Clerselier II, 527 AT I, 338

AU R. P. MERSENNE.

LETTRE CXI.

MON REVEREND PERE,
Il y a environ cinq semaines que i’ay receu vos dernieres du dix huit Ianvier, et ie n’avois receu les precedentes que quatre ou cinq iours auparavant. Ce qui m’a fait differer de vous faire réponse, a esté que i’esperois de vous mander bien-tost que i’estois occupé à faire imprimer ; Car ie suis venu à ce dessein en cette Ville ; Mais les N. qui témoignoient auparavant avoir fort envie d’estre mes Libraires, s’imaginans, ie croy, que ie ne leur échapperois pas lors qu’ils m’ont veu icy, ont eu envie de se faire prier, ce qui est cause que i’ay resolu de me passer d’eux ; et quoy que ie puisse trouver icy assez d’autres Libraires, toutesfois ie ne resoudray rien avec aucun, que ie n’aye receu de vos nouvelles, pourveu que ie ne tarde point trop à en recevoir. Et si vous iugez que mes Escrits AT I, 339 puissent estre imprimez à Paris plus commodément qu’icy, et qu’il vous plust d’en prendre le soin, comme vous m’avez obligé autresfois de m’offrir, ie vous les pourrois envoyer incontinent apres la vostre receuë. Seulement y a-t’il en cela de la difficulté, que ma copie n’est pas mieux écrite que cette Lettre, que l’ortographe ny les virgules n’y sont pas mieux observées, et que les figures n’y sont tracées que de ma main, c’est à dire tres-mal ; en sorte que si vous n’en tirez l’intelligence du texte, pour les interpreter apres au Graveur, il luy seroit impossible de les comprendre. Outre cela, ie serois bien-aise que le tout fust imprimé en fort beau caractere, et de fort beau papier, et que le Libraire me donnostdonnast du moins deux cens Exemplaires, à cause que i’ay envie d’en distribuer à quantité de personnes. Clerselier II, 528 Et afin que vous sçachiez ce que i’ay envie de faire imprimer, il y aura quatre Traittez tous François, et le titre en general sera, Le projet d’une Science universelle qui puisse élever nostre Nature à son plus haut degré de perfection ; Plus la Dioptrique, les Meteores, et la Geometrie ; où les plus curieuses Matieres que l’Autheur ait pû choisir, pour rendre preuve de la Science universelle qu’il propose, sont expliquées en telle sorte, que ceux mesmes qui n’ont point estudié les peuvent entendre. En ce projet ie découvre une partie de ma Methode ; Ie tâche à demonstrer l’Existence de Dieu, et de l’Ame separée du Corps, et i’y adjouste plusieurs autres choses qui ne seront pas ie croy desagreables au Lecteur. En la Dioptrique, outre la Matiere des Refractions, et l’invention des AT I, 340 Lunettes, i’y parle aussi fort particulierement de l’Œil, de la Lumiere, de la Vision, et de tout ce qui appartient à la Catoptrique, et à l’Optique. Aux Meteores, ie m’arreste principalement sur la Nature du Sel, les Causes des Vents et du Tonnerre, les figures de la Neiges, les Couleurs de l’Arc-en-Ciel, où ie tasche aussi à demonstrer generalement quelle est la Nature de chaque Couleur, et les Couronnes, ou Halones, et les Soleils, ou Parhelia, semblables à ceux qui parurent à Rome il y a six ou sept ans. Enfin en la Geometrie, ie tasche à donner une façon generale pour soudre tous les Problémes qui ne l’ont encore iamais esté. Et tout cecy ne fera pas ie croy, un Volume plus grand que de cinquante ou soixante feüilles. Au reste, ie n’y veux point mettre mon nom, suivant mon ancienne resolution, et ie vous prie de n’en rien dire à personne, si ce n’est que vous iugiez à propos d’en parler à quelque Libraire, afin de sçavoir s’il aura envie de me servir, sans toutesfois achever s’il vous plaist, de conclure avec luy, qu’apres ma réponse ; et sur ce que vous me ferez la faveur de me mander, ie me resoudray. Ie seray bien-aise aussi d’employer tout autre, plûtost que ceux qui ont correspondance avec N. qui sans doute les en aura avertis, car il sçait que ie vous en écris.

Mais i’ay employé à cecy tout mon papier, il ne m’en Clerselier II, 529 reste plus que pour vous dire, que pour examiner les choses que Galilée dit de Motu, il faudroit AT I, 341 plus de temps que ie n’y en puis mettre à present.

Ie iuge l’experience des sons qui ne vont pas plus viste selon le vent que contre le vent estre veritable, au moins ad sensum, car le mouvement du son est tout autre que celuy du vent. Ie vous remercie aussi de celle de la bale tirée vers le Zenith, qui ne retombe point, ce qui est fort admirable. Ie ne suppose point la Matiere subtile, dont ie vous ay parlé plusieurs fois, d’autre Matiere que les Cors Terrestres ; mais comme l’air est plus liquide que l’eau, ainsi que ie la suppose encore beaucoup plus liquide, ou fluide, et penetrante que l’air. Pour la reflexion de l’arc, elle vient de ce que la figure de ses pores estant corrompuë, la matiere subtile qui passe au travers, tend à les rétablir, sans qu’il importe de quel costé elle y entre. Ie suis,