M : | Montesquieu 1726/1727-1755. |
D : | Bottereau-Duval 1718-1731. |
E : | 1734-1739. |
U : | 1739. |
H : | 1741-1742. |
J : | 1742. |
K : | 1742-1743. |
F : | 1743. |
I : | 1743. |
L : | 1743-1744. |
O : | 1745-1747. |
P : | Damours 1748-1750. |
Q : | 1750-1751. |
R : | Saint-Marc 1751-1754. |
S : | 1754-1755. |
V : | 1754. |
JB : | Jean-Baptiste Secondat ?-1795. |
T : | écriture des manchettes 1828-1835 |
M : | Montesquieu. |
D : | Bottereau-Duval_1721-1731. |
H : | 1741-1742. |
P : | Damours_1748-1750. |
E : | 1734-1739. |
L : | 1742-1744. |
O : | 1745-1747. |
T : |
écriture des manchettes |
JB : | Jean-Baptiste_Secondat. |
J : | 1742. |
K : | 1742-1743. |
F : | 1743. |
E2 : | |
I : | 1743. |
R : | Saint-Marc_1751-1754. |
Pensées, volume II
1618 Rica à Usbeck[1]V
Voicy une lettre qui est tombée entre mes mains.
Ma chere cousine deux hommes tout de suite m’ont quittée, j’ay attaqué celuyi que vous sçaviés mais il à été comme un rocher, mon coeur s’indigne des affronts qu’il recoit chaque jour
Que n’ayi je point fait pour l’attirer, j’ay cent fois rencheri sur les politesses que j’ay coutume de faire, bon Dieu! disoi-je en moy même se peut il que moy a qui on disoit autrefois tant de douceurs je fasse aujourdhuy tant de restitutions pour rien.
Vous avez ma chere cousine deux ans moins que moy et vos charmes sont bien au dessus des miens mais je vous conjure de ne me point abandonner dans la resolution que j’ay prise de quiter le monde vous etes confidente de tant de secrets, je suis depositaire de tant d’autres {f.469r} il y a plus de trente ans que notre amitié triomphe de toutes les petites brouilleries que produisent necesairement dans une société la variété des intrigues, et la multiplicité des interests.
Je vous l’ay dit souvent ces petits maitres que j’ay tant aimés je ne puis plus les soufrir ils sont si contents d’eux mêmes et si peu de nous, ils metent à un si haut prix leur sotise et leur figure... ma chere cousine sauvez moy leur mepris.
Je commance a prendre un tel goust a la societé des gens devots qu’elle fait toute ma consolation, je n’ay point encore assez rompu avec le monde pour qu’ils aient confiance en moy, mais à mesure que je m’en detache, ils s’aprochent de moy un peu, quel douceur dans ce nouveau genre de vie au lieu du tumulte et le bruit du monde imposteur.
Je vais ma chere cousine me livrer a eux toute entiere, je leur decouvriroy l’etat d’un coeur qui prend toute les impressions qu’on luy donne, il n’est point en moy d’eteindre toutes mes passions, il ne s’agit que de les regler.
Il y à une chose qui est le principe fondamental de la vie devote, c’est la supression totale des {f.469v} agremens etrangers, car quoy qu’entre nous ils soient toujours beaucoup plus inocents dans le tems qu’on les quite que lorsququ’on commance a s’en servir cependant ils marquent toujours une certaine envie de plaire au monde que la devotion deteste, elle veut que l’on paraise devant luy avec toutes les injures du tems pour luy faire voir à quel point on le meprise, pour nous ma chere cousine, il me semble que nous pouvons encore nous montrer telles que nous sommes, je vous l’ay dit cent fois que vous eties charmante lorsque vous paroissiés le plus negligée, et qu’il y avoit en vous beaucoup d’art a n’en mettre point.
Puisse cette lettre vous toucher le coeur et vous inspirer des resolutions que je n’ay prises qu’apres les avoir longtems combatües adieu
La devotion qui dans certaines ames est une marque de force, dans d’autres en est une de foiblesse, elle n’est jamais indifferente car si d’un coté elle orne les gens vertueux elle acheve la degradation de ceux qui ne le sont pas.
A Paris le 25. de la lune de Rhebiab[2] 1717.
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Main principale P |
1619 {f.471r} Usbeck à Zelis
Fragment de la lettre
Vous demandez devant le juge votre separation[1]. Quel exemple donnez vous à votre fille[2] ! Quel sujet d’entretien pour tout le serail vous m’insultés bien moins en faisant voir le peu d’amour que vous avez pour moy que le peu de respect que vous avez pour vous même.
Croies vous que la vertu coute moins à vos compagnes qu’à vous, que leur vie soit moins laborieuse, non sans doute mais les combats souferts sont inconnus, les douleurs d’une victoire trop contestée sont secretes, et la vertu lors même qu’elle tiranise parait en elles sous un maintien modeste et un visage tranquille.
Je crois bien que vous soufrés toutes les rigueurs de la la continence mais ce secret que les femmes qui ont un peu de modestie cachent avec tant de soin comment avez vous l’imprudance de le divulguer continence
Je compte sur la vigilance de mes eunuques ils respectoient votre age, ils vous croioient maitresse de vos passions, mais a present qu’ils en connoisent l’empire, il ne faut pas douter qu’ils ne redoublent leurs soins pour vous soutenir, ils vous traiteront comme si vous eties encore dans les perils de la jeunesse, et recommanceront à vous plier à une education dont vous vous ètes si fort ecartée.
{f.471v} Defaites vous donc de vos idées, et sachez qu’il ne vous reste plus que mon amour et le repentir ; car je ne suis point homme à soufrir qu’une femme que j’aime passe dans les bras d’un autre, quand je deverois être regardé comme le plus barbare de tous les hommes...
Je n’en dis pas davantage, vous connoissez mon coeur et vous m’entendez.
De *** le 1er de la lune de Zilhagé[3] 1718.
[f.472v-473] Trois pages blanches
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Passage de la main P à la main M |
1620 {f.474r} Continuation de mes refflectionsCe qui fait que je ne puis pas dire avoir passé une vie malhureuse c’est que mon esprit a une certeine action qui lui fait faire come un saut pour passer d’un estat de chagrin dans un autre un autre estat et de faire un autre saut d’un estat hureux a un autre estat hureus
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Main principale M |
1621 Autre fois le stile epistolaire[1]
Stile epistolaire [f.474v-490] Trente-trois pages blanches
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Main principale M |
1622
{f.491r} Nouveaux fragmens d’une histoire de la jalousie[1]
Voyes ce qui est au tome 1er p 483 Je lis quelque fois toutte [Passage à la main P] une histoire sans faire la moindre attention aux coups donnés dans les batailles et a l’aipaisseur des murs des villes prises, uniquement attentif a regarder les hommes mon plaisir est de voir cette longue suitte de passions et de fantaisies
On verra dans l’histoire de la jalousie que ce n’est pas toujours la nature et la raison qui gouverne les hommes, mais le pur hazard et que certaines circonstances qui ne paroisent pas d’abord considerables influent telement sur eux et agisent avec tant de force et d’assiduité qu’elles peuvent donner un tour d’esprit a toute la nature humaine[2]
Darius aiant fait une loy qui deffendoit l’adultere, les Massagetes luy representerent qu’ils ne pouvoient y obeir parce qu’ils avoient coutume de regaler leurs hotes de leurs femmes[3], quelque fut la force de cette coutume il est bien certain qu’un Massagete qui aimoit sa femme et qu’il prostituoit a un etranger eut été bien faché qu’elle eut aimé plus cet etranger que luy, il vouloit bien remplir {f.491v} un devoir exterieur mais il souhaitoit sans doute que sa femme se tint purement a la civilité et qu’elle luy gardat un coeur qui luy etoit cher. On etoit si honeste dans ce pays qu’on vouloit faire voir a un etranger qu’on luy donnoit ce qu’on aimoit le mieux, et cela meme doit faire penser qu’un homme auroit été bien faché de perdre pour toujours l’amour d’une femme qui l’abandoneroit pour un moment.
Il a falu que de grandes societées se formasent pour que de certains prejugés devinsent generaux, et donnasent le ton a tout le reste
Il y avoit deux peuples qui se disputoient d’antiquité les Egiptiens et les Scites. Isis et Osiris regnerent chez les Egiptiens, ils furent mis au rang des dieux, Isis eut la preeminence sur son mary et en elle tout son sexe fut respecté. Les Egiptiens se soumirent a leurs femmes en son honneur et se plierent telement a cette servitude que prenant soin de la maison ils leurs laisserent toutes les affaires du dehors, elles succederent au royaume avec leurs freres &c[4].
A l’egard des Scites l’histoire nous apprend que quelques femmes tuerent leurs marys appellant le mariage non pas une aliance mais une servitude[5] elles fonderent l’empire des Amazones, batirent {f.492r} Ephese et conquirent presque toute l’Azie[6].
Les prejugés des nations ont les memes prejuges que les empires, il ne faut presque rien pour donner à un peuple les prejugés d’un autre et le progres peut etre si grand qu’il change, pour ainsi dire, tout le genie de la nature humaine, c’est ce qui fait que l’homme est si difficile a definir. N’est il pas vray q
N’est il pas vray que si le mahometisme avoit soumis toute la terre les femmes auroient eté par tout renfermées, on auroit regardé cette maniere de les gouverner comme naturelle, et on auroit de la peine a imaginer qu’il y en put avoir une autre. Si les fammes scites avoient continué leurs conquestes, si les Egiptiens avoient continué les leurs le genre humain viveroit sous la servitude des femmes, et il fauderoit etre philosophe pour dire qu’un autre gouvernement seroit plus conforme a la nature[7]
(2) Voyes la page 494
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Passage de la main M à la main P |
1618 |
n1. |
Entre 1748 et 1750 (secrétaire P), Montesquieu fait recopier ici cette lettre parue dans Le Fantasque en 1745 (LP, p. 590-592). |
1618 |
n2. |
Le mois de mai (LP, p. 72). Dans la chronologie du roman, la lettre s’insère entre les lettres 101 (104) et 102 (105). |
1619 |
n1. |
La licéité du divorce chez les musulmans est évoquée dans les Lettres persanes (« barrière qui sépare [ ] le Nazaréen et Mahomet », LP, 113 [117]) ; sur cette question, voir les sources du roman : Jean-Baptiste Tavernier, Les Six Voyages de Jean Bat. Tavernier [...], en Turquie, en Perse et aux Indes, La Haye, H. Scheurleer, 1718, t. I, 1re partie, liv. V, chap. XVIII, p. 720 ; Paul Rycaut, Histoire de l’état présent de l’Empire ottoman, Amsterdam, A. Wolfgank, 1670, p. 372-373 ; Jean Chardin, Journal du voyage du chevalier Chardin en Perse et aux Indes orientales, Londres, M. Pitt, 1686, p. 328. |
1619 |
n2. |
LP, 60 (62), p. 295. Zélis, seule des femmes d’Usbek à être mère, inspire un prolongement à l’intrigue du sérail (LP, lettre supplémentaire 10 [158], p. 565). Il semble que Montesquieu ait imaginé de sa part une demande de divorce à laquelle répond cette lettre d’Usbek. |
1619 |
n3. |
Février. Dans la chronologie du roman, la lettre s’insère entre les lettres 105 (108) et 106 (109). |
1621 |
n1. |
Ce passage sur le style épistolaire rejoint les remarques de l’abbé Trublet qui, mentionnant les mêmes auteurs dans sa partie intitulée « Caractère et apologie de Balzac » (Balzac, Voiture, Fontenelle, Mme de Sévigné), souligne l’évolution du goût des lecteurs de son temps, comparé à celui du public du siècle passé (Essais sur divers sujets de littérature et de morale, Paris, Briasson, 1735, t. I, p. 147-158). |
1621 |
n2. |
Le discrédit de la prose de Balzac au XVIIIe siècle semble général, de l’aveu même de l’abbé Trublet (Essais sur divers sujets de littérature et de morale, Paris, Briasson, 1735, 1re partie, p. 147) ; de la partie épistolaire de l’œuvre de Balzac, Montesquieu possédait les Lettres familières à Chapelain (Amsterdam, L. et D. Elzevier, 1661 – Catalogue, nº 2274). |
1621 |
n3. |
Sur le rapprochement entre le style de Voiture et celui de Balzac, voir l’abbé Trublet (Essais sur divers sujets de littérature et de morale, Paris, Briasson, 1735, t. I, p. 153-154). |
1621 |
n4. |
Montesquieu se montra sévère pour les Lettres du Chevalier d’Her*** [1683] : voir nº 692. |
1621 |
n5. |
L’abbé Trublet remarque combien les lettres de Mme de Sévigné ont contribué à faire goûter le naturel du style épistolaire (Essais sur divers sujets de littérature et de morale, Paris, Briasson, 1735, t. I, p. 85-86). Montesquieu possédait les quatre premiers volumes du Recueil des lettres de Mme la marquise de Sévigné à Mme la comtesse de Grignan, sa fille (Paris, N. Simart, 1734 – Catalogue, nº 2306). |
1622 |
n1. |
Sur ce projet, voir nº 483. |
1622 |
n2. |
Ce projet rejoint les conceptions pyrrhoniennes de Montaigne ou les remarques fameuses de Pascal sur « le nez de Cléopâtre » ou sur le « petit grain de sable » dans l’uretère de Cromwell (Pensées, L. Brunschvicg (éd.), § 162 et 176). Sur la loi des causes imperceptibles et des conséquences inattendues, voir le Traité des devoirs, OC, t. 8, p. 439, l. 65-68. |
1622 |
n3. |
La communauté des femmes massagètes était rapportée par Hérodote (I, 216) et Strabon (XI, 8, § 6). Les coutumes d’hospitalité sexuelle sont un topos des récits de voyages, comme dans le chapitre LVIII du Devisement du monde [1299] de Marco Polo, ou dans l’Histoire de la Laponie de Johannes Gerhard Scheffer (Paris, veuve Varennes, 1678, chap. XXVI, p. 276). |
1622 |
n4. |
Voir nº 485. Dans L’Esprit des lois, Montesquieu reprendra l’exemple d’Isis, non plus pour expliquer l’asservissement des hommes en Égypte, mais la pratique de l’inceste entre frères et sœurs (c’est « en l’honneur d’Isis » que « les Egyptiens ont épousé leurs sœurs » ; XXVI, 14 : Derathé, t. II, p. 183). |
1622 |
n5. |
La formule est employée par Justin (Histoire universelle, II, 4). |
1622 |
n6. |
Justin, Histoire universelle, II, 4. |
1622 |
n7. |
Dans L’Esprit des lois, Montesquieu s’écartera de ce scepticisme historique qui explique l’évolution des sociétés par le hasard et les circonstances : « la jalousie de coutume, de mœurs, de lois » fait partie des déterminations qui pèsent sur l’action du législateur (XVI, 13). |