ROYET et al. 2006 : Royet R., Berger J.-F., Laroche C., Royet E., Argant J., Bernicaud N., Bouby L., Bui Thi M., Forest V., Lopez-Saez A. — Les mutations d’un domaine de La Tène au haut Moyen Âge. Le Vernai à Saint-Romain-de-Jalionas (Isère), Gallia, 63, 2006 : 283-325.

FERDIÈRE 2015 : Ferdière A. — Essai de typologie des greniers ruraux de Gaule du Nord, Revue archéologique du Centre de la France [en ligne], Tome 54, 2015, document 4, mis en ligne le 01 décembre 2015, consulté le 05 janvier 2016. (http://racf.revues.org/2294)

PORTE 2011 : Porte P. — Larina de l’Antiquité au Moyen Âge. Études archéologiques et historiques en Nord-Isère, vol. I, Biarritz, 2011.

CORNEC, FARAGO-SZEKERES 2010 : Cornec T., Farago-Szekeres B. — L’habitat et les cimetières du haut Moyen Âge de Pouthumé (Châtellerault, Vienne), in L. Bourgeois (dir.) — Wisigoths et Francs autour de la bataille de Vouillé (507). Recherches récentes sur le haut Moyen Âge dans le Centre-Ouest de la France, Association française d’Archéologie mérovingienne, Saint-Germain-en-Laye, 2010 : 97-111.

BILLOIN et al., 2010 : Billoin D. avec la collaboration de Gaston C., Humbert S., Lamy V., Le Bannier J.-C., Putelat O. — Un établissement rural mérovingien à Delle « La Queue du Loup » (Territoire de Belfort), Revue archéologique de l’Est, 59, 2010 : 603-634.

BILLOIN 2016 : Billoin D. (dir.) — L’établissement de Pratz-le-Curtillet. Un domaine mérovingien dans les hautes terres jurassiennes (fin VIe-VIIe siècles), Paris, 2016.

ZADORA-RIO 1992 : Zadora-Rio É. — De la paroisse à la commune : espaces et pouvoirs, in ZADORA-RIO, THOMAS, JOUQUAND 1992 : 13-38

Chapitre 3 – Les usages du site

Par Elisabeth Zadora-Rio et Henri Galinié avec Marie-Claude Baron, Philippe Husi, Marie-Christèle Martineau, Jean-Marcel Mascla, James Motteau, Agata Poirot, Xavier Rodier, Christian Theureau

1Au cours des cinq périodes définies dans le chapitre précédent, l’espace fouillé change d’usage et occupe une place tantôt centrale, tantôt périphérique par rapport aux pôles du système de peuplement dans lequel il s’intègre. D’une période à l’autre, seul l’emplacement de l’église a conservé une même fonction tout au long de l’occupation (cf. Schéma chronologique 1).

3.1 Trois églises successives [Section 1]

2Sous l’ancienne église paroissiale encore en élévation, ont été découverts les vestiges de deux églises antérieures. La première est attribuable à la fin du 7e ou au début du 8e siècle, la seconde à la seconde moitié du 10e siècle, et la troisième au milieu ou la deuxième moitié du 11e siècle. De la plus récente à la plus ancienne, elles sont ici désignées par les lettres Z, Y et X. [Section 1, P1/1]

3.2 Période 1 (600-750/800). Au centre de la colonica Riniaco, domaine rural de Saint-Martin de Tours : une église, des bâtiments résidentiels et agricoles [cf. Section 2]

Période 1a

3Les structures les plus anciennes dans l’emprise de la fouille remontent au 7e siècle, mais la présence sporadique de tessons du Haut-Empire redéposés indique une occupation gallo-romaine dans l’environnement proche du site, et les résultats des analyses paléoenvironnementales attestent la présence de cultures et d’essences rudérales dans le vallon de Rigny depuis le Premier âge du Fer (Cf. ci-dessus, Chapitre 1).

4Les constructions découvertes sous le cimetière médiéval présentaient des soubassements de pierre maçonnés avec des parements en petit appareil régulier :

  • Au sud-ouest, un vaste bâtiment (12 x 14 m) subdivisé par un mur de refend dont on sait peu de chose car il n’a été que très partiellement fouillé (bâtiment 33). [Section 2, P0/19)] ;
  • Au nord, le bâtiment 14, plus petit (10 x 6,80 m), subdivisé en compartiments de 2,30 à 2,50 mètres de côté. Les soubassements, appareillés sur les deux faces, mesuraient 0,40 m de haut et reposaient sur d’importantes fondations de blocs de perrons et de moellons de grès non maçonnés. L’élévation était en architecture de terre. En raison de l’exiguïté des compartiments intérieurs, de la présence d’un vide sanitaire au rez-de-chaussée, de l’épaisseur des murs et de la puissance des fondations destinées à supporter de lourdes charges, ce bâtiment a été interprété comme un grenier au sein d’un ensemble résidentiel.Il est comparable aux constructions qui ont été interprétées comme des bâtiments de stockage sur le site de la villa du Vernai à Saint-Romain-de-Jalionas (Isère) (ROYET et al. 2006 : 309) ou sur d’autres sites antiques (FERDIERE 2015, type 6) [Section 2, État 1 (P0/5 et P0/8)]

Période 1b

5Lors d’une deuxième campagne de construction, le bâtiment 14 a été considérablement agrandi par l’adjonction d’un nouveau corps de bâtiment à l’ouest. Celui-ci était constitué de deux petites pièces reliées au précédent par deux murs délimitant une vaste salle quadrangulaire (8 x 7,40 m) dans laquelle ont été mis au jour les vestiges de deux foyers aménagés successivement. Une troisième pièce, au nord du nouveau corps de bâtiment, a été ajoutée plus tard [Section 2, État 2, P0/10]. Au cours de l’État 2, le bâtiment 14 est comparable, par son plan complexe, à certains bâtiments résidentiels de pierre, construits entre le 6e et le 8e siècle et interprétés comme des centres d’exploitation domaniale, qui ont été mis au jour ailleurs en France, dans le Sud-est (Le Vernai à Saint-Romain-de-Jalionas, Le Bivan à l’Albenc, Larina à Hières-sur-Amby (Isère) [Section 2, État 2, P0/14]. (ROYET et al. 2006, PORTE 2011), en Poitou (Pouthumé à Châtellerault, Vienne) (CORNEC, FARAGO-SZEKERES 2010) ou encore dans le Jura (La Queue du Loup à Delle et Pratz-le Curtillet) (BILLOIN et al., 2010 ; BILLOIN dir. 2016).

6La technique de construction des murs de l’État 2 du bâtiment 14 diffère sensiblement de celle de l’État 1. Les murs du corps de bâtiment initial étaient maçonnés avec une quantité importante de mortier et présentaient un appareil de tradition antique. Ceux de l’État 2 étaient de facture différente. Le parement était constitué de petit appareil lié à la terre, et le blocage comprenait de nombreux blocs de mortier solidifié provenant de la destruction d’un autre bâtiment.

7Les datations par le radiocarbone établissent que le premier état du bâtiment est postérieur à 668 et la construction de l’État 2 antérieure à 776 [Section 2, P1/1] ; l’étude de la céramique indique que ce bâtiment a été utilisé jusqu’au milieu du 8e siècle [Section 2, P0/16].

8Au sud, le deuxième état du bâtiment 33 est marqué par la destruction du mur de refend. À l’intérieur de l’édifice transformé en enclos, deux bâtiments de bois (34 et 35) ont été découverts. Ils étaient associés à des activités de combustion non identifiées, marquées par une épaisse couche de charbon de bois et de nombreuses fosses arasées (structure 36). La datation céramique attribue cette phase à la deuxième moitié du 7e siècle [Section 2, P1/6].

9Au centre, la construction de l’église X est postérieure au bâtiment 14, et antérieure à sa destruction. Elle est attribuée à la fin du 7e ou au début du 8e siècle [Section 1, P3/1].

Période 1c

10Au sud, le bâtiment de pierre 32 remplace le bâtiment de bois 35 dans la première moitié du 8e siècle. Il s’étend, au nord, en dehors des limites de la fouille. Sa longueur est de plus de 8 mètres pour une largeur intérieure de l’ordre de 1,80 m. La distribution intérieure fait apparaître au moins deux petites pièces. Sa durée d’utilisation a été brève puisqu’il a été détruit entre la fin du 8e et le milieu du 9e siècle [Section 2, P0/27 et P1/7]. Le bâtiment 32 a pour points communs avec le bâtiment 14 son cloisonnement, l’épaisseur de ses murs, la quasi-absence de traces d’occupation et la rareté de la céramique. Dans les deux cas, on suppose soit une occupation à l’étage, avec un rez-de-chaussée servant de lieu de stockage, soit une fonction de stockage exclusive. La rareté du mobilier domestique milite en faveur de la seconde proposition. [Section 2, P0/30 et P1/8].

11Au nord, le bâtiment 14 se dégrade, connaît quelques aménagements sommaires (État 3) et commence à être utilisé pour les inhumations (avant 776) tandis qu’il tombe en ruines [Section 2, P1/4].

12L’absence de dépotoirs domestiques et le faible nombre d’ossements animaux aux abords des bâtiments sont notables, de même que la qualité du mobilier collecté (céramique peinte et glaçurée, vaisselle de verre, objets personnels).

Les sources écrites

13Le site de Rigny, au cours de la période 1, peut être identifié avec la Riniaco colonica mentionnée à la fin du 7e siècle dans les documents comptables de Saint-Martin de Tours, avec les noms de sept tenanciers qui devaient des redevances en orge, en seigle, en avoine et en froment [Section 2, P1/9].

14Cette identification, proposée dès le début des fouilles, s’appuyait alors uniquement sur les sources écrites. En 1139, un acte de confirmation du pape Innocent II indique que l’église de Rigny appartenait à cette date à l’abbaye de Cormery. Or celle-ci a été fondée en 791 par Ithier, abbé de Saint-Martin de Tours, qui a transféré alors au nouvel établissement un grand nombre de biens situés dans la vallée de l’Indre. Il paraissait donc plausible de voir dans la donation de l’abbé de Saint-Martin l’origine de la possession de l’abbaye de Cormery (ZADORA-RIO 1992 : 13-14). La découverte, depuis lors, de l’importance de l’occupation dès le 7e-8e siècle, et celle de l’existence, dès cette époque, d’un lieu de culte, permettent de tenir cette hypothèse pour acquise. Elle conforte l’interprétation selon laquelle les bâtiments 14 et 32 étaient destinés pour partie au stockage de produits agricoles. Il s’agirait alors de structures domaniales du monastère.

3.3 Période 2 (750-950). À la périphérie du centre domanial, un espace funéraire diffus près de l’église

15La période 2 est marquée par la transformation radicale de la nature de l’occupation du site, dont la vocation devient presque exclusivement funéraire. Les inhumations au nord de l’église commencent sans doute au milieu du 8e siècle, et certainement avant 776 [Section 2, P0/15] – c’est-à-dire avant le transfert de Rigny du patrimoine de Saint-Martin de Tours à celui de l’abbaye de Cormery en 791. Elles s’étendent un peu plus tardivement au sud de l’église où elles ne sont pas antérieures à la destruction du bâtiment 32, entre la fin du 8e et le milieu du 9e siècle. C’est à cette époque, entre la fin du 8e et la fin du 10e siècle, que le cimetière connaît sa plus grande extension, avec une densité d’inhumations qui reste faible. Les sépultures occupent progressivement les ruines des bâtiments antérieurs et les espaces intermédiaires [Section 5, P1/2]

16Nous postulons que cette vocation funéraire est antérieure à la mise en place du cimetière paroissial. L’église, auprès de laquelle on inhumait pourtant, ne paraît pas constituer un pôle de concentration des sépultures. La zone d’inhumations, très peu dense, s’étend selon un axe nord-sud. Les sépultures ont des orientations variables et des espacements irréguliers, en dépit de la présence de quelques alignements. Leur disposition rappelle les zones d’inhumations mises au jour dans les habitats ruraux du haut Moyen Âge.

17La permanence d’un habitat proche de l’église après le 8e siècle est attestée par la présence, dans la zone d’inhumations, de déchets domestiques, de rejets de foyers et de structures excavées.

3.4 Période 3. La « paroissialisation » de l’espace funéraire : un cimetière polarisé par l’église (950-1100)

18L’église Y a remplacé l’église X à la fin du 10e siècle [ Section 1, P1/3]. Sa construction coïncide avec une première réduction de l’espace funéraire, qui correspond à un recentrage du cimetière autour de l’église : la zone d’inhumations la plus éloignée, au nord, a été abandonnée, le chenal du ruisseau de Rigny qui longeait le gouttereau nord de l’église a été comblé et les sépultures ont été implantées sur son emplacement [Section 5, P1/3].

19Cette modification ne résulte pas d’une pression extérieure puisque l’espace libéré par le rétrécissement de l’aire funéraire n’a été occupé par des bâtiments que deux siècles plus tard. Il n’est pas dû non plus à une diminution de la population inhumée, puisque la réduction de la zone d’inhumation est allée de pair avec un accroissement de la densité des sépultures. Nous proposons de voir dans cette réorganisation de l’espace funéraire une étape décisive de la mise en place de l’organisation paroissiale, marquée par une interdépendance nouvelle de l’église et du cimetière [Section 5, P2/2].

3.5 Période 4. Le centre paroissial et villageois : la cohabitation des vivants et des morts (1100-1450) [cf. Section 3]

20L’église a été considérablement agrandie au milieu ou dans la seconde moitié du 11e siècle : les chevets superposés des deux églises antérieures s’inscrivent dans la croisée de son transept [Section 1, P1/1].

21Dès le début du 12e siècle, l’érection d’un mur de clôture délimitant le cimetière au nord de l’église entraîne une nouvelle réduction de la zone d’inhumation [Section 5, P0/13 et P1/5], et des bâtiments d’habitation sont construits sur la partie désaffectée du cimetière. Ces bâtiments à soubassement de pierres représentent vraisemblablement deux unités d’habitation séparées par une dénivellation qui correspond à une terrasse aménagée dans l’ancien cimetière.

22Vers l’est, le bâtiment 13 (18 à 19 m x 7,50m), divisé au sol en deux pièces de superficie inégale, possédait un étage auquel on accédait par un escalier droit situé dans le cimetière [Section 3, P2/2]. Au 13e siècle, il a été remplacé par deux bâtiments (bâtiment 10 et bâtiment 12) qui ont été construits sur son emprise et sont restés en usage jusqu’au 15e siècle [Section 3, P1/5 et P2/3]. Le bâtiment 12, qui réutilise en partie les murs du bâtiment 13, et qui abritait plusieurs foyers et une grande fosse quadrangulaire à usage indéterminé, constituait vraisemblablement une annexe du bâtiment 10.

23Vers l’ouest, le bâtiment 22, dont seule une pièce, d’une superficie de 23 m2, a été fouillée, a été construit sur une terrasse aménagée dans l’ancien cimetière, antérieurement à la deuxième réduction de la zone d’inhumation. Une cheminée murale y a été ajoutée à la fin du 14e siècle ou au début du 15e siècle [Section 3, P2/1].

24Le bâtiment 2 a été construit vers le milieu du 13e siècle à l’intérieur du cimetière en activité, contre le mur de clôture. Il comprenait un âtre rectangulaire de grandes dimensions (2,20 x 1,30m) construit en dalles de tuffeau, et une couche d’occupation contenant une quantité importante de charbon de bois et de tessons de céramique. Son plan n’a pu être reconstitué car il a été oblitéré par les sépultures qui ont occupé son emplacement à partir de la fin du Moyen Âge. [Section 3, P1/8].

25Un dernier bâtiment, dont seul un angle a été exploré sur une faible superficie en limite nord de la fouille, représente probablement une autre unité d’habitation en usage à la fin du 15e ou au début du 16e siècle (bâtiment 9) [Section 4, P1/5].

26La topographie du centre paroissial, entre le 12e et le 15e siècle, témoigne de la cohabitation des vivants et des morts. Le cimetière autour de l’église accueille des activités domestiques tandis que des bâtiments construits au nord contre le mur de clôture forment un noyau d’habitat groupé dont la faible superficie de la fouille ne permet pas de mesurer l’ampleur.

3.6 Période 5. La marginalisation du centre paroissial et la spécialisation progressive des espaces (1450-1865) : la cure et le cimetière

27Vers le milieu du 15e siècle, les unités d’habitation sont remplacées par un vaste presbytère et ses dépendances qui occupent toute l’emprise de la fouille au nord du cimetière. Le mur de clôture du presbytère empiète de quelques mètres au sud sur la limite du cimetière [Section 5, P2/4]. Cette restriction de la zone d’inhumation, faible au départ, s’accentue par la suite : peu à peu l’inhumation n’est plus pratiquée que le long du chemin qui traverse le cimetière. Vers l’ouest, celui-ci devient progressivement une limite de fait de la zone d’inhumation [Section 5, P0/24].

28L’édification du presbytère et de sa clôture est concomitante d’un changement dans l’usage de l’espace funéraire. Postérieurement à sa construction, toute trace d’activité domestique disparaît de la zone d’inhumation qui est réservée strictement aux morts.

État 1 du premier presbytère (1450-1650)

29Le bâtiment principal, qui mesure 13 x 8 m, possédait un étage desservi par un escalier à vis situé dans une tour polygonale hors-œuvre, disposée au milieu de la façade sud. Un conduit de latrine a été ajouté contre le pignon ouest (cf. ci-dessous Chapitre 4.3.1). Des fragments de verre plat indiquent que les fenêtres étaient vitrées [Section 4, P1/1 et P2/1].

30Ce presbytère, construit sur le modèle des manoirs aristocratiques, atteste la prospérité du centre paroissial à la fin du Moyen Âge, dont témoignent également les travaux d’embellissement de l’église (reconstruction du chevet, réalisation de vastes ensembles de fresques, ajout d’un porche contre la façade occidentale) [Section 1, P2/3].

État 2 du premier presbytère (1650-1822)

31Le presbytère a subi d’importants travaux de réfection vers le milieu du 17e siècle : la tourelle hors-œuvre a été détruite et l’escalier a été déplacé à l’intérieur de l’édifice. Ce deuxième état du bâtiment, qui correspond au modèle standard des maisons curiales de la Contre-Réforme (cf. ci-dessous, Chapitre 4.3.2), a perduré jusqu’à la construction en 1822 d’un nouveau presbytère, situé au nord de la cour [Section 4, P2/2] .

32Au sud de l’église, une quatrième rétraction du cimetière est marquée, après 1752, par la construction de la clôture du Grand cimetière le long du chemin, et celle du Petit cimetière réservé aux enfants devant le portail occidental de l’église, où il remplace l’avant-corps qui était utilisé pour l’inhumation des enfants depuis le 15e siècle [Section 1, P0/18 et Section 5, P1/7].

Le second presbytère (1822-1859/1865)

33Le nouveau presbytère (bâtiment 5), au nord de la cour, a été construit sur l’emplacement de l’ancienne grange représentée sur le plan de 1821 [Section 4, P1/7]. Seule une partie du nouveau bâtiment, en limite de fouille, a été mise au jour. L’ancien presbytère, en très mauvais état, a été sommairement reconstruit et un vaste four a été aménagé dans le pignon occidental [Section 4, P0/12 et P0/13]. L’édifice a constitué pendant un certain temps la cuisine du nouveau presbytère, avant que celui-ci ne soit agrandi vers l’ouest, et qu’une nouvelle cuisine soit aménagée sur l’emplacement du bâtiment 9 (bâtiment 8, formé par la réunion du bâtiment 5 et du bâtiment 9) [Section 4, P0/24 et P2/4]. Le nouveau presbytère et l’ancien ont été démolis lors du transfert du centre paroissial à Ussé en 1859 et les matériaux ont été réutilisés pour la construction du presbytère qui subsiste aujourd’hui près de la nouvelle église, construite au chef-lieu actuel de la commune.

34Une dernière rétraction de l’espace funéraire survient avant 1826, avec la suppression du Petit cimetière réservé aux enfants. À partir de cette date, adultes et enfants sont inhumés dans le Grand cimetière enclos au sud de l’église, jusqu’à l’inauguration d’un nouveau cimetière à proximité d’Ussé en 1865 à la suite du transfert du centre paroissial [Section 5, P0/25 et P2/5].

3.7 Conclusion

35Le site de Rigny a révélé une très longue durée d’occupation, depuis le 7e siècle dans l’emprise de la fouille et depuis le Haut Empire dans l’environnement proche, jusqu’au milieu du 19e siècle, date du transfert de la fonction paroissiale (1859) et du cimetière (1865). La permanence de l’occupation s’est accompagnée d’importantes discontinuités dans l’utilisation et l’organisation de l’espace. Contrairement aux idées admises sur la pérennité de la construction en pierre, les bâtiments des 7e-8e siècles n’ont duré que quelques décennies et ils ont connu, pendant cet intervalle, d’importants réaménagements et une transformation notable des techniques de construction.

36D’une période à l’autre, seule l’église a gardé sa fonction. Les usages du sol autour d’elle ont changé de façon radicale. La pérennité de l’habitat s’est accompagnée de la mobilité des bâtiments domestiques. Dans l’Antiquité, puis à nouveau entre le 9e et le 11e siècle, ils étaient situés à proximité mais en dehors de l’emprise de la fouille. Entre le 7e et la fin du 8e siècle, puis entre le 12e et le 19e siècle, ils se trouvaient au contraire à l’intérieur de celle-ci, au moins pour partie. Les bâtiments des 7e-8e siècles, associés à l’église X, appartenaient à un centre d’exploitation domaniale identifié à la Riniaco colonica possédée par le monastère Saint-Martin de Tours, puis par l’abbaye de Cormery. Depuis le début du 12e siècle jusqu’au milieu du 15e siècle, la présence de deux unités d’habitation mitoyennes, accolées à la clôture du cimetière, et peut-être d’une troisième au nord en limite de fouille, indique que le centre paroissial comportait un noyau d’organisation villageoise qui devait s’étendre le long du vallon et sur les terrasses étagées des versants. À partir de la seconde moitié du 15e siècle, les unités d’habitation sont remplacées, dans l’emprise de la fouille, par le presbytère et ses annexes autour d’une cour délimitée par une clôture de pierre. Tout au long de l’occupation du site, l’architecture et la fonction des bâtiments ont été soumises à des changements fréquents.

37L’architecture des lieux de culte successifs de Rigny peut être mise en relation avec les changements dans leur statut. La première église, aux 7e-8e siècles, était une chapelle construite au sein de la Riniaco colonica, centre d’exploitation d’un domaine rural appartenant au monastère Saint-Martin de Tours qui l’a cédé à l’abbaye de Cormery lors de sa fondation en 791 par Ithier, abbé de Saint-Martin. La construction de l’église Y, au chevet à plan tréflé, dans le courant du 10e siècle, est donc intervenue sous l’égide de l’abbaye de Cormery. Elle est concomitante d’une réorganisation de l’espace funéraire autour de l’église qui a été interprétée comme un marqueur archéologique de la mise en place de l’organisation paroissiale, caractérisée par une interdépendance nouvelle de l’église et du cimetière. La construction, au milieu ou dans la seconde moitié du 11e siècle, de l’église Z dont l’ampleur est sans commune mesure avec la taille des précédentes, traduit le développement du système paroissial parvenu à son apogée. Le renforcement de l’encadrement pastoral, la fréquentation accrue des églises pour assister aux offices, recevoir les sacrements et inhumer les morts dans le cimetière a donné une centralité nouvelle aux églises qui focalisent les pratiques cultuelles et sociales, déterminent des aires d’attraction et exercent des droits de nature sacramentelle ou fiscale dont la territorialisation s’est progressivement affirmée.

38La reconstruction du chevet et du croisillon sud du transept au 14e siècle et les fresques qui ont recouvert, au 14e et au 15e siècle, les murs du chevet, du transept et, au moins en partie, de la nef, témoignent de la prospérité du centre paroissial à la fin du Moyen Âge. La construction au nord de l’église, vers le milieu du 15e siècle, d’un vaste presbytère, édifié sur le modèle des manoirs aristocratiques, est l’une des dernières manifestations ostentatoires de la fortune du centre paroissial, qui fut progressivement éclipsé par l’essor du village établi autour du château d’Ussé et l’attraction exercée par la collégiale Sainte-Anne. En 1701, une assemblée de paroissiens convoquée par le curé Guillaume Drouin réclame le transfert du siège de la paroisse de Rigny à Ussé en arguant du délabrement de l’église, de la désertion du centre paroissial, et de l’impraticabilité des chemins qui y conduisent. Ils obtinrent gain de cause au bout d’un siècle et demi avec la construction à Ussé d’une nouvelle église paroissiale, consacrée en 1859 sous le vocable de Notre-Dame (ZADORA-RIO 1992 : 24-38).

39Alors qu’au début des recherches, en 1986, on pensait pouvoir retrouver la totalité de la population inhumée à l’intérieur de la clôture du cimetière qui subsistait encore sur le site, il est apparu que celle-ci n’avait de signification que pour le dernier siècle d’inhumation (ap.1752-1865). Pour les dix siècles précédents, l’espace funéraire s’étend largement au-delà de cette clôture, et ses limites dépassent l’emprise de la fouille.

40La mise en évidence des fluctuations de l’emprise du cimetière constitue l’un des apports majeurs de la fouille. La répartition topographique des sépultures de la première phase d’inhumation, entre le milieu du 8e et le 10e siècle, indique qu’elles ont occupé un terrain vague encombré de ruines à proximité de l’habitat, mais que l’église n’a pas joué un rôle moteur dans leur implantation. Ce lent rapprochement des morts et des vivants, qui marque une rupture avec l’Antiquité païenne, peut être imputé à la christianisation, bien qu’il soit antérieur à la polarisation de l’espace funéraire par l’église. Cette dernière doit certainement être mise en relation avec l’établissement de l’organisation paroissiale ; elle accompagne la constitution du cimetière chrétien conçu comme lieu d’inhumation communautaire au milieu des vivants.

41Au cours des premières phases d’inhumation, du 8e au 11e siècle, les traces révélant des activités autres que funéraires sont nombreuses ainsi qu’en témoignent les structures excavées mises au jour mais aussi les vestiges de foyers et la céramique redéposée dans le cimetière. Aucune trace d’occupation domestique durable n’a cependant été relevée à la fouille. La construction du premier mur de clôture, vers 1100, circonscrit l’espace voué aux morts tout en organisant, pour une parenthèse de trois à quatre siècles, la cohabitation entre les morts et les vivants : l’accès au bâtiment 13 se fait par le cimetière, et on inhume à proximité immédiate de son escalier ; au milieu du 13e siècle, le bâtiment 2 est encore construit à l’intérieur de la zone d’inhumation. C’est à partir de la construction du presbytère et de la mise en place d’une nouvelle clôture qui fait reculer de deux ou trois mètres à peine la limite du cimetière, au milieu du 15e siècle, que l’espace funéraire est strictement réservé aux morts : toute activité domestique en est désormais exclue. Les dernières étapes de l’isolement des morts ont été la construction, dans la seconde moitié du 18e siècle, de la clôture du Grand cimetière, puis de celle du Petit cimetière réservé aux enfants, et enfin la suppression de ce dernier avant 1826 : à partir de cette date, enfants et adultes ont été inhumés dans le Grand cimetière enclos, que l’on n’a plus à traverser pour pénétrer dans l’église, jusqu’au transfert de celui-ci en 1865, sur un nouvel emplacement, localisé en plein champ comme l’était très probablement le lieu d’inhumation inconnu antérieur au 8e siècle.

42La réduction progressive de l’espace funéraire, l’expulsion des structures domestiques et la spécialisation de la zone d’inhumation, puis la mise à l’écart et l’enfermement des tombes, révèlent des transformations profondes des relations des vivants à leurs morts. Contrairement aux idées admises, ces variations de la superficie du cimetière sont tout à fait indépendantes des fluctuations démographiques : chacune des réductions de l’espace funéraire a été accompagnée d’une augmentation de la densité d’inhumation et d’une accélération de la rotation des sépultures.

43Le chapitre suivant, intitulé « Gens de Rigny », tente d’approcher de plus près les habitants. La première partie (§ 4.1) reprend la question des relations des vivants à leurs morts à l’échelle de la tombe, à travers les transformations des pratiques funéraires, depuis les premières inhumations au milieu du 8e siècle (Période 2) jusqu’à l’abandon du cimetière (1865).

44La seconde partie (§ 4.2) porte sur l’évaluation de la représentativité de la fouille du cimetière pour la seule période au cours de laquelle ses limites sont connues, en confrontant la population archéologique avec les données des registres paroissiaux puis de l’état-civil (v.1750-1865).

45La troisième partie (§ 4.3) s’efforce de retracer le style de vie du curé de Rigny et de préciser son statut social entre le milieu du 15e et le 18e siècle, en le comparant, chaque fois que c’est possible, au reste de la population et à ses confrères d’autres régions.