AT II, 462

AU R. P. MERSENNE.

LETTRE XCIV.

MON REVEREND PERE,
Ie vous supplie tres-humblement de ne pas croire que iamais vos Lettres me puissent estre importunes, et bien Clerselier II, 426 que ie ne sois pas veritablement fort curieux de voir les écrits de Messieurs vos Geometres, ie ne laisse pas de vous avoir beaucoup d’obligation, de la peine que vous avez prise de m’envoyer copie de la Lettre Geometrique de M. N. Mais sçachez que tout ce qu’il a écrit de la Tangente du galand qui fait l’angle de 45. degrez, ne sert de rien, que pour nous monstrer qu’il ne l’a point trouvée : Car de la vouloir AT II, 463 reduire, comme il fait, ad locos solidos, c’est une grande faute, à cause que le problesme est plan ; Et tout de mesme en sa seconde façon, où il l’a réduit à une équation de quarré de quarré, laquelle il ne démesle point ; il s’arreste iustement au mesme endroit où s’estoit arresté M. de N. en ma solution, et ainsi il ne touche point à la difficulté, comme avoüera M. de N. si la passion ne l’empesche point d’avoüer la verité.

Pour les lieux ad superficiem, et ce qu’il dit allonger grandement l’étriviere aux lieux plans, ce n’est rien qui ne soit tres-facile ; Enfin pour ce qui est des autres lignes Courbes dont il parle, encore que ie ne l’entende pas parfaitement, soit qu’il y ait faute à l’écriture, ou qu’il ne se soit pas assez expliqué, ou bien que ie n’aye pas assez d’esprit, toutesfois ie croy fermement qu’il se méconte ; Et bien qu’il dist vray, ce ne seroit pas grande chose, de donner les Tangentes de certaines lignes qu’il a imaginées tout exprés, pour en pouvoir donner les Tangentes, et qui d’ailleurs ne sont d’aucun usage. De façon que ie ne voy rien en tout son écrit, que i’admire, sinon les Epithetes de merveilleux, d’excellent, et de miraculeux, qu’il donne à des choses qui sont ou fort simples, ou mesme mauvaises. Et pour ce qu’en plusieurs écrits que i’ay veus de luy, i’ay seulement trouvé deux ou trois choses qui estoient bonnes, meslées avec plusieurs autres qui ne l’estoient pas, ie vous diray entre nous, que ie les compare AT II, 464 aux vers d’Ennius, desquels Virgile tiroit de l’or, i’entens de stercore Ennij ; Mais c’est entre nous que ie le dis, car ie ne laisse pas d’estre fort son serviteur, s’il luy plaist.

Clerselier II, 427 L’objection de M. du M. contre la Dioptrique, monstre qu’il n’entend point du tout la Dioptrique : Car une partie de l’objet de la grandeur du verre, n’y est considerée que comme un point, et tous les rayons qui en viennent, s’assemblent en un seul point du fonds de l’œil, mais il en vient d’autres des autres costez, qui s’assemblent aux autres, comme i’ay expliqué en mille lieux.

Ie tâcheray de voir le Philolaus de M. Bouillaut si-tost que ie sçauray qu’il se vendra, et vous en manderay mon sentiment. Ie vous remercie du soin que vous avez des Livres que i’avois destinés pour l’Italie : I’avois écrit une Lettre à M. le Cardinal Baigné, qui devroit estre avec, et si ie m’en souviens, i’avois eu dessein de luy envoyer deux exemplaires à luy seul, et un autre à M. le Cardinal Barberin, que ie pensois luy addresser par M. de Pe. Mais si M. le Nonce en veut prendre la peine, cela seroit encore beaucoup mieux. Ce qui m’obligeoit d’en envoyer à M. le Cardinal Barberin est, que l’observation que i’explique à la fin des Meteores, AT II, 465 est venuë de luy. Et pour ce que M. Gassendi l’a cy-devant fait Imprimer, cela me fait souvenir de vous demander de ses nouvelles, et quel iugement il fait de ce que i’ay écrit là dessus, car vous ne m’en avez iamais rien mandé.

Pour vostre question de Musique, sçavoir si l’octave est plus agreable, aux momens, que les tremblemens des cordes qui la font s’accordent ensemble, qu’aux autres ; ie répons, que ces divers momens, ne peuvent aucunement estre distingués par le sens, et que l’agréement ne se remarque qu’en tout le son, lequel ne peut estre sensible, s’il n’est composé de plusieurs tremblemens d’air.

Ie vous remercie de vostre observation, touchant les forces qu’il faut pour rompre divers Cylindres de mesme grosseur ; mais ie pense vous avoir desia cy-devant mandé, que ie ne croy pas qu’on puisse tirer aucune conclusion generale, à cause que cette force varie, selon la diverse forme de chaque cors, c’est à dire, selon la grosseur, la figure, et l’arrangement de ses parties.

Clerselier II, 428 L’eau ne demeure pas dans ces vaisseaux percez, dont on use pour arroser les jardins, crainte du vuide ; car comme vous dittes fort bien, la Matiere subtile pourroit aisément entrer en sa place, mais à cause de la pesanteur de l’air : car si elle sortoit, et qu’il ne rentrast que de la Matiere subtile en sa place dans le vaze, il faudroit qu’elle fist hausser tout le cors de l’air, iusques à sa plus haute superficie.

AT II, 466 Pour l’air qui est pressé dans un Balon avec une Siringue, il ne devient pas dur pour cela, bien qu’il rende le Balon plus dur ; mais il faut penser que les parties de cét air, qui different de la Matiere subtile, et qui seules sont enfermées dans le Balon, à cause qu’elles ne peuvent passer par ses pores, estant pressées l’une contre l’autre, et par ce moyen leurs figures estant contraintes, elles sont comme autant de petits arcs, ou ressors, qui tendent à reprendre leurs figures, et en suite à occuper plus de place ; d’où vient qu’elles pressent le Balon de tous costez, et par ce moyen le rendent dur : Car ce n’est autre chose estre dur sinon estre tellement disposé, qu’il resiste à l’attouchement, en quelque façon que cela se fasse ; Et l’or n’est pas si dur que le fer, encore qu’il soit plus pesant, à cause que ses parties ne sont pas si fermement jointes.

Ie n’ay rien dit sur Galilée de ses portées de Canon qu’il reduit en tables, à cause qu’aprés avoir desaprouvé toutes les raisons sur lesquelles il les fonde, il m’a semblé qu’elles ne valoient pas seulement le parler. Vous verrez ce que ie répons à M. de Beaune ; mais ie croy qu’il n’est point à propos que d’autres le voyent, au moins de ceux qui pourroient estre de l’humeur de N.

Ie ne reconnois aucune Inertie, ou tardiveté naturelle, dans les cors, non plus que M. Mydorge. Et AT II, 467 croy, que lors seulement qu’un homme se promene, il fait tant soit peu mouvoir toute la masse de la terre, à cause qu’il en charge maintenant un endroit, et aprés un autre. Mais ie ne laisse pas d’accorder à M. de Beaune, que les plus grands cors estant poussez par une mesme force, comme les plus grands Clerselier II, 429 Bateaux par un mesme vent, se meuvent tousiours plus lentement que les autres ; ce qui seroit peut-estre assez pour établir ses raisons, sans avoir recours à cette Inertie naturelle, qui ne peut aucunement estre prouvée. Ce que vous me fistes voir de luy à l’autre voyage, m’assure qu’il entend tres-bien ma Geometrie, et qu’il en sçait plus que ceux qui se vantent plus que luy ; Et pour ce que vous me mandez qu’il demeure d’accord de ce que i’ay écrit des Méchaniques, ie ne doute point que si nous conferions ensemble du reste, il ne s’accordast entierement à la verité. Il a raison de trouver l’Introduction trop briéve pour luy, à cause qu’il sçait desia ce qu’elle contient, mais aussi n’est-elle faite que pour ceux qui en sçavent moins, et ce n’est pas un Commentaire, mais seulement une Introduction.

Vous expliquez fort bien la combustion par les Miroirs ardens, en imaginant plusieurs petites boules de la Matiere subtile, ou plusieurs pointes d’aiguilles, qui vont frapper un mesme objet de plusieurs costez : Et il est aisé à répondre à ce que vous demandez, comment ces boules penetrent dans les Cors opaques, puis qu’elles ne se trouvent que dans les Diaphanes ; AT II, 468 car ie ne pense nullement qu’elles ne se trouvent que dans les Diaphanes : Mais seulement que les pores des opaques estant interrompus, et inégaux, elles n’y passent que par des chemins détournez, et non en lignes droites, sinon en tant qu’elles rompent les parties de ces Cors pour s’y faire passage ; et c’est par cela mesme qu’elles les brûlent ; Car elles brûlent tousiours leur superficie, avant que de penetrer plus avant ; et cæteris paribus, elles brûlent plus aisément les Cors noirs, et opaques, que les blancs et transparens.

Pour les cors qui sont ensemble polis et colorez ; ie répons qu’ils ne sont polis qu’en quelques-uns des points de leur superficie, et que les petites boules, qui vont rencontrer les autres points, y trouvent la disposition qui est requise, pour faire qu’elles tournent plus ou moins autour de leur centre selon la couleur qu’elles doivent representer ; Et des Clerselier II, 430 Cors qui seroient parfaitement polis en tous les points de leur superficie, ne sçauroient avoir aucune couleur, que celles des objets qu’ils reflechissent. La difference des couleurs ne dépend point de ce que ces boules sont poussées de droit à gauche, plutost que de gauche à droit, ou etc. ny aussi de ce qu’elles sont muës plus ou moins fort, mais seulement de la diverse proportion qui est entre leur mouvement droit, et le circulaire. Les rayons du Soleil ne penetrent point les Cors Opaques, à cause que leurs pores ne sont pas assez droits et egaux pour ce sujet : Et bien que la Matiere subtile ne laisse pas de couler sans cesse par dedans, elle n’illumine point pour cela leurs parties interieures, à cause qu’elle ne les pousse pas fortement AT II, 469 en ligne droite, et c’est ce seul poussement en ligne droite, qui se nomme Lumiere.

Ie vous décrirois tres-volontiers les Proportions que vous demandez pour faire un crochet, ou Romaine, qui serve à peser deux cens livres, car il ne faut point à cela grande science ; mais encore qu’il auroit esté décrit par un Ange, il est presque impossible qu’on observe tout si iustement en le faisant, qu’il ne s’y trouve de la faute, et ainsi la pratique feroit honte à la Theorie : C’est pourquoy il vaut beaucoup mieux le faire premierement de telle grandeur et grosseur qu’on voudra, sans le marquer ; et apres cela, si on veut qu’il porte deux cens livres, il faut pendre au crochet un poids qui soit iustement de deux cens livres, et ayant coulé l’anneau, auquel est attaché le contre-poids, iusques au bout du manche, il faut oster ou adjoûter à ce contre-poids, iusques à ce qu’il soit parfaitement en equilibre avec les deux cens livres, car il n’importe pas qu’il pese deux ou trois livres plus ou moins : Apres cela, ayant mis la marque de deux cens au lieu où il est, il faut mettre un poids de cent nonante livres dans le crochet, et approcher le contre-poids, avec l’anneau, iusques à ce qu’il soit en equilibre, et marquer en cet endroit là cent nonante, et ainsi de suite iusques au bout ; Clerselier II, 431 ce qui sera beaucoup plus iuste que ce qu’on sçauroit faire d’autre façon. Ie suis,