M : | Montesquieu 1726/1727-1755. |
D : | Bottereau-Duval 1718-1731. |
E : | 1734-1739. |
U : | 1739. |
H : | 1741-1742. |
J : | 1742. |
K : | 1742-1743. |
F : | 1743. |
I : | 1743. |
L : | 1743-1744. |
O : | 1745-1747. |
P : | Damours 1748-1750. |
Q : | 1750-1751. |
R : | Saint-Marc 1751-1754. |
S : | 1754-1755. |
V : | 1754. |
JB : | Jean-Baptiste Secondat ?-1795. |
T : | écriture des manchettes 1828-1835 |
M : | Montesquieu. |
D : | Bottereau-Duval_1721-1731. |
H : | 1741-1742. |
P : | Damours_1748-1750. |
E : | 1734-1739. |
L : | 1742-1744. |
O : | 1745-1747. |
T : |
écriture des manchettes |
JB : | Jean-Baptiste_Secondat. |
J : | 1742. |
K : | 1742-1743. |
F : | 1743. |
E2 : | |
I : | 1743. |
R : | Saint-Marc_1751-1754. |
Pensées, volume II
1614 Il y a une espece de turban[1] qui fait faire la moitié des sotises qui se font en France, le pretendant qui veut avoir le chapeau
Le chapeau Il n’y a guêres de prince qui ne s’en sente honoré, il n’y a guêres de faquin qui n’y puisse pretendre, sa pourpre confond toutes les conditions, et s’allie orgueilleusement avec elles.
- - - - - |
Main principale P |
1615
{f.464r} Je me souviens que lorsque nous arrivames en France Hagi Ibbi[1] regardoit le roy avec mepris, lorsqu’on luy disoit qu’il n’avoit ny femmes, ny eunuques ny serail, que personne ne fuioit lorsqu’il passoit quelque part, que lors qu’il etoit dans la capitale a peine la plus part des gens distinguoient ils son carrosse de celuy d’un particulier.
- - - - - |
Main principale P |
1616
[Passage à la main M] P 64 des Lettres persanes 1er volume j’avois cont pensé de continuer l’histoire des Troglodites[1] et voila quelle estoït mon idée
Troglodites
[Passage à la main P] C’etoit un grand spectacle de voir tous les Troglodites dans la joye, pendant que le prince fondoit en larmes. Le lendemain il parut devant les Troglodites avec un visage qui ne marquoit ni tristesse, ny joye, il ne parut plus occupé que du soin du gouvernement, mais l’ennui secret qui le devoroit le mit bientot dans le tombeau, ainsi mourut le plus grand roy qui ait jamais gouverné les hommes.
Il fut pleuré pendant quarante jours, chacun crut avoir perdu son pere, chacun disoit qu’est devenu l’esperance des Troglodites, nous vous perdons cher prince, vous croiés que vous {f.464v} n’etiés pas digne de nous commander. Le ciel a fait voir que nous n’etions pas dignes de vous obeir mais nous jurons par vos manes sacrés que puisque vous n’avéz pas voulu nous gouverner par vos loix nous nous conduirons par vos exemples.
Il falut elire un autre prince, et il y a eut une chose de remarquable, c’est que de tous les parents du monarque defunct aucun ne reclama la couronne, on choisit dans cette famille le plus sage et le plus juste de tous.
Vers la fin de son regne on remarqua que le peuple etoit si nombreux que les terres
Vers la fin de son regne quelques gens crurent qu’il etoit necesaire d’etablir les arts chez les Troglodites le commerce et les arts, on assembla la nation et cela fut resolu.
Le roy parla ainsi vous voulutes que je prise la couronne et me crutes assez vertueux pour vous gouverner, le ciel m’est tesmoin que depuis ce tems le bonheur des Troglodites à eté l’unique objet de mes inquietudes. J’ay la gloire que mon trosne n’a été regne n’a point eté souillé par la lacheté d’un Troglodite, voudries vous preferer aujourd’huy les richesse a votre vertu :
{f.465r} Seigneur, luy dit un d’entre eux, nous sommes heureux nous travaillons sur un fond excelent, oseroi je le dire : ce sera vous seul qui deciderez si les richesses seront pernicieuses a votre peuple ou non, s’ils voient que vous les preferés a la vertu ils s’accoutumeront bientot a en faire de même et en cela votre goust reglera le leur. Si vous elevés dans les emplois ou que vous aprochiés de votre confiance un homme par cela seul qu’il est riche contés que ce sera un coup mortel que vous porterez a sa vertu et que vous ferez insensiblement autant de malhonettes gens qu’il y aura d’hommes qui auront remarqué cette cruelle distinction : vous connoissez, seigneur, la baze sur quoy est fondée la vertu de votre peuple, c’est sur l’education ; changez cette education et celuy qui n’etoit pas assez hardy pour etre vertueux criminel rougira bientot d’etre vertueux.
Nous avons deux choses a faire c’est de fletrir egalement l’avarice et la prodigalité, il faut que chacun soit contable a l’etat de l’administration de ses biens et que le lache qui s’abaissera jusqu’a se derober une honeste subsistance ne soit pas jugé {f.465v} moins severement que celuy qui dissipera le patrimoine de ses enfans. Il faut que chaque citoien soit equitable dispensateur de son propre bien comme il le seroit de celuy d’un autre. Troglodites, dit le roy, les richesses vont entrer chez vous mais je vous declare que si vous n’etes pas vertueux vous serez un des peuples les plus malheureux de la terre. Dans l’etat ou vous ètes je n’ay besoin que d’etre plus juste que vous, c’est la marque de mon aucthorité royale et je n’en sçaurois trouver de plus auguste, si vous ne cherchez à vous distinguer que par des richesses qui ne sont rien en elles mêmes, il faudera bien que je me distingue par les mêmes moyens, et que je ne reste pas dans une pauvreté que vous mepriserez, il faudera donc que je vous accable d’imposts, et que vous emploiés une grande partie de votre subsistance a soutenir la pompe et l’eclat qui serviront à me rendre respectable. Je trouve a present toutes mes richesses dans moy même, mais pour lors il faudera que vous vous epuisiés pour m’enrichir et ces richesses dont vous faisiés tant de cas et que vous n’en n’en jouirez point elles vienderont toutes dans mes tresors {f.466r} tresors. O ! Troglodites nous pouvons etre unis par un beau lien, si vous ètes vertueux je le seray, si je suis vertueux vous le serez.
- - - - - |
Passage de la main P à la main M |
1617 Cette lettre n’a pu etre mise dans les Lettres persanes, 1º parce qu’elle resemble trop aux autres, et 2º parce qu’elle ne fait que redire ce qui y est mieux dit. Je la mets icy a cause de certains fragmens que j’en pouray peut etre tirer et quelques endroits vifs qui s’y trouvent[1].
Le Grand Eunuque a Janum a ***.
Je prie le Ciel qu’il te ramene en ces lieux, et te derobe à tous les dangers.
Destiné a remplir une place dans le serail qui m’est soumis, tu iras peut etre quelque jour au poste que j’ocupe, c’est la que tu dois porter tes vües.
S Songe donc de bonne heure a te former, et à t’atirer les regards de ton maitre, compose toy un front severe ; laisse tomber des regards sombres, parle peu, que la joye fuye de tes levres, la tristesse sied bien a notre condition, tranquile en aparance fais de tems en tems sortir un esprit inquiet, n’atend pas les rides de la vielesse pour en montrer les chagrins
{f.466v} C’est en vain que tu te plirois à une lache complaisance nous sommes tous hays des femmes, et hays jusqu’à la fureur crois tu que cette rage implacable soit l’effet de la severité avec laquelle nous les traitons, ah ! Elles pardoneroient nos caprices si elles pouvoient nous pardonner nos malheurs.
Ne te piques point d’une probité trop exacte, il y a une certaine delicatesse qui ne convient gueres qu’aux hommes libres ; notre condition ne nous laisse pas le pouvoir d’etre vertueux : l’amitié la foy, les serments le respect pour la vertu sont des victimes que nous devons sacrifier a tous les instans, obligés de travailler sans cesse a conserver notre vie et à detourner de dessus notre tête les chatimens. Tous les moyens sont legitimes, la finesse, la fraude, l’artifice sont les vertus des malheureux comme nous.
Si tu viens jamais a la premiere place, ton principal objet sera de te rendre maitre du serail, plus tu seras absolu plus tu auras de moyens pour rompre les brigues, et la fureur de la vengance, il faut commancer par abatre le courage et ensevelir toutes les passions dans l’etonnement et dans la crainte.
{f.467r} Tu n’i reusiras jamais mieux qu’en annimant la jalousie de ton maitre, tu luy feras de tems en tems de petites confidances, tu arreteras son esprit sur les soupçons les plus legers, tu l’y fixeras ensuite par quelques nouvelles circonstances, quelquefois tu l’abandonneras a luy même, et laisseras pour quelque tems floter son esprit incertain, tu te presenteras ensuite, et il sera charmé de trouver en toy un mediateur entre son amour et sa jalousie, il te demandera tes avis ; doux ou severe tu te feras une protectrice, ou tu humiliras une enemie.
Ce n’est pas que tu puise toujours jeter a ton gré les soupcons de quelque intrigue criminelle, des femmes abatues sous tant de regards ne peuvent guêres etre acusées de certains crimes avec apparance, mais il faut les aller chercher dans les resources que l’amour desesperé se procure quand l’imagination furieuse va se prendre a tous les objets qu’elle trouve, ne crains point d’en trop dire, tu peus etre hardy à feindre, depuis tant d’années que je gouverne j’ay apris, j’ay vu meme des choses incroiables, mes yeux {f.467v} ont été temoins de tout ce que la rage peut inventer, et de tout ce que le demon d’amour peut produire.
Si tu vois que ton maitre capable du joug de l’amour determine son coeur sur quelqu’une de ses femmes relache un peu a son egard de ta severité ordinaire, maïs apesantis toy sur ses rivales, et tache de luy rendre agreables et ta douceur et ta severité.
Mais si tu vois que peu constant dans ses amours il use en souverain de toutes les beautées qu’il possede qu’il aime, quite, et reprenne qu’il detruise le matin les esperances du soir, que le caprice suive le choix, le mepris le caprice pour lors tu seras dans la plus heureuse situation ou tu puise etre ; maître de toutes ses femmes traite les comme si elles vivoient dans une perpetuelle disgrace et ne crains rien d’une faveur qui se perd a mesure qu’elle se donne.
C’est donc a toy d’aider son inconstance il arive quelque fois qu’une beaute triomphe et arrete le coeur le plus volage, il à beau s’echaper elle le rapelle toujours des retours si constans menacent d’un attachement eternel il faut a quelque prix qu’il en soit rompre ces nouvelles chaines : ouvre le serail {f.468r} fais y entrer à grands flots de nouvelles rivales, fais diversion de toutes les parts, confond une superbe maitresse dans le nombre et reduit la à disputer encore ce que les autres ne pouvoient plus deffendre.
Cette politique te reusira presque toujours par ce moyen tu useras si bien son coeur qu’il ne sentira rien, les graces seront perdues, tant de charmes secrets pour tout l’univers le seront encore plus à ses yeux mêmes, en vain ses femmes a l’envie essaieront sur luy les traits les plus redoutables, inutiles à l’amour elles ne tienderont a son coeur que par la jalousie
Tu vois que je ne te cache rien quoy que je n’aye jamais guêres connu cet engagement qu’on appelle amitié et que je me sois envelopé tout entier dans moy même, tu m’as pourtant fait sentir que j’avois encore un coeur et pendant que j’etois de bronze pour tous ces esclaves qui vivoient sous mes loix, je voiois croitre ton enfance avec plaisir.
Je pris soin de ton education la severité toujours inseparable des instructions te fit long tems ignorer que tu m’etois cher, tu me l’etois pourtant et je dirois que je t’aimois comme un pere aime {f.468v} son fils, si ces noms de pere et de fils, n’etoient pas plus propres à nous rapeller à tous deux un souvenir affreux qu’a nous marquer une douce et secrete simpatie.
- - - - - |
Main principale P |
1618 Rica à Usbeck[1]V
Voicy une lettre qui est tombée entre mes mains.
Ma chere cousine deux hommes tout de suite m’ont quittée, j’ay attaqué celuyi que vous sçaviés mais il à été comme un rocher, mon coeur s’indigne des affronts qu’il recoit chaque jour
Que n’ayi je point fait pour l’attirer, j’ay cent fois rencheri sur les politesses que j’ay coutume de faire, bon Dieu! disoi-je en moy même se peut il que moy a qui on disoit autrefois tant de douceurs je fasse aujourdhuy tant de restitutions pour rien.
Vous avez ma chere cousine deux ans moins que moy et vos charmes sont bien au dessus des miens mais je vous conjure de ne me point abandonner dans la resolution que j’ay prise de quiter le monde vous etes confidente de tant de secrets, je suis depositaire de tant d’autres {f.469r} il y a plus de trente ans que notre amitié triomphe de toutes les petites brouilleries que produisent necesairement dans une société la variété des intrigues, et la multiplicité des interests.
Je vous l’ay dit souvent ces petits maitres que j’ay tant aimés je ne puis plus les soufrir ils sont si contents d’eux mêmes et si peu de nous, ils metent à un si haut prix leur sotise et leur figure... ma chere cousine sauvez moy leur mepris.
Je commance a prendre un tel goust a la societé des gens devots qu’elle fait toute ma consolation, je n’ay point encore assez rompu avec le monde pour qu’ils aient confiance en moy, mais à mesure que je m’en detache, ils s’aprochent de moy un peu, quel douceur dans ce nouveau genre de vie au lieu du tumulte et le bruit du monde imposteur.
Je vais ma chere cousine me livrer a eux toute entiere, je leur decouvriroy l’etat d’un coeur qui prend toute les impressions qu’on luy donne, il n’est point en moy d’eteindre toutes mes passions, il ne s’agit que de les regler.
Il y à une chose qui est le principe fondamental de la vie devote, c’est la supression totale des {f.469v} agremens etrangers, car quoy qu’entre nous ils soient toujours beaucoup plus inocents dans le tems qu’on les quite que lorsququ’on commance a s’en servir cependant ils marquent toujours une certaine envie de plaire au monde que la devotion deteste, elle veut que l’on paraise devant luy avec toutes les injures du tems pour luy faire voir à quel point on le meprise, pour nous ma chere cousine, il me semble que nous pouvons encore nous montrer telles que nous sommes, je vous l’ay dit cent fois que vous eties charmante lorsque vous paroissiés le plus negligée, et qu’il y avoit en vous beaucoup d’art a n’en mettre point.
Puisse cette lettre vous toucher le coeur et vous inspirer des resolutions que je n’ay prises qu’apres les avoir longtems combatües adieu
La devotion qui dans certaines ames est une marque de force, dans d’autres en est une de foiblesse, elle n’est jamais indifferente car si d’un coté elle orne les gens vertueux elle acheve la degradation de ceux qui ne le sont pas.
A Paris le 25. de la lune de Rhebiab[2] 1717.
|
Main principale P |
1614 |
n1. |
Le chapeau cardinalice. Voir l’affaire du cardinal d’Auvergne (nº 1226). |
1615 |
n1. |
Ce personnage écrit une seule fois dans les Lettres persanes et il est défini dans une note de l’auteur comme « un homme, qui a fait le Pelerinage à la Meque » (LP, 37 [39], p. 234, note (a)). Montesquieu l’imagine ici voyageant avec Usbek et Rica. Il est l’expéditeur de la lettre [4] publiée dans Le Fantasque (LP, p. 585). |
1616 |
n1. |
LP, 11-14 (11-14). L’épisode imaginé prend sa place à la fin de la lettre 14, après la harangue du vieillard choisi pour être roi. |
1617 |
n1. |
Voir LP, lettre supplémentaire 1 (15), p. 545, note 1. Version rejetée d’une lettre supplémentaire qui reprend à peu près la Lettre [5] du Grand Eunuque à Janum, publiée dans Le Fantasque en 1745 (LP, p. 586-588). |
1618 |
n1. |
Entre 1748 et 1750 (secrétaire P), Montesquieu fait recopier ici cette lettre parue dans Le Fantasque en 1745 (LP, p. 590-592). |
1618 |
n2. |
Le mois de mai (LP, p. 72). Dans la chronologie du roman, la lettre s’insère entre les lettres 101 (104) et 102 (105). |