M : | Montesquieu 1726/1727-1755. |
D : | Bottereau-Duval 1718-1731. |
E : | 1734-1739. |
U : | 1739. |
H : | 1741-1742. |
J : | 1742. |
K : | 1742-1743. |
F : | 1743. |
I : | 1743. |
L : | 1743-1744. |
O : | 1745-1747. |
P : | Damours 1748-1750. |
Q : | 1750-1751. |
R : | Saint-Marc 1751-1754. |
S : | 1754-1755. |
V : | 1754. |
JB : | Jean-Baptiste Secondat ?-1795. |
T : | écriture des manchettes 1828-1835 |
M : | Montesquieu. |
D : | Bottereau-Duval_1721-1731. |
H : | 1741-1742. |
P : | Damours_1748-1750. |
E : | 1734-1739. |
L : | 1742-1744. |
O : | 1745-1747. |
T : |
écriture des manchettes |
JB : | Jean-Baptiste_Secondat. |
J : | 1742. |
K : | 1742-1743. |
F : | 1743. |
E2 : | |
I : | 1743. |
R : | Saint-Marc_1751-1754. |
Pensées, volume I
172 Le
J’ay mis tout cela dans la bibliotheque[1] Mathematicien - - - - - |
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173
[«]Vous voules que je vous parle de Pisistrate
Mis dans la Bibliotheque Bibliotheque
Pisistrate Il est né avec un genie superieur et cependant il est sommis a l’ascendant de touts les autres genies
Il n’a point de vanité et il a un souverein mepris pour touts les homes
Ceux qui l’ont trompé ont si fort decredité les homes dans son esprit qu’il ne croit plus aux honettes gens
Il a peu de vices qui partent d’un mauvais naturel ses vertus ne partent pas touttes d’un bon
Il n’accorde a la vertu que ce qu’il cede a l’importunité des gens vitieux Aupres de lui tout le privilege de la vertu est qu’elle ne nuit pas
Il sçait bien qu’il est au dessus des autres homes mais il ne le sent pas assés voila pourquoy il n’y a point de genie qui ne puisse trouver l’art de le conduire.
Il ne conoit point cette distance infinie qu’il {p.145} y a entre l’honette home et le mechant, et touts les differents degrés qui sont entre ces deux extremités.
Il a une facilité de moeurs et de comandement qui charme touts ceux qui lui obeissent persone n’a porté si loin la domination et persone ne l’a moins appu mais il ne l’a point faitte sentir a proportion de sa pesanteur
Il voit les homes en detail differament de ce qu’il les voit au milieu de la societé
Il a une indifference pour les evenemens qui ne convient qu’a ceux que le ciel n’a pas fait naitre pour les determiner les evenemens.
Il fait en se jouant le travail des politiques il rencontre tout ce qu’ils avoint reflechi, et ses saillies sont aussi sensées que leurs meditations il fait de son esprit ce que les autres font de leur sens il gouverne toute la Grece sans paroitre sans penser meme a la gouverner et tout le monde suit l’ordre de ses desseins come si on suivoit le torrent de sa puissance.
{p.146} Il reussit bien moins dans le gouvernement de l’interieur de son royaume et pendant qu’il traite avec superiorité avec les roix il est la dupe æternelle de ses courtisans
Dans le gouvernement de l’interieur il veut toujours aller du bien au mieux il est toujours plus frapé du mal que des inconvenients qu’il y a a le reparer
Il corrige la ou il faudroit tollerer il s’immagine que le peuple qui pense avec tant de lenteur suivra la rapidité de son genie, et qu’il ouvrira les yeux dans un moment pour regarder come des abus des choses que le temps les exemples et la raison meme lui ont fait regarder come des loix
Avec ce sublime esprit qui fait les grands homes et les grands crimes Pisistrate seroit un home funeste si le coeur ne reparoit en lui le deffaut des principes mais le coeur le domine tellement {p147} qu’il ne scait ny reffuser ny punir incapable de tomber dans aucun inconvenient en faisant le mal il y tombe sans cesse en faisant le bien
Quand il parvint au gouvernement de Sicione il pardona les injures qu’on lui avoit faittes il pardona de meme ce qui est plus fort celles qu’on lui faisoit il falloit beaucoup travailler pour lasser sa clemence mais pour lors il frappoit des coups prompts et hardis et il etonoit et ceux qui l’avoint offense et ceux qui creignoint de le voir impunement offenser[2].
Dans les premieres années Pisistrate aima il trouva un coeur tendre[3] et des plaisirs que l’amour accorde reserve aux vrais amans dans la suitte il courut d’object en object et il est parvenu a posseder sans gout, il a fatigué ses sans a lui rendre ce qu’il a {p.148} perdu et il a tellement usé le principe de ses passions qu’il est devenu presque incapable de ce qu’on apelle si faussement jouir enfin il s’est jetté dans la debauche et il y a porté quelques agremens, mais quoy qu’on en dise la debauche ne se rafine point ses maitresses n’ont plus esté que les temoins d’une vie non pas libre mais licentieuse mais dans ces debauches Pisitrate perdit la raison et jamais son secret.
Les dieux irrités contre Sicione envoyerent une nuit un songe a Pisistrate il crut qu’il estoit le maitre de touts les heros de l’univers et ce songe fut cause de la misere publique
Un home d’une naissance obscure fut reçu dans la maison de Pisitrate il le il en fut regardaé d’abort avec mepris et ensuitte il passa obtint la confiance sans avoir passé par la consideration il obtint la confiance fier d’avoir {p.149} eu son secret il osa demender le souverein sacerdoce et l’obtint bientost Pisistrate remit dans ses lassé du comendement remit dans ses mains la souvereine puissance le perfide preparoit contre lui les plus cruelles ingratitudes mais Venus lui envoya une maladie qui arresta fit evanouir touts ses projets[4].
Pisistrate a esté hureux d’avoir regné dans un temps ou l’obeissance prevenoit pour ainsi dire le comendement car s’il eut regné dans des temps de trouble ou de confusion la disposition de son esprit estoit telle qu’il n’auroit jamais assés osé ou et qu’il auroit trop entrepris.
Je croy bien que Pisistrate creint les dieux immortels mais il paroit qu’il n’a pas grand egart aux petits interets des pretres et qu’il croit que aux interets de leurs ministres et qu’il est trop frape de ce principe que la relligion est faitte pour les homes et non pas les homes pour la relligion.
Pisistrate s’est refuse peu de femmes de la cour de Sicione mais il n’y en a pas une seule qui {p.150} puisse se venter qu’il ait eu de l’estime pour elle
Le roy de Sicione avoit conquis les estats d’un prince voisin et ne lui avoit laissé que sa capitale il envoya Pisistrate pour l’assieger le prince reduit au desespoir croyant qu’il lui estoit egal de n’ ne pas exister pas ou de ne pas comender fit des efforts incroyables un secours arrive les Sicioniens le laissent passer Pisistrate fuit abandone toutes les conquetes il auroit pu les conserver mais tout le monde deffendit l’honeur de Pisistrate on les soldats convint qu’il n’avoit pas manque de resolution et les capitaines que ce n’estoit pas lui qui avoit manque de conduitte[5]
Dans les affaires malhureuses un general est chargé de toutes les les fautes de l’armée et de la cour icy la cour et l’armée se chargent de toutte la faute pour absoudre le general
Pisistrate ne scavoit pas humilier mais il savoit renverser
Pisistrate estoit moins touche du beau et du bon que de l’extraordinaire et du merveilleux
Il avoit le cœur courageux ferme et l’esprit timide
Il estoit plus flatté de ses talens que de ses vertus
La timidité de Pisistrate lui venoit autant de la paresse pour agir et de la peine a faire le mal que d’aucune retour sur lui meme foiblesse d’ame
{p.151} Enfin dans les vices son esprit estoit tout et son coeur n’estoit rien
Pisistrate a esté le seul home que j’aye connu qui aiet ait esté inutilement gueri des préjuges
- - - - - Le malheur de Pisistrate estoit un gout malade qui le portoit a se montrer plus vitieux qu’il n’estoit c’estoit un hipocryte de vices il affectoit de les avoir pire qu’il n’estoit il avoit une certeine hipocrisie a l’egart des vices qui faisoit qu’il affectoit de paroitre en avoir come un temoignage de liberte et d’independance[ »]
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174
{p.154}
Esclavage Il n’y a que deux sortes de dependances qui ne lui soyent point contraires celle des enfans envers leurs peres celle des cytoyens envers les magistrats, car come l’anarchie est contraire au droit naturel le genre humein ne pouvant subsister en socie par elle il faut bien que la puissance des magistrats qui est opposée a l’anarchie y soit conforme.
Anarchie Esclavage
{p.155} La
D’ailleurs il ne pouvoit y avoir de prix l’esclave se [...] La seconde estoit lors qu’un home estoit pris dans la guerre car disoint ils come il estoit libre au veinqueur de le tuer il lui a esté libre de le faire esclave, mais il est faux qu’il soit permis dans la guerre meme de tuer que dans le cas de nêcessité mais des qu’un home en fait un autre esclave on ne peut pas dire qu’il ait esté dans la necessité de le tuer puis qu’il ne l’a pas fait[2]
Mis dans les loix Tout le droit que la guerre peut doner sur les captifs est de s’assurer tellement de leurs {p.156} persone qu’ils ne puissent plus nuire au veinqueur
Nous regardons come des assasinats les meurtres faits de sans froit par les soldats et apres la chaleur de l’action.
La 3e maniere estoit la naissance celle cy tombe avec les deux autres car si un home n’a pas pu se vendre encore moins a t’il pu vendre son fils qui n’estoit pas né si un prisonier de guerre ne peut pas estre reduit a l’esclavage encore moins ses enfans
Mis dans les loix La raison pourquoy la mort d’un criminel est une chose licitte c’est que la loy qui le punit a esté faitte en sa faveur
La loy civile qui a permis aux homes le partage des biens [...] Mis dans les loix Que si l’on dit qu’elle lui est a pu lui estre utile parce que le maitre l’a nourri lui a donne la nourriture il faudroit donc reduire l’esclavage aux persones incapables de gagner leur vie mais on ne veut point de ces sortes d’esclaves la.
Mis dans les loix Un esclave peut donc se rendre libre il lui est permis de fuir ; come il n’est point de la societé les loix civilles ne le concernent point
Mis dans les loix En vin les loix civiles forment des chaines la loy naturelle les rompera toujours
Droit de vie & de mort Condanner a l’esclavage un home né d’une certeine fame est une chose aussi injuste que la loy des Egiptiens qui condannoit a mort touts les homes roux[4] injuste en ce qu’elle estoit deffavorable a un certein nombre de gens sans pouvoir leur estre utille et coment a t’on pu penser
Mis dans les loix. Guerre de Spartacus Violer les loix - - - - - |
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175 On
Esclavage - - - - - |
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176
Esclavage establissement d’un droit qui rend un home tellement propre a un autre home qu’il est le maitre absolu de sa vie et de ses biens[1]
Mis dans les loix - - - - - |
Main principale M |
172 |
n1. |
Voir nº 140, note 1. |
172 |
n2. |
Les démonstrations mathématiques procèdent par déduction. On peut conclure à la vérité d’une proposition parce que les antécédentes sont vraies, ou si on établit que sa contradictoire aboutit à une conséquence dont la fausseté est connue. Il s’agit du raisonnement apagogique, ou « par l’absurde ». |
172 |
n3. |
Le probable ne renvoie pas ici à l’idée de probabilité mathématique, mais à l’idée d’un indice plus ou moins grand de vérité. Cf. Discours sur la cause de la pesanteur des corps, OC, t. 8, p. 233. |
173 |
n1. |
Premier état des Lettres de Xénocrate à Phérès [1724], rédigées entre février et décembre 1723. Sur la chronologie et les variantes de ce portrait de Philippe d’Orléans, sous le nom de Pisistrate, voir l’introduction et les notes de l’édition des Lettres (OC, t. 8, p. 293-305). Une cinquième lettre sera ajoutée après la mort du Régent, contenant un éloge funèbre et un hommage au jeune roi Louis XV, ce qui atteste de l’antériorité de ce fragment. Il est signalé comme citation par des guillemets au long en marge. Montesquieu a envisagé de l’intégrer, comme l’article précédent, à un ouvrage en projet, la Bibliotheque. |
173 |
n2. |
Sur ces allusions, voir Lettres de Xénocrate à Phérès [1724], OC, t. 8, p. 300, note 9. |
173 |
n3. |
Il s’agirait de Mlle de Séry, comtesse d’Argenton (1681-1748) : voir Lettres de Xénocrate à Phérès [1724], OC, t. 8, p. 302, note 14. |
173 |
n4. |
Il s’agit de Guillaume Dubois (1656-1723), Premier ministre du Régent, qui accède au cardinalat (« souverain sacerdoce ») en août 1721, disposant, selon Saint-Simon, de toute l’autorité, accusé de vendre les intérêts de la France à l’Angleterre et à l’Autriche, mort le 10 août 1723 d’un abcès à la vessie imputé à une maladie vénérienne (Saint-Simon, t. VII, p. 89, 765 ; t. VIII, p. 581, 592-594), événement permettant de dater ce passage (voir ci-dessus, note 1). |
173 |
n5. |
Le « roy de Sicione » désigne Louis XIV ; allusion au siège de Turin de 1706 : voir Lettres de Xénocrate à Phérès [1724], OC, t. 8, p. 304. |
173 |
n6. |
Début interrompu du développement sur l’esclavage ci-après. |
174 |
n1. |
Justinien, Institutes, liv. I, titre 3, § 2-4 (Catalogue, nº 710-718 ; EL, XV, 2, note (a)). Cet article constitue un état préparatoire d’un chapitre de L’Esprit des lois (De l’esprit des loix (manuscrits), II, OC, t. 4, p. 377-379 [secrétaire H, 1741-1742]), auquel renvoient les notes de régie en marge (« Mis dans les loix »), transcrites par la même main. Sur les arguments des jurisconsultes, voir Céline Spector, « “Il est impossible que nous supposions que ces gens-là soient des hommes” : la théorie de l’esclavage au livre XV de L’Esprit des lois », Lumières, nº 3, 2004, p. 15-51 ; Jean Ehrard, Lumières et Esclavage, Paris, André Versaille, 2008, p. 145 et 154-155. |
174 |
n2. |
Montesquieu reviendra sur cette conséquence mal fondée : il est faux de tirer du droit d’anéantir une société celui de tuer et d’asservir les hommes qui la composent (EL, X, 3 ; voir aussi la lettre à Grosley du 8 avril 1750, Masson, t. III, p. 1293). Sa position tranche avec celle de nombreux philosophes modernes, comme Grotius, Hobbes et Pufendorf, qui admettaient un esclavage fondé sur la convention ou le droit de tuer pendant la guerre (Robert Derathé, Jean-Jacques Rousseau et la science politique de son temps, Paris, J. Vrin, 1988, chap. IV, § 3, p. 192-207). |
174 |
n3. |
Justinien, Institutes, liv. I, titre 8, § 1. |
174 |
n4. |
Cf. EL, XV, 5. |
174 |
n5. |
Cf. nº 2194 ; EL, XV, 13. |
175 |
n1. |
Le fait, repris dans L’Esprit des lois pour illustrer l’une des origines de l’esclavage (XV, 4), est évoqué par Jean-Baptiste Labat dans ses Nouveaux voyages aux îles de l’Amérique […] (Paris, G. Cavelier, 1722, t. IV, chap. 7, p. 114 – Catalogue, nº 2746). |
176 |
n1. |
Cf. De l’esprit des loix (manuscrits), II, OC, t. 4, p. 376, l. 1-3 (secrétaire H, comme la note ici en marge) ; EL, XV, 1. |