AT II, 420

AU R. P. MERSENNE.

LETTRE XCII.

MON REVEREND PERE,
I’ay receu quatre de vos Lettres depuis que ie vous ay écrit mes dernieres, qui fust il y a cinq semaines, et pource qu’aucune des vostres ne m’apprend que vous les ayez receuës, i’ay quasi peur qu’elles ayent esté mal addressées ; de quoy ie serois tres-marry, car elles sont fort amples. J’y ay mis mon opinion du livre de Galilée, ma réponse aux questions de M. de Beaune, et à tous les articles de vos Lettres precedentes, j’y ay joint aussi une Lettre pour M. de Fermate, Clerselier II, 407 et la promesse du sieur N. que vous m’aviez envoyée, si tant est que vous ne les ayez point receuës, ie vous prie de vous enquerir chez le Messager à qui il les a données ; car elles ne peuvent estre perduës, si ce n’est que quelqu’un les ait prises chez le Messager en vostre nom, et elles doivent avoir esté à Paris environ la my-Octobre.

Vous commencez la premiere de vos Lettres par la disposition de ce Bohemien qui saute cinquante semelles, ce que ie n’admire pas moins que vous, et on voit par là que l’exercice peut changer extrémement nostre Nature. AT II, 421 L’Echo dont ie vous ay écrit cy-devant, ne répondoit aucune sillabessillabe ; mais seulement un son aigu tout semblable au cry d’un soufflet, et il répondoit mieux au frappement de mes mains, qu’à ma voix. Les fautes d’écritures qui estoient en l’Introduction à ma Geometrie ont esté bien remarquées, comme avouë celuy qui l’a composée ; mais il s’en excuse, sur ce qu’il a changé plusieurs choses en la transcrivant ; en sorte que la copie qu’il en a est fort differente de ce qu’il vous a envoyé. I’ay de l’obligation à ceux qui ont eu soin de la faire si bien transcrire, et il vaut mieux en laisser prendre des copies à ceux qui eaen desireront, que de la faire imprimer.

Ie ne puis iuger autre chose de l’Echo que vous dites répondre mieux à deux tons qui different d’une sexte, qu’à tous les autres, sinon qu’il faut que le Cors d’où il vient, soit composé de diverses parties, dont les unes s’accordent avec l’un de ces tons, et les autres avec l’autre, ce qui peut aisément estre entendu par l’exemple d’un luth, dont la moitié des cordes seroient toutes accordées à l’unisson, et les autres à la sexte de cét unisson : Car en entonnant de la voix quelque son, qui ne soit point accordant avec ces cordes, le ventre du luth ne laissera pas de raisonner quelque peu AT II, 422 comme un Echo ; Mais si l’on entonne l’un des deux sons ausquels ses cordes seront accordées, il raisonnera beaucoup davantage.

AT II, 427 I’ay sçeu il y a long-temps que les Nombres, dont les par Clerselier II, 408 ties aliquotes font le Triple, et qui sont divisibles par 3. et non par 9. estant ainsi divisé par trois, en produisent un, dont les parties font le double ; et ceux dont les parties font le septuple, ainsi divisez par trois en produisent un, dont les parties font le quintuple ; ceux de 11. en produisent un de 8. ceux de 15. un de 11. et ainsi à l’infiny. Et ie vous diray, que par la AT II, 428 façon dont ie cherche ces Multiples, chaque trait de plume m’apprend quelque Theoréme semblable : Comme par exemple, ie composay les six Triples que ie vous ay cy-devant envoyez, des quatre doubles que i’avois par le moyen de deux tels Theorémes ; dont l’un est, que tout nombre, dont les parties font le double, qui est divisible par 3. sans l’estre par 5. ny par 9. estant multiplié par 45. en produit un, dont les parties font le Triple ; Et l’autre, Que tout nombre, dont les parties font le double, qui est divisible par 3. sans l’estre par 7. ny par 9. estant multiplié par 273. en produit un, dont les parties font le Triple. Mais ie ne laisse pas d’estre obligé à Monsieur de Bessy, de ce qu’il avoit trouvé sur ce sujet, et i’avois aussi auparavant ainsi composé celuy que ie vous avois envoyé, dont les parties font le double du nombre trouvé par M. de sainte Croix, qui fait le mesme, sans avoir aucun dessein de chercher le plus court : Car divisant 523776. par 31. et multipliant le Quotient par 87376. il vient 1476304896. Et c’est une regle generale, que tout nombre qui est divisible par 31. et par 512. sans l’estre par le quarré de 31. ny par 1024. ny AT II, 429 par 43. ny par 127. estant divisé par 31. et apres multiplié par 87376. en produit un, qui a mesme proportion avec ses parties qu’avoit le premier. Que si en vous envoyant ces façons dont ie trouve ces Theorémes, cela peut aider à convertir le sieur N. ainsi que vous écrivez, ie vous l’envoyeray tres-volontiers.

Pour des nombres parfaits, ie n’ay point vû le livre que vous dites en avoir esté imprimé à Amsterdam, ny ne sçaurois le trouver, si vous ne me mandez le nom du Libraire qui l’a imprimé ; Mais ie pense pouvoir demonstrer, qu’il Clerselier II, 409 n’y a point de nombres pairs qui soient parfaits, excepté ceux d’Euclide ; et qu’il n’y en a point aussi d’impairs, si ce n’est qu’ils soient composez d’un seul nombre premier, multiplié par un nombre quarré, dont la racine soit composée de plusieurs autres nombres premiers ; Mais ie ne voy rien qui empesche qu’il ne s’en trouve quelques-uns de cette sorte : Car par exemple, si 22021. estoit nombre premier, en le multipliant par 9018009. qui est un quarré dont la racine est composée AT II, 430 des nombres premiers 3. 7. 11. et 13. on auroit 198585576189. qui seroit nombre parfait. Mais quelque methode dont on puisse user, il faut beaucoup de temps pour chercher ces nombres, et peut-estre que le plus court a plus de 15. ou 20. notes.

Ie ne sçay point d’autre regle pour connoistre si un nombre est premier ou non, sinon que ie regarde à son dernier chiffre qui doit estre 1. ou 3. ou 7. ou 9. et s’il est par exemple 3. i’examine s’il ne peut point estre divisé en 2. autres, chacun desquels ait 1. pour son dernier chiffre, ou bien 9. ou bien dont l’un ait 3. et l’autre 7. et fais cét Examen en commençant à droite par le dernier chiffre, dequoy l’operation est veritablement assez longue, mais ie n’en sçay point de plus courte.

AT II, 425 Ce que vous dites avoir arresté M. de Rob. en ma solution de la Tangente qui fait l’angle de 45. degrez, est fort peu de chose ; et la methode de Viete doit estre moins parfaite que ie ne pensois, si elle ne se peut estendre iusques-là. Car voici ce que c’est ***

AT II, 427 Que s’il se trouve encore en cecy quelque chose qui ne luy semble pas assez clair, ie ne doute point que celuy qui corrige les copies de l’Introduction ne le puisse facilement éclaircir, et il pourra aussi fort aisément achever l’operation du quadrilatere, car elle ne consiste qu’à faire des multiplications toutes simples. Vous mandez que ie dois avoir employé plus de quinze iours à déméler cette equation ; Mais ie vous jure que ie n’y avois point cy-devant employé tant de temps, que ie viens de faire icy pour l’écrire, à cause Clerselier II, 410 que i’ay des façons d’abreger, lors que ie fais ces operations pour moy seul, qui me font mettre en deux ou trois lignes, ce dont il me faut remplir une page, lors que ie les écris pour les autres.

AT II, 422 Ie vous remercie des experiences que vous me mandez avoir faites avec un tuyau remply d’eau, mais ie ne les sçaurois entendre, à cause que ie ne sçay point ce que vous prenez pour la longueur du Iet perpendiculaire, ou horisontal, etc. Mais les Experiences qu’on peut faire avec ce tuyau, qui me semblent utiles, et desquelles on pourroit déduire presque tout ce qui appartient à cette matiere, sont celles-cy. Premierement ie voudrois le diviser en quatre ou davantage de parties, et laissant couler par le robinet toute l’eau dont il seroit plein, mesurer exactement en combien de temps la premiere partie se vuideroit, en combien la seconde, et ainsi des autres : car il n’y a point de doute, que les plus basses parties seroient plus de temps à se vuider que les plus hautes ; mais c’est l’experience qui doit enseigner combien il faudroit aussi mesurer l’eau écoulée, pour voir si le tuyau auroit esté bien divisé.

L’autre experience que ie desirerois est telle, Qu’ AT II, 423 a, b, c, d, soit le tuyau plein d’eau, d, e, f, son robinet, dont ie supose la partie e, f, estre mobile, et que son extremité f, est en mesme Plan que le fond du tuyau c d, ie voudrois que le bout du robinet e, f, estant incliné de quarante-cinq degrez sur l’horison, on décrivist sur un mur contre lequel seroit le Clerselier II, 411 tuyau, toute la ligne que represente le filet d’eau f, g, tant en montant qu’en descendant, iusques à 15. ou 20. piez plus bas que ce robinet. Et afin qu’on ait tout loisir de faire cela, sans que l’eau du tuyau se diminuë, il faut qu’il en coule cependant d’un autre vaisseau posé au dessus, comme H. par un trou plus large que celuy du robinet, car ce qu’il y aura de trop s’écoulant par dessus les bords du tuyau a, b, n’y nuira en rien. Apres avoir ainsi tracé la ligne que décrit le filet d’eau, lors que le robinet est incliné de quarante-cinq degrez, AT II, 424 ie voudrois faire le mesme lors qu’il est incliné de 30. et de 60. et lors qu’il est Parallele et Perpendiculaire à l’horison, car de ces cinq positions, on peut en déduire toutes les autres. Or aprés avoir ainsi tracé ces cinq lignes en grand volume sur une Muraille, en les commençant toutes par le mesme poinct f, c’est à dire, en mettant toujours l’extremite du robinet au mesme lieu, on pourroit aisément suivre les mesmes proportions pour les tracer en petit volume. On peut aussi par aprés observer les mesmes lignes, pendant que le tuyau n’est plein qu’à demy, à sçavoir en y faisant un trou vers K, par lequel se vuide le surplus de l’eau qui tombe dedans du vaisseau H.

Ie suis bien aise que M. de Beaune se soit satisfait touchant ses lignes, il pourra voir si ma réponse s’accorde avec ce qu’il a trouvé ; mais ie m’étonne, de ce qu’aprés avoir remarqué que la definition que ie donne des lignes du premier genre, convient à la premiere des siennes, il n’a pas pour cela reconnu qu’elle est une hyperbole ; car il est tres-certain qu’elle en est une, et ie luy envoyerois la façon de la construire, sinon que ie me persuade qu’il l’a desia trouvée, depuis qu’il a eu ma réponse.

Pour ceux qui vous mandent qu’ils ne me peuvent faire d’objections, à cause que ie ne declare AT II, 425 point mes Principes, c’est plutost un pretexte qu’ils prennent, qu’une raison qui soit valable : Car il n’est point besoin de sçavoir davantage de mes Principes que i’en ay expliqué, pour entendre la pluspart des choses que i’ay écrites, et connoistre si elles Clerselier II, 412 sont fausses ou vrayes. Or s’ils les iugent fausses, ie croy qu’ils sont obligez de les refuter ; car il y a assez d’autres personnes qui en font estat, pour empescher qu’ils ne les puissent tant mépriser, que de n’en daigner prendre la peine ; Et s’ils les iugent vrayes, et que neantmoins ils manquent de les suivre, ils témoignent n’estre pas entierement Amateurs de la Verité.

AT II, 430 Pour la fontaine qui a vingt-quatre fois le iour son flus et son reflus, elle est veritablement tres-admirable si ce flus est entierement reglé, en sorte qu’il ne vienne iamais ny plus ny moins que vingt-quatre fois ; Mais s’il n’est point si reglé, comme sans doute il ne l’est point, ie ne iuge pas que sa cause soit si mal-aisée à découvrir. I’ay mis quelque chose de semblable dans mon Monde ; car i’y ay expliqué tres-particulierement l’origine des Fontaines, et le Flus et Reflus de la Mer ; ce qui est cause que ie n’en ay rien mis en mes Meteores.

AT II, 431 La pensée de Monsieur des Argues, touchant le Centre de gravité d’une Sphere, n’est pas fort éloigné de ce que ie vous en avois écrit ; mais nous nous sommes, comme ie croy, mécontez et l’un et l’autre. Car le rayon de la Sphere estant AD, et le Centre de la Terre C il est certain que si AD est moyene proportionnelle entre AC et AB, le point B, est le Centre de gravité des deux parties opposées D et E ; Mais il n’est pas pour cela le Centre de gravité de toute la Sphere, ny seulement de toute la superficie de cette Sphere : Car ces deux parties D, et E, ne sont que deux points de cette superficie. Il est certain aussi que faisant AF, triple de FB, le point F est le Centre de Gravité, de toutes les parties opposées qu’on peut imaginer les unes dans le rayon AD, et les autres dans le rayon AE, qui ayent entre elles mesme proportion, que les superficies de plusieurs Spheres inscrites l’une dans l’autre, ce qui n’est non plus le vray Clerselier II, 413 Centre de gravité d’une Sphere, comme i’avois pensé. Et il y a beaucoup plus de difficulté à le trouver. C’est pourquoy ie vous prie d’effacer les sept ou huit dernieres lignes du petit écrit de Mechanique, que ie vous ay envoyé, à sçavoir depuis ces mots, Et mesme on peut demonstrer, etc. AT II, 432 Quandoque bonus dormitat Homerus ; En effet ie n’avois iamais considéré, que le Centre de Gravité d’une Sphere fust different de celuy de sa figure, ny peut-estre iamais aucun autre, avant le dernier soir que i’achevay cét écrit, et ie croy que ie m’endormois, lors que i’écrivis ces dernieres lignes.

Vous avez enfin entendu le mot de Force, au sens que ie le prens, quand ie dis, qu’il faut autant de force pour lever un poids de cent livres, deux pieds de haut, qu’un de deux cens un seul pied etc. c’est à dire, qu’il y faut autant d’Action, ou autant d’Effort. Ie veux bien croire que ie ne m’estois pas cy devant assez expliqué, puis que vous ne m’aviez pas entendu ; Mais i’estois si éloigné de penser à la Puissance qu’on nomme la Force d’un homme, lors qu’on dit un tel a plus de Force qu’un tel etc. que ie ne pouvois aucunement me douter, qu’on dust prendre le mot de Force en ce sens-là ; Et lors qu’on dit qu’il faut employer moins de Force à un effet qu’à un autre, ce n’est pas à dire qu’il faille avoir moins de Puissance : car encore qu’on en eust davantage, elle n’y nuit point, mais seulement qu’il y faut moins d’Action. Et ie ne considere point du tout en cét écrit, la Puissance qu’on AT II, 433 nomme la Force d’un homme, mais seulement l’Action, qu’on nomme la force par laquelle un poids peut estre levé, soit que cetttecette Action vienne d’un homme, ou d’un ressort, ou d’un autre poids, etc. Or il n’y a point ce me semble d’autre moyen, de connoistre a priori la quantité de cét effet, c’est à dire, combien, et quel poids peut estre levé, avec telle ou telle machine, que de mesurer la quantité de l’Action, c’est à dire de la Force qui doit y estre employée ; et ie ne doute point que M. des Argues ne me l’accorde, s’il prend la peine de lire ce que i’ay écrit sur ce Clerselier II, 414 fait ; car comme ie suis tres-assuré de la bonté de son esprit, ie ne croy pas devoir aussi douter en cela de ma raison.

Pour ce qu’a écrit Galilée touchant la balance, et le levier, il explique veritablement fort bien, quod ita sit, et non pas, cur ita sit, comme ie fais par mon Principe. Et pour ceux qui disent que ie devois considerer la vitesse, comme Galilée, plutost que l’espace, pour rendre raison des Machines, ie croy entre nous, que ce sont des gens qui n’en parlent que par fantaisie, sans entendre rien en cette matiere ; Et bien qu’il soit evident, qu’il faut plus de force pour lever un Cors fort viste, que pour le lever lentement, c’est toutesfois une pure imagination, que de dire que la Force doit estre iustement AT II, 434 double pour doubler la vitesse, et il est fort aisé de prouver le contraire. La façon dont Monsieur F. a examiné la Tangente de la Roulette, est la mesme dont Archimede s’est servy pour la Tangente de la Spirale, et c’est presque la seule qu’on peut avoir pour telles lignes qui ne sont pas Geometriques. Sa premiere construction estoit generale ; car il y avoit adjousté ces mots, ou semblables, Et si la base est double de la Circonference du Cercle, on doit prendre le double de telle ligne, si triple, le triple, etc. ce qui estoit vray, et suffisoit pour faire connoistre qu’il l’avoit trouvée generalement : Mais pour le Sieur N. quoy que vous m’ayez desia envoyé quatre ou cinq fois sa construction pour cette Tangente, ie ne trouve point toutesfois qu’elle vaille rien en aucune des façons que vous me l’avez envoyée ; et encore qu’elle fust bonne, ie ne croirois point pour cela qu’il l’eust trouvée, mais plutost qu’il l’a tirée des nostres : Car il n’y a rien de plus aisé, que de déguiser une mesme construction en cent façons ; et s’il estoit vray qu’il l’eust trouvée, il donneroit sa demonstration accordante avec sa construction, ainsi que nous avons donné les nostres. I’ay desia vû en tant d’occasions, que quelques-uns de vos Geometres, se vantent à faux d’avoir trouvé des choses qu’ils ignorent, que ie ne croy plus rien de ce qu’ils disent, s’ils ne le prouvent. Comme AT II, 435 aussi ils me semblent plaisans, en ce qu’ils se vantent d’avoir Clerselier II, 415 trouvé les deux lignes de M. de Beaune, et toutesfois ils n’ont pas seulement sceu connoistre, que la premiere qui est incomparablement plus aisée à trouver que l’autre, est une hyperbole.

Ie ne sçay point d’autre moyen pour bien iuger des notions qui peuvent estre prises pour Principes, sinon qu’il s’y faut preparer l’esprit, en se défaisant de toutes les opinions dont on est preoccupé, et reiettant comme douteux, tout ce qui peut estre douteux. Si une Nature Intellectuelle est independante, c’est une Notion commune de penser qu’elle est donc Dieu : Car si elle a d’elle-mesme son Estre, nous ne sçaurions douter qu’elle ne se soit donné autant de perfections qu’elle en aura pû connoistre, ny croire que nous en connoissions aucunes, qu’elle ait pû ne pas connoistre ; Mais si on dit que quelque nature purement materielle, soit independante, il ne suit pas de là qu’elle soit Dieu.

I’ay cherché la Lettre où vous m’aviez cité le passage de saint Augustin que vous demandez, mais ie ne l’ay encore sceu trouver. Ie n’ay pû aussi encore avoir les Oeuvres de ce Saint, pour y voir ce que vous me mandez, dequoy ie vous remercie.

AT II, 436 La proportion de Bonaventure, Geometre Italien, que vous avez pris la peine de transcrire en l’une de vos Lettres, ne contient rien du tout de nouveau.

Ie n’ay point icy d’Aristote, pour voir la proposition que M. F. dit que Galilée n’a pas entenduë, mais ie n’y trouve pas plus de difficulté, qu’à concevoir comment un homme qui marche lentement, est une heure à faire autant de chemin, qu’il en fait en demy-heure, lors qu’il va deux fois plus viste : Car les points qui sont proches du centre d’une rouë, ne font que décrire des lignes courbes, qui sont plus courtes, que celles que décrivent les points plus éloignez, et ils se meuvent à proportion plus lentement.

Ce que i’ay vû autresfois de Campanelle, ne me permet pas de rien esperer de bon de son Livre, et ie vous remercie de Clerselier II, 416 l’offre que vous me faites de me l’envoyer ; mais ie ne desire nullement de le voir.

AT II, 437 Ie ne feray plus de réponse à M. Morin, puis qu’il ne le desire point, aussi qu’il n’y a rien dans son dernier Ecrit ; qui me donne occasion de répondre quelque chose d’utile, et entre nous il me semble que ses pensées sont encore plus éloignées des miennes, qu’elles nontn’ont esté au commencement ; de façon que nous ne tomberions iamais d’accord. Ie ne répons point aussi à plusieurs choses que vous me demandez touchant la matiere subtile, etc. Car ce sont choses qui ne recevroient quasi point de difficulté si on avoit vû mon Monde, mais qui ne peuvent estre expliquées sans luy, qu’elles ne produisent tousiours d’autres nouvelles difficultez.

Ie pensois icy finir ma Lettre, pour l’envoyer demain matin, qui est le Lundy, et ie n’ay coustume de recevoir les vostres que le Lundy au soir, ou le Mardy ; mais pour ce que ie n’avois point receu de vos Lettres aux deux voyages precedens, i’ay envoyé auiourd’huy exprés à Haerlem, afin de voir si le Messager n’y seroit point arrivé de si bonne heure, que ie pusse sçavoir, AT II, 438 dés auiourd’huy, s’il n’avoit point de Lettres pour moy ; et voicy qu’on m’en apporte trois, l’une du vingt-cinquiesme Octobre, l’autre du premier, et l’autre du septiesme Novembre, sans que ie sçache pourquoy la premiere a tant demeuré en chemin, ou la derniere si peu, et le semblable m’arrive souvent ; Ie tâcheray encore ce soir à y répondre autant que la matiere le permettra.

La premiere ne contient que la solution que donne Monsieur de Beaune pour sa 2. ligne, en laquelle ie voy qu’il pratique parfaitement bien les plus difficiles operations de mon Analise, et i’admire qu’il en ait peu tant apprendre du peu que i’en ay écrit ; et s’il estoit icy, ou que ie fusse aupres de luy, ie croy que ie luy pourrois faire entendre tout le peu que i’en sçay, en moins de deux ou trois semaines ; ce que ie ferois tres-volontiers ; mais encore que cela ne soit point, i’ose assurer que pourveu qu’il continuë à s’y exercer, Clerselier II, 417 il surpassera tous ceux qui se servent des autres methodes. Ce n’est pas à dire pourtant que sa solution soit vraye, mais ie vous prie de n’en rien dire à vos Geometres : car ie suis assuré qu’ils n’en pourront connoistre la faute, laquelle consiste, en ce qu’il a employé la regle que ie donne pour trouver la Tangente d’une Courbe, qui est determinée par quelques-autres proprietez données, à trouver ses autres proprietez par la Tangente donnée ; et cherchant la Tangente d’une AT II, 439 Courbe, sans en sçavoir d’autre propriété que celle de cette Tangente, il a fait un Cercle en Logique ; dequoy vous l’avertirez s’il vous plaist, en telle façon qu’il ne le puisse prendre qu’en bonne part ; car ie voudrois le pouvoir servir, et ie luy suis tres-obligé de ce qu’il tasche à faire valoir ce qui vient de moy.

Vostre deuxiesme Lettre est divisée en trois parties, dont la premiere contient diverses experiences, dont ie vous remercie ; mais pour celle du tuyau, i’ay desia mis cy-dessus comment ie desirerois qu’elles fussent faites ; et pour ce qui est de rompre des Cylindres, de long ou de travers, ie croy que c’est tout à fait peine perduë, et qu’il est impossible de trouver aucune proportion entre l’un et l’autre : car la pluspart des Cors sont beaucoup plus aisez à rompre en un sens qu’en l’autre ; comme si vous prenez la longueur d’un Cylindre dans la largeur d’une planche de bois, il sera incomparablement plus aysé à rompre, que si vous le preniez dans la longueur de cette planche. Et un mesme bois estant fort sec, sera plus aysé à rompre de travers qu’estant humide ; et au contraire en le tirant perpendiculairement du haut en bas, ie croy qu’on le peut mieux rompre quand il est humide, que lors qu’il est sec ;

La seconde contient vos remarques touchant Galilée, où j’avouë que ce qui empesche la separation AT II, 440 des Cors Terrestres contigus, est la pesanteur du Cylindre d’air qui est sur eux, iusques à l’Athmosphere, lequel Cylindre peut bien peser moins de cent livres ; Mais ie n’avouë pas que la force de la continuité des Cors durs vienne de là, car elle Clerselier II, 418 ne vient que de la liaison ou de l’union de leurs parties. I’ay dit que si quelque chose se faisoit crainte du Vuide, il n’y auroit point de force capable de l’empescher, à cause que ie croy qu’il n’est pas moins impossible qu’un Espace soit Vuide, qu’il est qu’une Montagne soit sans Valée.

I’imagine les parties de la Matiere subtile aussi dures, et aussi solides que le puissent estre des Cors de leur grandeur ; mais pource qu’elles ne peuvent estre senties, tous ces noms de qualitez estant relatifs à nos sens, ils ne leur peuvent proprement estre attribuez ; et on nomme la poussiere molle, ou legere, à comparaison des caillous, bien que chacune de ses parties soit de mesme Nature.

Ie n’accorde point que le bois pourri, ou une chandelle, puissent estre sans mouvement lors qu’ils donnent de la lumiere ; Mais bien qu’ils ne donneroient point de lumiere, si leurs petites parties, ou plutost celles de la Matiere qui est dans leurs pores, n’avoit un mouvement extraordinairement fort ; Et AT II, 441 pource que i’ay tres-particulierement expliqué la cause de ce mouvement, et toute la Nature du feu en mon Monde, ie n’en ay point voulu parler en mes Essais, et ie ne sçaurois le faire entendre en peu de mots. I’avoue ce que vous dites de la souveraine Condensation, et de la souveraine Rarefaction, et qu’il ne se peut faire aucune Raréfaction en un lieu, qu’il ne se fasse autant de condensation en quelqu’autre ; et il n’est pas mal-aisé de trouver, ou se fait la condensation compensative des Cors qui se dilatent dans une fournaise, car l’air libre, qui est autour, peut facilement estre pressé ; Mais si on allumoit du feu dans une cave, dont toutes les ouvertures fussent fermées comme une bouteille, ce feu ne pourroit devenir fort grand, encore qu’il y eust eu beaucoup de bois, ou de paille, pour cela seul que l’air renfermé ne se pourroit pas assez condenser.

Si la Matiere subtile ne se mouvoit point, elle cesseroit d’estre Matiere subtile, et seroit un Cors Dur et Terrestre.

Clerselier II, 419 L’inégalité des descentes est autre dans l’eau, que dans l’air, à cause que l’air et l’eau ne different pas seulement en solidité, ou pesanteur, mais aussi en ce que les parties de l’eau ayant d’autres figures que celles de l’air, peuvent estre, cæteris paribus, plus ou moins difficiles à diviser. Pour la rondeur des gouttes d’eau, voyez page cent quatre-vingt deux, et deux cens quatre des Meteores.

AT II, 442 Quand l’eau se filtre par un drap, il n’entre point d’air dedans, car il se fait une superficie des parties exterieures de cette eau, iointes à celles de ce drap qui l’en empesche, et qui sert comme de tuyau, par lequel coulent les parties interieures de cette eau, qui de leur nature sont en continuel mouvement ; Et ce mouvement qu’elles ont leur aide aussi à monter dans un morceau de pain, ou autre tel Cors, dont les pores sont de telle grandeur et figure, qu’ils sont plus propres à recevoir les parties de l’eau que celles de l’air.

Mon opinion n’est pas qu’un Cors estant poussé, ne puisse continuer à se mouvoir dans le Vuide, c’est à dire, dans un espace qui n’est plein que d’une matiere qui n’augmente ny ne diminuë point son mouvement ; car au contraire ie tiens qu’il s’y doit mouvoir perpetuellement : Mais bien pensay-ie qu’un Cors n’aura aucune pesanteur dans ce Vuide, qui l’incline à se mouvoir vers le bas plutost que vers un autre costé.

Ie croy bien que la vitesse des Cors fort pesans, qui ne se meuvent pas trop viste en descendant dans l’air, s’augmente à peu prés en proportion doublée ; mais ie nie AT II, 443 que cela soit exact, et ie croy que tout le contraire arrive lors que le mouvement est fort viste.

Ie crains aussi bien que vous que Monsieur de Beaune se méconte en ses Mechaniques, puis qu’il suit les fondemens de Galilée.

I’ay desia tantost dit que l’air n’empesche pas seulement la descente des Cors, entant que pesant, mais aussi entant que ses parties estant d’autre figure que celles de Clerselier II, 420 l’eau, elles peuvent estre plus ou moins aisées à diviser. Et voila tout ce que ie trouve à répondre à cét article.

Le troisiesme est touchant la Dioptrique. Ie vous remercie de ce qu’il vous plaist en corriger les fautes, et si vous prenez la peine de les marquer toutes en votre Exemplaire, afin de nous l’envoyer, en cas qu’on en fasse une seconde impression, vous m’obligerez : Car en ce qui est de la Langue, et de l’Orthographe, ie ne desire rien tant que de suivre l’usage ; Mais il y a si long temps que ie suis hors de France, que ie l’ignore en beaucoup de choses.

Pour les questions que vous dites, à sçavoir que ie pouvois adjouster en mes Essais, quelle difference de diaphaneïté il y a entre les Cors durs et les liquides, et pourquoy le feu rougissant un Cors diaphane le rend opaque, et semblables, ce sont questions de Physique, qui dépendent entierement ART II, p. 444 de ce que i’ay mis en mon Monde, et dont ie n’ay point voulu parler en ces Essais. Ie nomme les parties solides de l’air, toutes celles qui le composent, pour les distinguer de celle de la Matiere subtile qui est dans ses pores : Car ordinairement, parlant de l’air, on entend tout ce qui remplit l’espace où il est, et ainsi cette matiere subtile y est comprise. Si les pores de l’air, ou d’un autre Cors, n’estoient pas remplis de la Matiere subtile, ou de quelqu’autre, ils cesseroient d’estre, car selon moy, un espace sans matiere implique contradiction.

Ie croy qu’il y a moins de pores dans l’or, et dans le plomb, que dans le fer. I’ay desia dit que ie conçoy les parties de la Matiere subtile, comme aussi dures et solides, que peuvent estre des Cors de leur grandeur ; mais pour celles des Cors Terrestres, on les peut imaginer plus ou moins dures les unes que les autres, à cause qu’elles peuvent derechef estre composées de plusieurs autres parties, et ainsi i’ay dit en mes Meteores, que les parties de l’eau estoient plus molles et pliantes que celles du sel, p. 188.

Ne craignez pas que ie me sois mépris, en disant que la premiere ligne de M. de Beaune est une Hyperbole, et Clerselier II, 421 sçachez que tous ceux qui l’ont examinée sans le reconnoistre, se sont grandement mépris : car c’est une chose si claire, et si facile, qu’il ne faut AT II, 445 point mettre la main à la plume pour le connoistre : Per quantitatem inadequatè sumptam, i’entens une quantité, qui bien qu’elle ait en effet toutes ses trois dimensions, n’est pas toutesfois considerée selon elles.

Ne croyez pas tout ce qu’on vous dit de ces merveilleuses lunettes de Naples, car la pluspart des hommes, et principalement les Charlatans, tel qu’est sans doute vostre N. font tousiours les choses qu’ils racontent plus grandes qu’elles ne sont.

Ie viens à vostre derniere Lettre, où vous commencez par ce que vous a écrit M. N. et i’apprens icy qu’il n’a point du tout entendu ce qu’il pense avoir refuté en ma Dioptrique ; car il dit que mon principal raisonnement est fondé sur une chose qui est entierement contraire à mon opinion, et à ce que i’ay écrit ; Ie m’étonne qu’il se soit si fort laissé preoccuper par sa premiere imagination, que ie n’aye pû luy faire entendre ma pensée par mes réponses : Cependant ie vous remercie des reproches que vous luy avez fait, pour les bruits qu’il a semez ; mais ie ne luy en veux point de mal, à cause que ie voy qu’il n’en a parlé que selon sa creance.

AT II, 446 Ie suis maintenant trop pressé pour faire aucun calcul ; mais ie ne croy pas qu’il en faille beaucoup, pour examiner les surfaces des Cones que vous demandez. Pour entendre ce que i’ay dit des verres brûlans en la Dioptrique page 119. Il faut considerer qu’il vient des Rayons formels de chaque point du Cors lumineux, sur chaque point du verre brûlant, en sorte que ceux qui y viennent paralleles, estant considerez seuls, ne sont à comparaison des autres, que comme une superficie, à comparaison d’un Cors solide. Par exemple si le Diametre du verre FG, est aussi grand que celuy du Soleil CD, ce verre peut bien rassembler en fort peu d’espace, les rayons qui viendront paralleles de tous les points du Soleil, et un autre verre les peut rendre derechef Clerselier II, 422 paralleles, mais le rayon CF, n’est rien à comparaison de tous ceux qui viennent vers F, des autres points du Soleil ; ny DG, à comparaison des autres qui viennent vers G, etc. Et il est impossible de rassembler tous ces autres avec les paralleles.

Ie ne croy pas qu’il y ait mesme raison de la vitesse AT II, 447 des Cors qui montent dans l’eau, avec leur legereté dans cette eau, qu’il y a de la vitesse de ceux qui descendent dans l’air, avec leur pesanteur dans ce mesme air, à cause que l’eau et l’air ne sont pas également fluides, cateriscaeteris paribus, ainsi que i’ay desia dit. Et la raison qui empesche que ces Cors ne montent plus haut que la superficie de l’eau, est qu’estant rares et legers, ils retiennent beaucoup moins l’impression du mouvement, que les Cors solides et pesans, qui rejaillissent en haut, apres estre tombez contre terre ; ce qui est cause aussi que leur vitesse ne s’augmente pas si approchant de la raison doublée, que fait la vitesse des Cors qui descendent en l’air. Ie vous remercie des soins que vous prenez pour soûtenir mon party ; mais ie n’ay pas peur qu’aucune personne de iugement se persuade que i’aye emprunté ma Dioptrique de Roger Bacon, et encore moins de Fioraventi, qui n’a esté qu’un charlatan.

Pour ce que vous me mandez que ie devrois adjoûter à ma Dioptrique, touchant les Lunettes des vieillards, il me semble que i’en ay assez mis la Theorie en la page 123. et pour la pratique ie la dois laisser aux Artisans. Ie suis,
MON R. P.
Vostre tres-humble, et tres-obeïssant
serviteur, DESCARTES.