AT V, 412

RESPONSE DE MR DE CARCAVI.
A Paris le 24. Septembre 1649.

LETTRE LXXVIII.

MONSIEUR,
Ie croyois répondre tout aussi-tost à la Lettre que vous m’avez fait la faveur de m’écrire du dix-septiéme du mois d’Aoust, et vous remercier, comme ie fais de tout mon cœur, de la peine qu’il vous plaist de prendre ; Mais une fiévre qui m’a tenu quelque temps malade m’a contraint de differer ce devoir iusques à maintenant. Monsieur Clerselier, de l’entremise duquel ie me sers pour vous faire tenir la presente en l’absence de Monsieur Picot, vous pourra témoigner que i’avois pris rendez-vous chez luy, il y a trois semaines pour vous l’envoyer.

I’ay écrit à Monsieur Pascal, qui n’est pas encore de retour en cette Ville, ce que vous avez desiré que ie luy fisse sçavoir de vostre part touchant l’experience qu’il a fait Clerselier III, 451 faire du Vif-argent ; Et si le Pere Magnan m’écrit quelque chose de Rome, ie vous l’envoyeray où vous serez ; car nous ne sçavons pas si c’est encore en Hollande, ou bien en Suede. Il m’a témoigné par sa derniere Lettre qu’il eust bien desiré de sçavoir de quelle façon vous AT V, 413 expliquez les actions de l’entendement et de la volonté : Sçachant assez, dit-il, que celles des sens, tant internes qu’externes ne consistent qu’en des mouvemens locaux, comme l’explique Monsieur Descartes et Monsieur Hogelande, si ce n’est le mesme, ainsi que quelques-uns ont crû icy. Voilà, Monsieur, ses propres termes, dont vous userez comme il vous plaira.

Pour ce qui est du Pere Gregorius à S. Vincentio, i’avois bien crû que vous n’approuveriez pas sa quadrature, encore qu’il paroisse avoir autant de Geometrie qu’aucun de ceux que nous ayons veu de sa Compagnie. Mais vous ne sçavez peut-estre pas qu’il a écrit sous le nom d’un de ses Escoliers quelque chose contre le iugement que le Pere Mersenne a fait de son ouvrage, dans son dernier traitté De reflexionibus Physico-Mathematicis, à quoy l’on a icy répondu en peu de mots.

Le Livre de Monsieur de Schooten est attendu avec impatience ; Et bien qu’il soit fort sçavant en Geometrie, il eust esté neantmoins à souhaitter que vous vous fussiez donné la peine de le voir ; Car encore que vous ne l’ayez pas fait, on aura sujet de le penser, à cause que vous estes au mesme lieu, où une personne qui témoigne vous honorer si particulierement l’a fait imprimer ; et vous sçavez qu’en cette science, on s’arreste davantage au sens qu’aux paroles.

Vous m’excuserez, s’il vous plaist, si ie vous parle si librement, mais l’interest que ie prens en ce qui vous regarde m’y oblige, et vostre derniere Lettre ne m’ayant AT V, 414 pas fait voir le contraire de ce que ie vous avois écrit, i’eusse bien desiré que vous vous fussiez donné le loisir de relire ce qui regarde le lieu ad tres et quatuor, etc. contre lequel, au moins contre ce que vous en avez mis dans vostre Geometrie, vous me permettrez de vous dire ingenuëment, et par Clerselier III, 452 le seul amour de la verité, ce que i’en pense, et qui est conforme à la demonstration que Monsieur de Roberval m’en a monstrée il y a tres-long-temps, et que ie vous envoyeray quand il vous plaira, vous assurant que ie l’ay parmy mes papiers, et qu’il ne me faut qu’un peu de temps pour la mettre en ordre. Car lors que ie vous ay écrit que ledit sieur de Roberval ne vous estoit pas ennemy, ie vous assure que ie vous l’ay mandé candidement, et comme ie luy ay oüy dire, ne l’excusant pas aussi s’il s’est servy des termes dont vous m’écrivez, bien que le plus souvent la chaleur de la dispute nous emporte au delà de ce que nous ne ferions pas dans une autre rencontre. Et pour ce qui est du Pere Mersenne, ie ne l’ay accusé que de ce que tous ceux qui l’ont connu ont remarqué en luy ; ce qui n’estoit pas toutesfois absolument blasmable dans son intention, qui n’alloit qu’à la recherche de la verité, qui ne se trouve d’ordinaire que par le moyen de quelque émulation, et qui ne s’establit qu’apres plusieurs contestations ; Mais il m’a semblé qu’il ne mettoit pas toûjours assez de difference entre ceux qui disputent en matiere de science, et les autres qui se battent pour le point d’honneur, ce que i’ay tasché de faire en cette occasion, où vous me faites la faveur de témoigner la satisfaction que vous en avez, et vous me donnez des loüanges qui me persuadent que AT V, 415 vous agreérez que ie continuë, ou plustost que ie finisse dans cette Lettre ce que vous avez commencé de lire dans la precedente.

Et premierement, ie vous assure que ledit sieur de Roberval ne pense aucunement à biaiser, ny à prendre vos paroles autrement que vous ne les avez écrites ; Car lors que dans ma Lettre i’ay dit par l’angle, s’il y a quelque faute elle est à moy, parce qu’il l’entend de mesme que vous, et comme vous l’expliquez dans vostre Lettre, et dans vostre Livre, c’est à dire, dans l’espace compris par les lignes qui forment l’angle, et ayant pris vostre enonciation en mesme sens que vous, il m’en a fait voir la demonstration, ainsi que ie vous ay dit il y a tres-long-temps, et mesme la publia dés l’année Clerselier III, 453 1637. en l’assemblée de quelques Messieurs qui conferoient des Mathematiques. Il ne s’est pas aussi arresté aux figures de vostre Livre, mais seulement à vostre enonciation ; Car celle de la page 331. monstre evidemment le peu d’intelligence de celuy à qui vous vous estes fié pour la tracer ; c’est où le lieu est representée par une hyperbole, laquelle ne passant par aucun des six points où les quatre lignes peuvent s’entrecoupper, coupent neantmoins la ligne T G au point H, fort éloigné de tous ces six points, qui est une absurdité si manifeste, qu’encore que ledit sieur de Roberval croye que vous ne vous soyez pas donné la peine de construire ce lieu, il ne doute pas toutesfois que vous ne la voyïez incontinent ; de mesme que celle de la page 308. où vous dites que pour trois ou quatre lignes données, les points cherchez se rencontrent AT V, 416 tous en une section conique, ce qui n’est pas veritable ; car ils ne se trouvent pas tous dans une de ces sections, quand vous prendriez les deux hyperboles opposées pour une section, comme nous faisons avec les Anciens. Et il m’a fait remarquer que cette faute peut bien avoir esté cause d’une autre dans la page 313. où vous dites qu’on pourra trouver une infinité de points par lesquels on décrira la ligne demandée : Car il se pourra faire que tous ces points ne seront pas dans une mesme ligne, sçavoir, lors que quelques-uns d’iceux seront dans l’un des espaces qui sont distinguez par les quatre lignes données, et d’autres en un autre espace ; Et finalement, il soûtient que vous ne sçauriez donner aucun cas auquel la question ne soit tousiours possible ; comme vous verrez, si vous desirez que nous en parlions davantage. Ie vous prie de me faire la faveur de croire que ie procede en cecy tres-franchement, et que ie ne vous manderois pas toutes ces choses, ny n’aurois pas prié Monsieur de Roberval (duquel i’ay assez de peine à chevir à cause des écoliers qui l’occupent) de s’expliquer davantage sur celles qui suivent, si ce n’estoit par une estime tres-particuliere que ie fais de vostre personne ; car il me suffiroit de les sçavoir.

Clerselier III, 454 Il m’a donc dit sur le sujet des racines (quelques-unes desquelles nous appellons positives en dessus, ou positiva suprà, sçavoir, celles que vous appellez vrayes ; Les autres positives en dessous, ou positiva infrà, qui sont celles que vous appellez fausses ; et les autres impossibles, que vous appellez imaginaires) qu’il y a des équations qui changent alternativement de signe + et –, qui ne AT V, 417 laissent pas d’avoir quelque racine fausse ou positive en dessous, contre ce que vous avez pris la peine de m’écrire touchant vos pages 373. et 380. Et voicy une de ces équations qui est cubique, en laquelle il n’y a, et ne peut avoir, par sa generation, aucune racine impossible ; Mais seulement une positive en dessus, et une positive en dessous, quoy que la plus grande partie de celles de ce degré, c’est à dire cubique, en ayent trois, excepté quand il y en a d’impossibles.

Et pour monstrer qu’il n’y en a point d’imaginaire, il ne faut que remarquer qu’en toute équation où il y a de ces racines impossibles, il n’y en a iamais moins de deux, et partant en une équation cubique, où il y auroit deux telles racines impossibles, il n’y en pourroit avoir qu’une positive en dessus, ou en dessous, ce degré cubique ne pouvant souffrir au plus que trois racines. Donc puis qu’en l’équation cy-dessus il y a deux racines positives, il ne se peut faire qu’il y en ait de ces impossibles. On peut dire le mesme de l’équation quarrée quarrée suivante qui a trois racines positives en dessus, et une en dessous, quoy que suivant vostre doctrine elle n’en dust point avoir en dessous ; et si elle en avoit d’impossibles, elle ne pourroit avoir que deux positives au plus.

Pour ce qui regarde vostre conchoïde parabolique, voicy le calcul que nous en avons fait sur vostre figure de la page 404. que nous ne voulions pas vous envoyer AT V, 418 sans y adjoûter quelque chose de plus precis ; La Lettre a est l’inconnuë en la maniere de Monsieur Viete.

Clerselier III, 455 CG, vel MH|| a, latus rectum || b, DE|| c, AB||d, IH||f, HB|| g, IC||h. L’équation est entre les quarrez IM et MC ensemble d’une part, et le quarré IC de l’autre, c’est-à-dire, entre les quarrez de de d’une part et hh de l’autre, et l’équation vient de cette sorte

Dans laquelle équation toutes les especes sont distinguées avec leurs signes, supposant vostre figure comme elle est. Nous l’aurions aussi faite supposant la ligne LH (que nous appellons G) de l’autre part vers L ; Mais nous ne vous l’envoyons pas, parce qu’on reconnoist incontinent qu’elle est inutile en l’équation particuliere que vous avez envoyée, qui est celle que nous voulions précisement examiner, où il se trouve qu’en la parabole requise à vostredite équation numerique, sçavoir,

Le costé droit doit estre , le quarré de DE, ou c2 AT V, 419 en nos especes, , la ligne AB, ou D,  ; IH, ou f,  ; Ic2, ou H2,  ; et le rectangle sous le costé droit et la ligne HB, ou b in g, est .

D’où il est manifeste qu’en cét exemple le centre du cercle CNQ est dans l’espace compris par la conchoïde parabolique QACN, et non pas au dehors ; On voit aussi que ce cercle ne doit pas coupper cette conchoïde de l’autre part de la ligne B vers AQ, parce que B estant desia , et les autres perpendiculaires de cette part estant plus grandes excederoient la plus grande racine 9 ; il faut donc que les six points que le cercle donnera en cette conchoïde Clerselier III, 456 soient dans la portion de cette ligne, depuis A par C, par N, etc. à l’infiny ; Voyez, s’il vous plaist, si cela se peut.

Le moyen que nous avons de l’examiner est indubitable ; Car posé, par exemple, qu’on veüille examiner la racine GR (ou peut-estre 9.) qui soit comme GC, (c’est le mesme pour toutes les autres) il n’y a qu’à mener la parallele C M, et calculer où le cercle la couppe. Or pource qu’en ce cacas GD sera connuë, on sçaura où la ligne droite AC, prolongée couppera l’axe D B, et quelle longueur aura la ligne GC, d’où l’on verra si ED reste de la longueur requise ; Et si cela arrive à toutes les six racines, posant qu’en tous les six cas le point C, et ses semblables soient tant dans la circonference du cercle que dans celle de la conchoïde, et dans la ligne droite, ce qui n’a autre difficulté que la longueur du calcul de ces triangles. Et bien que vous ayez suivy une autre construction que nous pour trouver vostre costé droit et vos autres lignes, nous les avons neantmoins trouvé les mesmes par la AT V, 420 nostre, ce qui nous a servy de témoignage, que nous ne nous estions pas mépris dans l’opération ; Et vous verrez aussi par là que ce n’est pas à la veuë, mais par le raisonnement que l’examen en a esté fait.

En voilà ce me semble assez en matiere de Geometrie, et peut-estre trop pour vostre loisir, s’il vous y falloit employer davantage de temps qu’il n’en faut pour le lire, et ie n’y adjoûteray rien de plus, si ce n’est que pour la demonstration dont vous me parlez touchant Monsieur de Cavendisch, ledit sieur de Roberval m’a assuré luy avoir donnée, et qu’il n’a pas empesché qu’il ne vous l’ait fait voir, n’estant aucunement chiche de ces choses, lors qu’il croit qu’on les recevra de mesme qu’il les donne. Pour les asymmetries, il dit qu’il suffit que vous voyïez comme il y procede, et que sa maniere est universelle, si la vostre est plus courte et meilleure, vous m’obligerez beaucoup de me l’envoyer. Et me permettrez, s’il vous plaist, de finir cette Lettre, par ce que vous me mandez de Monsieur Toricelly, sur quoy ie crois vous pouvoir entierement satisfaire, en Clerselier III, 457 ayant eu une particuliere connoissance. Il ne s’est fait connoistre en France qu’en Octobre de l’année 1643. nous avons l’Original de sa Lettre de 1646, dans laquelle il avoüe que cette ligne de la roulette ou cycloïde ne luy appartient point, et que iusques à la mort de Galilée qui fut en 1642. on n’en sçavoit rien en Italie. Il a du depuis continué à écrire qu’il n’avoit aucune connoissance des solides, soit à l’entour de la base, soit AT V, 421 autour de l’axe de cette ligne ; et ayant quelque temps apres trouvé la raison de celuy autour de la base à son cylindre, il enonça aussi, mais faussement, la raison de celuy autour de l’axe à son cylindre de mesme hauteur, sçavoir, comme de 11. à 18. Ce qui donna sujet à Monsieur de Roberval en l’examinant de trouver la veritable qui est enoncée dans le Livre des reflexions du Pere Mersenne ; Et que ny ledit Toricelly, ny personne autre que luy, non pas mesme Monsieur de Fermat, n’a iamais pû demonstrer. Apres cela vous-mesme, Monsieur, avez écrit une Lettre que ledit sieur de Roberval m’a fait voir dedès l’année 1638. dans laquelle vous donnez la demonstration de l’espace compris par cette ligne et sa base, comme d’une chose qu’il a trouvée ; I’ay plusieurs Lettres de Monsieur Fermat de l’année 1637. qui disent le mesme, et qui témoignent sa franchise, en ce que s’estant mépris sur le sujet de cette ligne, et d’une enonciation dudit sieur de Roberval, qui luy apparut d’abord fausse, il se retracta genereusement par le Courrier suivant. Monsieur Des-Argues a imprimé la mesme chose en 1639, et le Pere Mersenne en cent endroits ; et neantmoins si vous ne le trouvez pas bon, ledit sieur de Roberval ne veut pas se l’attribuer, et m’a dit qu’il la laisse à celuy qui la pourra prendre ; m’ayant encore assuré sur ce sujet, ce que ie ne vous écrirois point si AT V, 422 vous n’aviez interest de le sçavoir, qu’il pourroit vous reprocher ce qu’un Anonyme, qui a fait quelque petit écrit d’Algebre, vous objecte, (quelques-uns croyent que c’est un Pere Iesuite) que dans la formation de vos équations, vous ne faites que redire ce qui a esté publié dés l’année 1631. par un Anglois, nommé Clerselier III, 458 Hariot, duquel nous n’avons pas icy grande connoissance, du moins moy, qui suis parfaitement et en verité,