Clerselier III, 363d (béquet) AT II, 254

AU R. P. MERSENNE.

LETTRE LXVI

MON REVEREND PERE,
I’ay esté tres-aise de voir ce que Monsieur de Sainte Croix vous a écrit touchant la Réponse que i’avois faite à ses questions, et i’y apprens plusieurs considerations touchant les Clerselier III, 364 nombres, dont ie n’avois point oüy parler ; Comme entr’autres, la difference qu’il met entre le milieu, et la moitié, m’estoit inconnuë, et voulant faire distinction de ces deux mots, ie n’aurois pas pris celuy de milieu pour l’une des parties de la quantité, mais seulement pour l’endroit où se fait la séparation des moitiez. Ie sçay bien que la regle que i’ay donnée pour soudre sa premiere question eust esté meilleure, si i’y eusse adjoûté quelque moyen pour determiner tout d’un coup les trigones utiles, sans faire examiner de suitte tous les impairs. Mais il arrive souvent aux questions de nombres, qu’on ne les peut pas si entierement determiner par regles, qu’il n’y reste quelque chose à chercher par induction. Comme en la regle que donne Euclide pour trouver les nombres parfaits, il fait examiner tous les nombres qui suivent de l’unité, AT II, 255 en proportion double, iusques à ce qu’on en trouve un, duquel ostant l’unité, le reste soit un nombre premier ; au lieu qu’il devoit donner un moyen, pour excepter tous ceux qui estant diminuez d’une unité, ne deviennent pas nombres premiers. Par exemple, il en devoit excepter tous les nombres qui suivent de 4. en proportion quadruple, comme 16, 64, 256, etc. Car il est aisé à demonstrer, qu’estant diminuez d’une unité, ils sont necessairement divisibles par 3, et tous ceux qui suivent de 8, en proportion octuple, comme 64, 512, 4096, etc. Car estant diminuez d’une unité, ils sont nécessairement divisibles par 7 ; Et ainsi ceux qui suivent de 32 de 128, etc. Mais ie ne croy pas qu’il soit si aisé de donner une regle pour trouver les trigones utiles à la question proposée, sans qu’on en doive examiner aussi plusieurs inutiles.

Pour la seconde question, il y a ce me semble plus d’industrie à la soudre, en faisant que les costez des trigones soient des nombres rompus, qu’autrement, à cause qu’on ne sçauroit y parvenir à tâtons, ainsi qu’on peut faire lors qu’on les suppose estre entiers. Outre que les nombres qui servent à la resoudre en fractions, servent aussi tousiours à la resoudre en entiers, lors qu’ils sont multipliez. Et ie ne comprens Clerselier III, 365 point du tout ce que Monsieur de Sainte Croix entend icy par les costez primitifs des trirectangles ; Car si c’estoit qu’ils ne deussent pas estre divisibles par aucun nombre, son exemple ne satisferoit pas à la question, veu que 210, 720, et 750 estant divisez par 30. produisent 7, 24, 25 qui sont les costez primitifs du trirectangle.

AT II, 256 Pour la troisiéme question, ie croy y avoir satisfait, en demonstrant qu’elle est impossible ; Et ainsi il ne reste que la quatriéme, en laquelle ie n’eusse iamais deviné qu’il falloit trouver un nombre composé de trois quarrez, à l’exclusion de 4 ; Car ne sçachant point la remarque de Monsieur Bachet sur ce sujet, ie ne voyois pas plus de raison d’en exclure les 4. quarrez, que les cinq, ou les six, ou plus grand nombre. Mais si ie l’eusse sceuë, i’aurois répondu, qu’en ce sens-là, cette question ne peut estre resoluë par d’autres nombres, que par 3, 3, 6 ; 3, 11, 14 ; et 3, 21, 24 ; Car supposant le Theoreme de M. de Sainte Croix, à sçavoir, que tout nombre se peut reduire à trois trigones, à quatre quarrez, à cinq pentagones, etc. ou à moins, ie croy pouvoir demonstrer que tous les nombres divisibles en trois quarrez qui sont au delà de 33, peuvent aussi estre divisez en quatre quarrez, excepté seulement ceux qui se produisent de 6, ou de 14, multipliez par 4, comme 24, 96, 384, 1536, etc. et 56, 224, 896, 3584, etc. lesquels ne suffisent point pour cette question, à cause que l’aggregat de deux tels nombres ne sçauroit iamais estre égal à un autre de mesme nature.

Mais pour ce Theoreme, qui est sans doute l’un des plus beaux qu’on puisse trouver touchant les nombres, ie n’en sçay point la demonstration, et ie la iuge si difficile, que ie n’ose entreprendre de la chercher. Au reste, ie suis tres-obligé à Monsieur de Sainte Croix, du favorable iugement qu’il luy plaist faire de moy, et AT II, 257 ie croy avoir tres-bien employé le temps que i’ay esté occupé en ses questions, si i’ay pû acquerir par ce moyen quelque part en ses bonnes graces, ausquelles ie vous prie de me conserver, en l’assurant de mon tres-humble service.

Clerselier III, 366 Ie passe à la demonstration de la Roulette, que ie ne vous avois point cy-devant envoyée, comme une chose d’aucune valeur, mais seulement afin de faire voir à ceux qui en font grand bruit, qu’elle est tres-facile. Et ie l’avois écrite fort succintement, tant afin d’épargner le temps, que parce que ie pensois qu’ils ne manqueroient pas de la reconnoistre pour bonne, si-tost qu’ils en verroient les premiers mots ; mais puisque i’apprens qu’ils la nient, ie l’éclairciray icy en telle façon, qu’il sera facile à un chacun d’en iuger.

Soit AkFGC la moitié de la ligne courbe que décrit le point a de la roulette anopb, pendant que cette roulette se meut sur la ligne droite AB, en sorte que cette ligne AB, est égale à la moitié de sa circonference, et la perpendiculaire CB, est égale à son diametre. Ie mene les perpendiculaires OE et DF, qui divisent AB et CB, en parties égales ; Ie mene aussi la ligne droite AC qui ferme le triangle ABC ; Puis ie considere que le point O de la roulette, est ajusté sur le point O de la ligne AB, son centre e se trouve AT II, 258 sur le point E, ou AC, et DF, s’entrecouppent ; à cause que CD estant la moitié de CB, DE doit estre égale à la moitié de BA, c’est à dire à BO. Ie considere aussi que son demy-diametre e a se trouve alors appliqué sur la ligne EF, qui par consequent luy est égale, à cause que la ligne AO, estant égale au quart de la circonference de cette roulette, l’angle aeo, doit estre droit Clerselier III, 367 ainsi qu’est l’angle FEO, et enfin AE est égale à EC. De plus, ayant pris les points N et P dans la ligne AB, des deux costez du point O, autant éloignez de ce point O l’un que l’autre, et à telle distance de luy qu’on voudra, pourveu que ce soit entre les points A et B ; puis ayant pris aussi dans la roulette les points n et p qui leur correspondent, en sorte que l’arc an est égal à l’arc pb, et aussi aux droites AN et PB, ie tire les diametres ne, pe, avec les perpendiculaires ay, ax ; Et ie considere que le point n de la roulette, AT II, 259 estant appliqué sur le point N de la droite AB, son point a se trouve joint au point de la courbe marqué k, qui est tel, que tirant kM parallele à BA, cette ligne kM est égale à NB, plus ay (Car si on tiroit NRQ parallele à BC, joignans kQ, les triangles kQR, aey seroient égaux, et semblables, et partant ay, k R sont égales) et que MD (ou QR) est égale à ye.

Ie considere tout de mesme que le point p de la roulette, estant appliqué sur le point P de la droite AB, son point a touche la courbe au point G, qui est tel que la ligne GI est Clerselier III, 368 égale à PB, plus af, et que ID est égale à fe. Si bien que les deux lignes ensemble GI plus KM, sont égales à la ligne AB, plus la ligne az ; Car il est manifeste que af, † ay sont ensemble égales à la toute az ; et que NB plus PB sont à égales à la toute AB, veu que AN est égale à PB. Outre cela, ie considere que H estant le point où GI couppe AC, et L celuy ou KM couppe la mesme AC, les lignes LM et HI sont ensemble égales à la toute AB ; car MB est égale à CI ; Et si on mene LV, parallele à MB, elle sera aussi égale à CI ; et par consequent HI égale à AV ; AT II, 260 car les triangles AVL, et HIC sont égaux et semblables, et LM est aussi égale à VB. Or puisque LM, plus HI, sont égales à la ligne AB, et que KM, plus GI, sont égales à la mesme AB, plus la ligne az, il est evident que les deux restes KL et GH sont ensemble égaux à cette ligne az, laquelle est autant éloignée du centre de la roulette e, que KL et GH le sont du point E, c’est à dire, de la ligne FE. Et pour ce que les points N et P ont esté pris à direction, excepté qu’ils sont également éloignez du point O, (ce qui est cause que les lignes KL et GH sont aussi également éloignées de la ligne FE,) cecy se doit entendre generalement de toutes les deux lignes menées entre la droite AC, et la courbe AFC, qui sont paralleles à FE, et également distantes d’elle, l’une d’un costé, l’autre de l’autre, à sçavoir, qu’elles sont ensemble égales à la ligne droite inscrite dans la roulette, et autant éloignée de son centre que ces lignes le sont du point E, ou bien de la ligne FE.

D’où il suit, que si sur une mesme ligne droite, comme αβφω on décrit le demy cercle αδβ, égal à la moitié de la roulette, et la figure φγκφω, dont la partie φγκθε soit égale et semblable à FGCHE, et l’autre partie εθκψω soit égale et semblable à ELAKF, (car AE, estant égale à EC, et l’angle AEF à l’angle DEC, il est evident que ces deux parties de figures peuvent ainsi estre jointes) la base φω, sera égale à αβ, et la hauteur de cette figure φκω, Clerselier III, 369 égale à celle du demy cercle αδβ ; Et outre cela tous les segmens des mesmes lignes droites paralleles à la base αβφω, qui AT II, 261 seront compris l’un dans la figure φκω, l’autre dans le demy cercle, seront égaux l’un à l’autre, comme γψ sera égale à μν, 4, 5, à 2, 3, 8, 9, à 6, 7, et ainsi des autres.

Ce qui prouve assez que l’espace φκω est égal au demy cercle αδβ, pour ceux qui sçavent que generalement lors que deux figures ont mesme base et mesme hauteur, et que toutes les lignes droites paralleles à leurs bases qui s’inscrivent en l’une, sont égales à celles qui s’inscrivent en l’autre à pareilles distances, elles contiennent autant d’espace l’une que l’autre. Mais pour ce que c’est un Theoreme qui ne seroit peut-estre pas avoüé de tous, ie poursuis en cette sorte.

Ayant mené les lignes droites δα, δβ, κφ, κω il est evident que le triangle φκω est égal au triangle αδβ, car ie prens κ, et δ, pour les plus hauts points de ces deux figures. Tout de mesme ayant mené les lignes μα, μδ ; νδ, νβ ; γκ, γφ, ψκ, ψω, il est evident que les deux triangles γκφ, et ψκω, sont ensemble égaux aux deux μδα, et νδβ ; Car φω, estant égale à αβ ; 12 13, est aussi égale à 10 11 ; et pour ce que γψ, est égale à μν, γ 12, AT II, 262 plus 13, ψ, qui sont les bases des triangles γκφ, et ψκω, sont ensemble égales à μ, 10, plus 11ν, qui sont les bases des triangles μδα, et νδβ, et ces quatre triangles ont mesme hauteur. Ainsi derechef inscrivant d’autres Clerselier III, 370 triangles des points 4 5, 8 9, et 2 3, 6 7, et tant d’autres qu’on voudra à l’infiny, on trouvera tousiours en mesme façon, que ceux de la figure φκω, seront égaux à ceux du demy cercle ; et par consequent toute cette figure est égale à ce demy cercle ; Car toutes les parties d’une quantité estant égales à toutes celles d’une autre, le tout est necessairement égal au tout. Et c’est une notion si evidente, que ie croy qu’il n’y a que ceux qui sont en possession de nommer toutes choses par des noms contraires aux vrais, qui soient capables de la nier, et de dire que cela ne conclut qu’à peu prés.

Au reste, l’espace compris entre la droite AC et la courbe AKFGC, estant égal au demy cercle, il est evident que tout l’espace AFCB est triple du demy cercle ; car le triangle rectiligne ABC est égal à tout le cercle, puisque la ligne AB est supposée égale à la moitié de sa circonference, et BC à son diametre. Mais encore que cette ligne AB fust supposée plus grande, ou plus petite, (comme lors qu’on imagine que le point qui décrit la courbe AFC est au dehors ou au dedans de la roulette, et non pas en sa circonference) l’espace compris entre la droite AC, et la courbe AFC, ne laisseroit pas d’estre tousiours égal au demy cercle, dont le diametre seroit égal à BC, en sorte qu’il n’y auroit que le triangle rectiligne ABC, qui changeroit AT II, 263 de grandeur. Ainsi qu’il est assez manifeste de cela seul, que bien que la grandeur de la ligne AB soit changée, il ne faut rien changer pour cela en la demonstration que ie viens d’écrire, et ce que i’ay mis icy fort au long, afin de pouvoir estre entendu par ceux qui ne se servent point de l’Analyse, peut estre trouvé en trois coups de plume par le calcul.

AT II, 266 Les deux feüillets precedens ont esté pour les autres ; Ie viens icy aux divers articles de vostre Lettre, dont le premier est, que le sieur N. vous a dit que les Capucins avoient tous unanimement admiré, estant en leur assemblée générale, ce qu’il a écrit contre moy, dequoy ie pense avoir sujet de me rire ; Car il n’y a aucune apparence que la devotion Clerselier III, 371 de ces bons Religieux les rende si simples, qu’ils ne puissent remarquer les fautes qui sont en toutes les lignes de son discours, ny qu’ils approuvent ses impietez, qui sont telles en quelques endroits, que s’il estoit en un païs où l’inquisition fust un peu severe, il auroit sujet de craindre le feu. Outre que la profession qu’ils font de reprendre les vices, les oblige à blasmer le desir de médire, dont AT II, 267 on voit qu’il n’a pas esté moins embrazé, que les plus Saints d’entr’eux le sçauroient estre de l’amour Divin. Pour moy ie ne crains pas que ceux qui ont du iugement, et qui me connoissent, s’imaginent qu’il me fust mal-aisé de luy répondre, si ie pensois qu’il fust de la bien seance que ie le fisse. Mais ie vous diray, que ie n’aurois pas moins de honte d’écrire contre un homme de cette sorte, que de m’arrester à poursuivre quelque petit chien qui aboyeroit apres moy dans une ruë. Ce qui n’empesche pas que ie ne veüille tascher d’éclaircir les raisons que i’ay données de l’Existence de Dieu, mais i’en écriray en Latin ; Et pource que la pluspart des objections qu’on m’a envoyées, et que i’ay dessein de faire imprimer, lors que i’en auray un assez bon nombre, sont aussi Latines, ie serois bien-aise que ceux qui m’en voudront faire à l’advenir, les écrivissent en mesme langue ; Et pource que i’ay quasi opinion que les Iesuites de La Fleche me feront l’honneur de m’en envoyer, ie vous prie de les en faire avertir ; car ie croy que si cela est, ils aimeront mieux les mettre en Latin qu’en François ; mais que ce soit, s’il vous plaist, comme sans dessein et par occasion, à cause que peut-estre ils ne pensent point à m’en envoyer. Ie voudrois bien sçavoir aussi de quelle façon ils traittent mes Meteores en leur Philosophie, sçavoir, s’ils les refutent, ou s’ils s’en taisent ; Car ie n’ose encore AT II, 268 penser qu’ils les suivent, et cela se peut voir par leurs Theses publiques, qu’ils font environ cette saison.

Monsieur Des-Argues m’oblige du soin qu’il luy plaist avoir de moy, en ce qu’il témoigne estre marry de ce que ie ne veux plus estudier en Geometrie ; Mais ie n’ay resolu de quitter que la Geometrie abstracte, c’est à dire, la recherche Clerselier III, 372 des questions qui ne servent qu’à exercer l’esprit ; Et ce afin d’avoir dautant plus de loisir de cultiver une autre sorte de Geometrie, qui se propose pour questions l’explication des Phainomenes de la Nature. Car s’il luy plaist de considerer ce que i’ay écrit du Sel, de la Neige, de l’Arc-en-Ciel, etc. il connoistra bien que toute ma Physique n’est autre chose que Geometrie.

Pour ce qu’il desire sçavoir de mon opinion, touchant les petites parties des Corps, ie vous diray que ie ne les imagine point autrement, que comme les pierres dont une Muraille est composée, ou les planches dont est fait un Navire ; à sçavoir, on peut plus aisément les separer les unes des autres, que les rompre, ou les rejoindre, ou leur donner d’autres figures ; Mais on peut aussi faire toutes ces choses, pourveu qu’on ait les outils qui sont propres à cét effet.

Pour vos difficultez touchant la page 258. de mes Meteores, elles requierent un long discours, et c’est l’endroit le plus difficile de tout le Livre ; Mais i’en ay écrit assez amplement en ma Réponse à quelques objections venuës de Louvain, lesquelles i’espere que AT II, 269 vous verrez imprimées avant la fin de l’année. Et par provision ie vous diray premierement, que les boules qui sont peintes en la figure de cette page, ne servent que d’exemple, et doivent estre prises pour des boules de bois, ou autres, et non pour lesdes parties de la matiere subtile. Secondement, qu’il seroit tres-mal-aisé, et fort peu utile, de penser à determiner absolument la vitesse du tournoyement des parties de cette matiere subtile ; et que ie l’ay seulement determinée à comparaison du mouvement droit, à sçavoir, que si le droit est surpassé par le circulaire, cela produit le rouge, et les autres couleurs voisines en forme de nuance, à raison du plus ou du moins dont il en est surpassé ; Et que si c’est le contraire, cela produit le bleu, etc. Ie ne vous ay rien répondu cy-devant touchant la pensée de Monsieur Ga. pour expliquer les refractions, à cause qu’elle ne se rapporte point du tout à la mienne.

Pour le Geostaticien, ie vous assure que ie me soucie fort Clerselier III, 373 peu, si luy ou ses semblables écrivent contre moy ; car plus il y en aura qui s’en acquitteront mal, plus la verité paroistra, et ie sçay bien qu’il ne sçauroit s’en acquitter que tres-mal.

AT II, 270 Le raisonnement dont Monsieur F. pretend prouver le mesme que le Geostaticien, est défectueux en deux choses ; La premiere est, qu’il suppose que le poids C estant parvenu au centre de la terre, doit passer plus loin de l’autre costé, ce qu’il luy faudroit prouver ; car on le peut nier avec raison ; Et la seconde est, qu’il considere B et C, comme deux corps separez, au lieu qu’estant joints par la ligne BC, qu’on suppose ferme comme un bâton, ils ne doivent estre considerez que comme un seul corps, duquel le centre de gravité estant au point A, ce n’est pas merveille, si l’une des parties de ce corps se hausse, afin que les autres s’abaissent, iusques à ce que son centre de gravité soit conjoint avec celuy de la terre.

AT II, 271 Ie remercie Monsieur Des-Argues de l’observation qu’il dit avoir apprise des Mineurs ; Mais il est mal-aisé de bien iuger de la cause de telles experiences, lors qu’on ne les sçait que par le rapport d’autruy. Outre qu’il faudroit s’enquerir, si le semblable arrive aux autres païs, et si c’est par tout à une mesme heure ; car si cela est, la chose est grandement considerable, et elle me pourroit beaucoup servir.

Encore que ce que i’ay écrit touchant la Geostatique ne merite en aucune façon d’estre publié, toutesfois, si selon ce que vous me mandez, on desiroit qu’il le fust, il m’importe fort peu, pourveu que mon nom n’y soit point mis ; et s’il vous plaist aussi qu’on en retranche ces mots : Il témoigne en cela qu’il n a pas moins d’impudence et d’effronterie que d’ignorance. Au lieu desquels on peut mettre : Il fait voir par là qu’on ne doit pas adjoûter beaucoup de foy à ce qu’il écrit. Et plus bas, où i’ay mis que ce Livre est si impertinent, si ridicule, et si méprisable, on peut oster impertinent et ridicule, et Clerselier III, 374 laisser AT II, 272 seulement que ce Livre est si méprisable. Ce n’est pas que ces Epithetes ne luy conviennent tres-bien, ny que i’aye aucune peur de l’offenser, mais c’est qu’il ne me semble pas qu’il me convienne de les écrire, et ils ne sont échappez de ma plume, qu’en faveur du tour qu’il nous a joüé pour le Privilege.

I’en estois parvenu iusques icy, lors que i’ay receu vostre dernier pacquet du deuxiéme de ce mois, lequel ne contient que des Escrits de Monsieur de Fermat, ausquels ie n’ay pas besoin de faire grande Réponse ; Car pour celuy où il explique sa methode Ad Maximas, il me donne assez gaigné, puis qu’il en use tout autrement qu’il n’avoit fait la premiere fois, afin de la pouvoir accommoder à l’invention de la tangente que ie luy avois proposée ; et selon ce dernier biais qu’il la prend, il est certain qu’elle est tres-bonne, à cause qu’elle revient à celuy dont i’ay mandé cy-devant qu’il la falloit prendre. En sorte que pour en dire entre nous la verité, ie croy que s’il n’avoit point veu ce que i’ay mandé y devoir estre corrigé, il eust eu de la peine à s’en demesler. Ie croy aussi que toute cette chicanerie de la ligne EB, sçavoir, si elle devoit estre nommée la AT II, 273 plus grande, que ses Amis de Paris ont fait durer prés de 6. mois, n’a esté inventée par eux que pour luy donner du temps à chercher quelque chose de mieux pour me répondre. Et ce n’est pas grande merveille qu’il ait trouvé en six mois de temps un nouveau biais pour se servir de sa regle ; mais on n’auroit pas de grace de leur parler de cela, car n’importe pas en combien de temps, ny en quelle façon il l’a trouvée, puis qu’il l’a trouvée. On n’auroit pas de grace non plus de dire, que le quatriéme nombre dont les parties aliquotes font le double, qu’il vous a envoyé en sa derniere Lettre, estant iustement le mesme que ie vous avois envoyé auparavant, il est fort vray semblable, qu’il l’a eu de quelqu’un de Paris, auquel vous, ou Monsieur de Sainte Chroix l’avez fait voir ; et ie m’assure quasi que cela est ; car il le donne assez à connoistre par ce qu’il vous écrit en vous l’envoyant, à sçavoir, Clerselier III, 375 qu’il l’a trouvé par une methode semblable à la mienne, etc. Et particulierement aussi, parce qu’il met un peu devant touchant la quatriéme question de Monsieur de Sainte Croix ; que i’y auray peut-estre fait la mesme équivoque, qui luy arriva la premiere fois qu’elle fut proposée, et que i’auray crû qu’il suffisoit que les nombres cherchez ne fussent ny AT II, 274 quarrez, ny composez de deux quarrez, bien qu’ils fussent composez de quatre, ce qui n’est pas pourtant selon le sens de l’Autheur, etc. Car comment auroit-il deviné, que i’ay eu cette pensée, et comment oseroit-il asserer qu’elle n’est pas selon le vray sens de l’Autheur, si cela-mesme ne luy avoit esté écrit de Paris par quelqu’un. Mais on n’a point droit d’accuser un homme de telle chose, si ce n’est qu’on le puisse prouver fort clairement, il est seulement permis de le penser. Cependant toutes ces procedures indirectes me dégoustent si fort de leur conference, que ie ne demande pas mieux que de la finir.

AT II, 263 Pour l’objection de Monsieur de Fermat contre ma Dioptrique, il en écrit si serieusement, que ie commence à me persuader qu’il croit avoir raison, et ainsi ie ne le prens nullement en mauvaise part ; mais ie pense avoir grand droit de luy rendre ces mots, à sçavoir, que ie ne sçaurois comprendre, comment un homme qui est d’ailleurs tres-habile et de tres-bon AT II, 264 esprit, entreprend de refuter ces demonstrations qui sont tres fermes et tres-solides, avec des argumens si fragiles, et ausquels il est si aisé de répondre. Car pour ce dernier, à sçavoir, Que si la balle qui est au point B est poussée par deux forces égales, dont l’une porte de B vers D, et l’autre de B vers G, elle se doit mouvoir vers I, en sorte que l’angle GBI soit égal à IBD ; Et que tout de mesme estant poussée de B vers N et vers I, elle doit aller vers L, qui Clerselier III, 376 Clerselier III, 376 (béquet) divise l’angle NBI en deux parties égales ; Ces premisses sont vrayes, mais elles ne contiennent rien du tout qui regarde les refractions ; lesquelles ne sont point causées par deux forces égales qui poussent la balle, mais seulement par la rencontre oblique de la superficie où elles se font ; et ainsi ie ne sçay par quelle Logique il pretend inferer de là, que ce que i’en ay écrit n’est pas vray. Mais ie suis bien-aise de ce qu’il veut tascher de répondre à ce que i’avois mandé à Monsieur Mydorge, touchant ses autres objections ; Car ie me promets qu’en l’examinant de plus prés, il reconnoistra enfin que ce qu’il nomme des subterfuges, sont des veritez tres-certaines, par lesquelles ie répons à des Sophismes ; Et si ma AT II, 265 demonstration n’est pas comprise par plusieurs, l’on ne doit pas iuger par là qu’elle manque d’estre evidente, mais seulement que la matiere en est difficile. Ainsi que les demonstrations d’ Apollonius et d’Archimede ne laissent pas d’estre fort evidentes, encore qu’il y ait quantité d’honnestes gens, et qui sont tres-habiles en autre chose, qui ne sçauroient les comprendre. Vous pourrez envoyer, sil vous plaist, ces lignes à Monsieur de Fermat, lors que vous luy écrirez.

AT II, 274 Et Monsieur de Roberval me semble aussi vain avec son galand, qu’une femme qui attache un ruban à ses cheveux, afin de paroistre plus belle ; Car il n’a eu besoin d’aucune industrie pour trouver la figure de cette ligne, puisque ie luy en avois envoyé la définition ; Et son Escrit ne sert qu’à me faire connoistre qu’ils l’ont fort examinée, et fort travaillé, avant que d’en pouvoir trouver la tangente ; Car il y a six ou sept mois que ie leur avois proposée, et ils n’ont commencé à en parler que depuis un mois. Mais ie vous prie de ne me plus broüiller avec luy ; Car ie suis entierement degousté de sa conference, et ie ne trouve rien de raisonnable AT II, 275 en tout ce qu’il dit icy ; Comme, d’estimer la façon de conclure ad absurdum plus subtile que l’autre, c’est une chose absurde ; et elle n’a esté pratiquée par Apollonius, et par Archimede, que lors qu’ils n’ont pû donner de meilleures demonstrations.

Clerselier III, 377 Clerselier III, 377 (béquet) Vous verrez clairement pourquoy un corps pendu à une corde, pese moins estant proche du centre de son arrest, qu’en estant plus loin, si vous considerez ce que i’ay écrit du plan incliné, du levier, et de la balance ; Car il se meut suivant un plan beaucoup plus incliné sur l’horizon. Ie ne vous envoye point le centre de gravité qu’ils demandent ; car ie n’ay pas loisir à ce soir de le calculer ; et ie croy vous en avoir envoyé assez d’autres il y a quinze iours ; i’aime mieux le faire chercher à Gillot lors qu’il sera icy,où ie croy qu’il viendra dans cinq ou six demaines, afin de leur envoyer de sa part. Et pour Gillot, ie vous diray, qu’encore qu’il ne pust peut-estre pas tant gaigner à Paris qu’icy, ie serois neantmoins bien-aise qu’il y fust, afin de faire entendre ma Geometrie. Et pourveu que ie fusse seulement assuré qu’il auroit moyen d’y subsister sans necessité, ie ne laisserois pas de l’y envoyer ; Car sans luy, i’apprehende que mal-aisément elle soit entenduë par AT II, 276 ceux qui n’ont point sceu auparavant d’Analyse, et ie voy que ceux qui en ont sceu ne luy rendent aucune justice, et qu’ils taschent à la mépriser le plus qu’ils peuvent. Que si l’on trouve que l’introduction qui a esté envoyée d’icy y puisse aider, ie ne seray pas marry que les Iesuites la voyent aussi ; Car ie serois bien-aise que plusieurs l’entendissent.

AT II, 265 Ceux qui reprennent le mot de tantost en la page 380. font le mesme, que s’ils me blasmoient de ce que mon colet seroit de travers, car l’un ne touche pas plus à mon honneur que l’autre ; et s’ils n’approuvent pas que i’aye écrit, ainsi qu’il a tantost esté dit, ils devroient aussi reprendre le mot dit, et m’obliger à mettre, ainsi qu’il a esté cy-devant écrit, ou plustost, ainsi qu’il a esté cy-devant imprimé, à cause que c’est un Livre imprimé, et non pas écrit à la main.

Pour le mot, car ou bien la quantité, etc. en la page 381. ceux-là ne l’entendent pas, qui ne voyent pas que cette disjonction ou bien y est tres-necessaire, aussi bien que les lignes qui suivent, comme ils connoistront par l’exemple que i’y ay mis, s’ils changent AT II, 266 seulement les signes + et –, et qu’ils Clerselier III, 378 Clerselier III, 378 (béquet) lisent  ; Car le binome rationel, par lequel on peut diviser cette équation, est yy+16, et toutesfois la racine cherchée n’est pas 16, mais 4+√12 ou bien 4 – √12. C’est une misere que d’estre blasmé en ce qui est bien, pour cela seul que ceux qui se meslent d’en iuger ne l’entendent pas. AT II, 276 I’avois quasi oublié à vous remercier de la peinture des Couronnes que vous m’avez envoyée, laquelle i’ay esté fort aise de voir, car elle se rapporte entierement à celles que ie décris, Ie suis, etc.


EXTRAIT D’UNE LETTRE
de M. Descartes au R. P. Mersenne.

AT II, 91 Si d’un AT II, 92 nombre mesuré par 8. on oste une unité, le nombre restant, ne sera ny quarré ny composé de deux quarrez, ny de trois quarrez. Et si d’un nombre mesuré par 4. on oste l’unité, le nombre restant, ne sera ny quarré, ny composé de deux nombres quarrez. Ce que ie demonstre facilement par cela seul, que de tout nombre quarré, qui est impair, si on oste une unité, le reste se mesure par 8. et par consequent aussi par quatre (comme il se prouve de ce qu’on les peut tous produire en adjoûtant 8. à 1. qui fait 9. et deux fois 8. à 9. qui fait 25. et trois fois 8. à 25. qui fait 49. et ainsi à l’infiny) et que tout nombre quarré qui est pair se mesure par 4. D’où il suit clairement, que deux nombres quarrez joints ensemble en composent un, lequel, ou bien se mesure par 4. à sçavoir, si ces deux quarrez sont nombres pairs, ou bien qui est plus grand d’une unité qu’un nombre mesuré par 4, à sçavoir si l’un d’eux est impair, ou qui est plus grand de deux unitez, s’ils sont tous deux impairs ; Et de là se demonstre leur second Theoreme. Car si tout nombre quarré, ou composé de deux quarrez ne peut surpasser un nombre mesuré par 4. que d’un, ou de deux, tous ceux qui le surpassent de trois, comme font tous ceux qui sont moindres d’une unité qu’un nombre mesuré par 4, ne peuvent estre ny quarrez, ny composez de deux Clerselier III, 379 Clerselier III, 379 (béquet) AT II, 93 quarrez. Tout de mesme si on joint ensemble trois quarrez qui soient pairs, ils ne pourront surpasser un nombre mesuré par 8. que de 4 ; et si l’un d’eux est impair, ils ne le pourront surpasser que d’un ou de 5 ; et s’il y en a deux impairs, ils ne le surpasseront que de 2. ou de 6 ; et s’ils sont tous trois impairs, ils ne le surpasseront que de 3 ; de façon qu’ils ne le peuvent iamais surpasser de 7. ainsi que font tous les nombres mesurez par 8. apres qu’on les a diminuez d’une unité ; Qui est ce qu’il falloit demonstrer ; Et pour les fractions, c’est la mesme chose. Leur autre question est ce


PROBLEME.

Trouver une infinité de nombres, lesquels estant pris deux a deux, l’un est égal aux parties aliquotes de l’autre, et reciproquement l’autre est égal aux parties aliquotes du premier. A quoy ie satisfais par cette regle.

Si sumatur Binarius, vel quilibet alius numerus ex solius Binarij multiplicatione productus, modo sit talis, ut si tollatur unitas ab eius triplo, fiat numerus primus ; Item, si tollatur unitas ab eius sextuplo, fiat numerus primus, et deniquè si tollatur unitas ab eius quadrati octo-decuplo, fiat numerus primus. Ducaturque hic ultimus numerus primus per duplum numeri assumpti, fiet numerus cuius partes aliquotæ dabunt alium numerum, qui, vice versâ, partes aliquotas habebit æquales numero præcedenti. Sic assumendo tres AT II, 94 numeros 2. 8. et 64. habeo hæc tria paria numerorum, aliaque infinita possunt inveniri eodem modo.

284. cuius partes aliquotæ sunt 220. et vice versâ.

18416 17296

9437056 9363584.