constitution, lors qu’il est composé de parties saines et robustes, qu’il endure le froid, le chaud, sans en estre incommodé » (Furetière, 1690, art. « Constitution »).

88

n2.

« […] Toutes sortes d’espices, comme la cannelle, la muscade, le poivre, mais encore le sucre, le miel et toutes les drogues médicinales qui viennent de pais esloignez » (Académie, 1718, art. « Épiceries »). Cf. Essai sur les causes qui peuvent affecter les esprits et les caractères [env. 1734-1736], OC, t. 9, p. 227.

89

n1.

Bernardino Ramazzini classe les maladies selon le métier exercé (De morbis artificum diatriba, Modène, A. Capponi, 1700 ; voir nº 44 ; ouvrage utilisé dans l’Essai sur les causes qui peuvent affecter les esprits et les caractères [env. 1734-1736], OC, t. 9, p. 268, l. 949-951).