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Pensées 266 à 270

M :Montesquieu 1726/1727-1755.
D :Bottereau-Duval 1718-1731.
E :1734-1739.
U :1739.
H :1741-1742.
J :1742.
K :1742-1743.
F :1743.
I :1743.
L :1743-1744.
O :1745-1747.
P :Damours 1748-1750.
Q :1750-1751.
R :Saint-Marc 1751-1754.
S :1754-1755.
V :1754.
JB :Jean-Baptiste Secondat ?-1795.
T :écriture des manchettes 1828-1835

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M : Montesquieu.
D : Bottereau-Duval_1721-1731.
H : 1741-1742.
P : Damours_1748-1750.
E : 1734-1739.
L : 1742-1744.
O : 1745-1747.
T : écriture des manchettes
JB : Jean-Baptiste_Secondat.
J : 1742.
K : 1742-1743.
F : 1743.
E2 :
I : 1743.
R : Saint-Marc_1751-1754.

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Pensées, volume I

266

Il

Faire une ville juive

faudroit faire une ville juive sur la frontiere d’Espagne dans un lieu propre pour le comerce come a St Jean de Lus ou a Cybourre[1]. Ils y passeroint en foule et acheveroint de porter toutes les richesses qu’ils ont dans ce royaume, leur doner seulement les memes privileges qu’ils ont a Ligourne[2] ou meme plus si on vouloit :

Main principale M

267

{p.279} Nous avons l’air d’estre hureux et nous ne le sommes pas c’est un faux air :

Main principale M

268

{p.280}

Du Portugal

Je devrois estre icy bien content je ne trouve que des gens plus laids que moy

Portugal

Le climat est fait en faveur des femes et les femmes semblent estre faittes contre le climat pour moy avec des dispositions nouvelles pour devenir libertin je suis presque devenu devot, rien n’approche d’une PoxxxPortugaise pour inspirer le detachement les anges se rejouissent lors qu’un Francois est auprés d’une Poxxx elles ont des remedes pour conserver leur beauté qu’Ovide n’a point dictés et que l’amour n’approuva jamais, voila le beau sexe juges de l’autre on peut juger de l’autre si vous avés este marquée par la grace venés icy je me serois il n’y a pour les femmes de vrais predicateurs que les vilains homes et nous excellons icy dans cette facon de convertir, qu’une devote est hureuse madame dans ce pais ci, point d’occasion[1] a fuir point de revolte a creindre {p.281} il faut estre sauvé meme malgré qu’on en ait venés donc mais si vous y venies il seroit bientost changé pour moy et j’y perdrai touts les avantages que vous y pourriés trouver. Je me pleindrois bientôt d’estre aussi port poxxx pour vous

Main principale M

269

Ce

Espag.

qui fait que les marchands anglois francois et autres ont perdu dans le comerce du Bresil les annees depuis 1723 jusqu’en 1730 c’est que l’Espagne a deffendu le transport des piastres de Potosi a Buonos Aires on leur envoyoit des marchandises au Bresil pour les faire passer par Buonos Aïres dans l’Amerique mais come elles n’y trouvoint point d’argent l’Espagne ayant fait pendre quelques marchants qui contre les ordonances avoint fait passer des piastres par le continent au lieu de les faire passer par Panama et Porto Bello les marchands d’Europe qui ont eu des marchandises a Buonos Aires ont trouve le pais denué d’argent[1].

Main principale M

270

{p.282}

Trieste

Je suis fermement persuadé que l’empereur pourroit faire par Trieste le comerce des Indes orientales a beaucoup moins de frais que les autres nations d’Europe[1] il faudroit qu’il eut des mains du Turc par echange achat ou autrement Ercokko ou Quoquen[2]ou une autre place sur mer Rouge de celles qu’il qu’il a conquis sur les Abissins ou quelque autre place sur la mer Rouge qui fut le centre de son comerce entre l’Oriant et l’Occident, sinon Sués[3] suffiroit parce que l’empereur par ses forces en Occident est en estat de se faire respecter en Orient et d’obtenir les meilleures capitulations[4] qu’aucun prince de l’Europe et meme le traité de Carlovits Passarovits[5] lui donne assez d’avantages il faudroit seulement stipuler une diminution ou extinction de droits pour les marchandises qui ne se consomeroint point en Turquie et passeroint de bout[6] pour aller a Trieste Naples Sicille Italie :
{p.283}

Abyssins

Il faudroit que l’empereur tachat de faire un traité de comerce avec l’empereur des Abissins et s’ouvrit pour ainsi dire une entrée dans ce grand empire dont les autres nations ne font le comerce que d’une maniere indirecte car il est difficille de faire de grands profits dans le comerce fait concurrament avec les Anglois et les Holandois
Ce qui a fait que le comerce fait par le cap la route du cap de Bone Esperance a paru plus avantageuse c’est que pour lors une seule nation qui estoit la venitienne faisoit ce comerce ce qui faisoit qu’elle vendoit au prix qu’elle vouloit qu’elle n’acheptoit pas de la premiere main qu’elle souffroit mille avanies des Turcs beaucoup plus barbares et beaucoup moins timides qu’aujourd’hui
Ce ne peut estre la comodité et facilité du transport qui a ruiné le comerce des Indes par l’Egipte car les marchandises et la difficulté de l’isthme de Sués car ce trajet est si court qu’il n’a pas pu faire une si prodigieuse difference d’autant mieux qu’on transporte encore par Bassora  {p.284}

Commerce

des marchandises d’Oriant a Smirne des Indes a Alep Alep ce qui fait une distance prodigieuse par terre.
Les Isles des epiceries[7], les tributs que les Portugais exig[e]oint des princes de l’Inde avec les quels ils fixoint les conditions arbitraires qu’ils mettoint dans le comerce avec les Indiens l’exclusion presque universelle qu’ils leur donnoint de la navigation, les droits qu’ils levoint lors qu’ils navigoint les immenses profits du comerce du Japon les epiceries qui leur donnoint tenoint lieu d’arg[e]ant pour les achapt qu’ils faisoint aux Indes qui leur coutoint peu qu’ils leur vendoint au prix qu’ils vouloint firent absolument tomber le comerce des Indes par l’Egipte, et come les Portuga Holandois ont succedé aux maximes et a la puissance des Portugais c’est encor ce qui leur donne et leur donera la superiorité dans le comerce sur les autres nations soit qu’elles fassent le comerce par la voye de l’Egipte ou celle du cap de Bone Esperance
{p.285} Come les Holandois sont obliges d’entretenir de grands grand nombre de forteresses beaucoup de forces de terre et de mer leur comerce aux Indes n’est pas a beaucoup pres si lucratif qu’il pourroit estre d’autant mieux que pour degouter ruiner le comerce des autres nations ils font souvent des pertes volontaires qui font que eux ny et les autres ne tirent pas de leur comerce tout l’avantage qu’ils en pourroint tirer. Avec tout cela les Holandois font de tres grands proffits et les autres nations en font de tres grands aussi
On croit pouvoir assurer que la depense seroit beaucoup moindre par le detroit l’Egipte que par le cap de Bone Esperance tant le tour de l’Affrique il faudroit avoir est long a faire tant on est arresté par les vens alisés tant une longue navigation fait perir de matelots
Enfin le comerce par a Trïeste est bien autrement avantageux qu’a Ostande par la facilité de distribuer les retours en Italie et dans les pais hereditaires.
On pourroit aisement porter les marchandises {p.286} des pais autrichiens a Alexandrie ou Liv meme Trieste.
Peut estre il faudroit il tacher d’avoir un entrepot la au dela du detroit de Babel Mendel[8] affin de deposer les marchandises lors que le detroit est difficille a passer.
Dans l’entrepot qui seroit choisi deca ou dela le detroit il y auroit des petits vaisseaux legers toujours occupes d’aller du lieu de l’entrepo la mer Rouge aux Indes et revenir des Indes a la mer Rouge come aussi pour aller du lieu de l’entrepot a Sués et de Sués au lieu de l’entrepot.

- - - - -

Je ne dis pas que ceci fut impossible pour quelque autre puissance, mais cela ne l’est pas pour l’Empereur a qui Trieste est absolument inutile. Il n’y a ni hommes ni marchandises a Trieste ou dans tous ces paÿs là et il faudroit faire un trajet immense par terre pour mener les marchandises et en raporter d’autres.

Main principale M


266

n1.

Ciboure, port de pêche situé sur le golfe de Gascogne, dans la baie de Saint-Jean-de-Luz.

266

n2.

Ligourne ou Livourne comptait plus de quatre mille juifs, en particulier des courtiers, disposant de privilèges uniques. Dispensés des marques distinctives, comme le chapeau jaune qu’on les contraignait d’adopter ailleurs en Italie, ils pouvaient se vêtir de façon luxueuse et observer leurs pratiques religieuses (Thomas Corneille, Dictionnaire universel géographique et historique, Paris, J.-B. Coignard, 1708, art. « Ligourne » ; Jacques Savary des Bruslons, Dictionnaire universel de commerce, [Amsterdam], Jansons, 1726-1732, t. I, p. 995).

268

n1.

Occasion : au sens galant ou libertin, fréquent au XVIIIe siècle, de « moment » favorable à une surprise des sens.

269

n1.

L’argent de Potosi devait être officiellement acheminé vers la mer des Antilles à Panama, puis à Porto Bello. Dès le XVIe siècle, malgré les interdictions des autorités espagnoles, le métal est dérouté clandestinement vers l’Atlantique et Buenos Aires (Fernand Braudel, « Du Potosi à Buenos Aires : une route clandestine de l’argent », Annales. Économies, sociétés, civilisations, vol. 3, nº 4, 1948, p. 546-550).

270

n1.

En 1719 Trieste est proclamé port franc par l’empereur d’Autriche Charles VI qui y crée la Compagnie impériale orientale. D’autres instructions impériales en 1725 tenteront de développer l’activité du port et de concurrencer Venise (Jean Georgelin, Venise au Siècle des Lumières, Paris, Mouton, 1978, p. 101 et suiv.). A l’occasion de sa visite de la Sérénissime en 1728, Montesquieu remarquera : « L’Empereur veut un port : Tryeste ne vaut rien » (Voyages, p. 108).

270

n2.

Erquicco, Arquicco, Ercocca, Ercoco : port abyssin sur la côte occidentale de la mer Rouge, au sud de Massaouah, dont s’emparèrent les Turcs ottomans en 1577 ; Quoquen ou Suâkin aux noms très variables (Cuaquem, Soachem, etc.), île à l’ouest de la mer Rouge, capitale de la côte d’Abex et port d’où les Turcs contrôlaient la mer Rouge ; le lieu (Suaken) est mentionné par Bernier dans ses Voyages dont Montesquieu a fait un extrait (Geographica, p. 344, l. 507). La région, Nouvelle Arabie, avait été décrite par Olfert Dapper (Description de l’Afrique contenant les noms, la situation et les confins de toutes ses parties, leurs rivières, leurs villes et leurs habitations, leurs plantes et leurs animaux, les mœurs, les coutumes, la langue, les richesses, la religion et le gouvernement de ses peuples, Amsterdam, Wolfgang, Waesberge, Boom & Van Someren, 1686, p. 406-408 et carte, entre les p. 410 et 411).

270

n3.

Le port de Suez.

270

n4.

Les Capitulations étaient des conventions de commerce passées par les puissances commerciales européennes avec l’empereur ottoman ; voir Jacques Savary des Bruslons, Dictionnaire universel de commerce, [Amsterdam], Jansons, 1726-1732, t. I, art. « Commerce du Levant », p. 999 et suiv.

270

n5.

Le traité de Passarowitz (juillet 1718), passé entre le sultan Achmet, l’empereur d’Autriche et la république de Venise, concédait aux marchands autrichiens la liberté de commercer dans les territoires ottomans (Christophe-Guillaume de Koch, Histoire abrégée des traités de paix entre les puissances de l’Europe depuis la Paix de Westphalie, Bruxelles, Meline, Cans et Compagnie, 1838, t. IV, p. 374).

270

n6.

« Sans payer aucun droit » (Académie, 1694, art. « Debout »).

270

n7.

Toutes les îles des Indes orientales d’où proviennent les épices, « comme la cannelle, la muscade, le poivre, mais encore le sucre, le miel & toutes les drogues medicinales » (Académie, 1718, art. « Espicerie »).

270

n8.

Aujourd’hui Bâb Al-Mandab ou Bab El-Mandeb. Le lieu (« Bebel Mandel ») est mentionné dans l’extrait qu’a fait Montesquieu des Voyages de Bernier (Geographica, p. 343, l. 469 ; p. 344, l. 508) ; voir aussi Olfert Dapper, Description de l’Afrique contenant les noms, la situation et les confins de toutes ses parties, leurs rivières, leurs villes et leurs habitations, leurs plantes et leurs animaux, les mœurs, les coutumes, la langue, les richesses, la religion et le gouvernement de ses peuples, Amsterdam, Wolfgang, Waesberge, Boom & Van Someren, 1686, p. 408.