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Chapitre 4 – Gens de Rigny

4.1 Les pratiques funéraires (750-1865)

Elisabeth Zadora-Rio, Henri Galinié, Marie-Laure Sénégas, Christian Theureau avec Mélanie Fondrillon, Marie-Christèle Martineau, Sylvia Nieto, Agata Poirot, Xavier Rodier, Pascale Souvant

 

1Avant d’aborder la transformation des modes d’inhumation au cours des onze siècles d’utilisation funéraire du site, il faut évoquer les difficultés d’identification de certains usages, particulièrement en contexte paroissial.

Inhumations en pleine terre ou inhumations en contenant de bois assemblé sans clous

2L’inhumation en pleine terre, tout comme l’inhumation dans un contenant de bois (coffrage ou cercueil), ont été pratiquées, dans des proportions variables, tout au long de l’utilisation du cimetière (Fig. 17).

3L’existence de critères archéologiques permettant d’identifier des coffrages de bois, même en l’absence de traces ligneuses, est propre à certaines périodes : ainsi, au cours de la Période 2 (750-1000), les pierres de calage au fond de la fosse de sépulture dont la présence révèle une architecture de bois (cf. Chapitre 2.3) et quelques siècles plus tard, à partir de la fin du Moyen Âge, l’utilisation de clous dans la fabrication des cercueils. Cependant dans la plupart des cas, la distinction entre une inhumation en pleine terre ou en contenant de bois, en l’absence de traces ligneuses, repose essentiellement sur les méthodes de l’anthropologie de terrain. À la suite des travaux d’Henri Duday qui a montré, dans les années 1980, que le degré de préservation des connexions anatomiques est susceptible de révéler le mode de décomposition des corps (DUDAY 1990), l’enregistrement des sépultures, supervisé par Christian Theureau, a porté une attention particulière à l’observation des déplacements de pièces osseuses, afin de pouvoir distinguer les tombes présentant une architecture de bois assemblée sans clous, dont le colmatage est différé, des sépultures dites en « pleine terre ». Une étude-test réalisée par Sylvia Nieto a soumis 131 sépultures d’adultes, dont le cercueil était bien attesté par la présence de clous, à une grille d’analyse portant sur 31 variables (NIETO 1996). Elle a montré que ces sépultures présentaient dans la majorité des cas, comme attendu, une dislocation des connexions (notamment les connexions ulna/radius-carpe, costo/sternale, humerus/scapula, et celles des os des mains et des pieds) ainsi qu’une mise à plat du gril costal et des os iliaques — mais il s’agit de tendances plus que de critères véritablement discriminants car les observations sont parfois contradictoires. D’autres éléments viennent en effet perturber l’évolution des processus taphonomiques : ainsi la présence d’un linceul ajusté, qui peut préserver les connexions anatomiques au cours de la décomposition jusqu’à ce que les infiltrations de sédiment à l’intérieur du cercueil ou du coffrage viennent colmater l’espace vide, ou encore, dans le cas des cimetières paroissiaux, les effets de parois créés par les effondrements de tombes sous-jacentes. Compte tenu de ces incertitudes, le nombre des sépultures pour lesquelles on a renoncé à trancher est nettement supérieur à celui des inhumations qui ont été classées dans l’une des deux catégories (Fig. 17).

La question du linceul

4L’usage de linceuls (cousus ou attachés par des liens) est attesté par l’iconographie dès le haut Moyen Âge et il est mentionné au 12e et au 13e siècle par les liturgistes Jean Beleth et Guillaume Durand (ALEXANDRE-BIDON 1993 :195-206 ; TREFFORT 1996). Leur identification archéologique reste cependant le plus souvent incertaine avant l’utilisation d’épingles en laiton ou en fer, dont l’usage comme attaches de linceul se répand seulement à partir de la fin du Moyen Âge (SOUVANT 1996b). Bon nombre de ces épingles ont cependant été redéposées dans le comblement des fosses et ne sont pas en contexte. Par convention, l’existence d’un linceul a été considérée comme attestée lorsque le nombre d’épingles découvertes au contact direct du squelette était égal ou supérieur à 4, et seulement supposée lorsqu’il était inférieur. L’usage du linceul fermé par des épingles, à Rigny, est attesté pour 53 sépultures, et supposé pour 136. Encore assez rare dans les derniers siècles du Moyen Âge, il devient fréquent aux 18e et 19e siècles. Dans certains cas, les linceuls formaient une enveloppe souple qui n’exerçait pas de contrainte sur le mode de décomposition : il n’existe alors aucun indice taphonomique et seules les épingles attestent leur présence (NIETO, SOUVANT 1996).

5Le tableau ci-dessous (Fig. 24) résume les transformations des pratiques funéraires, dont les marqueurs sont présentés de manière plus détaillée, période par période, dans la suite du texte.

PériodeContenantLinceulAccessoires vêtement (Nombre Sépultures)Objets déposés (Nombre Sépultures)Objets portés (Nombre Sépultures)
Période 2Pleine terrefusaïole et monnaies (1)
(750-1000)coffrage de bois avec ou sans pierres de calage
cercueil assemblé sans clous ?
aménagements céphaliques
Période 3Pleine terre
(1000-1100)coffrage de bois avec ou sans pierres de calage
cercueil assemblé sans clous ?
aménagements céphaliques
premiers coffrages en pierre d’appareil
Période 4Pleine terreattesté : 5
(1100-1450)coffrage de bois ou cercueil sans cloussupposé : 19boucles de ceinture (4)vases funéraires (18)anneau (1)
aménagements céphaliquesfibule (1)coquilles Saint-Jacques (2)
coffrages en pierre d’appareilcroix de jais (1)
Période 5APleine terreattesté : 12boucles de ceinture (4)monnaies (1)anneaux Cu ou Ag (13)
(1450-ap.1752)coffrage de bois ou cercueil sans cloussupposé : 14ferret (1)bagues Cu, Ag, Au (8)
cercueils assemblés avec des clous forgéscrochet (2)
Période 5BPleine terreattesté : 36boutons de chemise (17)chapelets (29)anneaux Cu, Ag, Au (39)
ap.1752-1865coffrage de bois ou cercueil sans cloussupposé : 104crochets, agrafes (2)médailles de pélerinage(11)bagues Cu, Ag (5)
cercueils assemblés avec des clous forgésboucle de ceinture (1)croix (4)boucles d’oreille Au (9)
cercueils assemblés avec des clous tréfilésplaque de shako (1)médaille militaire (1)colliers verre, ambre, jais (6)
cercueils avec clous forgés, tréfilés, et vistalon de chaussure (1)résille à cheveux (1)
Fig. 24 : Les pratiques funéraires (750-1865). NB : Seuls les objets trouvés en contexte figurent dans ce tableau. Les chiffres entre parenthèses indiquent le nombre de sépultures dans lesquelles ils sont attestés

Période 2 (750-1000).

Les contenants

6Les premières inhumations, au cours de la période 2, sont pratiquées en pleine terre ou dans des contenants en bois assemblés sans clous. Certaines fosses présentent cependant des aménagements particuliers.

Coffrages de bois calés avec des pierres

7La présence de ces pierres de calage au fond de la fosse est un marqueur chronologique de la Période 2, qui perdure peut-être au cours de la Période 3, mais pas au-delà (voir Chapitre 2.3). Le nombre et la position de ces pierres de calage étant très variable, il est probable que l’architecture de bois des tombes l’était également (Fig. 18). Si les pierres servaient le plus souvent à caler les parois du coffrage, dans certains cas, elles pouvaient être destinées à supporter des couvercles de bois, comme dans le cas de la sépulture S2202. La disparition de ces pierres de calage, au 11e siècle, ne marque pas celle des coffrages de bois mais révèle sans doute un changement dans l’architecture ou le mode d’assemblage des contenants dont la nature nous échappe.

8Parmi les 26 sépultures avec pierres de calage répertoriées à Rigny, on compte 6 femmes, 8 hommes et 12 immatures (dont 8 enfants de moins de 5 ans) (Section 5, P0/4).

Aménagements céphaliques

9La présence d’aménagements céphaliques, sous la forme d’une pierre unique placée sous le crâne, ou de deux pierres disposées de chaque côté de la tête, ou encore, plus rarement, d’un entourage complet du crâne, constitue un marqueur chronologique du Moyen Âge, représenté surtout dans les Périodes 2 (750-1000) et 3 (1000-1100), mais attesté encore pour cinq sépultures de la Période 4 (Chapitre 2.3). On rencontre ces dispositifs de protection du crâne le plus souvent dans des sépultures en pleine terre mais ils peuvent dans certains cas être associés à des traces ligneuses indiquant la présence d’un coffrage de bois comme dans la sépulture S536. Parmi les 65 sépultures à aménagement céphalique identifiées au cours de la fouille, on compte 24 femmes, 27 hommes et 14 immatures (Fig. 19 et Fig. 20).

Marquages de sépultures

10Au nord de l’église, dans la partie du cimetière désaffectée à la fin du 10e siècle (zone 8) et dans celle qui a été recouverte par la construction du bâtiment 13 vers 1100 (zone 7), les recoupements de sépultures sont rares, ce qui suggère que les fosses étaient identifiées en surface au cours des Périodes 2 (750-1000) et 3 (1000-1100). Des blocs de perrons retrouvés à la tête ou au pied de la tombe, ou parfois au milieu, servaient certainement de signalement, pour les tombes d’adultes comme pour celles des enfants : un entourage de perrons marque ainsi la sépulture d’un périnatal (S607). Un amas de petits blocs de tuffeau à la tête de la sépulture S536, au-dessus du comblement, devait également servir de repère. L’emplacement de certaines tombes était parfois empierré sur toute sa longueur. Au nord de l’église (zone 8), deux sépultures d’hommes, situées côte à côte, présentaient ainsi un marquage de surface constitué, dans un cas (S1629), de petits blocs de tuffeau, et dans le second (S1632), d’un alignement de cinq gros blocs de perrons. Cette dernière (S1632) a été datée par le radiocarbone dans une fourchette de 782 à 981 (Ly-10103).

11Au sud de l’église, les sépultures S1435, en pleine terre (Fig. 25), et S1989 présentaient un marquage constitué de gros blocs de tuffeau. Deux pierres tombales attribuables aux Périodes 2 ou 3 ont été également mises au jour au sud de l’église. L’une d’elles (F251), présentait une stèle anépigraphe à la tête (Fig. 26). La seconde (F1027) était une dalle de tuffeau trapézoïdale recouvrant le comblement de la fosse de la sépulture S2061, profonde d’1m. Elle était complétée à la tête et au pied de deux blocs de tuffeau posés de chant. Elle présentait sur sa face extérieure un jeu de tables gravé grossièrement, ce qui laisse supposer que la dalle était apparente à la surface du cimetière (Fig. 27).

Fig. 25 : Marquage de la sépulture S1435
Fig. 26 : Pierre tombale F251
Fig. 27 : Pierre tombale F1027 (S2061)

Réductions de sépultures

12Plusieurs fosses de réduction de sépultures, proches les unes des autres, ont été mises au jour au nord-ouest de l’église en zone 7. La plus importante était l’ossuaire F374, qui contenait les fragments de cinq enfants et de quinze adultes, dont deux squelettes d’hommes complets (S543 et S544), avec un certain nombre d’ossements encore en connexion anatomique, ce qui indique que les cadavres ont été exhumés avant que la décomposition ne soit achevée (THEUREAU 1995 : 216-218). La datation par le radiocarbone du squelette S544, depuis la publication du dernier rapport, indique une fourchette entre 678 et 873 (Ly-7672), ce qui permet d’attribuer l’ossuaire F374 à la phase d’inhumation la plus ancienne (8e-9e siècle). Quatre fosses-ossuaires situées à proximité contenaient chacune un individu – trois femmes et un enfant : S524, S521, S531 et S538. Ces fosses n’appartiennent pas toutes à une même opération d’évacuation des sépultures : l’ossuaire F374 a été rempli en deux temps au moins et il était stratigraphiquement antérieur aux fosses de réduction de S521 et S524. La présence de ces fosses à proximité de l’ossuaire n’est sans doute pas fortuite, et on peut penser que cette partie de l’aire funéraire était plus particulièrement affectée aux réductions de sépultures au cours de la Période 2 et peut-être de la Période 3. Faut-il voir dans son existence un indice révélant une forme de gestion collective de la zone d’inhumation avant la mise en place du cimetière paroissial ?

Objets d’accompagnement

13Les sépultures de la Période 2 (750-1000) ne contiennent aucun objet porté ou déposé à l’exception de la sépulture d’une femme âgée (S1614), qui était accompagnée d’une fusaïole et de trois monnaies de Louis le Pieux, émises entre 822 et 840, collées les unes aux autres, ce qui indique qu’elles étaient certainement contenues dans une bourse. La sépulture reposait sur une civière, constituée de deux planches renforcées à la jointure par un tasseau tenu par deux pattes de fixation en fer. Sa datation par le radiocarbone (Ly-9263) a donné une fourchette comprise entre 893 et 993, ce qui indique que l’inhumation a eu lieu plus d’un demi-siècle (au moins) après l’émission des monnaies.

Période 3 (1000-1100)

14La Période 3 se distingue de la précédente par l’emprise spatiale, plus réduite, de la zone d’inhumation, mais on observe peu de changements dans les pratiques funéraires : on trouve toujours des aménagements céphaliques dans les fosses de sépulture, peut-être aussi des coffrages avec pierres de calage, et aucun dépôt funéraire ni accessoire de vêtement n’est attesté au cours de la période (Section 5, P1/3).

15L’innovation la plus marquante est l’apparition, dans la seconde moitié du 11e siècle, des coffrages anthropomorphes en pierres, dont l’usage se répand surtout au cours de la Période 4.

16Quelques rares exemples de coffrages de pierre parmi les plus anciens, attribuables au plus tard au 11e siècle, sont constitués de blocs de calcaire brut, non taillés (S1938, S1764, S768, S783). Les couvercles sont placés transversalement au-dessus de la sépulture comme dans le cas de S1764 (F531) ou de S768 (F193), qui était située au fond d’une fosse exceptionnellement profonde (1,20 m). Dans un cas, celui de la sépulture S783 (F199), située sous le bâtiment 13 construit vers 1100, le couvercle était constitué de blocs non taillés disposés en bâtière.

17Tous les autres coffrages mis au jour à Rigny sont en pierre d’appareil. Certains d’entre eux ont été coupés par les fondations des culées d’arcs-boutants construites vers 1100 (S81 (F133), S88 (F144), S74 (F114), S87 (F127), S712 (F157)) et sont donc certainement attribuables à la Période 3 (Section 1, P0/13). On peut penser qu’ils ne sont pas antérieurs à l’église Z, qui a été construite en moyen appareil dans la seconde moitié du 11e siècle.

Période 4 (1100-1450)

Les contenants

Aménagements céphaliques

18Les fosses avec aménagements céphaliques sont rares dans la Période 4 : seules cinq sépultures sur 65 sont assurément postérieures à 1100.

Coffrages anthropomorphes en pierres

19Les coffrages anthropomorphes, constitués de blocs de tuffeau de moyen appareil, maçonnés ou non, qui apparaissent à la fin de la Période 3, ont le plus souvent un tracé trapézoïdal (Fig. 21), exceptionnellement ovalaire (F255/S360) ou sub-rectangulaire (F526/S1721) et sont recouverts de dalles transversales (Section 5, P0/14). Six d’entre eux n’ont pas été fouillés par mesure de sécurité car ils apparaissaient en section dans la banquette de protection laissée le long des fondations de l’église.

20Le fond des coffrages ne présente aucun aménagement particulier : le défunt était posé directement sur la terre. Ces coffrages possèdent en général une logette céphalique constituée de trois pierres posées de chant (type A) ou d’un seul bloc excavé, posé à plat (type B, le plus fréquent), mais ils peuvent parfois aussi être fermés à la tête par un simple bloc posé de chant, sans logette (type C) (MARTINEAU 1992). Contrairement à d’autres sites (LORANS et al.1996), aucune différenciation chronologique n’a été constatée à Rigny entre ces trois types.

21La majorité des coffrages en pierres d’appareil est associée à des sépultures d’adultes, plus souvent masculines que féminines (22 hommes pour 14 femmes), mais ils ont été utilisés également pour des inhumations d’enfants et d’adolescents (8 immatures, dont 6 enfants de 1 à 7 ans).

22La plupart des coffrages ont été endommagés par des perturbations postérieures. Trois d’entre eux étaient si mutilés qu’ils n’ont pu être mis en relation avec une sépulture. Parmi les coffrages fouillés, quinze seulement ont été retrouvés complets avec leur couvercle de dalles.

Cercueils à clous forgés

23Les cercueils assemblés avec des clous forgés apparaissent à partir du 15e siècle, mais la seule sépulture qu’on peut attribuer avec assurance à la fin de la Période 4 est celle d’un enfant inhumé à l’intérieur de l’église dans un cercueil à clous forgés avec quatre vases funéraires datés du 14e ou du début du 15e siècle (S1805).

Linceuls

24L’usage du linceul fermé par des épingles apparaît au cours de la Période 4, mais il est encore rarement observé : il n’est attesté que pour cinq sépultures, et supposé pour dix-neuf.

Accessoires de vêtement

25La pratique de l’inhumation habillée, au cours de la Période 4 (1100-1450), n’est attestée que par la présence de boucles de ceinture ou de fermaux dans trois sépultures d’hommes (S54,S1934, S456) (POIROT 1992 : 157-159), et d’une fibule en alliage à base de cuivre, recouverte par deux feuilles d’or, dans une sépulture d’immature de 14 à 17 ans (S742).

Objets d’accompagnement

Vases funéraires

26Les vases à fumigation constituent le dépôt funéraire le plus caractéristique de la Période 4. La fouille de Rigny a livré dix-huit sépultures (dont six coffrages anthropomorphes en pierres d’appareil) contenant des vases funéraires dont les plus anciens datent du 11e ou du début 12e siècle et les plus récents du 14e ou du début du 15e siècle (cf. Chapitre 2, Fig. 13). Parmi ces inhumations, onze étaient associées à un vase unique, mais cinq autres ont livré trois ou quatre vases et une dernière sépulture en possédait cinq (S86). Parmi ces sept sépultures à vases multiples, il y en avait trois en coffrage anthropomorphe en pierres d’appareil (S85, S86, S88), une en cercueil à clous forgés (S1805), deux en pleine terre (S1, S50), le cas de la dernière (S79) étant incertain (probablement un contenant de bois assemblé sans clous) (Section 5, P0/14).

27Les vases funéraires — des oules, des coquemars et des pichets semblables à ceux qu’on retrouve dans l’équipement domestique — contenaient encore parfois du charbon de bois et présentaient tous des perforations, en nombre variable, destinées à favoriser la combustion interne. Aucun d’entre eux ne présentait de trace de combustion externe ni d’usure ce qui indique qu’ils ont été utilisés à l’état neuf au cours de la cérémonie funéraire. Dans le cas des sépultures à vases multiples, ceux-ci appartenaient toujours à une même forme, et présentaient le même type de trous, sans doute percés peu avant la cérémonie avec un même outil (HUSI 1992).

28Les liturgistes Jean Beleth, vers le milieu du 12e siècle, et Guillaume Durand, à la fin du 13e siècle, mentionnent l’usage de vases à encens pour dissiper l’odeur de putréfaction dans les cérémonies funéraires, et certains témoignages iconographiques représentent des pleureuses portant des pots dans le cortège funèbre (PRIGENT 1996). Péan Gatineau, chanoine de Saint-Martin de Tours, évoque aussi leur usage lors de la cérémonie funéraire célébrée lors du décès d’un membre de la communauté au 13e siècle (GALINIÉ 2007b : 59). L’emplacement des vases dans la tombe témoigne de la diversité des pratiques. Lorsque le vase est unique, il est le plus souvent placé à la tête ou aux pieds du défunt (S1270, S1582, S51). Dans le cas de la sépulture S88, où il y en avait plusieurs, deux vases funéraires étaient situés à l’extérieur du coffrage (F144), à hauteur de la tête, et deux autres à l’intérieur, empilés sur les membres inférieurs du squelette (Fig. 22). Les lambeaux de surface de circulation du cimetière préservés au nord-ouest de l’église autour des sépultures S85 et S86 montre que les couvercles des deux coffrages et l’encolure des vases funéraires placés à l’extérieur, à la tête et au pied, affleuraient au niveau du sol. Dans le cas des sépultures S50 et S79, qui contenaient respectivement trois et quatre vases funéraires, ceux-ci ont été jetés à mi-hauteur du comblement de la fosse.

29Les vases funéraires, à Rigny, sont associés à dix sépultures féminines et six sépultures masculines, mais seulement à une sépulture d’enfant : celui-ci, âgé de 3 à 5 ans, a été inhumé dans l’église avec quatre vases (S1805). La présence de vases dans les sépultures d’enfants est exceptionnelle (PRIGENT 1996).

Objets personnels

30Les objets de piété ou de parure sont très rares dans les tombes de cette période, et ne sont présents que dans trois ou quatre sépultures de femmes et une sépulture d’enfant (Fig. 28).

Période 2Période 3Période 4Période 5APériode 5B
(750-1000)(1000-1100)1100-14501450-ap.1752(ap.1752-1865)ap.1819-1865
Objets déposés
fusaïole1
monnaies11
vases funéraires18
coquilles Saint-Jacques2
croix de jais1
chapelets29
médailles religieuses11
croix métalliques4
médaille militaire1
Accessoires de vêtements
boucles de ceinture441
fibule1
ferret1
crochets, agrafes22
boutons de chemise18
plaque de shako1
chaussures1
Objets portés
anneau en alliage de cuivre19411
anneau en argent4312
anneau en or214
bagues en alliage cuivre512
bagues en argent22
bagues en or1
boucles d’oreille27
colliers verre, ambre, jais24
résille à cheveux1
Fig. 28 : Objets d’accompagnement (NB : chiffres=nombre de sépultures).

31Ce sont :

  • une croix de jais avec des incrustations d’étain, portée en pendentif, découverte en contexte dans une sépulture d’enfant en coffrage de pierres d’appareil dont le couvercle était intact (S459). Des exemples comparables ont été trouvés en Angleterre, à Winchester, à York, et dans les abbayes de Whitby et Scarborough, où ils sont datés entre le 10e et le 12e siècle (BIDDLE 1990 : 644-646 ; POIROT 1992 : 151-152, nº 86) ;
  • des coquilles Saint-Jacques trouvées en contexte dans deux sépultures de femmes. La première (S1420) présentait deux valves droites de Pecten maximus sur la poitrine, avec chacune deux perforations de part et d’autre de l’umbo (Fig. 29) ; la seconde (S2046) contenait les fragments d’une coquille unique, également placée sur le thorax et percée de deux trous. Le pèlerinage à Saint-Jacques de Compostelle, qui prit son essor à partir du 11e siècle, devint alors, avec Rome et Jérusalem, l’un des principaux de la Chrétienté, et les coquilles, cousues sur le sac du pèlerin, sur son chapeau ou sur son manteau, devinrent un emblème qui accompagnait le pèlerin jusque dans la tombe. Le Guide du pèlerin de Saint-Jacques, écrit au 12e siècle, indique que les pèlerins pouvaient acheter des coquilles sur le parvis de la cathédrale, et dès cette époque Compostelle s’efforçait de conserver le monopole de ce commerce : les papes Alexandre III, puis Grégoire IX, accordèrent à l’archevêque de Compostelle le pouvoir d’excommunier quiconque vendrait de semblables coquilles dans d’autres villes (BRUNA 1991). Des découvertes de coquilles Saint-Jacques ont été signalées dans les cimetières médiévaux de divers pays d’Europe, jusqu’en Scandinavie, en Allemagne, aux Pays-Bas et en Angleterre (KÖSTER 1983 : 120, 151 ; KÖSTER 1985). En France, où leur répartition n’est pas très bien connue, quelques découvertes de coquilles Saint-Jacques dans les sépultures ont été signalées dans l’Ouest (KÖSTER 1983) mais elles paraissent nombreuses surtout dans le Midi (BRUNA 1991). Les cimetières de Saint-Michel et Saint-Jean-de-Jérusalem à Toulouse en ont livré ainsi plusieurs dizaines (VALLET 2008). En Touraine, elles sont extrêmement rares : aucune découverte de coquille Saint-Jacques en contexte dans une tombe n’a été signalée ailleurs qu’à Rigny, en dépit des nombreuses sépultures qui ont été fouillées au cours des dernières décennies à Tours, à Saint-Mexme de Chinon, à l’abbaye de Marmoutier, au prieuré Saint-Côme, à Joué-les-Tours et ailleurs ;
  • un anneau en alliage de cuivre porté par une femme (S1927), attribuable à la fin de la Période 4 ;
  • enfin, un fragment de denier de Saint-Martin de Tours, daté du 11e ou 12e siècle, retrouvé sur le sternum d’une sépulture de femme (S1465) – si toutefois il est bien en contexte et non redéposé dans le comblement de la fosse.
Fig. 29 : Sépulture S1420 avec coquille Saint-Jacques

Gestion du cimetière

Organisation spatiale

32La répartition des coffrages en pierre d’appareil, comme celle des sépultures avec vases funéraires, était concentrée autour de l’église, dont la proximité était particulièrement recherchée. Leur extension, au nord de l’église, ne dépasse pas le mur de clôture du cimetière nouvellement construit vers 1100 (Section 5, P0/14).

33Au cours de la Période 4, on observe une forte concentration d’inhumations de jeunes enfants contre le mur gouttereau nord de l’église (groupe chronologique G8). Il ne s’agit pas d’un secteur véritablement réservé puisqu’on y trouve également des adultes (dont une femme enceinte, S41) mais ceux-ci sont nettement minoritaires par rapport aux enfants. Après l’abandon de la zone d’inhumation le long du mur gouttereau nord, au cours du 15e siècle, les enfants ont été inhumés dans l’avant-corps devant le portail occidental de l’église.

Réemplois et réductions de sépulture

34Une dizaine de coffrages, sans couverture, présentaient des traces manifestes de réemploi. Certains, comme F4 (Sépulture S2), ont été adaptés à la taille du nouvel occupant.

35Dans le cas du coffrage F114, les ossements du premier occupant, un homme de 30 à 49 ans (S74), ont été rangés aux pieds du second, un enfant de 5 à 7 ans (S76), ce qui constitue peut-être un indice de tombe familiale. La même hypothèse est envisageable pour le coffrage F403, qui contenait les ossements d’une femme (S454) redéposés près du squelette d’un homme (S455), ainsi que pour le coffrage F525 ; celui-ci contenait le squelette d’un homme âgé de 50 à 79 ans (S1715), initialement recouvert d’un couvercle dont les dalles de pierre ont été en partie déplacées pour permettre l’inhumation d’un enfant de 3 à 6 ans (S1594) au-dessus du premier occupant.

36Au sud-est de l’église, à proximité du chevet, la disposition de trois coffrages de pierre d’appareil, accolés les uns aux autres, évoque un tombeau familial. Il s’agit de trois sépultures d’adultes inhumés successivement (Fig. 30). Le coffrage central F407 (S462, une femme entre 30 et 59 ans) est le plus ancien. Les coffrages F402 (S461, un homme entre 40 et 69 ans), et F401 (S460, une femme entre 30 et 59 ans) ont été construits chacun contre les parois latérales du coffrage F407 qu’ils réutilisent.

Fig. 30 : Groupe de coffrages en pierre d’appareil

37En revanche, on peut sans doute imputer au hasard la réutilisation au 15e-16e siècle pour des inhumations d’enfants (S17, S18 et S13) du coffrage F23, à l’intérieur duquel il ne restait plus trace du premier occupant (S11), un adulte inhumé au 12e siècle avec un vase funéraire contre le massif de fondation de la façade de l’église.

Période 5A (1450-ap.1752)

Les contenants

Cercueils à clous forgés

38Parmi les 86 sépultures en cercueils à clous forgés qui ont été mises au jour par la fouille, à l’ouest et au sud de l’église, 24 sont antérieures aux murs de clôture du Grand et du Petit cimetière construits après 1752. L’extension des sépultures en cercueils assemblés avec des clous forgés marque l’emprise spatiale du cimetière des Temps modernes, qui s’étendait vers l’ouest au-delà de l’emprise de la fouille (Section 5, P0/21). Au nord de l’église, il était délimité par le mur de clôture (M29) du presbytère bâti au milieu du 15e siècle et les plus anciennes sépultures en cercueils assemblés avec des clous forgés (S38, S47) sont postérieures à sa construction (Section 5, P1/6).

Le linceul

39L’usage du linceul, dans la Période 5A (1450-ap.1752), est attesté par des épingles dans 12 sépultures, et supposé dans 14.

Accessoires de vêtement

40Au cours des Temps modernes, avant la construction de la clôture du Grand et du Petit cimetière (Période 5A, 1450-ap.1752), on trouve encore quatre sépultures d’hommes avec des boucles de ceinture (S901, S911, S1184 et S1812), tandis qu’apparaissent deux nouveaux types d’accessoires de vêtement : un ferret dans une sépulture d’homme (S1242), et des crochets dans deux sépultures de femmes (S925, S913).

Objets d’accompagnement

Monnaies

41Au cours de cette période, il n’y a pas d’objets déposés dans les tombes, à l’exception d’une sépulture de femme (S481) qui a été inhumée avec une bourse contenant quatre douzains de la fin du 16e siècle.

Anneaux et bagues

42En revanche, l’habitude d’inhumer les défunts avec les anneaux ou les bagues qu’ils portaient de leur vivant apparaît au cours de cette période. Des anneaux ont été retrouvés en contexte dans onze sépultures féminines (dont quatre avec un ou deux anneaux d’argent, et sept avec un anneau en alliage de cuivre) et seulement dans deux sépultures d’hommes (S1138 et S1811) qui portaient chacun un anneau en alliage de cuivre. La répartition des bagues témoigne de la même tendance à la spécialisation en fonction du genre, puisqu’elles étaient présentes dans sept sépultures féminines (S975, S925, S181, S1429, S1042, S1008, S942), et une seule sépulture masculine (S1811). Les bagues retrouvées dans les sépultures féminines étaient en alliage de cuivre (cinq cas) ou en argent (deux cas). L’une des bagues en argent (S942), appartenait à la série de bagues–rébus « mon cœur à elle », dont plusieurs exemples ont été retrouvés redéposés (POIROT 1992 :146). Ce sont des bagues entièrement en métal, à tête ovale et plate, décorée d’un cœur entouré d’incisions et d’un L (DELOCHE 1929 : 99 ; GENDRON 1992 : 139-144). La seconde était une bague dite de roulier, constituée d’un jonc de section circulaire surmonté d’un chaton en forme de platine décoré du christogramme IHS. Une bague du même type a été découverte dans la sépulture du seul homme qui en portait une (S1811) et qui était inhumé dans l’église. Il s’agit également d’une bague de roulier avec un chaton décoré du christogramme IHS, mais elle était en or et non en argent (DELOCHE 1929, nº 394 ; GENDRON 1992 : 139).

Gestion du cimetière

43Après la construction, vers le milieu du 15e siècle, du presbytère et du nouveau mur de clôture qui le sépare du cimetière, les sépultures s’en éloignent progressivement et se concentrent aux abords du chemin d’accès à l’église, qui en vient peu à peu à constituer une limite de fait.

Un secteur réservé à l’inhumation des enfants

44L’avant-corps mis au jour par la fouille devant la façade occidentale de l’église semble avoir été utilisé pour l’inhumation d’enfants dès le 15e ou 16e siècle, quand des sépultures de jeunes enfants y furent pratiquées en cercueil. Inclus au 18e siècle dans le Petit cimetière, il a été l’objet d’un décaissement général postérieur à la construction du mur de clôture de celui-ci (Section 1, P0/18).

45Les registres paroissiaux qui signalent les décès à partir de 1646 (THOMAS 1992 : 39), mentionnent tour à tour comme lieux réservés à l’inhumation des petits enfants : la galerie jusqu’en 1682, remplacée par le petit cimetière à partir de 1683 et jusqu’en 1826. L’avant-corps mis au jour par la fouille doit être identifié avec la galerie mentionnée jusqu’en 1682. Le Petit cimetière enclos après 1752 représente un agrandissement de l’ancienne galerie dont il réutilise les murs nord et sud.

Période 5B (ap.1752-1865) : le Grand et le Petit cimetière enclos

La mise en place des clôtures

46Les clôtures du Grand et du Petit cimetière sont attestées archéologiquement par des murs de pierre qui sont représentés sur le plan cadastral de 1813 et dont certains segments subsistaient encore en élévation au début des fouilles (Section 5, P0/24). Stratigraphiquement, le mur du Grand cimetière est antérieur à celui du Petit cimetière, dont les fondations du mur ouest (M19) viennent buter contre le mur nord du Grand cimetière (M34). Pour autant, ceci ne constitue pas une preuve d’antériorité d’une clôture sur l’autre car il est fort probable que d’autres délimitations ont existé avant la construction des murs connus. Les clôtures mixtes de cimetières associant fossé, haie vive et mur sont en effet chose courante (MARYSSE-VOSS 1996 : 105). Dans le procès-verbal d’une visite pastorale recopié dans les registres paroissiaux et daté du 6 octobre 1734, l’évêque ordonne, sous peine d’interdiction, qu’une clôture soit établie autour du cimetière de Rigny « de murs ou de haies ou de bons fossés en sorte que les bestiaux ne puissent plus y entrer », et on sait d’autre part que le curé Urbain Courtillier fut inhumé en 1752 les pieds contre la haie du cimetière (THOMAS 1992 : 41-42). On a donc postulé que la haie en question a été mise en place après 1734, et que la construction des murs de clôture est postérieure à 1752 (Section 5, P1/7).

Contenants

Cercueils à clous forgés et à clous tréfilés

47Dans le Petit cimetière, qui est utilisé entre 1752 (au plus tôt) et 1826 (au plus tard), les dix-sept sépultures d’enfants qui étaient en cercueil cloué sont associées à des clous forgés. Dans le Grand cimetière, les cercueils à clous forgés sont restés en usage jusqu’à son abandon en 1865, même s’ils étaient concurrencés par les clous tréfilés après 1819 : seules six sépultures en cercueils assemblés avec des clous forgés sont attribuables avec certitude à cette dernière phase d’inhumation (G21, ap.1819-1865), alors que 110 cercueils avec clous tréfilés ont été mis au jour et que dix-sept autres cercueils présentaient une fabrication mixte, associant des clous tréfilés à des clous forgés et même à des vis. La production industrielle des clous tréfilés n’étant pas antérieure à 1819, leur introduction à Rigny est intervenue au plus tôt à cette date, mais elle a pu aussi se produire avec un retard de 10 ou 20 ans. Il est certain, en tout cas, que les clous tréfilés marquent les dernières décennies d’utilisation du Grand cimetière (Section 5, P0/26).

48Une étude détaillée des modes d’assemblage des cercueils, à partir de la position des clous et des traces laissées sur ceux-ci par les fibres de bois, a porté sur 21 sépultures complètes (RODIER 1992). Elle a révélé que la forme générale de ces cercueils (quatorze avec des clous à la filière, quatre avec des clous forgés, et trois avec des clous mixtes) était trapézoïdale, et que leur mode d’assemblage était homogène : le fond et le couvercle sont cloués sur les quatre panneaux verticaux, et les planches de tête et de pied le sont entre les flancs. Les cercueils sont constitués de planches d’environ 15 mm d’épaisseur, assemblées à l’aide de clous longs de 5 cm en moyenne. Dans quelques cas, le fond est constitué de plusieurs planches. Le nombre moyen de clous est de 28 pour les cercueils assemblés avec des clous à la filière, et de 11 pour ceux avec des clous forgés (RODIER 1992). L’étude de 66 sépultures en cercueil cloué découvertes ultérieurement n’a guère modifié ces résultats (SOUVANT 1996a : 60-70).

L’usage du linceul

49La majorité des sépultures en linceul fermé par des épingles qui ont été découvertes à Rigny appartiennent au Petit et au Grand cimetière (33 attestées, 122 supposées). Le linceul est associé à des contenants divers : pleine terre, coffrage de bois restitué, ou encore cercueil à clous forgés ou tréfilés.

Accessoires de vêtement

50C’est dans le Grand cimetière enclos, dans la toute dernière phase d’inhumation (G21, ap.1819-1865), que l’inhumation habillée est la mieux représentée : 21 sépultures comportent des accessoires de vêtements, soit un peu plus de 12% des 165 sépultures fouillées dans ce groupe chronologique (Fig. 17 et Fig. 28).

51La boucle de ceinture reste un attribut masculin, comme dans les périodes précédentes, mais ne se trouve plus que dans une seule sépulture (S1241).

52Les crochets et agrafes n’ont été retrouvés en contexte que dans une sépulture de femme (S483) et une sépulture d’immature (S257).

53La nouveauté, au cours de cette dernière phase d’inhumation, est l’apparition des boutons de chemise qui ont été mis au jour en contexte dans dix-huit sépultures : elles ont livré chacune entre un et sept boutons, en corozo (18), en os (14) et en nacre (9). Le corozo est une matière extraite à partir des graines d’un cocotier d’Amérique du sud ou du Soudan dont l’emploi dans la boutonnerie n’est pas antérieur à 1860 et qui marque par conséquent les cinq dernières années de l’utilisation du cimetière (POIROT 1992 : 155). Ces boutons en corozo, en os ou en nacre étaient plus souvent associés à des sépultures d’hommes et d’enfants ou adolescents que de femmes (huit hommes, huit immatures, deux femmes).

54Le port de chaussures dans la tombe n’est attesté que par la découverte d’un talon de cuir dans une seule sépulture de femme (S483), qui appartient à la dernière phase d’inhumation.

55La sépulture d’un homme de 60 à 79 ans (S164), qui appartient également à cette dernière phase d’utilisation du Grand cimetière (ap.1819-1865), a livré une plaque qui devait certainement être fixée sur un shako, c’est-à-dire un couvre-chef militaire en forme de cône tronqué, muni d’une visière (Section 5, P0/28). Cette plaque, en forme de losange, est décorée d’un aigle impérial aux ailes déployées et surmonté d’une couronne, tenant la foudre dans ses serres. Au-dessous est représenté un cor de chasse avec le chiffre 25. C’est un modèle qui était en usage dans la Grande armée de 1806 à 1810. L’état de conservation de la plaque ne permet pas de dire si elle était argentée ou non ; dans le premier cas, elle pourrait appartenir à un officier du 25e régiment de chasseurs à cheval, ou du 25e régiment d’infanterie légère ; dans le second cas, elle désignerait un voltigeur du 25e régiment d’infanterie de ligne (POIROT 1992 : 147-149).

56Le seul accessoire de vêtement découvert dans une sépulture du Petit cimetière réservé aux enfants est une résille à cheveux en fils de laiton qui était portée par un enfant de 2 à 4 ans (S209).

57L’inhumation habillée n’exclut pas pour autant l’usage du linceul : il arrive qu’une même sépulture livre à la fois des accessoires de vêtement et des épingles en nombre significatif. À Rigny, l’usage du linceul a été considéré comme attesté pour six sépultures habillées (S925, S151, S257, S365, S483, S1071) et supposé pour cinq autres (S186, S227, S302, S413, S1252).

Objets de parure

Anneaux

58Le port d’un ou plusieurs anneaux est nettement plus fréquent dans le Grand cimetière enclos (ap.1752-1865), particulièrement dans la dernière phase d’inhumation (G21, 1819-1865) : sur 39 sépultures du Grand cimetière qui en contiennent, 30 appartiennent à cette dernière phase (Fig. 28). Ils sont portés exclusivement par des femmes, contrairement aux sépultures de la Période 5A. Dans les sépultures qui ont livré plusieurs anneaux, chaque main en a reçu un ou deux. On compte quinze sépultures avec des anneaux en argent (S282, S322, S343, S333, S370, S390, S400, S464, S470, S492, S499, S1019, S1075, S1145, S1162) et quinze avec des anneaux en alliage de cuivre (S123, S418,S178, S1070, S144, S308, S492, S500, S1006, S1014, S1044, S1075, S1145, S1162,S1197). Il y a aussi 16 sépultures contenant des anneaux d’or en contexte (S124,S143, S220,S330, S333, S365,S384, S406, S436, S440, S483, S500, S1020,S1070, S1071, S1145) qui appartiennent toutes à la dernière phase d’inhumation (ap.1819-1865), à deux exceptions près qui sont datées dans une fourchette plus large, qui couvre toute la durée d’utilisation du Grand cimetière (ap.1752-1865).

59Les anneaux en or trouvés en contexte dans seize sépultures de femmes sont portés le plus souvent au quatrième doigt de la main gauche, mais parfois aussi à la main droite. Une femme, S483, a été inhumée avec deux anneaux en or, portés au quatrième doigt de chaque main.

60Ces anneaux en alliage de cuivre, en argent ou en or, toujours portés par des femmes, peuvent être interprétés comme des alliances. Leur présence est généralement attestée dans les sépultures à partir de la fin du Moyen Âge (au 15e siècle à Chinon, et au 15e-16e siècle à Tours (MOTTEAU 1991 : 31, nº 143-146 ; MOTTEAU 2006 : 325)), mais leur usage est beaucoup plus ancien. À l’époque romaine, lors des fiançailles, l’usage voulait que le jeune homme offre à la jeune fille un anneau qu’il plaçait au quatrième doigt de la main gauche. Aulu-Gelle, au 2e siècle, justifie ce choix par l’existence, dans ce doigt, d’un nerf le reliant au cœur, et cette explication est reprise par Macrobe puis Isidore de Séville (à ceci près que le nerf est transformé en veine, vena cordialis) (CHÉNON 1912 : 577-578). L’usage de l’anneau de fiançailles, bien attesté au cours du haut Moyen Âge, fut progressivement concurrencé à partir du 9e siècle par l’anneau nuptial. En donnant en 856 la bénédiction nuptiale à Judith, fille de Charles le Chauve, l’archevêque Hincmar s’adresse à elle en disant « Reçois cet anneau, signe de fidélité et d’amour et lien de l’union conjugale, afin que l’homme ne sépare pas ceux que Dieu a unis » (CHÉNON 1912 : 584). À partir du 12e siècle, l’anneau nuptial l’emporte nettement sur l’anneau de fiançailles (CHÉNON 1912 : 605-623). L’anneau destiné à être bénit devait être en métal, mais la nature du métal importait peu. Dans certains diocèses cependant, les rituels exigeaient que l’anneau soit en argent : c’est le cas du rituel de Tours de 1533 (MOLIN, MUTEMBE 1974 : 141). L’anneau était placé le plus souvent soit au troisième ou quatrième doigt de la main droite, soit au quatrième doigt de la main gauche, mais les rituels variaient d’un diocèse à l’autre. Le rituel de Tours prescrivait ainsi de placer l’anneau au quatrième doigt de la main droite, mais le Rituel romain révisé abrégé de 1592 enjoignait de le porter au quatrième doigt de la main gauche, en référence au texte d’Isidore de Séville mentionné ci-dessus, souvent cité dans les rituels (MOLIN, MUTEMBE 1974 : 167-168). Selon la règle générale, seule la femme portait un anneau nuptial : d’après Van Gennep (cité par MOLIN, MUTEMBE 1974 : 142, n. 34) l’alliance au doigt du mari ne se serait généralisée que dans la seconde moitié du 19e siècle.

Bagues

61Des bagues en argent ou en alliage à base de cuivre ont été retrouvées en contexte dans trois sépultures de femmes (S1141, S373, S1087) et deux sépultures d’hommes (S1131, S237) appartenant à la dernière phase d’inhumation du Grand cimetière. L’une d’entre elle était une « bague de roulier » portant l’initiale T gravée sur le chaton. Deux autres étaient des bagues dites « jarretière » », avec un jonc à rainure serti de cinq morceaux de verre colorés (GENDRON 1992 : 139).

Boucles d’oreille

62Des boucles d’oreille en or ont été retrouvées en contexte dans neuf sépultures : six femmes (S143, S483, S1090, S333, S436, S1080), deux hommes (S1004, S1123), et un immature de 14 à 16 ans (S1092). Sept d’entre elles appartiennent certainement à la dernière phase d’inhumation du Grand cimetière (1819-1865).

Colliers

63Les enfants en bas âge (un à quatre ans) étaient parfois inhumés avec des colliers de perles de verre, de jais ou d’ambre, qui ont été retrouvés en contexte dans quatre sépultures du Grand cimetière (S175, S335, S383 et S388). Leur absence dans le Petit cimetière est peut-être due à l’abandon de celui-ci avant 1826, car les colliers de verre semblent appartenir, comme les chapelets, à la dernière phase d’utilisation du Grand cimetière de Rigny (ap.1819-1865).

Objets d’accompagnement

64Les objets de piété, presqu’absents des inhumations antérieures, sont fréquemment déposés dans les sépultures les plus récentes du Grand cimetière (Section 5, P0/28).

Chapelets

65La dernière phase d’inhumation dans le Grand cimetière (ap.1819-1865) est caractérisée par la présence de chapelets constitués de perles en bois, plus rarement en verre, reliées par une chaînette métallique à laquelle étaient généralement suspendues des croix ou des médailles pieuses en alliage à base de cuivre. Ils ont été retrouvés dans seize sépultures féminines (S143, S220, S365, S370, S400, S479, S483, S492, S1014, S1044, S1120, S1145, S136, S1162, S1071, S1124), huit sépultures masculines (S142, S182, S309, S471, S480, S491, S430, S1004), et cinq sépultures d’enfants âgés de 6-8 ans à 10-13 ans (S186, S394, S442, S484, S257).

Croix métalliques

66Des croix en alliage de cuivre ont été découvertes en contexte dans quatre sépultures – un homme (S142), deux femmes (S483 et S1263), un immature (S394) – appartenant à la dernière phase d’inhumation du Grand cimetière (ap.1819-1865). Deux d'entre elles, trouvées dans les sépultures S394 et S483, portaient sur le revers une inscription « SOUVENIR DE MISSION », rappelant l’une des nombreuses missions diocésaines organisées sous la Restauration pour raviver le sentiment religieux dans les campagnes (Fig. 31).

Fig. 31 : Crucifix « Souvenir de Mission » (S483), avers et revers

Médailles religieuses

67Des médailles religieuses, associées ou non à un chapelet, ont été retrouvées en contexte dans treize sépultures : trois hommes (S1241, S491 et S142 qui avait deux médailles), trois femmes (S370, S1014, et S143 pourvue de deux médailles) et sept enfants (S484, S257, S358, S388, ainsi que S394 et S402, ces deux derniers dotés de deux médailles chacun), qui appartiennent tous aux dernières décennies d’inhumation dans le Grand cimetière (groupe chronologique G21, ap.1819-1865)).

Médaille miraculeuse de l’Immaculée conception (à partir de 1832)

68La médaille la plus répandue est celle qui commémore l’apparition de la Vierge en 1830 à Catherine Labouré, novice des Filles de la Charité, rue du Bac à Paris. Lors de ces visions, la Vierge lui est apparue « vêtue d’une robe blanche et d’un manteau couleur bleu argenté ; il sortait de ses mains des rayons, qui sont le symbole des grâces que Marie obtient pour les hommes ». Le projet de médaille, établi sur le modèle classique de l’Immaculée conception (la statue de Bouchardon pour l’église Saint-Sulpice à Paris), est déposé chez le bijoutier parisien Vachette en mai 1832 ; les 1500 premiers exemplaires sont livrés le 30 juin. Dès février 1834, la médaille est couramment qualifiée de miraculeuse. Elle est aussitôt diffusée dans le monde entier et en 1839 déjà plus de dix millions d’exemplaires ont été produits (LAURENTIN 1990 : 60-79).

69La médaille représente sur l’avers la Vierge debout sur le globe éclairé par les rayons de ses mains, avec l’inscription O MARIE CONCUE SANS PÉCHÉ PRIEZ POUR NOUS QUI AVONS RECOURS A VOUS et la date de 1830. Le revers présente un M surmonté d’une croix et entouré d’étoiles, avec en dessous la représentation des Cœurs de Jésus et de Marie (Fig. 32).

Fig. 32 : Médaille de l’Immaculée conception (S142), avers et revers

70Les exemplaires de la médaille miraculeuse retrouvés à Rigny, qui étaient en alliage de cuivre, ont été découverts en contexte dans deux sépultures d’hommes (S142 et S1241), deux sépultures de femmes (S370 et S1014) et trois sépultures d’enfants (S394, S402, S484). Une troisième sépulture féminine, S143, présentait la version italienne de la médaille, qui ne se distingue des précédentes que par l’inscription de l’avers : MAR[I]A CONCEPITA SENZA PECCATO PREGATE PER N. CHE A VOI RICORRIAMO. La version italienne de la médaille miraculeuse fut frappée à partir de 1835 aux frais des cardinaux romains Lambruschini et Rivarola (LAURENTIN 1990 : 82).

Médaille de pèlerinage à Notre-Dame de La Salette (Isère) (après 1846)

71La sépulture féminine S143, qui contenait cette version italienne de la médaille miraculeuse, a livré une autre médaille provenant du sanctuaire de Notre-Dame de La Salette (Isère), fondé pour commémorer un miracle alors tout récent : l’apparition de la Vierge à deux jeunes bergers, le 19 août 1846 à La Salette, dans les Alpes au sud-est de Grenoble. En 1851, l’évêque de Grenoble déclara que les fidèles étaient fondés à croire l’apparition certaine. En 1852, la congrégation des Missionnaires de La Salette fut créée pour la desserte du pèlerinage. La médaille représente sur l’avers la Vierge portant une coiffe, à la droite de deux enfants : un garçon et une fille, avec l’inscription N.D. DE LA SALETTE PPN [Priez Pour Nous] ; le revers représente le sanctuaire, avec l’inscription [S]ANCTUAIRE DE ND DE LA SALETTE. La basilique néo-romane fut construite de 1861 à 1879 ; elle ne ressemble pas à l’édifice représenté au revers de la médaille qui a dû être frappée avant sa construction (Fig. 33).

Fig. 33 : Médaille de Notre-Dame de La Salette (S143), avers et revers

Médaille de pèlerinage à Notre-Dame de Montenero (Italie, Toscane)

72Une autre médaille d’origine italienne, trouvée dans la sépulture d’un homme de 50 à 69 ans (S142) provient d’un sanctuaire de pèlerinage peu connu en France : celui de Notre-Dame de Montenero, construit sur une colline au-dessus de Livourne, en Toscane (Fig. 34). L’avers représente une Vierge couronnée avec l’inscription : [MADO]NNA DI MONTENERO. Un tableau est à l’origine de ce sanctuaire. Il représente la Vierge assise sur un coussin avec l’Enfant Jésus sur son genou gauche. L’Enfant Jésus s’accroche d’une main à la Vierge et montre de l’autre un oisillon posé sur le bras droit de celle-ci. Les mentions les plus anciennes de cette œuvre remontent à l’année 1345. Le tableau a été reconnu par le Vatican en 1690 et le sanctuaire élevé au grade de basilique mineure par un bref papal de Pie VII le 21 août 1818 (TRECCANI 1951 : 749). Le revers représente un personnage masculin barbu et auréolé, portant une cuirasse et tenant dans ses mains un étendard sur lequel figure une croix. On lit l’inscription STO VENANZIO. Il s’agit de saint Venanzio de Camerino en Ombrie (Italie), martyrisé au 3e siècle selon la tradition (CAHIER 1867 : 626-628). L’iconographie le représente avec une épée et un étendard ou un modèle de la ville de Camerino (RÉAU 1959 : 1308).

Fig. 34 : Médaille de Notre-Dame de Montenero (S142), avers et revers

73La date de production de cette médaille n’a pu être précisément déterminée, mais la sépulture S142 dans laquelle elle a été découverte, qui contient également un exemplaire de la médaille miraculeuse de l’apparition de la Vierge à Catherine Labouré, est nécessairement postérieure à 1832.

Médaille de pèlerinage à Notre-Dame de Bon Secours

74La médaille, découverte dans la sépulture d’un homme de 30 à 49 ans (S491), représente sur l’avers une Vierge couronnée, tenant l’Enfant sur son bras gauche et portant une longue cape ornée d’étoiles, avec l’inscription N. DAME DE BO[N SE]COURS, et sur le revers un ange tenant un enfant par la main, avec l’inscription L’ANGE GARDIEN (Fig. 35).

Fig. 35 : Médaille à Notre-Dame de Bon Secours (S491), avers et revers

75Les lieux de pèlerinage sous le vocable de Notre-Dame de Bon Secours étaient nombreux au 19e siècle et certains d’entre eux, comme les églises Notre-Dame de Bonsecours de Rouen, de Guingamp, de Saint-Avold en Moselle ou celle de Peruwelz en Belgique, ont frappé des médailles qui représentent à l’avers, comme celle de Rigny, l’image d’une Vierge à l’Enfant revêtue d’une longue cape et portant couronne : dans chacun de ces cas, elle représente la statue miraculeuse à l’origine du pèlerinage. Cependant aucune d’entre elles ne figure, au revers, une image de l’ange gardien. La provenance de la médaille trouvée à Rigny reste donc à identifier.

Médaille de mission en Chine

76Parmi les médailles qui évoquent des contacts à longue distance, il y a celle qui a été découverte dans la sépulture d’un enfant de 9 à 11 ans, S394, inhumé avec une chemise fermée par des boutons de corozo, donc après 1860. La médaille représente, sur l’avers, la Vierge portant l’Enfant sur son bras droit, et sur le revers, l’image de saint Joseph, barbu et auréolé, qui tient de la main droite son emblème, un bâton fleuri (Fig. 36). La médaille comporte sur ses deux faces des inscriptions en chinois. À l’avers il est écrit « Sainte Marie priez pour nous », et au revers, où les idéogrammes sont partiellement effacés, seul le nom de Joseph est lisible1.

Fig. 36 : Médaille de mission en Chine (S394), avers et revers

77Cette médaille a certainement été fabriquée à l’intention d’une des missions d’évangélisation envoyées par les Missions étrangères de Paris, les Jésuites ou les Lazaristes, très actifs en Chine au 19e siècle.

Médaille au Sacré-Cœur, Salut de la France

78D’autres médailles peuvent avoir une connotation politique. C’est le cas de celle qui a été découverte dans la sépulture d’un enfant de 10 à 13 ans (S257), datée entre 1860 (apparition en France des boutons de corozo) et 1865 (abandon du cimetière).

79La médaille présente à l’avers l’inscription : MARIE A ÉTÉ CONCUE SANS PÉCHÉ, entourée d’étoiles, et au revers, une représentation du Sacré-Cœur sous la forme d’un cœur enflammé entouré d’une couronne d’épines et surmonté d’une croix, avec l’inscription :…[S]ALUT DE LA FRANCE (Fig. 37).

Fig. 37 : Médaille au Sacré-Cœur (S257), avers et revers

80La dévotion au Sacré-Cœur de Jésus s’est développée à partir de la fin du 17e siècle à la suite des révélations d’une religieuse visitandine de Paray-le-Monial, Marguerite-Marie Alacoque : le Christ lui serait apparu à plusieurs reprises et l’aurait chargée d’une mission – celle de demander au roi Louis XIV de consacrer la France au Sacré-Cœur et de faire figurer son image sur les étendards du royaume. Sous la Révolution, l’image du Sacré-Cœur se charge d’une signification politique. Elle devient le signe de ralliement des contre-révolutionnaires, repris notamment lors de l’insurrection des Chouans. Sous la Restauration, un ouvrage anonyme paru en 1818, intitulé Le Salut de la France, qui a exercé une grande influence, a réclamé à nouveau la consécration de la France au Sacré-Cœur. Cette dévotion connaît dans la première moitié du 19e siècle un développement important qui aboutit en 1856 à l’extension par le Pape Pie IX de la fête du Sacré-Cœur à l’Eglise universelle et en 1864 à la béatification de Marguerite-Marie Alacoque. Elle atteint son apogée après le désastre de 1870. C’est également à partir de cette date que le pèlerinage de Paray-le-Monial prend une importance nationale (BOUTRY, CINQUIN 1980 ; RODRIGUEZ 1998). Les médailles frappées à Paray-le-Monial au cours de cette période représentent sur l’avers le Christ tenant entre ses mains le Sacré-Cœur surmonté d’une croix, et sur le revers une inscription commémorant le pèlerinage national de 1873. Elles diffèrent de celle de Rigny, qui pourrait représenter un modèle plus ancien, antérieur à l’apogée du pèlerinage de Paray-le-Monial. Quoi qu’il en soit, la médaille découverte dans la sépulture S257 s’inscrit incontestablement dans le courant catholique intransigeant et légitimiste qui voit dans la dévotion au Sacré-Cœur le moyen d’expier les crimes de la Révolution et d’obtenir le rétablissement de la monarchie.

Médaille militaire de Sainte-Hélène

81La médaille de Sainte-Hélène (Fig. 38), qui présente, à l’avers, le profil de l’empereur entouré de l’inscription NAPOLEON Ier EMPEREUR, et au revers le texte : A SES COMPAGNONS DE GLOIRE SA DERNIERE PENSÉE STE HELENE 5 MAI 1821, avec l’inscription circulaire CAMPAGNES DE 1792 À 1815, fut instituée par le décret du 12 août 1857 par Napoléon III pour « honorer par une distinction spéciale les militaires qui ont combattu sous les drapeaux de la France dans les Grandes Guerres de 1792 à 1815 ». Réalisée en bronze par le graveur Désiré-Albert Barre, elle fut distribuée aux survivants des guerres de la Révolution et de l’Empire — 42 années après la fin des combats — avec un diplôme délivré par la Grande Chancellerie de la Légion d’Honneur, certifiant que le titulaire avait servi durant la période 1792-1815.

Fig. 38 : Médaille militaire de Sainte-Hélène (S1004), avers et revers

82L’exemplaire de la médaille qui a été trouvé à Rigny a été découvert dans la sépulture d’un homme âgé de 60 à 80 ans (S1004), inhumé avec une paire de boucles d’oreille en or.

Gestion du Grand et du Petit cimetière

83Le Grand cimetière n’est pas utilisé de façon uniforme. Une plus forte densité de tombes s’observe au droit de l’église alors que la partie ouest est peu à peu désaffectée. Par ailleurs, au cours du 19e siècle, la profondeur des fosses augmente considérablement.

84Dans la zone d’occupation dense, des rangées de tombes existent, pour les sépultures les plus tardives, au 19e siècle. Ces fosses profondes concentrent une partie importante des ossements erratiques. Les décomptes effectués par Christian Theureau sur le comblement de 18 de ces fosses tardives montrent qu’elles recélaient au moins 70 individus redéposés (THEUREAU 1995 : 218-220). L’impression retirée est que des emplacements attitrés existent. Dans deux cas ont été aussi observées des réductions faites dans des caisses de bois inhumées. L’une d’elles contenait un unique squelette (S1087), tandis que la seconde (F253), placée à la tête de la sépulture S347, contenait le squelette d’un homme, celui d’un enfant et les restes osseux de quatre autres sujets (THEUREAU 1992 : 129-130).

85Le Petit cimetière a été installé après un décaissement des sépultures antérieures et a lui-même été l’objet de plusieurs nettoyages en un laps de temps très court (trois quart de siècles au maximum) avant d’être supprimé définitivement avant 1826 pour dégager l’accès à l’église. L’abandon de cet espace d’inhumation devant la façade ouest de l’église s’est accompagné d’un arasement des terres du Petit cimetière et du démantèlement de son mur de clôture jusqu’aux fondations. On peut vraisemblablement lier à cet événement la constitution de l’ossuaire d’enfants F36.

86La fermeture du cimetière, en 1865, s’est traduite par le transfert de certaines sépultures dans le nouveau cimetière. Ainsi ont été mises au jour huit fosses de récupération, et dans deux d’entre elles, un cercueil vide (F272 et F278). Dans le comblement d’une de ces fosses de récupération se trouvaient les débris d’une pierre tombale (F261).

Conclusion

87Au cours des onze siècles d’occupation funéraire du site de Rigny, la pratique de l’inhumation soit en pleine terre, soit en contenant de bois, demeure constante en dépit des variations des modes d’assemblage, et concerne une majorité de sépultures à toutes les époques. Sous cette apparence de continuité, l’impossibilité de quantifier la proportion respective des coffrages de bois construits dans la fosse de sépulture, et celle des cercueils assemblés sans clous dans lesquels le défunt était transporté, masque cependant une transformation importante, celle de la relation au cadavre, qui était visible dans le premier cas, et dissimulé dans le second.

88D’autres changements significatifs des pratiques funéraires, qui ne sont pas propres à Rigny, sont observables à deux moments distincts :

  • Dans la seconde moitié du 11e siècle, la « pétrification » de la sépulture en coffrage anthropomorphe, destinée à protéger le corps du défunt, et le dépôt dans la tombe de vases funéraires dont les fumigations, pendant la cérémonie, étaient censées dissiper l’odeur du cadavre pendant son transport et sa mise au tombeau, constituent des innovations marquantes. Ces usages concomitants qu’on observe entre la seconde moitié du 11e siècle et le début du 15e siècle, au cours d’une parenthèse de trois à quatre siècles, ne concernent qu’une minorité de sépultures proches de l’église et représentent sans doute la marque d’un certain statut social. Leur disparition, qui est à peu près contemporaine de l’apparition des cercueils cloués mais aussi de la spécialisation des espaces funéraires, pourrait peut-être correspondre à un abandon des tombes construites dans la fosse au profit des cercueils qui permettent de transporter les cadavres sans les exposer à la vue.
  • Le second changement majeur, au 19e siècle, correspond à la multiplication des objets personnels dans les tombes qui va de pair avec l’éloignement des morts et leur confinement dans des fosses de plus en plus profondes, dans des espaces funéraires clos de murs et écartés des voies de passage. Les objets personnels qui, à de très rares exceptions près, étaient absents des tombes médiévales, sont introduits en petit nombre, d’abord exclusivement sous la forme d’anneaux et de bagues, dans les sépultures des Temps modernes mais leur prolifération et leur diversification datent de l’utilisation du Grand cimetière enclos (ap.1752-1865), et tout particulièrement de la dernière phase d’inhumation (ap.1819-1865). La multiplication de ces objets personnels (bijoux, chapelets, insignes militaires, médailles de pèlerinage) permet d’entrevoir, dans les dernières décennies d’utilisation du Grand Cimetière, quelques éléments de trajectoires individuelles et donne à certains défunts un semblant de contexte biographique. La présence dans une sépulture d’une plaque de shako et dans une autre d’une médaille de Sainte-Hélène révèlent certainement la présence de militaires de la Grande Armée. Les médailles pieuses trouvées dans les sépultures confirment l’importance bien connue de la dévotion mariale au 19e siècle et donnent un aperçu des sanctuaires plus ou moins lointains avec lesquels les habitants de Rigny étaient en contact, même si toutes n’impliquent pas nécessairement un pèlerinage effectué par le défunt lui-même. La médaille miraculeuse de sainte Catherine Labouré, commémorant l’apparition de la Vierge en 1830, qui est la plus répandue, semble avoir été diffusée par millions par des voies autres que le pèlerinage à la chapelle de la rue du Bac à Paris : on sait que les Filles de la Charité en donnaient aux malades qu’elles soignaient, et que les curés en distribuaient également à leurs paroissiens. La version italienne de cette médaille, trouvée dans la sépulture féminine S143, suggère en revanche un voyage en Italie, et cela d’autant plus que la même tombe contenait une médaille du sanctuaire de La Salette, dans les Alpes, au sud de Grenoble, qu’on imagine plus ou moins situé sur le trajet. On peut penser aussi à une connexion italienne pour le défunt S142, dont la sépulture contenait, avec une médaille miraculeuse de Catherine Labouré en version française, la médaille d’un sanctuaire peu connu en France, celui de Montenero en Toscane. La médaille représentant la Vierge et saint Joseph entourés d’inscriptions en idéogrammes, trouvée dans la tombe d’un enfant (S394), représente sans doute un souvenir d’une mission en Chine peut-être effectuée par un proche, tandis que la médaille sous l’invocation du Sacré-Cœur, Salut de la France, découverte dans la sépulture d’un autre enfant (S257) doit traduire les convictions légitimistes et contre-révolutionnaires de sa famille.

89Tout au long de l’utilisation de la zone d’inhumation, les pratiques funéraires sont peu différenciées en fonction de l’âge et du genre.

90L’existence de secteurs d’inhumation réservés aux enfants semble avoir été intermittente, et jamais exclusive. Une concentration de sépultures d’enfants qui incluait cependant un nombre non négligeable d’adultes a été observée contre le mur gouttereau nord de l’église entre le 12e et le 15e siècle, date de l’abandon de cette zone d’inhumation. Un secteur réservé aux enfants a ensuite été établi à partir du 15e siècle d’abord dans l’avant-corps mis au jour devant la façade occidentale de l’église (la « galerie » mentionnée dans les registres paroissiaux du 17e siècle (THOMAS 1992)). Le Petit cimetière enclos après 1752 représente un agrandissement de cette zone d’inhumation d’enfants devant le portail occidental. Il fut supprimé au plus tard en 1826.

91Dans la dernière phase d’inhumation dans le Grand cimetière (G21, ap.1819-1865), les enfants en bas âge sont parfois inhumés avec des colliers de perles de verre, de jais ou d’ambre, auxquels on attribuait peut-être un caractère prophylactique. Le dépôt de chapelets n’apparaît au contraire que dans les sépultures d’enfants de plus de 6-8 ans, ce qui correspond à l’âge de raison ou de discrétion.

92Les marqueurs du genre dans les inhumations de Rigny sont peu nombreux, même dans les accessoires de vêtement. Si les boucles de ceinture, très rares (à peine une dizaine du Moyen Âge à l’époque contemporaine), sont exclusivement un attribut masculin, la spécialisation par genre est moins nette pour les boutons en os, en corozo et en nacre retrouvés en contexte dans 18 sépultures de la dernière phase d’inhumation du Grand cimetière (8 hommes, 8 immatures, 2 femmes).

93Parmi les contenants, une légère distinction apparaît pour les coffrages de pierre anthropomorphes qui sont davantage utilisés au Moyen Âge pour les hommes que pour les femmes et les enfants (22 hommes, 14 femmes, 8 enfants) – alors que les vases funéraires sont un peu plus fréquents dans les sépultures féminines (6 hommes, 10 femmes, 1 enfant), mais ces effectifs sont trop faibles pour être significatifs.

94Parmi les 29 tombes qui contiennent des chapelets, qui appartiennent toutes à la dernière phase d’utilisation du Grand cimetière, il y en a plus de la moitié (16) qui sont des sépultures de femmes, le restant étant réparti entre des sépultures d’hommes (8) et d’enfants (5).

95En ce qui concerne les parures, les anneaux et les bagues qui apparaissent dans les sépultures des Temps modernes sont principalement féminins mais peuvent être portés parfois aussi par des hommes jusqu’au milieu du 18e siècle. Dans le Grand cimetière enclos (ap.1752-1865), en revanche, les anneaux, beaucoup plus fréquents, sont exclusivement féminins, alors que les bagues, bien plus rares, continuent à être portées par les deux genres. Curieusement, c’est aussi le cas des boucles d’oreilles qu’on trouve dans six sépultures de femmes, une sépulture d’adolescent de sexe indéterminé, mais aussi dans deux sépultures d’hommes (dont celle d’un vieux grognard de la Grande Armée (S1004)).

4.2 La population archéologique confrontée à celle des registres paroissiaux et de l’Etat-civil (v. 1750-1865)

Henri Galinié

96La fouille peut donner matière à une réflexion consacrée à la représentativité des données mises au jour pour les quelque 125 dernières années d’utilisation du cimetière.

97Entre les années 1750 et 1849, on dénombre 2541 décès notés dans les registres paroissiaux puis dans ceux de l’état civil, soit aux environs de 25,5 morts par an, dont la quasi-totalité a été inhumée dans le cimetière de Rigny (THOMAS 1993 : 31-33 ; THOMAS 1992 : 41-44).

98Le Grand cimetière (groupes chronologiques G20, ap.1752-1865 et G21, ap.1819-1865) a livré un minimum de 317 sépultures et le Petit cimetière (groupe chronologique G19, ap. 1752-vers 1826) 94 sépultures, soit un total de 411 individus (Schéma chronologique 2). Les dénombrements sont plus faciles et précis dans le Petit cimetière réservé aux enfants et d’utilisation moins longue que dans le Grand cimetière dont la stratification est parfois rendue problématique par les nombreux creusements de fosses. Les tombes d’affectation chronologique suspecte ont été écartées ici ; le nombre de 317 sépultures représente ainsi un décompte minimum assuré.

99Il est possible de postuler que l’utilisation des deux cimetières (Grand et Petit) puis celle du seul Grand couvrent à peu près 115 ans, des environs de 1750 à 1865. Pour ce laps de temps, les registres paroissiaux et l’état civil conduisent à évaluer la population inhumée à environ 2850 individus, si l’on considère que décès à Rigny (paroisse) puis à Rigny-Ussé (commune) vaut inhumation dans le cimetière situé à Rigny.

100La population archéologique représente ainsi, pour ces 115 ans, 14% de la population réelle estimée. Au cas, peu vraisemblable, où toutes les sépultures (142) du groupe chronologique G18, tenues à l’écart de ce décompte, appartiendraient au Grand cimetière, l’effectif de la population archéologique représenterait à peu près 19% de la population réelle estimée.

101Par ailleurs, comme il est impossible d’attester que les Petit et Grand cimetières ont effectivement été clos à la date précise de 1750 (cf. ci-dessus Chapitre 4.1), il faut prendre en considération deux autres cas de figure : la mise en place de la clôture vers 1740 ou vers 1760. Les 411 individus de la fouille représentent 13% pour une décennie d’utilisation ajoutée (1740-1865) et 15,16% pour une décennie retranchée (1760-1865). Quelle que soit l’hypothèse retenue, il apparaît que l’échantillon est globalement représentatif, situé au-dessus de 10% de la population réelle estimée.

Adultes et immatures

102Le groupe chronologique G21 comporte un nombre minimum de 165 sépultures auxquelles il faut ajouter les 8 fosses de récupération (transfert des corps au nouveau cimetière du village). Le nombre minimum des individus inhumés dans les limites de la fouille est donc établi à 173.

103Hypothèse A : les cercueils T (à clous tréfilés) sont contemporains du dépôt des médailles dans les tombes, vers 1830. La fouille aurait alors mis au jour ± 23% de la population de la commune des années 1830-1865, correspondant à une estimation de 628 décès, sur la base des 2850 évoqués plus haut.

104Hypothèse B : les cercueils T apparaissent vers 1820 : le nombre des décès, estimé à 965 entre 1820 et 1865, engendre une diminution de la population archéologique à ±18% de la population de la commune.

105Quelle que soit l’hypothèse retenue, la population archéologique du Grand cimetière peut être considérée comme un échantillon représentatif pour ce qui est des modes d’inhumation et des pratiques funéraires.

106En revanche, l’étude de la répartition spatiale des tombes se heurte à des limites. La fouille n’a en effet représenté que 30% de la superficie du Grand cimetière, dans la moitié haute de ce dernier, la plus proche de l’accès à l’église. L’existence de secteurs réservés ne peut donc être exclue. Les secteurs proches de la clôture, dans la partie occidentale du cimetière clos, montrent une densité d’occupation bien moindre que les secteurs proches de l’accès, vers le centre du cimetière. De plus, le bas du cimetière, proche du ruisseau, quoique clos, pouvait ne pas être utilisé : un rapport effectué en mars 1864 par le médecin de la commune à la demande du maire indique que « l’on ne peut enterrer dans plus de la moitié de l’étendue, à causes des sources d’eau trop près de la surface du sol » (JOUQUAND, THOMAS 1992 : 49).

107Aucune répartition sexuée ou sociale n’est apparente dans la population archéologique, mais on ne peut cependant exclure l’hypothèse d’une répartition sélective des tombes entre haut et bas du cimetière par exemple, ou en fonction de la proximité des tombes par rapport à l’accès de l’église, à hauteur du porche.

La question des enfants

108Avec 66 immatures sur 317 individus inhumés dans le Grand cimetière, soit 20,82% de décès avant l’âge adulte, les ordres de grandeur correspondent à ce qui est admis pour les populations traditionnelles.

109La prise en considération des sépultures du Petit cimetière porte la population des immatures à 159 individus pour le total de 411, soit 38,6 % de la population décédée avant l’âge adulte. Ce dénombrement sous-entend une mise en place à peu près simultanée des deux cimetières au milieu du 18e siècle, hypothèse recevable. Les mises en nourrice à Rigny d’enfants en bas âge de Tours et de Chinon expliquent la sur-représentation des enfants du 17e au 19e siècle. Les « petits enfants » de moins d’un an représentent en moyenne 15% des décès d’immatures, avec un pic à 26% dans les années 1751-1790, lorsque le Petit cimetière était en usage (THOMAS 1993 : 39-42).

110De plus il faut souligner que le nombre des enfants en bas âge est nécessairement sous-évalué car un nombre inestimable de squelettes a disparu à la suite du creusement de nouvelles fosses qui ont disséminé les ossements.

Décès d’enfants de moins d’un an entre 1750 et v. 1826

111Il est admis que ces années correspondent à l’usage simultané des Grand et Petit cimetières

DécenniesEnfants en nourriceTotal des décès
1751-176047107
1761-17702692
1771-17801791
1781-179012104
1791-1800461
1801-1810456
1811-18201358
Totaux123569
Fig. 39 : Les décès d’enfants de moins d’un an entre 1750 et vers 1826

112Pour ces 70 ans, les enfants en nourrice représentent 21,61% des décès d’enfants de moins d’un an (THOMAS 1993 : 40, Fig. 46). Sur le total de 569 enfants décédés avant 1 an d’après les registres, la fouille a mis au jour au maximum 42 d’entre eux dans le Petit cimetière : 20 périnataux et 22 entre 0 et 1 an.

Sépultures d’enfants du Petit cimetière

113Les sépultures fouillées dans le Petit cimetière (groupe chronologique G19) sont au nombre de 94. Hormis un adulte (S129), un homme de 49-60 ans, il s’agit, sans exception, d’enfants de moins de 10 ans.

11484 enfants appartiennent à la phase finale d’utilisation du Petit cimetière et huit à une phase antérieure, ce qui implique la disparition de squelettes en nombre, à l’occasion d’un (ou de plusieurs) décaissement du sol.

fœtus et périnataux20
0<1 an22
1<3 ans14
2<5 ans20
3<6 ans9
4<10 ans8
Fig. 40 : Les sépultures d’enfants du Petit cimetière

115Au moins 85 des 93 enfants du Petit cimetière présentent un âge au décès inférieur à 6 ans. Ce Petit cimetière apparaît ainsi réservé aux « petits enfants ». La forte présence de fœtus et de périnataux (4 + 16), quoique sous-estimée, montre des enfants issus de fausses couches, mort-nés ou décédés peu après la naissance dans les tout premiers mois de la vie.

116Aucun de ces enfants n’était accompagné de dépôt funéraire.

Sépultures d’enfants du Grand cimetière

117Le nombre total (adultes et enfants) des sépultures fouillées dans le Grand cimetière est au minimum de 317, et au maximum de 459.

118Les totaux porteront sur les groupes chronologiques G20 (165 sépultures) et G21 (152 sépultures), confondus ou séparés selon les besoins, et ignoreront le groupe G18 dont les 142 sépultures ne peuvent sans doute pas être rattachées au Grand cimetière clos.

Immatures du Grand cimetière

G20G21Totaux
fœtus et périnataux538
0<1 an235
1<3 ans336
2<5 ans6915
5<10 ans9514
9<16 ans10818
Totaux353166
Fig. 41 : Les sépultures d’immatures du Grand cimetière

119Chronologiquement, le groupe G21 doit correspondre aux années 1830-1865, à quelques années près. Cette phase montre une proportion d’enfants supérieure à celle notée dans le groupe G20, débuté antérieurement, à partir de 1750, lorsque le Petit cimetière était en usage, puisque, à partir d’ « avant 1826 », tous les petits enfants furent inhumés dans le Grand cimetière. Or, le rapport n’atteint pas un à deux, puisque le groupe G20 est censé couvrir à peu près 70 ans, de 1750 à 1820 et le groupe G21, 35 à 45 ans, de 1820/1830 à 1865.

120Le nombre des mises en nourrice a certes beaucoup faibli mais il est possible qu’ait existé un secteur réservé aux « petits enfants » dans le Grand cimetière, hors des limites de la fouille. Ceux qui ont été retrouvés se répartissent de façon inégale, avec une légère concentration à proximité de l’entrée. Le creusement des fosses d’adulte a sans aucun doute fait disparaître un grand nombre de corps. À titre d’exemple, une évaluation du nombre minimum d’individus menée sur 18 fosses d’inhumation d’adultes du Grand cimetière a conduit à évaluer à 4,2 le nombre moyen des individus dont des membres étaient redéposés dans chaque fosse (THEUREAU 1995 : 218-220).

En conclusion

121L’examen des sources écrites montre que l’on ne peut tirer argument de l’usage du Petit cimetière pour considérer la date après « avant 1826 » comme terminus post quem pour les petits enfants inhumés dans le Grand cimetière. En effet, F. Thomas (THOMAS 1992 fig. 20) a révélé qu’au temps de l’utilisation de la galerie, puis du Petit cimetière, des « petits enfants » étaient aussi parfois inhumés dans le cimetière ouvert puis dans le Grand cimetière au milieu des adultes. La séparation des enfants des adultes relève donc d’un usage, non d’une règle.

122Les observations faites ici incitent à la plus grande prudence à propos de l’usage des nombres de squelettes d’enfants. Leur présence ne peut être que sous-représentée et, qui plus est, de manière inversement proportionnelle à leur âge. Les décès des périnataux et des très jeunes enfants échappent dans des proportions inestimables.

4.3 Le style de vie et le statut social du curé de Rigny entre le milieu du 15e et la première moitié du 18e siècle : quelques aperçus

123Parmi les habitants de Rigny, il en est un dont le mode de vie et le statut social sont un peu mieux éclairés par la documentation, sous des angles différents selon la période et le type de source : il s’agit du curé, ou plutôt des générations de curés qui ont occupé le presbytère.

La table du curé vue des latrines (2e moitié du 15e siècle)

Françoise Bouchet, Philippe Husi, Céline Legoff, Marie-Christine Marinval, James Motteau, Marie-Pierre Ruas, Elisabeth Zadora-Rio

 

124Le premier presbytère (bâtiment 11, état 1) a été construit vers le milieu du 15e siècle, sur le modèle des manoirs seigneuriaux : la présence d’une tourelle d’escalier hors-œuvre, de fenêtres vitrées, et surtout celle de latrines maçonnées, sont, à la fin du Moyen Âge, des caractéristiques propres aux résidences aristocratiques (Section 4, P2/1).

125La fouille des latrines (F509), accolées contre le pignon ouest du bâtiment, a donné des informations sur l’alimentation des habitants du presbytère dans la seconde moitié du 15e siècle. Le fond du réceptacle était constitué par une couche de mortier solidifié. Le comblement, conservé sur environ 0,80 m de hauteur, était stratifié et comportait, au-dessus d’une couche cendreuse, une strate épaisse contenant beaucoup de céramique, de fragments de verre, de déchets organiques (déchets d’origine fécale et rebuts de cuisine : ossements animaux, coquilles d’œuf, concentrations d’écailles de poisson, restes végétaux…). La présence de dépôts brunâtres caractéristiques sur les tessons indique que les latrines avaient conservé leurs fonctions primitives tout en servant de dépotoir, ce que confirment également l’analyse paléoparasitologique et l’analyse carpologique.

126La datation (révisée) de la céramique comme celle du verre situe vers le milieu du 15e siècle les niveaux de comblement des latrines.

127La moitié du comblement a été prélevée pour être ensuite tamisée sur une colonne de trois tamis de 5mm, 2mm et 0,5mm. Seul le contenu des deux premiers refus de tamis a été trié sous loupe binoculaire pour l’analyse du matériel carpologique et archéozoologique. L’analyse carpologique (RUAS 1995) a permis d’extraire 4654 semences et fragments et d’attester 49 taxons, parmi lesquels 5 céréales (avoine, blé tendre/dur, orge vêtue, seigle et millet commun, 3 légumineuses (féverole, pois et peut être pois chiche), 1 espèce oléagineuse/textile (le chanvre), 10 espèces fruitières : nombreux noyaux de fruits charnus, coques de noix et noisettes, fraises, cerises, raisins de table. La présence de pépins de figues et de mûres de Mûrier noir — deux essences surtout exploitées dans l’aire méditerranéenne mais peut-être acclimatées — mérite d’être soulignée, de même que celle de plantes aromatiques (Fenouil, Moutarde, Nigelle de Damas). On note cependant l’absence des épices les plus chères : ni poivre, ni graine de paradis ni noix muscade ni cardamome (RUAS 1995 : 244-245).

128Une première étude archéozoologique a été réalisée sur le matériel provenant à la fois de la fouille (macro-restes) et d’un échantillonnage réalisé à partir des refus de tamis. La concentration en restes d’origine animale dans le comblement des latrines était très dense (esquilles d’os de mammifère, écailles de poissons, fragments de coquille d’œuf de poule,…) : c’est sur près de 20 000 restes qu’a porté cette analyse réalisée par C Legoff, dans le cadre d’une maîtrise d’archéologie sous la direction de M.-C. Marinval en 2001.

129Les 4475 restes osseux déterminés à l’échelle taxonomique se répartissent comme suit : 2608 ossements d’oiseaux, 1593 ossements de poissons, 274 restes osseux de mammifères et 58 restes de micro-mammifères (LEGOFF 2001).

130L’avifaune est représentée surtout par la poule (Gallus gallus) (2355 restes, au moins 67 individus), consommée jeune (poussins, juvéniles et immatures prédominent). Les autres oiseaux, très probablement domestiques (l’oie, le canard colvert et le pigeon), ne jouent qu’un rôle très secondaire. Des espèces sauvages, turdidés (merle ou grive), corvidés et passereaux sont également représentées dans le comblement des latrines, elles aussi très probablement consommées bien que l’absence de traces ne permette pas de l’affirmer avec une totale certitude. De très nombreux restes de coquilles d’œufs de poule attestent l’importance de leur consommation.

131L’ichtyofaune est très largement dominée par les poissons d’eau douce : les restes d’anguille sont de loin les plus nombreux, suivi par ceux des cyprinidés ou poissons blancs. La carpe est présente (5 restes reconnus). La perche et le brochet sont plus rares. Les poissons de mer, sans doute arrivés salés ou fumés, sont représentés uniquement par quelques restes de hareng (non étêté) et de Flet ou Carrelet.

132Parmi les mammifères consommés, le porc est de loin le mieux représenté (169 restes, au moins 19 individus). Il est attesté presqu’uniquement par des extrémités de membres, de jeunes, très jeunes voire d’immatures, portant des traces de consommation. Y a-t-il eu une consommation particulière de pieds de porc ? Les caprinés, nettement moins représentés que le porc, sont attestés par un choix de parties consommables un peu plus diversifié mais les bas de pattes et les vertèbres caudales dominent, avec des traces de découpe attestant la consommation de pieds et de queues de moutons. Comme pour le porc, il s’agit d’individus juvéniles, immatures ou très jeunes. Le bœuf n’est représenté que par deux restes. Enfin, le gibier à poil n’est attesté que par quelques restes de léporidés présentant des traces de découpe.

133La fouille a livré également des restes de petits mammifères qui ont été rejetés dans la latrine sans avoir été consommés (un chat ainsi que des souris, rats noirs et lérots).

134L’analyse paléoparasitologique a révélé un spectre parasitaire varié. Les habitants du presbytère souffraient d’Ascaridiose et de Trichocéphalose entraînant des troubles digestifs. La présence d’œufs de petite Douve (Didrocoelium dendriticum) indique qu’ils consommaient des foies ou des tripes de porcs, ovins ou bovins parasités, et l’identification d’œufs de Toxocara, Ascaris de canidés ou de félidés permet d’affirmer la présence de chat(s) ou chien(s) souffrant eux-mêmes de parasitose (BOUCHET, PAICHELER, BENTRAD 1995).

135Ces analyses du comblement des latrines donnent quelques indices sur le niveau de vie des habitants du presbytère dans la seconde moitié du 15e siècle. Les légumes et les fruits consommés sont diversifiés mais représentent pour l’essentiel des produits locaux, les seules variétés plus rares étant la figue, le Mûrier noir, et la Nigelle de Damas (bien qu’une seule graine soit attestée, elle constitue le premier témoin de la consommation de cette espèce en France) (RUAS 1995 :243). La prédominance du porc dans la triade domestique, ainsi que le caractère juvénile des animaux consommés (qu’il s’agisse du porc, des caprinés ou de la poule), sont généralement considérés comme caractéristiques du profil alimentaire des milieux privilégiés, mais le fait que les pièces consommées soient constituées principalement de pieds de porcs et de moutons, à l’exclusion, ou presque, des parties plus charnues, invite sans doute à relativiser ce constat (COTTÉ 2007 ; COTTÉ 2008, I : 495-514).

136Le vaisselier du presbytère témoigne d’un train de vie relativement modeste. La vaisselle en terre cuite correspond à des productions courantes (de conservation, de cuisine et de table) et la vaisselle de verre (gobelets et flacons à base de fondant potassique) est tout aussi ordinaire, à l’exception d’un gobelet en verre incolore cristallin, à base de fondant sodique, de type Tours 4, de provenance méditerranéenne, seul objet « de luxe » dans le mobilier du presbytère (MOTTEAU 1995 ; MOTTEAU 2007).

La reconstruction du presbytère dans l’esprit de la Contre-Réforme (milieu du 17e siècle)

Elisabeth Zadora-Rio

137À la suite du Concile de Trente (1545-1563), dont les dispositions furent reprises, en France, par la législation royale, la Contre-Réforme catholique s’appliqua à renforcer l’encadrement pastoral et à rehausser le prestige du clergé rural. Elle modifia les conditions de recrutement des curés, d’une part, en exigeant un certain niveau d’instruction et en instituant les séminaires pour les former ; d’autre part en stipulant que la prêtrise ne pouvait être conférée qu’à ceux qui jouissaient d’un bénéfice ecclésiastique ou d’un « titre clérical » ou « patrimonial » (sorte de rente constituée par la famille) leur permettant de vivre dignement en attendant une cure (SIMON SANDRAS 1988 :14). Ces conditions imposées par la Contre-Réforme tridentine au recrutement sacerdotal expliquent l’origine urbaine et aisée de la plupart des curés de campagne. Des ordonnances royales successives de 1579 à 1629 s’efforcèrent d’imposer aux évêques l’obligation de créer au moins un séminaire par diocèse, et elles furent finalement suivies d’effets : une centaine de séminaires fut créée entre 1642 et 1742 (SIMON SANDRAS 1988 :10). Celui de Tours fut établi en 1662 par l’archevêque Le Boutiller, et sa fondation fut confirmée par lettre patente du 23 mai 16652.

138Conformément aux prescriptions du Concile de Trente relatives à l’obligation de résidence du curé dans sa paroisse, la législation royale prit des dispositions pour la rendre effective et faire supporter aux fidèles la charge de la construction et de l’entretien des presbytères. L’Ordonnance de Blois de novembre 1576, qui contraignait les paroissiens à fournir une habitation décente à leur curé, ayant eu peu d’effet, ses prescriptions furent renforcées par l’édit d’avril 1689 et l’ordonnance d’avril 1695, régulatrice de la vie ecclésiastique jusqu’en 1790, qui stipule que les habitants de la paroisse sont tenus « de fournir aux curés un logement convenable » (édit d’avril 1695, art.22) (LEMAITRE 2002 : 181-202 ; SIMON-SANDRAS 1988 : 29-31). L’application de cette législation entraîna un renouvellement important de l’habitat du clergé dans l’esprit de la Contre-Réforme : c’est au cours du 17e siècle que s’impose un peu partout en France le modèle standardisé de la grande maison presbytérale en pierre, mesurant le plus souvent 13 à 15 m de long sur 6 à 7m de large, dotée d’un étage et d’un grenier, avec, au rez-de-chaussée, une cuisine et une salle disposées symétriquement de part et d’autre de l’axe central constitué par le vestibule et l’escalier, et à l’étage, deux ou trois chambres, parfois plus, généralement équipées chacune d’une cheminée. À quelques variantes près, on retrouve ce modèle en Alsace (ABEL 1983 : 101-102), en Franche-Comté (VERNUS 1986), en Bourgogne (WENZEL 1997), en Normandie (GOUHIER 1971 : 150 ; HUET 1972) et dans le Maine (PLESSIX 1987).

139Par ses dimensions, par le morcellement de l’espace intérieur, par le nombre de fenêtres et le nombre de cheminées, le presbytère est une demeure de notable qui témoigne d’un luxe bourgeois contrastant avec les maisons paysannes : il souligne l’écart entre le prêtre et ses fidèles. La présence d’un vestibule est également la marque d’habitations cossues, et une empreinte de modernité des maisons curiales, le couloir ne faisant son apparition que timidement au 18e siècle dans les classes moyennes de la société urbaine (WENZEL 1997).

140À Rigny, le presbytère du 15e siècle se distinguait déjà nettement des maisons paysannes par ses dimensions (13 x 8 m) et la présence d’un étage, mais il fut cependant remanié pour prendre une apparence plus conforme au modèle post-tridentin de la maison curiale. Selon les données archéologiques, c’est vers le milieu du 17e siècle que la solution médiévale de l’escalier en colimaçon, enfermé dans une tour hors-œuvre, a été remplacée à Rigny par un escalier intérieur situé dans un vestibule au milieu du bâtiment (Section 4, P2/2). Cette disposition est celle qui est attestée par un état des lieux établi en 18113, ainsi que par un plan et une élévation dressés en 1821 et accompagnés d’un descriptif4 (Section 4, P1/2).

141Le rez-de-chaussée comprenait deux pièces : la cuisine à l’ouest et une chambre à l’est, séparées par un vestibule qui ouvrait au nord sur la cour et qui abritait un escalier à deux volées. Les cloisons intérieures étaient en bois et en briques5. Chacune des pièces possédait deux fenêtres, l’une au sud, l’autre au nord.

142La cuisine comportait une cheminée au milieu du pignon ouest, ainsi qu’un évier avec un conduit d’évacuation vers l’extérieur, et dans l’angle nord-ouest, un potager en pierre percé de trois trous (les « potines », dans lesquelles on disposait de la braise pour réchauffer les pots). Du côté sud, de minces cloisons délimitaient deux petites pièces, l’office et une chambre de domestique. La chambre ou salle basse, de l’autre côté du vestibule, possédait également une cheminée.

143Au premier étage, au-dessus du vestibule, se trouvait un « cabinet » éclairé par une fenêtre située au-dessus de la porte d’entrée, et de part et d’autre, deux chambres à feu : une grande à l’est, à l’intérieur de laquelle se trouvait une garde-robe délimitée par deux cloisons, et une plus petite à l’ouest, séparée par une cloison d’un deuxième cabinet qui était éclairé par deux fenêtres, l’une dans le mur nord et l’autre dans le pignon ouest. Les cabinets pouvaient avoir des destinations variées : garde-robe, petit bureau, chambre de vicaire ou de domestique (HUET 1972).

144À Rigny, la maison curiale est associée à des bâtiments à vocation agricole représentés sur le plan terrier du 18e siècle, le cadastre de 1813 et le plan de 18216. Le logement principal et ses dépendances (cellier, grange, écurie…) sont disposés autour d’une cour carrée ceinte d’une clôture de pierre (Section 4, P0/11). Cette même disposition se retrouve fréquemment ailleurs, par exemple à Savigna dans le Jura en 1765 (VERNUS 1986 : 162).

L’intérieur et le style de vie du curé Guillaume Drouin d’après son inventaire après décès du 31 octobre 1727

Elisabeth Zadora-Rio et Céline Joulin

145Guillaume Drouin a pris ses fonctions de curé à Rigny en 1692, mais il abandonna son église dès 1693 en raison de la concurrence exercée par les chanoines de l’église Sainte-Anne d’Ussé. Il se ravisa cependant et regagna l’année suivante son presbytère où il mourut en 1727 (FILLETEAU 1893 : 97). Il mit peu de soin à enregistrer les décès infantiles et juvéniles et même les baptêmes au cours de son exercice sacerdotal (THOMAS 1993 : 13), mais il se montra préoccupé par le manque d’assiduité de ses ouailles et milita pour le transfert de l’église paroissiale dans un lieu moins isolé et plus facile d’accès. Il convoqua en 1701 une assemblée des habitants de Rigny, qui firent valoir que « ladite église est dans une très mauvaise situation, dans un fond, entre deux montagnes où l’égout des eaux y tombe de toutes parts, ce qui rend ladite église grandement humide », et qu’il ne leur était guère possible d’assister aux offices ni d’envoyer leurs enfants au catéchisme en raison de l’éloignement et de l’insalubrité de l’église, et le curé reconnut lui-même qu’il avait de grandes difficultés à aller administrer les sacrements aux malades et à faire porter les morts au cimetière car l’église était loin de tout et les chemins impraticables en hiver7.

146L’ inventaire après décès du curé Guillaume Drouin, daté du 31 octobre 17278, fut conduit par Martin Gaudichon, avocat en parlement, sénéchal et juge ordinaire du marquisat d’Ussé, et par le notaire François Liger, qui exerçait la charge de procureur de cour du marquisat, accompagné d’un greffier, et en présence des héritiers du curé, dans le but d’estimer la valeur des biens propres de celui-ci avant leur vente et le partage de la succession.

Le déroulement de la prisée

147La prisée se déroule en deux temps. Les priseurs commencent par un inventaire général des biens qui n’ont pas été mis sous scellés, en énumérant au fur et à mesure les objets qu’ils rencontrent, mais sans préciser dans quelle pièce ils se trouvent. Dans un second temps, les priseurs concentrent toute leur attention sur les biens situés dans des pièces ou des meubles fermés à clé, qui ont été placés sous scellés, et qui contrairement aux autres sont précisément localisés dans la maison. C’est donc par cette deuxième partie de l’inventaire qu’il convient de commencer pour reconstituer la topographie des lieux.

L’intérieur de la maison presbytérale

148La levée des scellés débute sous les combles du presbytère. Le premier sceau que les priseurs font lever est celui qui a été apposé sur la porte du grenier, dont ils décrivent le contenu : dix-huit setiers de blé méteil, mesure de Chinon, deux setiers de baillarge (orge de printemps), mesure de Chinon, un crible et sept fagots de chanvre non teillé. Ils lèvent ensuite les scellés apposés sur la serrure de la porte d’une « chambre haute », dans laquelle ils trouvent un lit à rideaux de droguet9, une mauvaise paillasse, une couette et un traversin de plumes d’oie, un mauvais habit noir, une paire de landiers10 en fer — attestant la présence d’une cheminée — ainsi que quatre setiers d’orge à la mesure de Chinon, dix-huit boisseaux de chènevis et quatre boisseaux de fèves. Cette « chambre haute » (au premier étage), dotée d’une cheminée et d’un lit, sert donc à la fois de chambre à coucher et de lieu de stockage de produits agricoles. Les priseurs descendent ensuite dans une « chambre basse » (au rez-de-chaussée), dont la porte n’est apparemment pas fermée à clé, et procèdent à l’examen et à la levée du sceau apposé sur les serrures d’une armoire à deux battants en bois de noyer qui contient des vêtements du curé, pour la plupart « presque neufs » (deux chemises d’homme de toile de brin11 presque neuves, un chapeau presque neuf, une « sottanelle » (ou petite soutane) sans manche, d’étamine noire, deux collets, un tour de cou, deux mauvaises paires de bas), quatre serviettes de toile commune, ainsi qu’un plat à barbe en faïence, un saladier et un grand flacon de verre.

149Les priseurs procèdent ensuite à l’examen et à la levée du quatrième et dernier sceau apposé sur la serrure d’un coffre de noyer qui se trouve également dans la chambre basse, et font l’inventaire de son contenu. Outre une nappe et une serviette en toile commune, le coffre contient des ustensiles de cuivre jaune (un bassin, une passoire, une petite tourtière, un petit chaudron, deux petits chandeliers, une cuillère à pot), une grande et une petite poêle de fer avec une lèche-frite, ainsi que toute la vaisselle d’étain du curé, constituée de vingt-deux pièces d’étain commun (plats, mazarines12, assiettes, écuelle à oreilles, salière), auxquelles s’ajoutent deux grands plats et six assiettes d’étain fin.

150Outre les ustensiles de table et de cuisine, le coffre contenait trois livres, les seuls mentionnés dans l’inventaire : un « in-follio intitulée proemieum Inevengellia13, un autre livre qui est le brévière de Tourainne14, un petit brévière Romain15 estimé vingt sols », ainsi que 56 registres des baptêmes et des sépultures de la paroisse de Rigny entre 1580 et 1727 (avec des lacunes) et 27 actes divers datés de 1620 à 1714 concernant la cure (des dîmes levées dans la paroisse de Rigny, mais aussi dans les paroisses voisines de Huismes et d’Avoine, un accord concernant les dîmes novales des îles de Loire, des dossiers concernant des rentes en espèce ou en nature, des baux à ferme, l’acte de vente d’un bois de futaie, des déclarations féodales des domaines de la cure relevant de la seigneurie d’Ussé, de celle de Bréhémont et de celle de Milly (dans la commune de Bréhémont). Le procès-verbal indique que les registres paroissiaux et les papiers concernant la cure de Rigny doivent être remis entre les mains du titulaire futur de la cure. Il énumère ensuite huit documents concernant la succession du curé Drouin qui se trouvaient également dans le coffre, et fixe ensuite la date de la vente des biens qui doit avoir lieu dans la maison presbytérale le dimanche suivant à 9h. Le total des estimations est arrêté à la somme de 905 livres 18 sous 6 deniers.

151L’inventaire des biens sous scellés donne des indications sur l’organisation verticale du presbytère dont les pièces (grenier compris), sont réparties sur trois niveaux, mais leur distribution horizontale n’apparaît guère. Tout au plus peut-on déduire de l’usage de l’article indéfini (« une haute chambre », « une chambre basse ») que le rez-de-chaussée comme l’étage sont subdivisés. Seules les portes du grenier et de la chambre du premier étage sont fermées à clé. Au rez-de-chaussée, les portes ne sont pas fermées à clef : ce sont seulement deux meubles (un coffre et une armoire) qui portent des serrures.

152La première partie de l’inventaire, en revanche, bien qu’elle soit à peu près dépourvue d’indications topographiques, permet d’éclairer l’organisation horizontale du presbytère. Il apparaît clairement en effet que les priseurs inventorient au fur et à mesure de leur parcours les biens qui ne sont pas sous scellés, sans chercher à les regrouper par catégories, et le notaire note également au fil du procès-verbal, au moment où elles se produisent, les interruptions qui surviennent dans le déroulement de l’inventaire — comme l’arrivée tardive d’un héritier ou la pause du déjeuner. L’ordre dans lequel les biens meubles sont énumérés reflète donc leur répartition dans l’espace. La mention, au tout début de l’inventaire, d’une paire de gros landiers de fer à pomme de cuivre et d’une pelle à feu, indique que les priseurs commencent par l’une des cheminées située au rez-de-chaussée dans le mur pignon est ou ouest, et la présence, deux pages plus loin, d’une seconde paire de landiers avec des pommes de cuivre et deux broches de fer suggère qu’ils se trouvent alors à l’autre extrémité du rez-de-chaussée, près de la seconde cheminée (cf. le plan de 1821, Section 4, P1/2). À proximité de la première, l’inventaire énumère des meubles qu’on ne retrouve pas ailleurs dans le presbytère et qui indiquent qu’on se trouve dans la pièce principale, qui sert à la fois de cuisine et de salle de réception. On y trouve en effet plusieurs tables16, les seules du presbytère, une vieille maie, un vieux buffet en bois de noyer, ainsi que des ustensiles : deux chaudrons d’airain, deux petites marmites de fer avec une crémaillère et un crémaillant. L’insertion dans cette liste d’un lit à rideaux de serge17 rouge avec une mauvaise paillasse, une couette de plumes d’oie, une mauvaise couverture blanche et un traversin, ainsi que d’« une espesse d’armoire de bois de bouillard et de chesne dans laquelle on peut mettre un lit »18 indique que la pièce a des usages polyvalents et qu’elle sert également de chambre à coucher, très probablement pour le(s) domestique(s).

153Les meubles cités dans la suite de l’inventaire, en direction de l’autre extrémité du bâtiment, sont deux coffres de bois de chêne, un lit à rideaux avec une couette, un traversin, une mauvaise paillasse et une mauvaise couverture de droguet, un vieux bois de lit avec une petite couette de plumes de poule et deux mauvais oreillers, enfin un vieux coffre couvert de cuir à clous sans serrure, dont la mention est suivie d’une liste de vêtements et de pièces de linge qui étaient sans doute contenus à l’intérieur : une mauvaise soutane19 et un manteau, un mauvais habit noir avec la veste, deux culottes et une paire de guêtre, six mauvaises chemises de toile commune entièrement ou à demi-usées, un vieux chapeau, une vieille soutane, un mauvais domino20, un bonnet en laine et un mauvais surplis, six paires de draps en toile commune, deux nappes, vingt serviettes. La mention, à proximité de la seconde cheminée, d’un mauvais saloir, d’instruments de cuisson (deux broches de fer, une grille et un « mauvais récheaux »21) et d’un cuvier de bois de saule avec son trépied pour faire la lessive suggère que cette pièce avait elle aussi un usage polyvalent. C’est sans doute avec cette partie du bâtiment qu’il faut identifier la « chambre basse » dans laquelle la seconde partie de l’inventaire situe les deux meubles fermés à clé dont les priseurs lèvent les scellés : l’armoire avec les meilleurs habits du curé et le coffre de noyer qui contient sa vaisselle d’étain, ses livres et les archives, ainsi que des ustensiles de cuisine et des chandeliers en cuivre. Les mentions de luminaire portatif (une vieille lanterne, deux lampes et un chandelier de cuivre) sont toutes concentrées dans cette pièce où se trouvent également deux selles de cheval, deux brides et une paire d’étriers, un vieux fusil, une cloche de fer.

154Le caractère multifonctionnel des pièces observé à Rigny n’a rien de surprenant à cette époque : on le trouve communément attesté dans les presbytères ruraux comme dans la plupart des logements parisiens avant le milieu du 18e siècle (PARDAILHÉ-GALABRUN 1987 ; CROIX 1987 ; WENZEL 1997).

Les dépendances et l’exploitation agricole

155L’inventaire se poursuit ensuite avec l’énumération du cheptel du curé, ce qui indique que les priseurs sont passés de la maison presbytérale au bâtiment situé du côté opposé de la cour, désigné sur le plan de 1821 par la dénomination « grange, serre-bois, écurie etc. » (Section 4, P0/11). Le cheptel mort est constitué d’une charrette avec des roues ferrées et un essieu de fer, « un jouc avec son courbetton22 de fer, les courrois, un socq a labourer avec cherreau23 », une chaîne pour le puits et une fourche à deux doigts de fer. Le cheptel vif, avec plus d’une dizaine de bêtes, est important. Il comprend deux bœufs, deux vaches avec deux petits taureaux de l’année, une génisse d’environ deux ans, deux juments avec une pouliche de 18 mois, un cochon de l’année. Les priseurs montent ensuite dans « les greniers au-dessus des écuries » — c’est la seule indication topographique dans cette partie de l’inventaire — où ils trouvent de la paille, quatre « fûts de poinçons » vides, 5 poinçons de vin24 et une bauge de foin.

156Après en avoir terminé avec le bâtiment servant de grange-étable-écurie, les priseurs reviennent au presbytère pour procéder à la seconde partie de l’inventaire qui a été présentée ci-dessus, celle des biens sous scellés contenus dans le grenier, dans une des chambres du premier étage, et dans les deux meubles fermés à clés localisés dans la chambre du rez-de-chaussée. La seconde « chambre haute », au premier étage, paraît donc avoir échappé à l’inventaire, peut-être parce qu’elle était occupée par le vicaire et ses effets propres. L’inventaire après décès de Guillaume Drouin concerne ses biens personnels, ceux qui échoient à ses héritiers, et n’épuise pas le contenu du presbytère, dont certains meubles appartenaient à la communauté paroissiale, ainsi que l’indique l’intitulé d’un document cité dans l’inventaire (« plus un acte contenant inventaire fait avec les habitants de la dite paroisse des meubles et effets qui doivent rester en ladite cure passé devant Broussillon notaire royal en date du 5 juillet 1694 coté et paraphé par la lettre YY »).

Le statut social et les activités du curé

157Avec une estimation totale de 905 livres 18 sous et 6 deniers, l’inventaire des biens du curé Guillaume Drouin le situe à un niveau de richesse nettement supérieur à celui de la plupart des habitants de la paroisse de Rigny d’après l’étude de Céline Joulin (1990) qui a porté sur l’ensemble des 90 inventaires après-décès réalisés entre 1727 et 178725 : leur moyenne est de 638 livres, mais leur médiane se situe entre 300 et 400 livres26. Seuls dix-huit inventaires au cours de cette période, dépassent 1000 livres, dont une demi-douzaine est supérieure à 2000 livres : ce sont ceux d’un artisan charpentier, d’un laboureur et de trois marchands (dont celui de l’aubergiste de la Grille à Ussé, qui atteint 4869 livres).

158Il est intéressant de constater que l’essentiel de la richesse du curé est constitué par son cheptel mort et vif : l’estimation du contenu de la grange-étable-écurie est estimé à 485 livres, soit plus de la moitié du total de l’inventaire. Sur les 90 inventaires après-décès réalisés entre 1727 et 1787 dans la paroisse de Rigny, celui du curé Guillaume Drouin est l’un des rares à mentionner une charrette, dont la possession est la marque d’un statut privilégié (JOULIN 1990 :104).

159La possession, par le curé, d’une paire de bœufs et d’une charrue indique qu’il devait exploiter en faire-valoir direct une partie du domaine de la cure, avec l’aide de domestiques ou de journaliers, et que le presbytère était le centre d’une exploitation agricole. Il est probable que le curé vendait, chaque année, quelques bêtes, et que le lait, la crème, le beurre et le lard étaient produits à domicile. Il avait sans doute aussi une activité viticole, à en juger par la quantité de vin inventoriée (1213 litres auxquels il faut ajouter quatre fûts vides, d’une capacité de près de 1000 litres), qui devait largement excéder sa consommation personnelle et les besoins du culte. L’État du presbytère en 181127 mentionne l’existence d’un pressoir dans la grange qui pouvait déjà exister du temps du curé Guillaume Drouin. Les réserves de chènevis et le chanvre non teillé mentionnés dans l’inventaire suggèrent qu’il exploitait une chènevière. Enfin, la présence d’un fusil indique qu’il pratiquait la chasse, activité souvent attestée chez les curés à cette époque.

160Une partie des terres de la cure étaient baillée à ferme. Parmi les papiers contenus dans le coffre de noyer figurent des baux souscrits par un prédécesseur de Guillaume Drouin, l’abbé Beullé (1658-1673) en 1663 et 1666, et par lui-même en 1703 et 1704. L’étude de Céline Joulin (1990 : 45) montre que pendant les 25 ans qui ont suivi la mort de Guillaume Drouin, entre 1727 et 1752, ses successeurs Urbain Courtillier et Louis Ridet ont passé 10 baux pour des parcelles de pré, de terre, et de vigne dispersées sur le territoire paroissial. Le curé partageait avec le prieuré Sainte-Foy les dîmes de la paroisse et percevait également les dîmes novales. Il bénéficiait également de dîmes dans les paroisses voisines d’Avoine et de Huismes (l’inventaire mentionne la cession à bail de cette dernière : « plus deux pièces en papier l’une est un bail à ferme d’une dixme qui se lève dans la paroisse d’Huisme du prieuré d’Ussé et dépendante de ladite cure de Rigny fait par ledit deffunct sieur Drouin et le sieur Girard au sieur Claude Baraner en date du 26 décembre 1694 et l’autre est une requete »).

161L’inventaire des documents contenus dans le coffre mentionne également des rentes qui sont dues à la cure, et dont certaines sont en nature (« plus un dossier composé de trois pièces concernant une rente de douze boisseaux d’avoine et un chapon deue à la cure de Rigny », « plus un dossier composé de trente-deux pièces concernant la rente de dix-huit boisseaux de mouture vallant seigle deu à ladite cure de Rigny à cause du moulin de Tais28 »). Enfin, les pièces relatives à la succession du curé, que l’inventaire distingue des titres qui concernent la cure, mentionnent sans détail plusieurs baux à ferme, qui portent sur les biens propres du curé. La présence d’une reconnaissance de dette («  au profit dudit deffunct sieur Drouin de la somme de 22 livres 4 sols du 4 décembre1722 ») indique que le curé prêtait de l’argent : le clergé rural était un distributeur de crédit agricole (VERNUS 1986 : 62).

162Tout en menant un train de vie plus élevé que la majorité de ses paroissiens, Guillaume Drouin, dont les biens sont évalués à 905 livres en 1727, est plutôt moins fortuné que les curés d’autres régions. En Poitou, au 18e siècle, 14 inventaires après décès de desservants sur 24 dépassent 1000 livres, les 6 plus élevés dépassant 3000 voire 4000 livres (VIGIER 1999 : 132). Dans la presqu’île de Guérande, où 60% des inventaires de recteurs dépassent 1000 livres, les plus riches atteignent 8000 livres en 1727, voire 17000 livres en 1787 (CROIX 1987). En Franche-Comté, d’après les inventaires après-décès, la valeur la plus courante des effets et meubles laissés par les curés au 18e siècle est de l’ordre de 2000 à 3000 livres, le moins riche étant Jean-François Marion, curé de Savogna, avec 1284 livres en 1758 (VERNUS 1986 : 55).

163Guillaume Drouin paraît aussi moins cultivé que beaucoup de ses confrères, à en juger par les trois seuls livres mentionnés dans son inventaire après décès. Les curés du Poitou possèdent, en moyenne, 130 ouvrages par individu (VIGIER 1999 : 147). En Franche-Comté, dès le premier quart du 18e siècle, les bibliothèques de curés comptent entre plusieurs dizaines et plusieurs centaines de livres, le record revenant au curé d’Annoire, qui possédait 930 volumes (VERNUS 1986 : 100-106). Les prêtres parisiens sont parmi les mieux pourvus : 61% des inventaires mentionnent plus de 100 livres, 50% entre 100 et 1000 livres et 11% plus de 1000 (PARDAILHÉ-GALABRUN 1987 : 516).

Le curé comme « médiateur du changement domestique »

164L’intérieur du curé Guillaume Drouin témoigne, à une date précoce, de la « révolution des objets » qui caractérise le 18e siècle (CORNETTE 1989) : le réchaud, qui permet de cuisiner debout, ainsi que l’armoire à deux battants et le buffet, qui tendent à se substituer au coffre, sont des innovations de cette époque. Avec l’apparition du réchaud, la préparation des aliments cesse d’être exclusivement liée à la cheminée : à la cuisine dans l’âtre, en position accroupie, se substitue une nouvelle façon de faire qui permet la station debout. Le remplacement du coffre par l’armoire à battants représente une mutation analogue : « du rangement à terre, à quatre pattes, on passe à un rangement à hauteur d’homme » (PARDAILHÉ-GALABRUN 1988 : 324).

165Le curé est l’un des premiers à adopter ces éléments de modernité à Rigny, où leur diffusion n’est guère antérieure au milieu du 18e siècle dans les foyers les plus aisés de la paroisse (artisans, marchands, métayers) (JOULIN 1990 : 90, 94-95). La possession par le curé d’un plat à barbe en faïence est également notable. Les pièces de faïence, même commune, n’apparaissent jamais dans les intérieurs parisiens avant 1720 et se généralisent seulement après 1750 (PARDAILHÉ-GALABRUN 1988 : 306-307). À Rigny, l’usage de la faïence se développe dans les foyers les plus aisés à partir de 1750, tout en restant encore rare à cette date (Joulin 1990 :93).

166La présence de ces innovations dans l’inventaire du curé Guillaume Drouin, un quart de siècle avant qu’elles n’apparaissent dans les foyers les plus riches de la paroisse, témoigne du rôle de « médiateur du changement domestique » — selon l’expression d’Alain Croix — que le clergé paroissial a pu jouer, en contribuant à introduire dans les campagnes les modes de la ville et une nouvelle conception du confort (CROIX 1987 ; MAGYAR THÉVENIN 1987).


1. Lecture et traduction de Barbara Baudry, responsable des archives jésuites, que nous remercions.
2.A.D.I.L. G1056
3.A.D.I.L., série E, dépôt M : État du presbytère de Rigny, 18 octobre 1811.
4.A.D.I.L., série D, liasse an 12-1826.
5.A.D.I.L., série E, dépôt M : État du presbytère de Rigny, 18 octobre 1811.
6.A.D.I.L., série D, liasse an 12-1826.
7. Le procès-verbal de cette assemblée, consigné par deux notaires, a été reproduit d’après les archives privées du château d’Ussé dans la monographie de la commune par l’instituteur Elie Filleteau (FILLETEAU 1893 : 116-119).
8.A.D.I.L., 3E17 (447). Ce document a été retrouvé par Céline Joulin au cours des dépouillements effectués dans le cadre du mémoire de maîtrise sur la communauté rurale de Rigny-Ussé au 18e s. qu’elle a réalisé sous la direction de Brigitte Maillard (JOULIN 1990).
9. Étoffe de laine de mauvaise qualité.
10. Les landiers sont des chenets de grande taille munis de crochets.
11. Toile fine
12. Assiettes creuses, dont l’introduction est attribuée à Mazarin
13.Proœmium in Evangelia est le titre intérieur du tome 1 du Commentarius in quatuor Evangelia, ouvrage célèbre du jésuite Cornelius a Lapide, publié à Anvers en 1639 et souvent réédité ensuite, à Lyon en 1641 et 1687, à Anvers en 1649, 1670, 1681, 1695, 1712… Très connu dans les milieux ecclésiastiques, il a servi à la formation de nombreuses générations de séminaristes jusqu’au début du XXe siècle. Je dois ces informations, ainsi que celles des deux notes suivantes, à Jean-Michel Gorry que je remercie vivement.
14. Il s’agit du Breviarium Turonense publié sur ordre de l’archevêque Michel Amelot à Tours chez Poinsot en 1686 en 4 volumes in-8º. Utilisé par les chanoines de Tours, il était moins répandu chez les curés.
15. Le Bréviaire romain, réformé à l’issue du Concile de Trente, a été publié par le pape Pie V en 1568, puis revu et corrigé par Clément VII en 1602 et Urbain VIII en 1632. Une édition bilingue, en latin et en français, a été publiée à Paris chez Denys Thierry en 1682. Fréquemment réédité, ce bréviaire est le plus communément utilisé.
16.« Une table de bois de noyer avec son tiroir fermant à clef, une autre mauvaise table dont le dessus est détaché du pied, une grande table avec son pliant à tenir dix couverts, une autre table avec son pliant… »
17. Étoffe commune de laine
18. Cette expression désigne très probablement un lit clos, meuble courant en Bretagne mais peu répandu en Touraine, si on en juge par la description qu’en donnent les priseurs.
19. La soutane, venue d’Italie à la fin du 16e siècle s’est imposée progressivement entre 1680 et la fin du 18e siècle (LEMAÎTRE 2002 : 230)
20.Pèlerine noire à capuchon portée par les prêtres
21. Un réchaud est un ustensile en fer servant à la cuisson, reposant sur trois pieds, muni d’un manche ou de deux poignées et alimenté en charbons ardents.
22. Le courbeton est une cheville de bois ou de métal qui fixe le joug au timon (Lachiver 1997 : 541)
23. « Cherreau » est un terme régional (Poitou, Touraine) désignant la charrue.
24. Le poinçon de Chinon au 18e siècle équivaut à 242,6 litres (Maillard 1998 : 491). Les cinq poinçons représentent donc 1213 litres de vin, et si on y ajoute les quatre fûts vides, on peut évaluer à 2183 litres la réserve potentielle.
25. Selon C. Joulin, les testaments ne représentent, selon les années, que 3 à 4,5% des décès (Joulin 1990 : 71)
26. D’après le diagramme établi par Céline Joulin (Joulin 1990 :75)
27.A.D.I.L., E dépôt série M, 1811, État du presbytère
28. Il s’agit du moulin de Thais, sur le Douet, dans la commune d’Huismes