RESPONSE DE MR DESCARTES,
à quelques Ojections de Monsieur Fromondus ;
Contre sa Methode, sa Dioptrique, et ses Meteores.

LETTRE VIII. Version.

Il me semble que ce n’est pas sans raison que Monsieur Fromondus s’est souvenu, dans l’Exorde des Ojections qu’il a faites contre moy, de la Fable d’Ixion, non seulement pour ce qu’il m’advertit fort à propos de me donner de garde d’embrasser des opinions vaines et trompeuses, au lieu de la verité (ce que ie m’efforceray de faire autant que ie pourray, et ce que i’ay tousiours tasché de faire iusques à présent) mais aussi à cause que luy-mesme, lors qu’il pense impugner ma Philosophie, ne refute rien autre chose que cette Philosophie creuse et subtile, composée de Vuide et d’Atomes, (qu’on a coûtume d’attribuer à Democrite et à Epicure) ou quelques autres qui luy ressemblent, et qui ne me regardent point du tout.

Comme premierement, quand sur la page 46. et 47. de la Methode, il dit, Que des Actions si Nobles, telles que sont la Vision, et plusieurs autres semblables, ne peuvent venir d’une cause si vile et si grossiere, comme est la chaleur naturelle ; Il suppose Clerselier II, 36 que ie croy que les bestes voyent tout de mesme que nous, c’est à dire en sentant, ou penant qu’elles voyent ; laquelle opinion on croit avoir esté celle d’Epicure ; et aujourd’huy mesme elle est presque receuë et approuvée de tout le monde. Et neantmoins dans toute cette Partie, iusques à la page 60. ie fais voir assez expressement, que mon opinion n’est pas que les bestes voyent comme nous, lors que nous sentons que nous voyons ; mais seulement qu’elles voyent comme nous, lors que nostre esprit estant diverty, et fortement appliqué ailleurs, encore que pour lors les Images des objets exterieurs se peignent dans la retine, et peut-estre aussi que leurs impressions faites dans les nerfs optiques, determinent nos membres à divers mouvemens, nous ne sentons toutesfois rien de tout cela ; auquel cas nous ne nous mouvons point autrement que des Automates, en qui personne ne dira que la Chaleur naturelle ne soit pas suffisante, pour exciter tous les mouvemens qui s’y font.

2. Quand sur la page 56. il demande, quel besoin il y a de mettre dans les bestes brutes des Ames Substantielles, et dit, que par là on donne peut-estre occasion aux Athées d’exclure du Cors humain l’Ame raisonnable. Cela ne regarde personne moins que moy, qui croy fermement avec la sainte Escriture, et qui ay expliqué assez clairement, si ie ne me trompe, que l’Ame des brutes n’est rien autre chose que leur sang, à sçavoir, celuy qui estant échauffé dans leur cœur, et converty en Esprits, se répand des Arteres par le cerveau en tous les nerfs, et en tous les muscles. De laquelle doctrine il resulte qu’il y a une si grande difference entre les Ames des Brutes, et les Nostres, que ie ne sçache point que iamais personne ait inventé un argument plus fort, et une raison plus puissante, pour convaincre et confondre les Athées, et pour persuader que l’Esprit humain n’est point tiré de la puissance de la matiere. Mais pour ceux qui attribuent aux bestes, ie ne sçay quelles Ames Substantielles, differentes du sang, de la chaleur, et des esprits, ie les trouve bien empeschez : Car premierement, ie ne voy pas ce qu’ils ont à répondre au chapitre 17. Clerselier II, 37 du Levitique, verset 14. où il est dit expressement. Car l’Ame de toute chair est dans le sang ; et vous ne mangerez point le sang d’aucune chair, pource que l’Ame de la chair est dans le sang. Comme aussi au chapitre 12. du Deuteronome, verset 23. Sur tout donne toy de garde de manger du sang, car ils ont pour Ame le sang, et pour cela tu ne dois point manger l’Ame avec la chair. Et autres semblables passages, qui me semblent beaucoup plus clairs, que ceux que l’on apporte contre certaines autres opinions qui sont condamnées par quelques-uns, pour cela seul qu’elles semblent contraires à la sainte Escriture. De plus, ie ne conçoy pas aussi, comment aprés avoir mis si peu de difference entre les operations de l’homme, et celles de la beste, ils peuvent se persuader qu’il y en ait une si grande, entre la Nature de l’Ame Raisonnable, et celle de l’Ame Sensitive, que la sensitive, lors qu’elle est seule, soit d’une Nature Corporelle et mortelle, et que lors qu’elle est jointe à la raisonnable, elle soit d’une Nature spirituelle et immortelle. Car en quoy pensez-vous, ie vous prie, qu’ils estiment que le Sens soit distingué de la Raison ? C’est à sçavoir, en ce que la connoissance du sens est apprehensive et simple, et par consequent nullement sujette à la fausseté, ou à l’erreur, et que la connoissance de la raison est un peu plus composée, et qu’elle se peut faire par les formes et les détours des syllogismes ; ce qui ne semble nullement monstrer qu’elle soit plus parfaite ; veu principalement qu’ils disent que les connoissances de Dieu et des Anges, sont simples et intuitives, ou seulement apprehensives, et qu’elles ne sont point attachées à aucune forme de raisonnement. En sorte qu’à leur conte, le sens des bestes, (s’il est permis de parler de la sorte) approchera de plus prés de la connoissance de Dieu et des Anges, que le raisonnement humain. I’aurois pû adjoûter cecy, et plusieurs autres choses semblables, non seulement à ce que i’ay écrit de l’Ame de l’homme, mais presque aussi à toutes les autres matieres dont i’ay traitté, pour fortifier mes propositions ; mais i’ay obmis tout cela exprés, afin de ne rien enseigner Clerselier II, 38 de faux, en pensant refuter les autres, et aussi afin de n’insulter point ouvertement à pas une des opinions qui sont receües dans les Ecoles.

3. Quand sur la page 50. il dit, Qu’il ne faut pas qu’il y ait moins de chaleur dans le cœur que dans un fourneau, afin que les gouttes de sang puissent estre rarefiées assez promptement pour le dilater. Il semble n’avoir pas pris garde comment le laict, l’huile, et presque toutes les autres liqueurs, qui sont mises sur le feu, se dilatent au commencement peu à peu, et fort lentement ; mais que lors qu’elles sont parvenües iusques à un certain degré de chaleur, elles s’enflent tout à coup, et comme en un moment ; en sorte que si on ne les retire aussi-tost du feu, ou du moins qu’on ne découvre le vaisseau où elles sont, afin que les Esprits, qui sont la principale cause de cette rarefaction, en puissent sortir, une bonne partie s’enfuïra et s’écoulera dans les cendres. Et ce degré de chaleur doit estre divers, selon que la Nature de la liqueur est diverse ; car mesme il y en a de telles, qui à peine sont tiedes, qu’elles se rarefient et se gonflent de la sorte : Car s’il eust observé cela, il eust facilement iugé que le sang qui est contenu dans les veines de chaque Animal, approche beaucoup de ce degré de chaleur qu’il doit acquerir dans le cœur, afin d’y pouvoir estre rarefié presque en un moment.

4. Mais il n’y a point de lieu où il monstre plus manifestement, qu’il a embrassé les nuages de la Philosophie de Democrite, au lieu de la Iunon de la mienne, que dans l’observation qu’il a faite sur la page 4. de la Dioptrique, où il nie que i’aye bien expliqué comment un Cors Lumineux transmet ses rayons en un instant, par la Comparaison du baston d’un Aveugle ; Pource , dit-il, que le rayon qui sort du Cors du Soleil, doit plûtost estre comparé à une fléche qui sort d’un arc, et qui traverse l’air successivement, et non pas en un instant, que etc. Ne prend-il pas icy pour moy Leucippus, ou Epicure, ou comme ie croy Lucrece, qui, si ie ne me trompe, a parlé en quelque endroit de ses vers, Des Dars du Soleil. Car pour moy, ne supposant point du tout de Vuide, mais ayant au Clerselier II, 39 contraire expressement dit, que tous les Espaces depuis le Soleil iusques à nous, sont pleins de quelque Cors, à la verité tres-fluide, mais aussi pour cela mesme d’autant plus continu, que i’ay appellé Matiere Subtile ; ie ne voy pas ce que l’on peut objecter contre mes comparaisons, tant celle du baston, que celle de la cuve pleine de raisins foulez, par lesquelles i’ay expliqué comment les rayons de la lumiere se transmettent en un instant. Et s’il dit que ma Philosophie est un peu rude et grossiere, de ce que ie croy qu’il y a des Cors qui peuvent facilement penetrer les pores du verre, il me doit pardonner, si ie répons que i’estime cette Philosophie là beaucoup plus grossiere, et toutesfois moins solide, qui soûtient qu’il n’y a point de pores dans le verre, à cause que le son n’y trouve point de passage ; car nous voyons que le son mesme, s’il n’est tout à fait osté par des tapisseries mises au devant, du moins est-il beaucoup diminué, et comme étouffé : ce qui suffit pour faire concevoir que le son est de telle Nature, qu’il ne peut passer facilement par toutes sortes d’ouvertures, mais seulement par celles qui sont assez grandes et larges. Car puis qu’il n’est autre chose qu’un mouvement de l’air, ou du moins puis qu’il en dépend, personne ne doit trouver étrange, s’il ne peut passer par les ouvertures par où le vent, ou bien le Cors de l’air tout entier ne peut penetrer.

5. Il m’objecte aussi en ce mesme endroit, Que si la Lumiere ne se transfere que par certains Cors mûs Localement, donc tout mouvement de ces Cors est Lumiere. Laquelle consequence me semble estre la mesme, que s’il disoit, Puis que le fer ne devient point rouge et embrazé, qu’il ne soit chaud, donc toutes les fois qu’il sera chaud en quelque façon, il sera aussi en quelque façon rouge et embrazé. Car i’avoüe bien que toute impulsion de la matiere subtile, qui est parvenuë à un certain degré de vitesse, cause le sentiment de la Lumiere ; et c’est ainsi que lors qu’on est frappé aux yeux, ou qu’on se les frotte un peu fort, il a coûtume de nous paroistre certaines étincelles, quoy que d’ailleurs il ne vienne vers eux aucuns Clerselier II, 40 rayons de lumiere. Mais ie nie qu’un mouvement plus lent et ordinaire de cette Matiere, puisse causer de la lumiere, tout de mesme qu’une chaleur moderée ne suffit pas pour rendre un fer rouge. Et pour ce qui est des Especes intentionelles, dont il touche icy quelque mot, s’il entend qu’un Aveugle en a aussi besoin pour sentir les objets exterieurs par l’entremise de son baston, ie le veux bien ; car c’est ainsi que ie dis qu’il en faut pour la vision.

6. Ce qu’il dit sur la page 17. n’estre pas demonstré assez clairement luy paroistra, comme i’espere, tres evident, s’il prend garde à ce qui suit dans la page 18. à sçavoir que la bale qui est poussée d’A vers B, doit au mesme instant parvenir à quelque point de la Circonference du Cercle DI, et à quelque point de la ligne droite FEI : Car n’y ayant que le seul point I, du moins au dessous de la toile, dans lequel la ligne droite FEI, coupe le Cercle DI, il paroist manifestement que la bale doit alors aller vers I, et non pas vers D.

7. Il concevra aussi en quel sens i’ay dit que l’air empesche plus le passage de la lumiere, que ne fait l’eau, et l’experience des plongeons ne luy apportera aucun obstacle, s’il met distinction entre la multitude des rayons, et la facilité que chaque rayon a separement, de penetrer tel ou tel Cors Diaphane. Car ie demeure d’accord que l’air admet en soy beaucoup plus de rayons que non pas l’eau, de la superficie de laquelle il en rejallit beaucoup, et qui pour claire qu’elle soit, ne laisse pas d’avoir plusieurs particules terrestres entremelées parmy, lesquelles rencontrans les rayons qui l’ont penetrée, et s’opposans tantost aux uns, tantost aux autres, il arrive aisement qu’elles les font tous refléchir avant qu’ils l’ayent penetrée fort avant. Mais cela n’empesche pas que le mesme rayon qui passe au travers de l’air et de l’eau, ne passe plus facilement par celle-cy que par celuy-là, qui est tout ce que i’ay dit, et que ie pense avoir aussi demonstré, si i’entens bien ce que c’est qu’une demonstration.

8. Ce qu’il dit sur la page 50. manquer touchant la cause Clerselier II, 41 de la diversité des couleurs, il le trouvera à la fin de la unziéme page, et au commencement de la 40. expliqué comme ie croy suffisamment ; et de plus demonstré plus bas si amplement, depuis la page 254. iusques à la page 261. que ie n’estime pas qu’il soit necessaire de rien adjoûter icy davantage.

9. Sur la page 30. Il s’estonne de ce que ie ne reconnois point d’autre Sensation, que celle qui se fait dans le cerveau. Mais tous les Medecins et tous les Chirurgiens m’aideront, comme i’espere, à le luy persuader ; car ils sçavent que ceux à qui on a coupé depuis peu quelques membres, pensent souvent sentir encore de la douleur dans les parties qu’ils n’ont plus. Et i’ay connu autrefois une ieune fille, à qui l’on avoit coûtume de bander les yeux toutes les fois que le Chirurgien la venoit penser d’un mal qu’elle avoit à la main, à cause qu’elle n’en pouvoit supporter la veuë ; et la gangrene s’etant mise à son mal, on fust contraint de le luy couper iusques à la moitié du bras, ce qu’on fist sans l’en advertir, pource qu’on ne la vouloit pas attrister ; et on luy attacha si adroitement plusieurs linges liez l’un sur l’autre en la place de ce qu’on luy avoit coupé, qu’elle demeura long-temps apres sans le sçavoir. Et ce qui est en cecy remarquable, elle ne laissoit pas cependant de sentir de grandes douleurs, tantost aux doigts, tantost au metacarpe, et tantost au coude qu’elle n’avoit plus, à cause que les nerfs de sa main et de son bras, qui finissoient alors vers le coude, et qui auparavant descendoient du cerveau iusques à ces parties, y estoient mûs en la mesme façon qu’ils auroient dû estre auparavant dans les extremitez de ses doigts, ou ailleurs, pour faire avoir à l’Ame le sentiment de semblables douleurs. Ce qui sans doute ne fust pas arrivé, si le sentiment de la douleur, ou comme il dit, la Sensation, se faisoit dans la main, ou quelque part ailleurs que dans le cerveau.

10. Ie ne comprens pas ce qu’il objecte sur la page 159. et 163. où ie traite des Meteores ; Car si ma Philosophie luy semble trop grossiere, de ce qu’elle considere les figures, les grandeurs, la situation, et le mouvement des parties, comme fait la Mechanique. Clerselier II, 42 Il condamne ce que i’estime sur toutes choses digne d’estre loüé, et ce en quoy principalement ie me prefere aux autres, et dont ie me glorifie davantage, qui est de me servir d’une façon de Philosopher, où nulle raison n’est admise qui ne soit Mathematique et evidente, et dont les conclusions sont toutes appuyées sur des experiences tres-certaines ; En sorte que tout ce que nous concluons par ces principes se pouvoir faire, se fait aussi en effet, toutes et quantes fois que nous appliquons comme il faut les choses actives aux passives. Ie m’estonne de ce qu’il ne prend pas garde, que cette Mechanique, qui iusques icy a esté en usage, n’est autre chose qu’une petite partie de la vraye Physique, laquelle, pour n’avoir pû trouver de place chez les Sectateurs de la Philosophie vulgaire, s’est retirée chez les Mathematiciens. Or cette partie de la Philosophie est demeurée plus vraye, et moins corrompuë que les autres, à cause que se rapportant tout à l’usage et à la pratique, tous ceux qui y manquent en la moindre chose, ont coûtume d’estre punis de la perte de tous leurs frais. En sorte que s’il méprise ma façon de philosopher, à cause qu’elle est semblable à la Mechanique, il me semble qu’il fait la mesme chose que s’il la condamnoit, à cause qu’elle est vraye. Et s’il ne veut pas que l’eau et les autres Cors soient composez de parties distinctes réellement les unes des autres, ie le prie de prendre garde que nous appercevons de nos yeux de semblables parties en beaucoup de Cors. Car nous voyons que les pierres sont composées de petits grains, le bois de petits filamens ; et comme il dit luy-mesme, les chairs sont composées de petits filets entrelassez les uns dans les autres, comme les fils d’une toile ; et il n’y a rien de plus conforme à la raison, que de iuger des choses, qui à cause de leur petitesse ne peuvent estre apperceuës par les sens, à l’exemple et sur le modelle de celles que nous voyons. Qu’il se souvienne aussi qu’il a dit luy-mesme dans son objection à la page 164. que l’air, et les Esprits enfermez dans l’eau, élevent en sortant les parties superieures de l’eau, ce qui ne peut estre en Clerselier II, 43 tendu, s’il n’avoüe que cét air et ces Esprits sont composez de plusieurs particules épars par cy par là dans les pores de l’eau. Que si peut-estre il craint que le Vuide ne rompe l’union qu’il dit devoir estre necessairement entre les parties de l’Univers, et si d’autres semblables phantômes, dont la Philosophie subtile a coûtume de remplir son continu, luy font peur, et que pour cela il ne veüille pas demeurer d’accord que les Cors terrestres sont composez de petites parties actuellement divisées ; ie le prie de lire derechef ce qui est contenu dans la page 164. et il verra que ie conçois chacune de ces particules comme un cors continu divisible à l’infiny, duquel on pourra dire tout ce qu’il a demonstré dans son traitté tres-subtil de la composition du continu ; et mesme il sçaura que ie ne nie expressement aucune des choses que les autres imaginent de plus dans les Cors, outre celles que i’ay là expliquées ; mais cependant que ma Philosophie grossiere et rustique, se contente de ce peu de choses.

11. Enfin s’il se persuade que ie suppose temerairement et sans fondement, Que les parties de l’eau sont un peu longues, et faites comme des Anguilles, et choses semblables, qu’il se ressouvienne de ce qui est mis en la page 76. du Livre de la Methode ; et qu’il sçache que s’il veut prendre la peine de lire avec une attention suffisante, tout ce que i’ay écrit dans les Meteores, et dans la Dioptrique, il y trouvera plus de six cens raisons, d’où l’on peut former autant de syllogismes pour demonstrer les mesmes choses, en la maniere qui suit. Si l’eau est plus fluide, et qu’elle ne se gele pas si facilement que l’huile, c’est une marque que celle-cy est composée de parties qui se ioignent facilement l’une à l’autre, comme font les branches des arbres, et que celle-là est composée de parties plus glissantes, telles que sont celles qui ont des figures d’Anguilles ; Or est il qu’on trouve par experience, que l’eau est plus fluide que l’huile, et qu’elle ne se gele pas si facilement : Donc c’est une marque que l’huile est composée de parties qui se ioignent facilement l’une à l’autre, Clerselier II, 44 et que l’eau est composée de parties plus glissantes, comme sont celles qui ont des figures d’Anguilles.

De mesme, s’il est vray que les linges trempez dans de l’eau, se sechent plus facilement que ceux qu’on a trempé dans de l’huile, c’est une marque que les parties de l’eau ont des figures semblables à celles des Anguilles, qui peuvent facilement sortir par les pores du linge, et que les parties de l’huile ont des figures semblables à celles des branches d’arbres, qui s’embarrassent davantage dans ces pores ; Or est-il que l’experience fait voir que cela est vray ; Donc etc.

De mesme, si l’eau est plus pesante que l’huile, c’est une marque que les parties de l’huile sont comme des branches d’arbres, et que par consequent elles laissent plusieurs intervalles autour d’elles, et que les parties de l’eau sont comme des Anguilles, et qu’ainsi elles sont contenües en un moindre Espace ; Or est-il que l’experience nous le fait connoistre ; Donc etc.

De mesme, si l’eau s’éleve plus facilement en vapeur, où comme parlent les Chymistes, si elle est plus volatile que l’huile, c’est une marque que l’eau est composée de parties, qui comme des Anguilles se separent facilement l’une de l’autre, et que l’huile est composée de parties semblables à celles des branches d’arbres, qui sont davantage entrelassées ; Or est-il qu’on trouve cela par experience. Donc etc.

Toutes lesquelles choses à la verité estant considerées separément, ne sont que probables, et ne portent pas une entiere conviction, mais estant considerées toutes ensemble, ont la force d’une veritable demonstration. Mais si i’eusse voulu deduire toutes ces choses à la façon des Dialecticiens, certainement i’aurois lassé la main des Imprimeurs, et fatigué les yeux des Lecteurs par la grosseur du volume.

12. Sur la page 162. Il luy semble que c’est un paradoxe, de dire qu’un mouvement foible et lent, cause le sentiment du froid, et qu’un mouvement fort et prompt, cause celuy de la chaleur. Suivant quoy il doit aussi trouver paradoxe, qu’un leger frottement Clerselier II, 45 fait dans la main cause le sentiment du chatoüillement, et du plaisir, et qu’un plus fort cause celuy de la douleur. Car la douleur et lale plaisir ne different pas moins entr’eux, que font la chaleur et le froid. Et il doit aussi tenir pour un paradoxe, Que si nous approchons d’un Cors tiede nostre main qui est chaude, ce Cors nous semble froid, lequel toutesfois nous pensons estre chaud, si nous le touchons de l’autre main qui est plus froide.

13. Sur la page 164. Il luy semble aussi que c’est un paradoxe de dire, que le froid rarefie. Mais toutesfois il ne satisfait pas à une experience qui le fait voir manifestement. Car quand il dit, que l’air et les Esprits qui sortent de l’eau condensée par le froid, élevent en sortant les parties superieures de l’eau qui est enfermée dans un vaze ; il avoüe que l’air et les Esprits sortent de l’eau, et qu’ils élevent ses parties superieures, et il ne suppose point que rien succede en leur place ; en sorte que pour lors cette eau, selon luy, occupe plus d’Espace, et tout ensemble contient moins de matiere qu’auparavant ; ce qui sans doute s’appelle estre rarefié par le froid, et non pas esté condensé ; car de quelque façon qu’il arrive qu’un Cors occupe plus d’Espace qu’il ne faisoit auparavant, cela s’appelle estre rarefié. Ce n’est pas toutesfois qu’on doive croire pour cela, que la cause qu’il apporte du soulevement de l’eau soit veritable. Car si l’air et les Esprits, pour estre chauds, estoient chassez hors de l’eau par la force du froid, ils devroient passer en un autre lieu, où la force du froid seroit moindre ; et neantmoins pour l’ordinaire il n’y a point de tel lieu à l’entour, principalement apres que la superficie de l’eau est couverte d’une crouste de glace assez épaisse. Il ne faut pas dire aussi qu’ils tendent à aller en haut, à cause qu’ils sont legers, car si le haut du vaze estoit exactement fermé, et qu’il n’y eust que le bas qui fust ouvert, cela n’empescheroit pas que l’eau qui se geleroit ne s’enflast. Et la raison que i’ay donnée du gonflement de l’eau, n’est nullement détruite de ce que la glace a coûtume de paroistre au haut du vaze un peu plus rare et plus poreuse ; Clerselier II, 46 car cela se fait à cause que les particules de l’eau, estant disposées à se plier et courber en diverses manieres, comme i’ay dit en cét endroit là, elles le peuvent plus facilement faire vers la superficie, où rien ne les empesche de se soulever ou de se plier, que dans le milieu, où elles ne trouvent point de place pour le faire, qu’en rompant le vaze où elles sont. Et de plus, afin qu’il ne doute point que la mesme eau condensée au commencement par le froid, ne soit rarefiée peu de temps apres par le mesme froid, il doit prendre garde que dans l’Experience que i’ay apportée, elle commence à s’enfler, lors qu’elle est encore tout à fait liquide, et un peu auparavant qu’on remarque la moindre particule de glace sur sa superficie.

14. Sur la page 165. Il ne veut pas que les exhalaisons soient élevées en haut par la secousse et l’ébranlement des rayons du Soleil ; Pource, dit-il, que les rayons du Soleil ne sont pas des Cors. Pour moy ie dis en termes exprés, non pas à la verité que ce soit des Cors, mais bien qu’ils sont l’impulsion de quelque Cors. Ce qui suffit icy. Et on ne doit pas nier qu’il ne se fasse une telle impulsion ; à cause, comme il dit, que nous ne la sentons point : Car suivant le mesme argument, il faudroit dire, que toutes les fois qu’en marchant nous ne sentons point l’air, nous marchons dans le vuide. Et mesme nous sentons aussi manifestement par le toucher les rayons du Soleil, autant de fois que nous exposons la peau toute nuë à ses rayons ; car ils l’échauffent, et cette chaleur n’est rien autre chose, comme i’ay dit ailleurs, qu’un certain mouvement excité dans les petites parties de la peau, par l’impulsion des rayons du Soleil. Mais voyez le peu de probabilité qu’il y a en ce qu’il adjouste, c’est à sçavoir, Que les fumées des exhalaisons et des vapeurs ne sont chassées en haut, qu’à cause de leur rareté, ou par l’impulsion de quelques autres Cors plus pesans. Comme s’il estoit croyable que les vapeurs et les exhalaisons, qui ne sont rien autre chose que des particules d’eau et de terre, estant en l’air, qui est beaucoup plus leger qu’elles, pussent estre élevées par l’impulsion de quelques Cors plus Clerselier II, 47 pesans. Certainement il auroit raison de me reprocher de n’avoir iamais lû le Livre d’Archimede, qui traite des Cors qui flottent sur l’eau, ou du moins de ne l’avoir iamais entendu, si i’avois écrit qu’il contient des choses qui pussent servir à le prouver. Mais peut-estre qu’il dira, que par ces Cors plus pesans il entend l’air mesme, à cause que la Terre et l’Eau ont esté rellement rarefiées par la force des rayons du Soleil, qu’elles sont devenuës plus legeres que luy : Comme s’il estoit aussi le moins du monde probable, que les rayons du Soleil, qui ne parviennent iamais iusques à l’eau, ou à la terre, qu’en passant par l’air, pussent rarefier si peu cét air, qui de soy est tres-disposé à la dilatation, et au contraire rarefier si fort les particules de celles-cy, qu’elles devinsent plus legeres que l’air.

15. Sur la page 182. Ie m’étonne de ce qu’il veut que la vraye cause, pourquoy la superficie exterieure de l’eau est polie, et (ce qu’il adjouste du sien) uniformement ronde, doive estre prise d’Archimede, dans le mesme Livre où il traitte des Cors qui flottent sur l’eau ; car rien n’est contenu dans ce Livre, qui puisse servir à cela, sinon ce postulat, à sçavoir, Que les parties d’un Cors humide estant couchées également, la moins pressée soit chassée de sa place par celle qui l’est davantage ; Et la seconde proposition, dans laquelle il demonstre en suite de ce postulat, Que la superficie de tout Cors humide, qui est arresté et comme en repos, est Spherique, et que le centre de cette Sphere est le mesme que celuy de la Terre ; Ce qui certainement approche fort de la Verité, et mesme autant qu’il estoit necessaire pour le dessein d’Archimede, qui n’avoit point d’autre but dans tout ce Livre, que de demonstrer combien et comment on doit charger les Navires, pour faire qu’ils ne soient pas submergez. Mais à vray dire, cela ne peut nullement servir pour rendre raison pourquoy la superficie de l’eau est polie ; car au contraire de ce fondement mesme d’Archimede, et de toutes les autres Loix de l’Equilibre, si on n’a point égard aux autres circonstances, et sur tout à ce frottement reciproque des superficies dont i’ay parlé, il suit Clerselier II, 48 tres-evidemment qu’elle doit estre raboteuse et inégale ; pource qu’y ayant pour l’ordinaire de petites parties terrestres mélées parmy celles de l’eau, comme il paroist manifestement de ce qu’estant gardée quelque temps dans un vaze, elles vont au fond ; Et de plus, ayant aussi en soy quelques Esprits qui sont plus legers qu’elle, comme il avouë lui-mesme dans l’objection à la page 164. Il est demonstré dans la proposition quatriéme et cinquiéme de ce Livre d’Archimede, que ces parties de la superficie de l’eau, qui ont sous soy plus de ces petites parties terrestres et moins d’Esprits, doivent estre un peu plus proches du centre de la terre, que les autres parties voisines qui auroient plus d’Esprits, et moins de ces particules terrestres, et ainsi rendre cette superficie tout à fait rude et mal polie. Ou bien s’il veut que la terre et les Esprits, et toutes les choses semblables, soient égales à l’eau en pesanteur, lors qu’elles sont mélées avec elle ; du moins faut-il qu’il avouë que la raison d’Archimede ne sert de rien, sinon lors que la superficie de l’eau ou d’une autre liqueur, est une partie de la Sphere qui a le milieu de la terre pour son centre. Et partant que dira-t’il des gouttes d’eau qui sont pendantes en l’air, et des vagues de la mer, qui, pour agitées qu’elles soient, ne laissent pas d’avoir tousiours leurs superficies tres égales, et tres polies.

16. Sur la page 167. et 168. ie me suis arresté quelque temps sur cét endroit, et ie n’eusse iamais pû m’imaginer, pourquoy il apporte l’Exemple des rayons d’une rouë, et celuy d’un cercle de feu que fait un tison allumé quand il est agité fort viste en rond, pour refuter ce que i’ay écrit de la rareté des vapeurs, si ie ne me fusse souvenu fort à propos, qu’Aristote dit que la rarefaction se fait par l’augmentation de la quantité, et qu’ainsi plusieurs de ses Sectateurs se persuadent, qu’un Cors, quand il est rarefié, occupe plus d’Espace selon toutes les dimensions, que quand il est condensé ; Selon laquelle opinion il seroit vray de dire, que les rayons d’une rouë, ou un tison de feu agité en rond, ne sont pas plus rares, et n’occupent pas plus d’Espace, lors qu’ils sont agitez, Clerselier II, 49 que lors qu’ils sont en repos, mais ma Philosophie grossiere ne comprend point une telle augmentation de quantité ; Et ie ne conçoy point d’autre raréfaction, que celle qui se fait, lors que les parties de quelque Cors s’éloignent l’une de l’autre, et que les pores ou intervalles qui sont entre les parties de ce Cors, s’augmentent et deviennent plus grands. Et ie ne dis pas que chacunes des parties de ce Cors dont les pores s’augmentent ainsi, deviennent plus rares, mais seulement que tout le Cors se rarésie. Et ie ne nie pas aussi qu’il ne puisse y avoir des Cors tres rares, encore que leurs parties soient en repos et sans mouvement ; car c’est ainsi que i’appelle une Eponge rare, non seulement lors qu’elle est seche, mais aussi plutost lors qu’estant pleine d’eau elle s’enfle davantage. Car il n’importe pas que ses pores soient remplis, ou d’air, ou d’eau, ou de quelqu’autre matiere, pource que cela n’appartient pas à sa Nature. Mais il n’y a rien de plus evident qu’un mouvement tres-viste de toutes les parties de quelque Cors, peut faire aussi quelquesfois que toutes ses parties s’éloignent davantage l’une de l’autre, que si elles estoient en repos ; par exemple, lors qu’un tison embrazé est violemment agité en rond, il empesche que d’autres tisons ne puissent aussi estre agitez en diverses manieres dans le mesme lieu ; En sorte qu’il a icy cherché de la difficulté, où il n’y en a point.

17. Sur la page 175. et 189. Il nie que la saveur du sel consiste, en ce que les parties du sel tombent de pointe dans les pores de la langue ; pource, dit-il, que si cela est vray, toutes les fois que par hazard elles tomberont de travers, elles feront sortir quelqu’autre goust : Mais il doit remarquer qu’une aiguille ne picque qu’avec la pointe, et qu’une épée ne coupe qu’avec le tranchant, et qu’elle ne peut faire aucune incision avec ses autres parties ; Et que de mesme les petites parties du sel qui tombent de travers sur la langue, ne sont pas plus senties que celles de l’eau douce ; Mais pource qu’il y a une infinité de telles particules dans un seul de ses grains, il est aussi peu possible qu’un de ces grains en se fondant dans Clerselier II, 50 la bouche, n’envoye de pointe aucunes de ses particules dans les pores de la langue, qu’il se peut faire qu’une personne marche nud piez sur des Espines sans se blesser. Il adjouste que c’est vainement que i’espere me pouvoir deméler d’un si grand nombre de difficultez par la seule situation, et par le seul mouvement Local, lesquelles ne peuvent estre entenduës ny expliquées sans plusieurs autres qualitez réelles. Mais s’il veut prendre la peine de faire le dénombrement des Problêmes que i’ay expliqués dans le seul Traitté des Meteores, et de les conferer avec les choses qui ont esté écrites par d’autres sur la mesme matiere, dans laquelle il est tres-bien versé i’espere qu’il ne trouvera pas grand sujet de mépriser ma Philosophie, toute grossiere et mechanique qu’elle est.

18. Enfin, sur la page 190. Lors qu’il dit que toutes les varietez qui arrivent au mouvement des Vents, ne sçauroient estre entierement expliquées par l’Exemple seul des Eolipiles, il est d’accord avec moy ; car i’en apporte aussi d’autres causes ; Mais lors que pour en donner la raison, il adjouste que les exhalaisons des vents ne sont pas si étroitement pressées entre les nuës et les montagnes, qu’elles en sortent, et qu’elles en soient chassées, avec autant d’effort que la vapeur qui sort d’une Eolipile, il semble ne prendre pas assez prés garde aux loix de la Mechanique, par lesquelles on peut aysément demonstrer, que si cette grande masse d’air, qui compose les vents, estoit poussée avec autant d’effort, qu’a coûtume d’étre le peu d’air qui sort d’une Eolipile, il n’y auroit point d’edifices qui n’en fussent renversez, et mis par terre.

Voila, Monsieur, ce qui m’est venu en l’Esprit pour répondre aux objections de Monsieur Fromondus ; Que si cela ne le satisfait pas entierement, ou si peut-estre aprés un examen plus exact de mon Livre, il trouve encore plusieurs autres objections à me faire etc.