AT II, 587

AU R. P. MERSENNE.

LETTRE XXXII.

MON REVEREND PERE,
I’ay receu trois de vos Lettres, l’une du premier, l’autre du dixiesme, et l’autre du vingtiesme de Septembre, et pour Réponse à la premiere, ie croy que les Cors qui montent dans l’Eau augmentent leur vitesse en semblable Proportion que ceux qui descendent soit dans l’Eau soit dans l’Air ; Ie dis en semblable et non en égale Proportion : Car l’un résiste plus que l’autre, etc. Ie ne me souviens pas de la raison de Stevin, pourquoy on ne sent point la Pesanteur de l’Eau quand on est dessous ; Mais la vraye est, qu’il ne peut y avoir qu’autant d’Eau qui pese sur le Cors qui est dedans, ou dessous, qu’il y auroit d’Eau qui pourroit descendre en AT II, 588 cas que ce Cors sortit de sa place. Ainsi, par exemple, s’il y avoit un Homme dans le Tonneau B, qui bouchast tellement de son Cors le Trou marqué A, qu’il empeschast que l’Eau n’en pust sortir, il sentiroit sur soy la Pesanteur de tout le Cylindre d’Eau ABC, dont ie suppose la Base de mesme grandeur que le Trou A, d’autant que s’il descendoit en bas par Clerselier II, 184 ce Trou, tout ce Cylindre d’Eau descendroit aussi ; Mais s’il est un peu plus haut comme vers B, en sorte qu’il n’empesche plus l’Eau de sortir par le Trou A, il ne doit sentir aucune Pesanteur, de celle qui est sur luy entre B et C, d’autant que s’il descendoit vers A, cette Eau ne descendroit pas avec luy ; mais au contraire une partie de l’Eau qui est sous luy vers A, de mesme grosseur qu’est son Cors, monteroit en sa place ; de façon qu’au lieu de sentir que l’Eau le presse de haut en bas, il doit sentir qu’elle le souleve de bas en haut : Ce qu’on voit par experience.

L’Eau des Pompes monte avec le Piston qu’on tire en haut, à cause que n’y ayant point de Vuide en la Nature, il ne s’y peut faire aucun Mouvement, qu’il n’y ait tout un Cercle de Cors qui se meuve en mesme temps : Comme icy le Piston A estant tiré en haut, il fait que l’Air qui estoit vers B, aille vers C, et que celuy qui est vers C, aille en la place de l’Eau qui est vers D, et que cette Eau monte en la place de celle qui est vers E, et celle-cy en la place du Piston A : Ce qui arrive, lors que AT II, 589 l’Eau n’a pas besoin à cét effet de monter trop haut : Mais lors qu’on la veut faire trop monter, la force dont cette Eau qui est dans le Tuyau E, tend à descendre, est si grande, qu’elle fait que l’Air qui est vers B, au lieu d’aller vers C, et vers D, prend son cours entre le Piston A, et le Tuyau F, quelque peu d’espace qu’il puisse y avoir ; et ainsi au lieu d’Eau, on ne tire que de l’Escume, c’est à dire, de l’Air mélé avec de l’Eau.

Clerselier II, 185 Ie croy bien qu’en poussant l’Eau de bas en haut, on la peut faire monter sans interruption à vingt Toises ou plus ; Mais ie ne croy pas qu’il soit si commode, ny que la Machine puisse estre si durable, que si on la fait monter avec interruption, par le moyen de plusieurs Pompes, ou autrement. Vos difficultez touchant les Lunettes par Reflexion, viennent de ce que vous considerez les Rayons qui viennent Paralleles d’un mesme costé de l’Objet, et s’assemblent en un Point, sans considerer avec cela ceux qui viennent des autres costez, et s’assemblent aux autres Points dans le fonds de l’œil, où ils forment l’Image de l’Objet. Car cette Image ne peut estre aussi grande, par le moyen de vos Miroirs que par les Verres, si la Lunette n’est aussi longue ; Et estant si longue, l’œil sera fort éloigné AT II, 590 du petit Miroir, à sçavoir de toute la longueur de la Lunette, et on n’exclud pas si bien la Lumiere Collaterale, par vostre Tuyau ouvert de toute la largeur du grand Miroir, que par les Tuyaux fermez des autres Lunettes, etc.

En vostre seconde Lettre vous m’advertissez de quelques endroits que vous iugez devoir estre corrigez en ma Dioptrique, dequoy ie vous remercie tres humblement. Il est tres-certain que la Lumiere s’amortit contre les Cors noirs, entant que noirs, mais cela n’empesche pas qu’elle ne se reflechisse contre le Marbre noir, ou autres tels Cors : Car il n’y en a peut estre pas un en la Nature, qui soit si purement noir, qu’il ne contienne en soy plusieurs parties qui composeroient un Cors blanc, si elles estoient separées des autres ; Et la preuve que la pluspart de celles du Marbre qu’on nomme noir, sont telles, est qu’il paroist beaucoup moins noir n’estant pas poly, qu’estant poly ; Et ce qui le faiefait paroistre plus noir estant poly, c’est que toutes ces parties blanches refléchissent la Lumiere vers un mesme costé, où l’Œil ne se trouvant pas, elles font le mesme à son egard, que si elles l’amortissoient. Mais lors qu’il AT II, 591 s’y trouve, il voit cette Lumiere dans ce Marbre, avec les Couleurs et la Figure des Objets d’où elle vient, ainsi que dans un autre Miroir.

Clerselier II, 186 Par le mot de Peinture, ie n’entens autre chose, que les divers Mouvemens des parties du Cerveau, 789 ; Comme aussi les Peintures des Miroirs du fonds de l’Œil, etc. ne sont autre chose que tels Mouvemens.

Vous ne douterez point de ce que i’ay écrit page 62. vers la fin, si vous considerez qu’un Homme qui est à deux pas de vous, ne vous paroist point notablement plus grand, que lors qu’il est à vingt ou trente pas ; Et vous verrez que la Regle de l’ancienne Optique de Angulo Visionis, est grandement fausse. Page 78. à la fin, il n’est pas aisé lors qu’on sçait que l’Objet est fort proche, de l’imaginer fort éloigné ; Mais un qui ne le sçait point, on peut le tromper, en l’empeschant de voir par le dehors de la Lunette, la Puce qui est dedans, feignant de la mettre au bout de quelque long Tuyau, qu’on adjoûtera à cette Lunette, ou d’autre façon. Page 84. Ie ne dis pas que le Verre Convexe doive AT II, 592 estre plus grand pour grossir les Objets, mais pour les faire voir plus clairement : car chaque partie de ce Verre Convexe peint l’Image aussi grande que fait tout le Verre ; Mais elle ne transmet pas tant de Lumiere. Au reste, vous m’obligerez s’il vous plaist de continuer à remarquer tout ce que vous iugerez devoir estre corrigé en ce que i’ay fait imprimer, et ie garde soigneusement la premiere feüille que vous m’avez cy-devant envoyée, ou bien s’il vous plaist ie vous la renvoyeray, afin que l’Exemplaire que vous prenez la peine de corriger soit complet.

Ie suis bien aise de ce que M. du Maurier travaille aux Lunettes : Car soit qu’il y reüssisse, soit qu’il n’y reüssisse pas, cela me vangera du mauvais Ecrit de son impertinent Parent. Pour le Verre Concave qu’il dit avoir taillé, ce n’est point de merveille, car ces Concaves devant estre mis fort prés de l’Œil, les deffauts de leur Figure ne se remarquent presque point, suivant ce que i’ay écrit à la fin de la page 151.

Vous m’écrivez que M. Myd. soustient qu’une Pierre, ou autre Missile meu de quelque Mouvement que ce soit, iroit d’une infinie Vitesse ; mais vous avez oublié à dire en quel Clerselier II, 187 cas, si c’est in Vacuo, ou autrement, qu’il entend que cela arriveroit ; ce que ie ne puis deviner, ny par consequent le refuter ; Et que ie puis seulement dire, qu’il implique contradiction, qu’il y ait une AT II, 593 Vitesse infinie en la Nature, si ce n’est qu’à l’imitation des pensées de M. des Argues, touchant les Coniques ; on die que la Ligne AB sans Mouvement, est la mesme chose qu’un Point mû d’une Vitesse infinie d’A iusques à B : Car si la Vitesse est infinie, il se trouvera en mesme instant en toute cette Ligne, et ainsi la composera.

En vostre troisiéme Lettre du vingtiéme de Septembre vous m’advertissez de celuy qui dit qu’il croit que ma Philosophie a bien aidé à troubler la cervelle, etc. dequoy ie vous remercie : Cét homme monstre bien, que s’il pouvoit trouver occasion de calomnie, il ne s’épargneroit pas ; mais ie le connois il y a long-temps, et le méprise autant, luy et ses semblables, qu’ils me peuvent haïr : Cependant i’ay à me plaindre, de ce que les Huguenots me haïssent comme Papiste, et ceux de Rome ne m’aiment pas, comme pensant que ie suis entaché de l’Heresie du Mouvement de la Terre.

Pour entendre comment la Matiere subtile qui tourne autour de la Terre chasse les Cors pesans vers le Centre : Remplissez quelque vaisseau rond de menües dragées de plomb, ayant mélé parmy ce plomb quelques pieces de bois, ou de quelqu’autre Matiere plus legere que le plomb, et faisant tourner AT II, 594 ce vaisseau promptement autour de son Centre, vous trouverez que ce plomb chassera les pieces de bois, ou les pierres vers le Centre de ce Vase, quoy qu’elles soient beaucoup plus grosses que les menuës dragées de plomb, par lesquelles ie represente la Matiere subtile, etc.

Ie croy que les Briques sont plus pesantes estant cuittes, Clerselier II, 188 Clerselier II, 188a (béquet) Clerselier II, 188b (béquet) Clerselier II, 188c (béquet) Clerselier II, 188d (béquet) que cruës, à cause que les Pores des cruës sont les uns plus larges et les autres plus étroits que ceux des cuittes. Pour les plus larges, ils ne sont remplis que d’Air, lors qu’elles ont esté bien sechées, qui est le temps auquel elles sont les plus legeres, et les plus étroits ne sont remplis que de Matiere subtile ; Mais lors qu’elles sont cuittes, elles ont quantité de Pores, qui ne sont iustement que de la grandeur qu’il faut pour recevoir les parties de l’Eau, lesquelles y entrent, lors qu’on les laisse refroidir à l’Air : car il y en a tousiours quantité dans l’Air, et elles n’en peuvent pas aysément estre chassées ; Mais en s’incorporant avec la Brique elles adjoûtent à sa Pesanteur. Et pour preuve de cecy, ie m’assure qu’une mesme Brique estant pesée toute chaude à la sortie du Fourneau, pesera moins que lors qu’elle aura esté à l’air quelque temps, et que si on la fait par aprés boüillir dans de l’Eau, elle pesera encore davantage, quoy qu’on la laisse bien seicher à l’Air, apres AT II, 595 qu’elle aura ainsi boüilly : car les parties de l’Eau qui seront entrées dans ses Pores, n’en pourront plus ressortir.

Ie viens de recevoir encore un mot de vostre part du 25. Septembre, où vous parlez de certaines Carrieres prés de Rome, où les Pierres se changent en bois : Touchant quoy, ie n’ay rien à dire, sinon que ces Pierres peuvent bien avoir quelque ressemblance à du Bois, mais non pas estre bois pour cela ; ainsi que les veines des Pierres de Nogent sur Seine, peuvent naturellement ressembler à des arbres peints. Vous m’offrez de la graine de l’Herbe Sensitive, et ie l’accepte en cas que vous en ayez de reste ; car i’ay maintenant une partie de mes Speculations touchant les Plantes. Ie iuge que les bluettes de Feu, que vous dites avoir veuës en l’Air, le 10. de Septembre au soir, le Ciel estant fort rouge et enflammé, n’estoient autre chose, que de grosses gouttes d’Eau qui commençoient à degoutter du haut des nuës, et au travers desquelles passoient les Rayons du Soleil, qui se venoient rendre à vos yeux par Refraction, bien que le Soleil ne parust peut-estre plus sur la Terre. Ie suis.