« Présentation de l’œuvre », in “Encomium Emmae reginae”. Éloge de la reine Emma par un clerc de Flandre, Françoise Orange (éd.), Caen, Presses universitaires de Caen (@Fontes & Paginæ – Sources médiévales), 2024, DOI : https://doi.org/10.51203/sources.puc.000206

Présentation de l’œuvre

L’éloge de la reine Emma (Encomium Emmae reginae) fut écrit par un auteur anonyme à la demande d’Emma elle-même, fille du duc de Normandie qui devint reine d’Angleterre au tout début du XIe siècle. Comme son titre l’indique, il s’agit d’un panégyrique, mais celui-ci est surprenant à plus d’un titre. D’abord, ce bref ouvrage, constitué de trois livres, passe sous silence des pans entiers de l’existence de la reine : censée en être la protagoniste, elle ne fait pas son apparition dans le récit avant la moitié du deuxième livre. D’autre part, le roi d’Angleterre Æthelred, son premier époux, n’est nommé que dans les dernières lignes d’un seul des manuscrits, tandis que le premier plan est longtemps occupé par les envahisseurs danois qui dévastent son royaume avant de réussir à s’en emparer, bouleversant l’histoire de la dynastie.

Autre intérêt de cette œuvre singulière : peu ou prou contemporaine des événements qu’elle rapporte, c’est un précieux témoignage sur des décennies mouvementées de l’histoire de l’Angleterre, période qui précède de peu la conquête du pays par Guillaume de Normandie. Certes, le genre apologétique oriente la narration et la confrontation avec les autres sources médiévales anglaises et continentales met en évidence des distorsions ; cependant, cette voix enrichit la polyphonie des chroniqueurs et historiographes.

Nous n’avons aucune indication quant au moment où l’Encomium Emmae reginae a vu le jour, puis a été mené à son terme. Le manuscrit L, le plus ancien dont nous disposons, s’arrête au début du règne d’Harthacnut, comme si la fin de la rédaction coïncidait avec l’accès de celui-ci au trône en 1040. Cependant, au fil du récit, dans ce même manuscrit, de nombreux indices textuels laissent supposer que l’achèvement de l’ouvrage est postérieur à la mort du jeune souverain, ou du moins que le récit a été remanié après l’arrivée au pouvoir d’Édouard, son demi-frère. Ces événements sont d’ailleurs mentionnés par C et P, deux manuscrits plus tardifs, et il est évident que l’œuvre a fait l’objet de plusieurs révisions. À défaut de pouvoir dater avec précision le début et la fin de la rédaction, les années 1041 et 1042 auraient été pour Emma les plus propices à un bilan public : devenue reine-mère après plusieurs années de traversée du désert, elle venait de retrouver son rang et son influence à la cour, influence qu’elle perdra sous le règne d’Édouard.

Rien ne permet non plus d’identifier nommément l’auteur de ce panégyrique. Tout au plus apprenons-nous qu’il a été témoin de la dévotion de Cnut, roi d’Angleterre, alors qu’il était lui-même serviteur de saint Omer et de saint Bertin. C’est donc un clerc, flamand ou ayant résidé en Flandre, et apparemment étranger au conflit, car il fait preuve d’une relative neutralité dans sa relation des affrontements entre les Anglais et les envahisseurs danois, et ne semble pas avoir une connaissance très précise des lieux.

L’Encomium semble avoir été peu diffusé en son temps. Jusqu’au début de ce siècle, le texte n’était connu que par un manuscrit du XIe siècle et trois transcriptions nettement plus tardives, du XVIe au XVIIIe siècle. Mais en 2008 a été découvert un cinquième manuscrit daté du XIVe siècle. Or, les dernières lignes de celui-ci concluent le panégyrique tout autrement que les versions précédentes, et remettent en question les hypothèses formulées jusqu’alors, tant sur les circonstances de la rédaction que sur les visées de l’œuvre. L’apport de cette version, ignorée des éditeurs précédents, a notablement enrichi notre travail. L’édition critique que nous présentons ici est accompagnée de la première traduction française et d’un commentaire historique et littéraire.

 

Pour plus d’informations, nous renvoyons le lecteur à l’introduction qui figure dans le volume imprimé.