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Volume I|Volume II|Volume III|Citer le texte et les notes| Écritures|Affichage

Pensées 882 à 886

M :Montesquieu 1726/1727-1755.
D :Bottereau-Duval 1718-1731.
E :1734-1739.
U :1739.
H :1741-1742.
J :1742.
K :1742-1743.
F :1743.
I :1743.
L :1743-1744.
O :1745-1747.
P :Damours 1748-1750.
Q :1750-1751.
R :Saint-Marc 1751-1754.
S :1754-1755.
V :1754.
JB :Jean-Baptiste Secondat ?-1795.
T :écriture des manchettes 1828-1835

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M : Montesquieu.
D : Bottereau-Duval_1721-1731.
H : 1741-1742.
P : Damours_1748-1750.
E : 1734-1739.
L : 1742-1744.
O : 1745-1747.
T : écriture des manchettes
JB : Jean-Baptiste_Secondat.
J : 1742.
K : 1742-1743.
F : 1743.
E2 :
I : 1743.
R : Saint-Marc_1751-1754.

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Pensées, volume II

882

{f.5r} Êtant a Milan a diner chez Mr le prince Trivulce[1] un Italien dit qu’il n’avoit aucune estime pour l’architecture françoise, Mr le comte Archinto[2] me dit Mr vous ne dites rien sur ce que Mr vient d’avancer, je lui repondis Mr c’est qu’il est impossible de repondre a une proposition pareille, Mr dit qu’il n’estime point l’architecture françoise et cela signifie qu’il n’estime point l’architecture, car l’architecture françoise est la même que l’italienne, et celle de toutes les autres nations, elle consiste partout dans les cinq ordres, aux proportions desquelles les François n’ont augmenté ni diminué ; et a cet egart ils ne meritent ni loüange ni blame, et si je disois a Mr que je n’estime point [mot biffé non déchiffré] la geometrie italienne il feroit fort bien de ne me pas repondre non plus.
C’est pour vous dire mon cher president[3] que les anciens ont decouvert que le plaisir que l’on a lorsqu’on voit un batiment est causé par de certaines proportions qu’ont entr’eux les differents membres d’architecture qui le composent

Ordres architecture

. Ils ont trouvé qu’il y avoit cinq differentes sortes de proportions qui excitoient ce plaisir et ils ont appellé cela ordres. Quand la colone a eu de hauteur sept de ses diametres ils ont appellé cela ordre toscan : quand elle en a eu huit, ils ordre dorique, quand elle en a eu neuf ordre ionique, dix ordre corinthien, et on peut dire qu’il n’y {f.5v} a que quatre ordres parce que le composite a presque les mêmes proportions que le corinthien et ne differe qu’en ce que l’on rend sa colonne et ses autres membres plus deliés encore[4]
Quelques ornemens que l’on mette a ces ordres quelque deguisement que l’on y fasse cela ne les change jamais mettés sur chapiteaux c le chapiteau corinthien des feüilles de chesnes au lieu de feüilles d’achante cela sera toûjours l’ordre corinthien parce que ses proportions seront selon l’ordre corinthien
Cela fait qu’il est impossible de changer les ordres, d’en augmenter le nombre ou le diminuer, parce que ce ne sont pas des beautés arbitraires qui puissent être supplées par d’autres, cela est pris dans la nature et il me seroit facile d’expliquer la raison phisique de ceci et je le ferai quelque jour.

- - - - -

Comme on doit être

Main principale E

883

{f.6r} Comme on doit être fidele a sa patrie on doit l’être a son prince ou aux magistrats qui la gouvernent.
L’autorité des princes et magistrats n’est pas seulement fondée sur le droit civil elle l’est encor sur le droit naturel

Anarchie

car comme l’anarchie est contraire au droit naturel le genre humain ne pouvant subsister par elle il faut bien que l’autorité des magistrats qui est opposée a l’anarchie y soit conforme.
Ce qui fait la force de l’autorité des princes c’est que souvent on ne peut empêcher le mal qu’ils font que par un plus grand mal encor qui est le danger de la destruction

Destruction

.

- - - - -

Main principale E

884

De la liberté politique[1]

Ce mot de liberté[2]

Liberté politique

dans la politique ne signifie pas a beaucoup prés ce que les orateurs et les poëtes lui font signifier : ce mot n’exprime proprement qu’un raport et ne peut servir a distinguer les differentes sortes de gouvernement car l’êtat populaire est la liberté des {f.6v} personnes pauvres et foibles et la servitude des personnes riches et puissantes et la monarchie est la liberté des grands et la servitude des petits.
Ainsy a Rome le gouvernement monarchique fut pleuré par les enfans du consul même qui avoit établi le gouvernement de plusieurs[3] et lorsque les Romains donnerent la liberté a la Macedoine ils furent contraints d’en exiler les nobles avec autant de soin que le roi même.
Et il ne faut pas croire que la noblesse de Suisse et d’Hollande s’imagine être bien libre car le mot de noblesse

Noblesse

entraine avec lui des distinctions réelles dans la monarchie et chimeriques dans l’êtat républicain.
Aussi la noblesse angloise s’ensevelit elle avec Charles premier sous les ruines du throne et avant cela lorsque Philipe second fît entendre aux oreilles des Francois les mot de liberté la couronne fut toujours soutenüe par cette noblesse qui tient a honneur d’obéir a un roi mais qui regarde comme la souveraine infamie de partager la puissance avec le peuple[4]

Mis dans les Loix

.
Ainsy quand dans une guerre civile on dit qu’on {f.7r} combat pour la liberté ce n’est pas cela. Le peuple combat pour la domination sur les grands et les grands combattent pour la domination sur le peuple
Un peuple libre

Libre

n’est pas celui qui a une telle ou une telle forme de gouvernement ; c’est celui qui joüit de la forme de gouvernement établie par la loi et il ne faut pas douter que les Turcs ne se crussent esclaves s’ils êtoient soûmis par la republique de Venize et que les peuples des Indes ne regardent comme une cruelle servitude d’être gouvernés par la compagnie de Hollande[5].
De la il faut conclure que la liberté politique concerne les monarchies moderées comme les republiques, et n’est pas plus eloignée du thrône que d’un senat ; et tout homme est libre qui a un juste sujet de croire que la fureur d’un seul ou de plusieurs ne lui oteront pas la vie ou la proprieté de ses biens.
Comme dans une monarchie corrompue

Republique

les passions du prince peuvent devenir funestes aux particuliers dans une republique corrompüe la faction qui domine peut être aussi furieuse qu’un prince en colere {f.7v} et on peut voir la dessus le beau passage de Thucidide sur l’etat de diverses republiques de Grece[6].
Il est vrai que les maux de la republique corrompue sont passagers a moins qu’elle ne se change comme elle fait souvent en monarchie corrompue au lieu que les maux de la monarchie corrompue ne finissent jamais.

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Main principale E

885

Gouvernemens despotiques

Despotisme

. Ce n’est qu’a force de philosophie qu’un homme sensé peut les soutenir et qu’a force de préjugés qu’un peuple peut les suporter.
Ces sortes de gouvernemens sont destructifs d’eux mêmes chaque jour les mene dans la decadence et la il n’y a presque point de milieu entre l’enfance et la vieillesse
Il seroit plus difficile a l’empereur de conquerir les êtats du depouiller de ses etats le duc de Parme[1] qu’il ne l’a êté a Miriveis[2] avec dix ou douze mille voleurs de detruire le formidable empire de Perse.
{f.8r} La capitale a êté assiegée les seuls bourgeois l’ont deffendüe et de toute cette puissance l’heritier presomptif n’a pû amener que deux ou trois mille hommes a son secours.

- - - - -

Main principale E

886

Les princes qui n’ont point aimé la guerre ont cherché a se distinguer par un autre talent qui est le cabinet

Cabinet

et la fourberie[1] car il y a peu de gens qui ayent le bon esprit de mettre leur merite personnel dans la vertu la franchise et le courage

- - - - -

Main principale E


882

n1.

Le dîner a lieu fin septembre 1728. Sur ce séjour à Milan et sur le prince Trivulce, Antonio Tolomeo Gallio Trivulzio (1692-1767), voir les Voyages (p. 161-162,165-166) et Correspondance I, p. 380.

882

n2.

Le comte Carlo Archinto (1669-1732), chevalier de la Toison d’or (Voyages, p. 163), protecteur des lettres, fonda la Société palatine, destinée à l’édition d’ouvrages savants.

882

n3.

Peut-être le président Barbot, membre de l’académie de Bordeaux, ami et correspondant de Montesquieu (Correspondance I, p. 83, notes). Cet article serait un brouillon de lettre.

882

n4.

Jean Ehrard décèle ici l’influence de l’ouvrage d’Augustin-Charles d’Aviler, le Cours d’architecture qui comprend les ordres de Vignole […], publié en 1691 (Montesquieu critique d’art, Paris, PUF, 1965, p. 30-33). L’impression de 1720 par Mariette, avec les additions de Le Blond (Catalogue, nº 1698 ; nº 1716, même ouvrage sous le titre Architecture de Vignole), a été offerte par la comtesse Borromée à Montesquieu avant son départ de Milan (Correspondance I, lettre du 14 octobre 1728, p. 375).

884

n1.

Ce titre et celui des articles nº 934-935 témoignent d’un projet d’ouvrage issu d’une réflexion stimulée par le séjour en Angleterre (Shackleton, p. 221-233). L’idée clé de ces fragments – que la liberté politique, proprement comprise, ne concerne pas une seule sorte de gouvernement, mais les monarchies modérées comme les républiques –, déjà formulée plus haut (nº 751), réapparaîtra dans L’Esprit des lois (XI, 2-6). Sur le concept chez Montesquieu, voir Georges Benrekassa, Dictionnaire électronique Montesquieu, art. « Liberté » [en ligne à l’adresse suivante : http://dictionnaire-montesquieu.ens-lyon.fr/index.php?id=476].

884

n2.

Sur cette relativité sémantique, cf. EL, XI, 2.

884

n3.

Les fils de Lucius Junius Brutus faisaient partie des jeunes nobles aspirant au retour des Tarquins (Tite-Live, II, 3-4).

884

n4.

Paragraphe repris presque in extenso (EL, VIII, 9). « Philippe second » désigne Philippe Auguste.

884

n5.

La célèbre VOC (Vereenigde Oost-Indische Compagnie), fondée à Amsterdam en 1602, constituait un véritable empire commercial en Asie, les « Indes hollandaises ». Elle dirigeait d’une main de fer Batavia et les Moluques et disposait de pouvoirs régaliens dans ses comptoirs ; voir Mercenaires français de la VOC : la route des Indes hollandaises au XVIIe siècle, D. Van der Cruysse (éd.), Paris, Chandeigne, 2003, p. 8-21 ; Charles Ralph Boxer, The Dutch Seaborne Empire, 1600-1800, New York, Knopf, 1965.

884

n6.

Cf. nº 32.

885

n1.

Cf. nº 523. Malgré sa puissance, Charles VI, empereur d’Autriche, n’a pu empêcher la reconnaissance des droits dynastiques de l’infant Charles, devenu duc de Parme et de Plaisance en 1731, qui, au moment de la rédaction de cet article (après mars 1734), conquiert les Deux-Siciles.

885

n2.

Montesquieu attribue ici à l’Afghan Mir Vais, mort en 1715, le détrônement, en 1722, de Hussein, de la dynastie des Sofys, imputable en réalité à Mir-Mahmoud, le fils de Mir Vais (cf. nº 295). L’erreur se trouve dans le Spicilège (nº 302), reproduite dans L’Esprit des lois (III, 9 ; XVIII, 19, note (c)). Cet événement est raconté dans l’Histoire de la dernière révolution de Perse du père Du Cerceau (La Haye [Paris], Gosse et Neaulme [Briasson], 1728, t. II). Sur le lien entre l’histoire de la Perse et la réflexion sur le despotisme, voir Rolando Minuti, Dictionnaire électronique Montesquieu, art. « Perse » [en ligne à l’adresse suivante : http://dictionnaire-montesquieu.ens-lyon.fr/index.php?id=418].

886

n1.

Cf. nº 7.