[1] [•] VB 17, 33, 1Physiologus. [•] Physiol. B
24Aspidochelon est le
nom donné en grec à un monstre marin qu’on appelle en latin aspido-testudo [aspic-tortue]. C’est un grand cétacé dont le cuir fait
penser au gravier des plages. Il arrive donc souvent que des
marins confondent son dos, quand il émerge au-dessus des flots,
avec une île : ils y plantent leurs grappins pour amarrer leur
bateau, y allument un feu pour faire cuire leur repas. Mais
lorsque l’animal sent l’odeur Nota HS et la
chaleur [•] Physiol. B 24
du feu, Nota HS il s’éloigne et [•] Physiol. B 24envoie alors les bateaux par le fond. [•] Physiol. B 24Voici un autre trait de sa nature : quand il a faim, il
ouvre la bouche et il s’en exhale comme une odeur suave. Les
poissons plus petits, par l’odeur alléchés, convergent dans sa
gueule, et quand il a la bouche bien pleine, il la referme sur ses
proies et les avale3L’allégorie de l’aspidochelon combine avec habileté des traits
qu’on associe spontanément à la baleine (l’animal marin
gigantesque et l’avaleuse d’hommes) et des caractéristiques
propres à la tortue d’une part, et à l’aspic d’autre part. Ainsi,
par sa première nature, l’animal est d’abord une « tortue », dont
la carapace immergée pourrait être prise pour un rocher : c’est le
thème littéraire traditionnel de l’île trompeuse avec ses
précédents (Roman d’Alexandre 3, 17 ;
Strabon XV, 2, 12) et ses nombreux avatars, avec en particulier,
pour le Moyen Âge occidental, l’île enchantée de la Navigation de saint Brendan (par exemple,
Benedeit, Le Voyage de saint Brendan,
v. 440-478, ou Navigatio Sancti Brandani
abbatis, 9-10, dans “Navigatio Sancti
Brendani Abbatis” from Early Latin Manuscripts, C. Selmer
(éd.), Notre Dame, University of Notre Dame Press (Publications in
Mediaeval Studies ; 16), 1959, p. 20-21). Par sa seconde nature,
le monstre maléfique est aussi un aspic. Le chapitre du Physiologos grec consacré à l’aspic
(Physiol. 55 ; voir Zucker 2004, 276-283) est éclairant ; il
raconte comment la femelle ouvre la bouche, où plonge le mâle, et
la referme sur lui sous l’excès du plaisir ressenti, provoquant
ainsi sa mort ; il indique aussi comment les charmeurs de
serpents, avant de lancer eux-mêmes leurs incantations, doivent se
boucher oreilles et narines pour se protéger des émanations
séductrices de l’animal. On notera que les caractéristiques
comportementales de l’aspic, qui expliquaient la construction
allégorique de l’aspidochelon, n’ont pas
été conservées dans le Physiologus latin.
Enfin le texte du Physiologus, tel qu’il
est passé dans le Speculum naturale, a été
amputé de ses commentaires théologiques, si bien qu’il se trouve
revêtu d’un caractère profane qui le dénature en
profondeur..
[1] [•] VB 17, 33, 1Physiologus. [•] Physiol. B 24, 1-8
— Est
belua in mare quae dicitur graece aspidochelone, latine autem
aspido testudo ; cetus ergo est magnus, habens super corium suum
tamquam sabulones, sicut iuxta littora maris. Haec in medio pelago
eleuat dorsum suum super undas maris sursum ; ita ut nauigantibus
nautis non aliud credatur esse quam insula, praecipue cum uiderint
totum locum illum sicut in omnibus littoribus maris sabulonibus
esse repletum. Putantes autem insulam esse, applicant nauem suam
iuxta eam, et descendentes figunt palos et alligant naues ; deinde
ut coquant sibi cibos post laborem, faciunt ibi focos super arenam
quasi super terram ; illa uero belua, cum senserit ardorem ignis,
subito mergit se in aquam, et nauem se cum trahit in profundum
maris.Aspidochelon3aspidochelone 1491 VB ut
semper. Graece dicitur belua quaedam in mari quae
Latine dicitur aspido testudo. Est autem cetus magnus habens super corium suum tamquam sabulum
quod est juxta litus maris. Unde plerumque, elevato dorso suo
super undas, a navigantibus nihil aliud creditur esse quam insula.
Itaque applicantes dentes4applicantes dentes : applicantes et
descendentes VB. super eam5figunt palos post eam hab. VB., alligant naves6Le texte de l’Hortus
sanitatis repose sur une altération de la citation du Speculum naturale et du Physiologus : l’emploi absolu d’applicantes dans un contexte maritime
(« aborder ») n’a pas été reconnu, et le participe descendentes, sans doute graphié sous une forme
abrégée, a été, à tort, lu dentes. Cette
correction a pu entraîner la suppression de la notation palos figunt qui faisait alors
redondance., accendunt focos ad coquendos cibos. Ille7iste VBd. vero, ubi sentit odorem compil.et calorem8et calorem non hab. VB. [•] Physiol. B 24, 1-8ignis, compil.movet9movet — sic non hab.
VB. se a loco, et sic [•] Physiol. B 24, 1-8mergit naves in profundum. [•] Physiol. B 24, 11-13
— Secunda eius beluae natura haec est : quando esurit,
aperit os suum, et quasi quemdam odorem bene olentem exhalat de
ore suo ; cuius odorem, mox ut senserint minores pisces,
congregant se intra os ipsius; cum autem repletum fuerit os eius
diuersis piscibus pusillis, subito claudit os suum et transglutit
eos.Alia quoque hujus beluae natura haec10haec non hab.
1536. est : quando esurit, aperit os suum et quasi
quemdam odorem bene olentem exalat de ore suo ; quem sentientes
minores pisces confluunt in os ejus ; quod ut impletum fuerit,
claudit et eos transglutit.
[2] [•] VB 17, 33, 1 Nota HSLe même. [•] Isid. orig. 12, 6, 6La dorade doit son nom au fait que sa tête a la couleur de
l’or.
[2] [•] VB 17, 33, 1 compil.Idem11idem non hab. VB.12La séquence consacrée à l’aurata est enchaînée avec le passage sur
l’aspidochelon sans solution de
continuité chez Vincent de Beauvais. La mise en forme de l’Hortus sanitatis introduit une distinction
entre les deux animaux, mais attribue la brève séquence au Physiologus. Il faut sans doute suspecter
une altération de la tradition manuscrite ou une erreur dans
le montage des références collectées au niveau du Speculum naturale lui-même, car la citation
semble remonter précisément à Isidore de
Séville.. [•] Isid. orig. 12, 6, 6
— A colore,
ut umbrae, quia colore umbrae sunt ; et auratae, quia in capite
auri colorem habent.Aurata dicitur ex eo quod in capite suo auri
colorem13auri colorem :
auriculo rem Prüss1.14L’édition
Prüss1 se signale par une coupure aberrante du
texte du Speculum naturale : quod in capite suo auriculo rem [pour auri colorem] habent, et
aboutit à un texte absurde mais dont on devait pouvoir rectifier
le sens malgré la faute typographique. habet.
~
1La description de l’aspidochelon dans le Physiologus ne relève pas de la zoologie, mais
bien de la parabole théologique. C’est une allégorie pédagogique
(voir, par exemple, Zucker 2004, 134-135) qui exploite aussi bien
des références bibliques (Léviathan, la baleine de Jonas) que des
lieux communs de la littérature romanesque ou des récits de
voyage.
2André 1986, 184-185, identifie l’aurata avec la dorade (Sparus auratus Linné,
1758).
3L’allégorie de l’aspidochelon combine avec habileté des traits
qu’on associe spontanément à la baleine (l’animal marin
gigantesque et l’avaleuse d’hommes) et des caractéristiques
propres à la tortue d’une part, et à l’aspic d’autre part. Ainsi,
par sa première nature, l’animal est d’abord une « tortue », dont
la carapace immergée pourrait être prise pour un rocher : c’est le
thème littéraire traditionnel de l’île trompeuse avec ses
précédents (Roman d’Alexandre 3, 17 ;
Strabon XV, 2, 12) et ses nombreux avatars, avec en particulier,
pour le Moyen Âge occidental, l’île enchantée de la Navigation de saint Brendan (par exemple,
Benedeit, Le Voyage de saint Brendan,
v. 440-478, ou Navigatio Sancti Brandani
abbatis, 9-10, dans “Navigatio Sancti
Brendani Abbatis” from Early Latin Manuscripts, C. Selmer
(éd.), Notre Dame, University of Notre Dame Press (Publications in
Mediaeval Studies ; 16), 1959, p. 20-21). Par sa seconde nature,
le monstre maléfique est aussi un aspic. Le chapitre du Physiologos grec consacré à l’aspic
(Physiol. 55 ; voir Zucker 2004, 276-283) est éclairant ; il
raconte comment la femelle ouvre la bouche, où plonge le mâle, et
la referme sur lui sous l’excès du plaisir ressenti, provoquant
ainsi sa mort ; il indique aussi comment les charmeurs de
serpents, avant de lancer eux-mêmes leurs incantations, doivent se
boucher oreilles et narines pour se protéger des émanations
séductrices de l’animal. On notera que les caractéristiques
comportementales de l’aspic, qui expliquaient la construction
allégorique de l’aspidochelon, n’ont pas
été conservées dans le Physiologus latin.
Enfin le texte du Physiologus, tel qu’il
est passé dans le Speculum naturale, a été
amputé de ses commentaires théologiques, si bien qu’il se trouve
revêtu d’un caractère profane qui le dénature en
profondeur..
~
1caput 4 1536.
2aspidochelone 1536.
3aspidochelone 1491 VB ut
semper.
4applicantes dentes : applicantes et
descendentes VB.
5figunt palos post eam hab. VB.
6Le texte de l’Hortus
sanitatis repose sur une altération de la citation du Speculum naturale et du Physiologus : l’emploi absolu d’applicantes dans un contexte maritime
(« aborder ») n’a pas été reconnu, et le participe descendentes, sans doute graphié sous une forme
abrégée, a été, à tort, lu dentes. Cette
correction a pu entraîner la suppression de la notation palos figunt qui faisait alors
redondance.
7iste VBd.
8et calorem non hab. VB.
9movet — sic non hab.
VB.
10haec non hab.
1536.
11idem non hab. VB.
12La séquence consacrée à l’aurata est enchaînée avec le passage sur
l’aspidochelon sans solution de
continuité chez Vincent de Beauvais. La mise en forme de l’Hortus sanitatis introduit une distinction
entre les deux animaux, mais attribue la brève séquence au Physiologus. Il faut sans doute suspecter
une altération de la tradition manuscrite ou une erreur dans
le montage des références collectées au niveau du Speculum naturale lui-même, car la citation
semble remonter précisément à Isidore de
Séville.
13auri colorem :
auriculo rem Prüss1.
14L’édition
Prüss1 se signale par une coupure aberrante du
texte du Speculum naturale : quod in capite suo auriculo rem [pour auri colorem] habent, et
aboutit à un texte absurde mais dont on devait pouvoir rectifier
le sens malgré la faute typographique.