MON REVEREND PERE,
Vous commencez l’une de vos Lettres par l’ombre du Cors de S. Bernard, qui paroist sur une Pierre ; Touchant quoy ie m’assure qu’il est aisé en la voyant, d’examiner AT II, 558 si elle est miraculeuse, ou bien si ce sont seulement les veines de la Pierre, qui representent cette Figure ; mais il est mal-aisé d’en deviner les moyens en ne la voyant pas  Et ie n’en puis dire autre chose, sinon que si elle est miraculeuse, et qu’on la regarde avec dessein d’examiner si les veines de la Pierre la peuvent representer sans Miracle, il me semble qu’on y doit remarquer quelque circonstance, qui fera voir qu’elles ne le peuvent  Car pourquoy Dieu feroit-il un Miracle, s’il ne vouloit qu’il pust estre connu pour Miracle.

Ie ne sçache point que vous m’ayez cy-devant écrit, que la Hauteur de l’Eau soit en Raison double du temps qu’elle est à sortir par un Robinet ; Mais il me semble qu’on le peut prouver, en la mesme façon que Monsieur de Beaune a prouvé que la Tension des Cordes est double de leurs sons : Car puisque la quantité de l’Eau qui coule par le Robinet, Clerselier II, 175 Clerselier II, 175 (béquet) dépend du temps qu’elle est à couler. Et de la hauteur du Tuyau, on la peut representer par les Aires des Triangles ABC, et DGH, ou DEF, faisant qu’ AB, DG, DE, representent les Temps, BC, et EF, les Forces qui sont proportionnées aux hauteurs des Tuyaux, etc. En sorte que si la hauteur representée par EF, est quadruple de la hauteur AT II, 559 representée par BC, le Temps DG, doit estre la moitié du Temps AB, ou DE, afin que l’Espace DGH, qui represente l’Eau qui coule par le Tuyau quadruple, soit égal à l’Espace ABC, etc.

Ie ne sçache point aussi avoir écrit que ie ne conçoy la Matiere subtile que iusqu’à la Lune ; Mais peut-estre bien que ie ne conçoy son Mouvement Circulaire autour de la Terre que iusqu’à la Lune  Car au dessus de la Lune ie luy en attribuë d’autres, qui peuvent estre imaginez suivant l’Hypothese de Tycho Brahé par ceux qui rejettent celle de Copernic.

Les lunettes que vous proposez avec des Miroirs, ne peuvent estre si bonnes ni si commodes, que celles que l’on fait avec des verres. Premierement, pource que l’œil n’y peut estre mis fort proche du petit verre ou miroir, ainsi qu’il doit estre  Secondement, qu’on n’en peut exclure la lumiere collaterale, comme aux autres, avec un tuyau  Troisiémement, qu’elles ne devroient pas estre moins longues que les autres, pour avoir les mesmes Effets, et ainsi ne seroient gueres plus faciles à faire, etc. Et s’il se perd des Rayons sur les Superficies des AT II, 560 Verres, il s’en perd aussi beaucoup sur celle des Miroirs.

Pour la Dureté de la Glace, i’ay dit vers la fin de la page 163. que ses Parties ne sont pas droites comme des Ioncs, mais courbées en diverses sortes ; Ce qui peut servir pour aider à entendre sa Dureté  Et toutesfois, encore qu’on les suppose toutes droites, pourveu seulement qu’elles se touchent immediatement en quelques endroits, cela suffit pour la rendre dure  Car pour faire le Cors le plus dur qui puisse estre imaginé, il faut seulement que toutes ses Parties s’entre-touchent Clerselier II, 176 Clerselier II, 176 (béquet) de toutes parts, et ne soient point en Action pour se mouvoir diversement.

Les Actions de nos Mains et celles du Feu, et mille autres, empruntent leur Mouvement de la Matiere subtile, qui n’en perd gueres pour cela, d’autant qu’elle est en grande quantité  Tout de mesme que la Terre n’en reçoit gueres, quand une Pierre qui tombe luy donne tout le sien ; et ainsi ce n’est pas merveille, qu’on n’apperçoive pas d’où viennent, ny comment se perdent ces Mouvemens.

Suivant la Theorie exacte de la Dioptrique, les Lunettes devroient à peu prés grossir les Objets, en mesme proportion qu’elles augmentent le Diametre de l’Œil, comme on peut voir de ce que i’ay ecrit en la page 79. Mais pource que celles qu’on fait au hazard, ne répondent iamais exactement à cette Theorie, il est bien plus aisé à déterminer leur Force par Experience, que par Raison.

AT II, 561 I’achevois cette Lettre, lors que i’ay receu vostre derniere du 4. Iuin, avec le dévelopement de mes Solutions, qui a esté fait par M. de Beaune, et qui sert AT II, 562 à démonstrer deux choses ; L’une que M. de Beaune en sçait plus que ceux qui n’en ont sceu venir à bout ; Et l’autre que les Regles de ma Geometrie ne sont pas inutiles, ny si obscures qu’on ne les puisse entendre, ny si defectueuses qu’elles ne suffisent à un homme d’Esprit, pour faire plus que par les autres Methodes ; car il les a entenduës sans aucun Interprete, et s’en sert à faire ce que vos plus grands Geometres ignorent.

Ce qui vous est arrivé en observant l’Eclypse avec un Verre Convexe, sans aucun Concave n’est pas estrange, et la raison en est claire par la page 114. de ma Dioptrique, où le Diametre du Soleil est representé par l’Espace IGK, le Verre Convexe est ABC, ou DEF, et son Image qui paroist en la Chambre obscure AT II, 563 est MHL : Car on voit là que le Rayon qui vient du point I, vers A, ou D, éclaire la partie L de l’Image, et celuy qui vient du mesme Point I, vers C, ou F, éclaire la par tie M, et ainsi que ce seul Point I, suffit pour peindre l’image tout entiere ; Et ce que ie dis du point I, se Clerselier II, 177 Clerselier II, 177 (béquet) doit entendre de chacune des parties du Soleil, encore que les autres soient éclypsées. Mais ce n’est pas le mesme, quand on se sert d’une Lunette : Car le Verre concave de la Lunette redresse les Rayons, en sorte que tous ceux qui viennent du Point I, tendent vers M, aprés qu’ils sont sortis de la Lunette, et tous ceux qui viennent du Point K, tendent vers L.

Ie viens à une autre de vos Lettres ; AT II, 566 Ie n’ay point encore receu le Livre de Veritate, mais ie l’ay lû en Latin, il y a plus d’un an, et I’écrivis ce que i’en iugeois à Monsieur Hesdin qui me l’avoit envoyé. Ie n’ay point aussi encore vû le Livre de sieur Bouillaut de Motu Terræ. Pour la Lettre que M. de B. m’avoit écrite il y a trois ou quatre mois, il est vray que ie l’avois receuë ; mais, entre nous, ie n’avois plus en AT II, 567 vie de luy répondre : Car sa Question n’est ny belle, ny industrieuse, et ce m’est une penitence insupportable de m’amuser à telles choses ; Outre que l’ayant proposée d’une façon, il veut que ie l’aye entenduë d’une autre, comme si i’avois dû iuger de son intention autrement que par ses paroles ; Et il se trompe de dire qu’elle ne peut se resoudre au sens que ie l’ay Prise ; Et bien qu’il soit tres-vray qu’il s’étoit mépris, en ce que ie cottois par mes derniéres, il n’en Clerselier II, 178 Clerselier II, 178 (béquet) veut toutesfois rien avoüer ; mais ie ne veux point contester. Car il paroist estre, aussi bien que M. M. du nombre de ceux qui veulent à quelque prix que ce soit avoir gagné, et parler les derniers, en quoy ie luy cede tres volontiers. Toutefois i’écris cecy separément, à cause qu’il n’est pas besoin qu’il le voye. Ie suis.