Afficher Masquer
Passages biffés :
Sauts de pages :
Changements de mains :
Mots clés en marge
(main T) :
DistinguerIntégrer
Corrections du transcripteur :

Fermer

Accueil|Présentation du projet|Abréviations|Introductions|Texte|Index

Français|English Contacts

Volume I|Volume II|Volume III|Citer le texte et les notes| Écritures|Affichage

Pensées 1676 à 1680

M :Montesquieu 1726/1727-1755.
D :Bottereau-Duval 1718-1731.
E :1734-1739.
U :1739.
H :1741-1742.
J :1742.
K :1742-1743.
F :1743.
I :1743.
L :1743-1744.
O :1745-1747.
P :Damours 1748-1750.
Q :1750-1751.
R :Saint-Marc 1751-1754.
S :1754-1755.
V :1754.
JB :Jean-Baptiste Secondat ?-1795.
T :écriture des manchettes 1828-1835

Fermer

M : Montesquieu.
D : Bottereau-Duval_1721-1731.
H : 1741-1742.
P : Damours_1748-1750.
E : 1734-1739.
L : 1742-1744.
O : 1745-1747.
T : écriture des manchettes
JB : Jean-Baptiste_Secondat.
J : 1742.
K : 1742-1743.
F : 1743.
E2 :
I : 1743.
R : Saint-Marc_1751-1754.
Q : 1750-1751.
S : 1754-1755.
V : 1754.

Fermer

Pensées, volume III

1676

{f.27r} Je disois qu’il etoit tres naturel

Chaine des etres

de croire qu’il y avoit des intelligences superieures à nous, car en suposant la chaine des creatures que nous connoissons et les differents degrés d’intelligence depuis l’huitre jusqu’à nous[1], si nous faisions le dernier chainon cela seroit la chose la plus extraordinaire, et il y auroit toujours à parier deux trois, quatre cent mille, ou millions contre un que cela ne seroit pas, et que parmi les creatures ce fut nous qui eusions la premiere place, et que nous fusions la fin du chainon, et qu’il n’y a point d’etre intermediaire entre nous et l’huitre qui ne put raisonner comme nous. Il est vray que nous sommes les premiers parmi les etres que nous connoissons, mais quand {f.27v} nous en concluons que nous sommes les premiers des etres nous triomphons de notre ignorance et de ce que nous ne connoissons pas la communication de notre globe à un autre, ni même tout ce qui existe dans notre globe. Mr de Fontenelles a la dessus une tres jolie idée, il dit qu’il peut etre que les intelligences qui ont donné occasion a toutes les histoires de communication avec les etres inconnus ne peuvent pas vivre longtems dans notre globe, et qu’il en est comme des plongeurs qui peuvent aller dans la mer, et ne peuvent pas vivre dans la mer. Ainsi la communication avec les esprits æriens par exemple aura èté courte, elle aura eté rare mais elle aura eté faite quelquefois

- - - - -

Main principale P

1677

{f.28r} Dans une conversation entre Mr de Fontenelles

Pureté impureté des corps

Mr Iorck[1] et moy, Mr de Fontenelles me demandä d’expliquer l’origine de l’idée de la pureté et de l’impurté des corps qui portoient une souillure sur l’ame, voicy l’explication que je donnay. L’origine de la purté et de l’impurté des choses vient de ce qu’il est naturel d’avoir eu de l’aversion pour les choses desagreables a nos sens. La boüe, un corps mort, un chien, les mois des femmes, tout cela nous a du nous paraitre souiller le corps de ceux qui le touchoient, or dans un le dans des tems, ou l’on n’avoit guêres d’idée de la nature de l’ame, et de la distinction reelle avec le corps, distinction qui n’a èté guêres bien etablie que depuis Descartes, on {f.28v} pouvoit naturelement croire que ce qui souilloit le corps, souilloit aussi l’ame, et metoit l’etre qui etoit touché à une espéce d’etat de peché, et le rendoit desagreable à Dieu, comme la souillure nous rendoit desagreable les uns aux autres, mais quand l’ame à èté bien distinguée du corps, on a bien vu qu’il n’y avoit que le corps qui etoit souillé.
L’idée de Mr de Fontenelles est differente, et elle est tres ingenieuse, si elle n’est pas solide. Il dit que cela vient de ce que les meurtriers etoient ordinairement tachés de sang, que dans les premiers tems ou les hommes {f.29r} etoient habillés de peau, il falloit beaucoup laver pour effacer le sang, que ceux qui etoient impurs, c’est a dire tachés de sang etoient des meurtriers et que les hommes s’acoutumerent à lier ces deux idées, du crime et de la souillure, et passerent ainsi d’une idée à l’autre.
On parla ensuite des sacrifices

Sacrifices

, et je dis que l’idée des sa[c]rifices venoit de ce que Dieu etant maitre de tout on ne peut luy rien donner qu’en se privant. Mr Yorc dit que cette idee venoit des sacrifices humains que l’on avoit cru qu’un home pouvoit prendre sur lui touts les pechés des autres et qu’on avoit ensuite cru que les bettes que l’on sacrifioit s’en charg[e]oint de meme je croy aussi que l’on a pu croire que des divinites se plairoint a l’odeur du sang des victimes et de leur chair brulée et de leur fumée :

- - - - -

Main principale P

1678

{f.29v} Espagne

Patino[1] a fait une sotise c’est de mettre toutes ces forces de mer a Cadix, cela couta plus : les matelots de Biscaye, et de Catalogne ont deux cent lieües avant d’arriver chez eux depuis qu’ils sont debarqués, le roy de France n’a pas tous ses vaisseaux dans un seul port.

- - - - -

Main principale P

1679

L’air est tres mauvais a Madrid

Madrid

il se dépeuple continuelement, il se repeuple de même par les etrangers qui y viennent. Les accouchemens n’y sont guêres heureux, les femmes font de fausses couches et meurent, il n’y a guères que deux enfans par famille, en Italie trois, dans les pays plus septentrionaux quatre.

Main principale P

1680

{f.30r} Ovide

Ovide

Ovide

dans les Fastes fait raconter par Lucrece a ces[1] parents l’attentat de Tarquin, lorsqu’elle vient a son crime, le poëte dit

Infr. p 367

.

Cætera restabant voluit, cum dicere flevit,

Et matronales erubuere genæ[2].

J’ay ouy critiquer ces deux vers de deux manieres, les uns veulent que ce dernier vers soit inutile et ne fasse qui qu’affoiblir, les autres disent que l’ordre des choses est troublée et qu’il falloit mettre la rougeur avant les pleures, et moy je dis que ces deux vers sont admirables et peut etre les plus baux qu’Ovide ait faits, et que de quelque maniere qu’il les tournat ils auroint eté moins beaux, si le poete avoit prevenu l’une ou l’autre de ces critiques, quandt a la premiere je diray qu’il y à plusieurs sources de beauté par raport aux ouvrages d’esprit, qu’il faut bien distinguer, et qu’il ne faut {f.30v} point faire dependre une pensée d’un genre de beauté, lorsqu’elle depend d’un autre. Il est vray qu’il y à des occasions ou la beauté de la pensée consiste dans la brievetê, le qu’il mourut du viel Horace[3], le mo moy de Medée[4], ont une beauté qui depend de la brieveté par la raison qu’il s’y agit d’une action forte et d’un moment ou l’ame est dans une espece de transport, et ou elle exprime tout en un moment parce que l’ame semble n’avoir qu’un moment a elle parce qu’elle est hors d’elle meme, le discours doit etre impetueux, parce que l’ame est impetueuse, mais mais icy il s’agit de la douleur de Lucrece d’une passion lente et sourde, et d’une passion que l’on decrit, et d’un etat de l’ame qu’en que l’on peint, et la il n’a pas sufi de faire pleurer Lucrece, il a falu la {f.31r} la faire rougir, on est trop frapé de ce genre de beauté qui fait qu’on desire que tout finisse en epigrame, tout ne doit pas finir en epigrame icy l’epigramme n’est point dans les derniers [un début de mot biffé non déchiffré] mots, si on veut une epigrame elle est dans le tout.
A l’egard de ceux qui disent que l’ordre est troublé, il ne l’est point du tout parce qu’il ne pouvoit etre autrement. Le pöete à à peindre l’etat de Lucrece, il est admirable en ce que dez qu’elle arrive au detail qui luy parait le plus affreux elle ne peut plus parler, elle pleure le poëte avoit donc deux choses a faire de peindre l’etat de Lucrece et toutes les impressions que la douleur faisoit sur elle, Lucrece s’arrete {f.31v} lorsqu’elle est venue a l’idée la plus affreuse, et elle se met à pleurer c’est ce que le poëte a du d’abord exprimer soit que la rougeur ait precedé les pleures, soit que les pleures aient suivi la rougeur, soit, ce qui est beaucoup plus dans la nature que la rougeur et les pl[e]ures aient eté excitées en meme tems, or icy le poete n’a point du suivre l’ordre qui fairoit commancer par l’expression la plus foible qui pou pour aller a l’expression la plus forte, il faut suivre non pas l’ordre de la la chose mais l’ordre de la pensée, Ovide aiant a faire taire Lucrece à du commancer par la faire pleurer, parce que ce sont les pleurs et non pas la rougeur qui l’ont empeschée de parler, l’ordre des choses {f.32r} doit etre pris de la, Lucrece devoit necesairement rougir et le poëte devoit le dire, mais il ne devoit ny ne pouvoit le dire qu’apres ; ces deux emotions du meme instant ont, dans ce cas particulier cy, un ordre particulier. Me Changez l’ordre et metez, « il falloit dire le reste, mais lorsqu’elle voulut parler elle rougit et pleura », toute la pensée est gatée, lorsqu’elle voulut parler elle rougit l’effet de la rougeur n’est pas d’empescher de parler, ce sont les pleures qui ont cet effet, il faut donc necesairement commancer par arreter ses discours par ses sanglots ; mais la pinture demande que le poëte décrive la rougeur de Lucrece, et il le fait par le plus beau vers du monde.
e Et matronales erubuere genæ.

Main principale P


1676

n1.

Montesquieu utilisera l’exemple de l’huître pour illustrer le sentiment du bonheur selon la hiérarchie des êtres dans une réponse à Mme du Deffand qui prétendait que « rien n’est heureux, depuis l’ange jusqu’à l’huître » (lettre d’octobre [1753], Masson, t. III, p. 1475).

1677

n1.

Charles Yorke (voir nº 1645) fréquenta Fontenelle, l’abbé Sallier et Montesquieu lors de ses séjours à Paris, mentionnés dans des lettres de 1751 et 1753 (Masson, t. III, p. 1381, 1458).

1678

n1.

José Patiño Rosales (1666-1736), intendant général de la Marine espagnole, réorganisa cette dernière et développa le port de Cadix.

1680

n1.

Lire : ses.

1680

n2.

Cf. nº 1474 et 2180.

1680

n3.

Corneille, Horace, III, 6, v. 1021.

1680

n4.

Corneille, Médée, I, 5.