MON REVEREND PERE,
Ie dois réponse à trois de vos Lettres, l’une du douziéme Novembre, les autres des quatre et dixiéme Decembre, et i’ay receu ces deux dernieres en mesme iour. En la premiere Clerselier II, 194 vous demandez, pourquoy un Arc ou Ressort perd sa force lorsqu’il est fort long-temps tendu, dont la raison est facile par mes Principes : Car les Pores que i’ay cy-devant dit avoir la Figure d’Ovales, AT II, 627 deviennent ronds peu à peu, à cause des petites parties de la Matiere subtile qui coulent sans cesse par dedans.
Cette Matiere subtile nous empesche bien de ietter une Pierre en haut, ou de sauter : car sans cette Matiere qui repousse en bas les Cors pesans ; lors qu’on iette une Pierre en haut, elle monteroit iusqu’au Ciel ; et lors qu’on s’éleve un peu en sautant, on continüeroit tousiours à monter sans redescendre.
Pour l’Inertie, ie pense avoir desia écrit qu’en un Espace qui n’est point du tout empeschant, si un Cors de certaine grandeur qui se meut de certaine vitesse en rencontre un autre qui lui soit égal en grandeur, et qui n’ait point de Mouvement, il luy communiquera la moitié du sien, en sorte qu’ils iront tous deux ensemble de la moitié aussi viste que faisoit le premier : Mais s’il en rencontre un qui luy soit double en grandeur il luy communiquera les deux tiers de son Mouvement, et ainsi ils ne feront tous deux ensemble pas plus de chemin en trois momens, que le premier faisoit en un moment : Et generalement plus les Cors sont grands, plus ils doivent aller lentement lors qu’ils sont poussez par une mesme force.
Ie ne trouve pas étrange qu’il y en ait qui demonstrent les Coniques plus aysément qu’Apollonius, car il est extremement long et embarrassé ; Et tout ce qu’il a demonstré est de soy assez facile. Mais on peut bien AT II, 628 proposer d’autres choses touchant les Coniques qu’un Enfant de seize ans auroit de la peine à démesler.
Le désir que chacun a d’avoir toutes les Perfections qu’il peut concevoir, et par consequent toutes celles que nous croyons estre en Dieu, vient de ce que Dieu nous a donné une Volonté qui n’a point de bornes ; Et c’est principalement à cause de cette Volonté infinie qui est en nous, qu’on peut dire qu’il nous a créez à son Image.
Clerselier II, 195 C’est une tres mauvaise raison pour prouver qu’un homme qui est sous l’Eau ne sent point la Pesanteur de cette Eau ; que de dire : Tout Pressement qui blesse le Cors pousse quelque partie de ce Cors hors de son Lieu Naturel ; Or l’Eau pressant également de tous costez, un Cors qui est sous elle ne pousse aucune de ses parties hors de son Lieu Naturel. Ergo, etc. Car la Mineure se doit nier ; Et il seroit tres-faux si toutes les parties du Cors d’un homme qui est sous l’Eau estoient pressées assez fort par cette Eau, qu’elles ne pourroient estre poussées par elle hors de leur Lieu Naturel, encore que toutes celles de la peau de cét homme fussent poussées également : Car ce seroit estre assez poussées hors de leur Lieu Naturel que d’estre toutes également poussées en dedans, en sorte que cét homme dust occuper moins de place qu’il n’a de coustume ; Mais il est faux aussi AT II, 629 que toute l’Eau qui est au dessus du Cors d’un homme le presse ; et il est plus vray de dire qu’elle le souleve, dequoy ie pense vous avoir cy-devant mandé la vraye raison.
Ce qui fait qu’on s’éleve en haut lors qu’on saute, n’est qu’une Reflexion de la force dont on pousse la Terre des piez avant que de sauter, laquelle force cessant il faut qu’on retombe, sans qu’il soit possible de se soustenir en l’Air, si ce n’est qu’on le pust frapper des bras ou des piez avec telle vitesse, qu’il ne pust ceder si promptement, ce qui serviroit à s’élever derechef ; Et c’est ainsi que volent les Oyseaux.
I’ay bien remarqué que M. Herbert prend beaucoup de choses pour des Notions communes qui ne le sont point ; Et il est certain qu’on ne doit recevoir pour Notion, que ce qui ne peut estre nié de personne.
Ie passe à vostre Lettre du quatriesme Decembre, et vous remercie des advis que vous me donnez touchant mon Essay de Metaphysique ; Mais pour les raisons de Raymond Lulle ce ne sont que Sophysmes dont ie fais peu d’estat. Pour les Objections de vos Analistes ie tâcheray à les resoudre toutes sans les exposer, c’est à dire ie mettray les Fondemens, dont ceux qui les sçauront en pourront tirer la solution, et ne les AT II, 630 apprendray point à ceux qui les ignorent ; car il me semble Clerselier II, 196 que c’est en cette façon qu’on doit traitter cette Matiere. Au reste ie ne suis point si dépourveu de Livres que vous pensez, et i’ay encore icy une Somme de S. Thomas, et une Bible que i’ay apportée de France.
La force de la Percussion ne dépend que de la vitesse du Mouvement, et ce suivant le calcul dont i’ay parlé cy-dessus Nombre troisiéme. Car il faut sçavoir, quoy que Galilée et quelques-autres dient au contraire, que les Cors qui commencent à descendre, ou a se mouvoir en quelque façon que ce soit, ne passent point par tous les degrez de Tardiveté ; mais que dés le premier moment ils ont certaine vitesse, qui s’augmente aprés de beaucoup ; et c’est de cette augmentation que vient la force de la Percussion. Par exemple, si le Marteau A pese cent livres, et lors qu’il ait seulement un degré de vitesse lorsqu’il commence à descendre de soy-mesme, il ne pressera l’Enclume B, que de la force que donne ce degré de vitesse à cent livres : Et si un autre Marteau qui ne pesera qu’une livre acquiert cent degrez de vitesse en tombant sur cette Enclume de cinq ou six piez de haut, il la pressera aussi fort que le Marteau A. Or il est certain que la main en AT II, 631 conduisant ce Marteau, n’en peut pas seulement augmenter la vitesse de cent ou deux cens degrez, mais de plusieurs milles. Car premierement elle se peut mouvoir plus viste qu’un Corps pesant qui descend naturellement, comme on voit par experience en poursuivant de la main une Bale qui descend de haut en bas, car on la peut aisément attraper en l’Air. Et de plus à cause de la longueur du manche du Marteau, la main n’a besoin de se mouvoir que fort peu, comme de D à C, pour faire que le Marteau se meuve beaucoup davantage, à sçavoir Clerselier II, 197 de E à A. Et il est certain que si le Marteau A, estant élancé de la main sur l’Enclume B, a dix mille fois plus de force que lors qu’il y est posé fort doucement, cela ne vient que de ce qu’au moment qu’il rencontre cette Enclume il est en train pour se mouvoir dix mille fois plus viste. Voila donc la Solution de cette difficulté dont les autres font tant de bruit. Mais il y a outre cela diverses autres choses à considerer en la Percussion, comme la Durée du coup, qui fait qu’on rendra une Bale de plomb plus plate en la frappant d’un marteau sur un Coussin que sur un Enclume, et choses semblables que ie n’ay pas icy le loisir de décrire.
La façon que ie dis estre la meilleure pour elever l’Eau fort haut, est qu’au bout d’une Toise ou deux il doit y avoir un Receptacle pour l’Eau, duquel derechef elle sera élevée par le moyen d’une Pompe ou autre semblable AT II, 632 artifice dans un autre Receptacle ; et ainsi de suite, à quoi ie trouve la Viz d’Archimede plus propre qu’aucun autre Instrument : Car pour la Pompe il y a trop de force perduë. Par exemple, l’Eau qui est vers A sera élevée iusques à B, par la Viz AB, et de B iusques à C, par une autre Viz, et de C iusques à D, par une autre, et toutes ces Viz seront muës par le moyen de la Rouë F, qui fera tourner l’Essieu FE, ce qui coûteroit veritablement plus que des Pompes, mais aussi seroit-il incomparablement de plus de durée.
Si vous considerez pourquoy le mouvement d’une Bale Clerselier II, 198 s’amortit plutost contre certains Cors que contre d’autres. Vous verrez par mesme moyen ce que ie conçoy par les Cors Noirs, car c’est entierement le semblable ; Et il ne faut point pour cela que la Matiere subtile perde tous ses Mouvemens (car elle en a plusieurs) contre ces Cors noirs, mais seulement celuy qui sert à faire sentir la Lumiere. Lors qu’une Pierre descend en l’Air, s’il n’y avoit que cét Air qui l’empeschast de descendre d’une vitesse infinie, AT II, 633 elle devroit aller plus viste, ou du moins aussi viste au commencement qu’à la fin, et c’est ce que i’avois voulu dire en ma precedente. Ie vous remercie de la Graine que vous m’offrez, et ie vous envoye icy un Catalogue des Plantes, dont on voudroit bien sçavoir si les Graines se trouvent à Paris, et si l’on en pourroit avoir ; mais ce n’est pas pourtant chose dont ie vous prie, qu’autant qu’il se pourra sans peine. Il y aura sans doute de la faute dans vos Robinets pour vos Experiences de l’Eau. Ie me serviray de l’adresse du Frere Valentin pour les Lettres que ie vous écriray, puis qu’il vous plaist ainsi ; Mais si ie dois écrire à quelques autres, i’envoyeray mes Lettres à Monsieur de Martigny quand ie sçauray où il demeure, et ie luy écris à ce voyage afin de le sçavoir. Ie suis bien aise que Monsieur du Morier ait bonne esperance de son travail des Lunettes ; mais pour moy ie ne m’attends qu’à M. de Beaune, où s’il ne reüssit, i’y donneray peut estre moy-mesme une atteinte cét Esté. Ie vous remercie de l’affection que vous me témoignez, en ce que vous voulez porter avec vous en Italie AT II, 634 quelque chose de ce que ie vous ay écrit, mais ie ne croy pas qu’il y ait rien qui merite d’estre vû de personne : car ie vous mande souvent mon opinion de beaucoup de choses, auxquelles ie n’ay iamais pensé avant que de vous écrire, et ayant quelquesfois à vous répondre à vingt ou trente choses differentes en une aprés soupée, il est impossible que ie pense bien à toutes.
Ie viens à vostre derniere Lettre du dixiéme Decembre ; vous la commencez par la descente de l’Eau dans un Tuyau, à quoy ie répons que si ce Tuyau est par tout également large, Clerselier II, 199 toute l’Eau qui est dedans coule également viste ; mais s’il est deux fois plus large en un lieu qu’en l’autre, elle ira deux fois plus lentement, etc. Or la vitesse de toute cette Eau dépend de sa pente et de sa longueur : Comme par le Tuyau AB, elle ira de mesme vitesse que par le Tuyau AC. Et pour sçavoir de quelle vitesse elle ira en cettuy-cy, il faut penser que la goutte d’Eau qui est vers C, a inclination à descendre aussi vîte que si elle avoit desia descendu en l’Air libre depuis A iusques à C, et que la goutte qui est vers D, n’a inclination à descendre que de la mesme vitesse qu’elle auroit acquise en descendant en l’Air libre depuis A jusques à D, et ainsi des autres : Et que dautant que toutes ces gouttes se meuvent ensemble, et ne peuvent aller plus viste l’une que l’autre dans le Tuyau, leur vitesse est composée de AT II, 635 toutes ces diverses inclinations, et comme Moyenne Proportionnelle entre toutes celles qu’elles auroient estant separées. Mais cecy ne se peut rapporter au Cours des Rivieres, à cause qu’il est fort retardé par la rencontre de la Mer en leur embouchûre, et qu’en beaucoup de lieux leur Pente est insensible, et enfin qu’elles reçoivent des Eaux de divers endroits, et ne sont point par tout également larges. Il est certain (au moins suivant mes Principes) que si la Matiere subtile qui tourne autour de la Terre n’y tournoit point, aucun Corps ne seroit pesant, et que si elle tournoit autour de la Lune ils devroient tous estre portez vers la Lune, etc. Ie croy aussi qu’il y a continuellement quelques parties des Cors Terrestres qui se convertissent en Matiere subtile, et vice versa, etc. Cette Matiere subtile qui est dans nos Cors ne s’y arreste pas un seul moment, mais elle en sort, et il y en rentre continuellement de nouvelle : Il est vray que ce n’est pas immediatement elle seule qui donne la force à nos Mouvemens, mais Clerselier II, 200 ce sont nos Esprits Animaux, qui estant enfermez dans nos Nerfs, comme dans des Tuyaux, sont agitez par cette Matiere subtile. Il s’en faut beaucoup qu’un morceau de Liege qui flotte sur l’Eau n’en monstre la vitesse, car l’Air ou AT II, 636 le Vent qui l’environne peut augmenter ou retarder son Mouvement : Mais balancez tellement un Boule de cire, ou chose semblable, qu’elle soit quasi toute cachée sous l’Eau, et lors elle en monstrera à peu prés la vitesse, mais ce ne sera encore qu’à peu prés. Ie ne sçay point de meilleure façon pour sçavoir la hauteur des Montagnes que de les mesurer de deux Stations, suivant les Regles de la Geometrie Pratique ; Ainsi vous pourrez mesurer le Mont Cenis estant au delà de Suze dans le Piedmont, car la Plaine en est fort égale. Ie ne m’étonne pas de ce qu’il s’est trouvé des boulets de Canon dans des Pierres, mais ie m’étonne de ce qu’ils ne se sont pas aussi petrifiez. Si le reste de ce que vous me mandez de Danemarc n’est pas plus vray, qu’il est vray que Longomontanus a trouvé la Quadrature du Cercle, il n’en faut pas beaucoup croire. Ie vous remercie de vos Observations de l’Ayman, s’il est vray qu’il decline maintenant moins en Angleterre qu’il n’a fait cy-devant, cela merite bien d’estre remarqué, et si ce changement est arrivé peu à peu, ou en peu de temps. L’Histoire de M. Rivet n’est qu’une sottise, et elle n’est pas encore terminée, quand elle le sera ie vous l’écriray, il n’a gueres de quoy vous entretenir, AT II, 637 ou plutost il a bien envie de me mesler dans vos Lettres. Vos Geometres n’ont gueres non plus à reprendre dans mes Ecrits, s’ils s’attachent à la Demonstration touchant la Proprieté de l’Ellypse et de l’Hyperbole que i’ay mise en ma Dioptrique : Car cette proprieté n’ayant iamais esté trouvée par aucun autre que par moy, et estant la plus importante qui se sçache touchant ces Figures, il me semble qu’ils n’ont pas grande grace à dire qu’il y a quelque chose en cela qui ressent son Apprentif, car ils ne sçauroient nier que cét Apprentif ne leur ait donné Leçon en cela mesme. Il est vray pourtant que l’Explication s’en peut faire beaucoup plus briévement que ie ne l’ay Clerselier II, 201 faite ; ce que ie pourrois dire avoir fait à dessein, pour monstrer le chemin de l’Analyse, que ie ne croy pas qu’aucun de vos Geometres sçache, et à laquelle les Lignes BF, n m des Figures (mises) aux pages 94. et 105. sont necessaires, car c’est le seul employ de ces Lignes qui rend mon Explication trop longue. Mais la verité est que i’ay manqué par une negligence qui m’est fatale en toutes les choses faciles, ausquelles ne pouvant arrester mon attention, ie suis le premier chemin que ie rencontre, comme icy la verité estant trouvée par l’Analyse, l’Explication en estoit bien facilé, et le chemin le plus à ma main estoit celuy de cette mesme Analyse. Toutesfois ie me suis apperceu de ma faute, dés avant que le Livre fust publié, et l’ay corrigée dés lors en mon Exemplaire, en effaçant tout ce qui est inclus depuis la premiere iusques à AT II, 638 la vingt-cinquiesme Ligne en la page 93. Et depuis la neusiesme iusques à la vingt-huitiesme en la page 104. I’ay remis en l’une et en l’autre ces mesmes mots en la place des effacez.
Premierement à cause que tant les Lignes AB et NI, que AL et GI, sont Paralleles, les Triangles ALB, et IGN, sont semblables, d’où il suit que AL, est à IG, comme AB, est à NI ; ou bien pource que AB, et BI sont égales, comme BI est à NI. Puis si on tire, etc. Et en la page 94. ligne 6. et 7. i’ay effacé ces mots BF, est à NM, et BF, à NM, comme ; Mais ça a esté pour une seconde Impression, car cela ne me sembla pas valoir la peine d’estre mis dans les Errata, et il n’y a iamais eu personne qui ait écrit de Geometrie en qui l’on ne puisse trouver de telles fautes. Ie n’attens plus aprés cela sinon qu’on reprenne aussi les fautes de l’Orthographe et de l’Impression, que le Libraire et moy avons commises en tres-grand nombre. Ie n’ay point dessein ny occasion de faire imprimer les Notes que M. de Beaune a pris la peine de faire sur ma Geometrie ; Mais s’il les veut faire imprimer luy-mesme il a tout pouvoir, seulement aimerois-ie mieux qu’elles fussent en Latin, et ma Geometrie aussi, en laquelle i’ay dessein de changer quasi tout le second Livre, en y mettant Clerselier II, 202 l’Analyse des Lieux, et y éclaircissant la façon de trouver les Tangentes, ou plutost (à cause que ie me dégouste tous les iours de plus en plus de faire imprimer aucune chose) s’il luy plaist d’ajoûter cela en ces notes, ie m’offre de luy aider en tout ce qui sera de mon pouvoir. Ie suis.