Pensées, volume I

{p.426} Je ne voudrois pas que l’on allat prêcher les Chinois car avant car come il faut leur faire voir la fausseté de leur religion ils sont mauvais citoyens avant que l’on puisse les faire chretiens^[1] :

Les deuils introduits ches touttes les nations font bien voir qu’on suppose toujours que les homes cherchent a se faire aimer.

Quelle idée pour un prince mourant de penser que son malheur va faire la felicité publique

Cette idée fait si bien le desespoir des tirans que plusieurs pour empecher que le jour de leur mort ne fut un jour de joye ont ordoné que l’on exterminât ce jour la une partie de leur peuple affin d’empecher que l’autre ne put se rejouir.

{p.427} Ordinairement on eleve mal les princes, parce que ceux a qui on confie leur education sont eux memes ennivrés de leur grandeur ils ne peuvent leur font donc leur faire sentir ce qu’ils ne sentent pas eux memes, quand on dit a un prince qu’il doit estre humain, on le lui prouve par la plus mauvaise raison qui est qu’il lui est utille de se faire aimer, de façon que s’il arrive, ce qui n’est pas rare, qu’ils méprisent asses un home pour ne pas se soucier de lui plaire, ils ne seront plus humeins. Il faut donc les ramener en meme temps aux grands principes de la relligion, de la societe, de l’egalité naturelle, de l’accident de la grandeur, et de l’engagement ou ils sont de rendre les homes hureux :

{p.428} Il est bon que vous scachies, o princes, que dans les démêlés que ceux qui exercent votre authorité ont avec vos sujets ils ont ordinairement tort : le peuple naturellement craintif et qui a raison de l’estre, bien loin de songer a attaquer ceux qui ont votre puissance dans les mains a meme de la peine a se determiner a se pleindre