Pensées, volume I

Les Romains faisoint graver sur leurs anneaux des figures qu’ils croyoint avoir de certeines vertus particulieres. S’ils vouloint se faire aimer ils y mettoint les graces[,] une gorgone s’ils vouloint se faire creindre ; pour se mettre a l’abry des accidents ils portoint la figure de l’empereur ; aussi ils prenoint un des grands exemples qu’il y ait eû sur la terre de l’inconstance de la fortune, come un type ou meme une cause de son immutabilité. Voy ce que j’ay mis dans mes relations sur l’Italie^[1] :

Les Asiatiques ne regardent la chasteté des femmes que come l’impuissance de faillir^[1] :

La creinte ajoute a nos peines come les desirs ajoutent a la jouissance a nos plaisirs.

On disoit de Calligula qu’il n’y avoit jamais eu un meilleur esclave ny un plus mechant maitre cela est naturel la meme disposition d’esprit qui fait qu’on est frapé de la puissance illimitée de celui qui comande fait qu’on en est frapé lors qu’on comende soy meme : ^[1]

{p.477} Deux chef d’œuvre la mort de Cæsar dans Plutarque et celle de Neron dans Suetone dans l’une on a on comence par avoir pitié des conjurés qu’on voit en péril et de Cæs ensuite de Cæsar qu’on voit assassiné. Dans celle de Neron on est etoné de le voir obligé par degrés de se tuer sans aucune cause qui l’i contreigne, et cependant de façon à ne pouvoir l’éviter^[1] :