Chapitre 63

Capitulum LXIII1caput 62 1536.

Narcos [la torpille1Le nom narcos, employé par Alexandre Neckam (ch. 63, 1), est à coup sûr la latinisation du grec νάρκη, « la torpille ». Le genre Narcine Henle, 1834, de la famille des Narcinidae Gill, 1862 dont le nom vient du grec νάρκη employé par Aristote, regroupe plusieurs espèces de torpilles des régions océaniques chaudes, tandis que le genre Torpedo Houttuyn, 1764 (famille des Torpedinae Bonaparte, 1838) est présent dans nos régions. Ce sont des poissons électriques. Voir D’Arcy Thompson 1947, 169. Pour une étude des réflexions suscitées par le pouvoir paralysant de la torpille chez les médecins de l’Antiquité grecque, voir Debru 2008.], nautilos [l’argonaute, le nautile2Le nautilos (du grec ναυτίλος) de l’Hortus sanitatis est un mélange de deux animaux, le nautile (Nautilus pompilius Linné, 1758) et l’argonaute (Argonauta argo Linné, 1758). Ce dernier ressemble à une petite pieuvre, mais il fabrique une nacelle spiralée, fragile, où la femelle abrite la ponte jusqu’à l’éclosion. Ses deux bras dorsaux sont pourvus d’une membrane dont la finesse pouvait faire penser à la voile d’un navire. L’argonaute se trouve dans les mers chaudes dont la Méditerranée, et il ne doit pas être confondu avec le nautile de l’océan Indien. Celui-ci construit une coquille spiralée, cloisonnée et très solide, dont il occupe la dernière loge. Cependant, la description du De piscibus, qui remonte à Plin. nat. 9, 88, via Thomas de Cantimpré (TC 6, 37) et Vincent de Beauvais (VB 17, 75), emprunte des caractéristiques de l’un et de l’autre. L’information donnée au début de la phrase est propre au nautile (Nautilus pompilius Linné, 1758), qui se déplace en évacuant l’eau par un siphon, et s’élève à la surface ou s’enfonce dans l’eau en faisant varier la proportion gaz-liquide dans les loges de la coquille. La description des bras évoque au contraire l’argonaute. Dans un autre passage de l’Histoire naturelle (Plin. nat. 9, 94), Pline évoque un animal qu’il appelle nauplius, qui est dans son esprit différent du nautilus et dans lequel nous pouvons reconnaître l’argonaute. Cette présentation, qui concerne cette fois exclusivement l’argonaute, a été reprise par Thomas de Cantimpré dans son chapitre concha ; mais elle n’a pas été utilisée par Vincent de Beauvais et ne figure pas dans l’Hortus sanitatis.] et nubes [« le nuage » : l’éponge3La nubes est une invention issue de la traduction latine d’Aristote faite par Michel Scot. On peut considérer qu’il s’agit d’une sorte d’éponge (voir ch. 63, 3).] [+][VB 17, 75 De narco et nautilo et nube [-]][+]

Narcos, nautilos et nubes [+][VB 17, 75 De narco et nautilo et nube [-]][+]

Renvois internes : Narcos : cf. Raha, ch. 75 ; Torpedo, ch. 92.
Nubes : cf. Albirem, ch. 1 ; Spongia, ch. 87 ; Sfungia, ch. 91.

Lieux parallèles : Nautilos dans TC, De nautilo (6, 37) ; AM, [Nautilus] (24, 87 (45)).

poisson

[1] [] VB 17, 75, 1 Nota HSIsidore. [] AN 44La torpille, au dire d’Aristote, est un poisson doté d’un tel pouvoir que, par l’intermédiaire de la ligne et de la canne à pêche, la main du pêcheur qui tient l’hameçon est saisie d’engourdissement et d’insensibilité. Que dis-je ? c’est même le corps tout entier qui est paralysé si on ne lâche pas l’hameçon au plus vite. De là vient que toutes les substances qui ont un effet paralysant, comme le pavot et les autres plantes de cette sorte, sont appelés des narcotiques.

[1] [] VB 17, 75, 1 compil.Isidorus2isidorus non hab. VB.3Le narcos n’est pas mentionné dans les Étymologies d’Isidore de Séville. La source est AN 44.. [] AN 44Narcos, piscis est tantae virtutis, ut dicit Aristoteles, quod, mediante lino et calamo, ad manum piscatoris calamum tenentis accedit stupor et insensibilitas. Immo et totum corpus obstupescet, nisi citius hamum dejiciat. Hinc est etiam quod stuporifera, ut papaver et hujusmodi, dicuntur narcotica.Narcos, teste Aristotele4Le poisson appelé νάρκη par Aristote est la torpille, ou torpedo (ainsi traduit par Théodore Gaza), mais celle-ci fait l’objet d’une description spécifique au chapitre 92 de l’Hortus sanitatis. Or, Michel Scot (Arist. HA 620 b 28-29 MS) traduit le grec νάρκη par barkiz : Et operatio piscis qui dicitur barkiz manifestum est quod stupefacit manus ; il omet cependant de traduire la phrase précédente (Arist. HA 620 b 19-23), dans laquelle Aristote décrivait le même poisson, et donnait des détails repris dans le chapitre 75 de l’Hortus sanitatis pour la raha, poisson également doté d’un pouvoir paralysant., tantae virtutis est piscis ut, mediante lino et calamo, ad manum piscatoris hamum tenentis accedat stupor et insensibilitas, immo et totum corpus stupefacit5obstupescit VB., nisi citius hamum dejiciat. Inde est quod etiam stuporifera, ut papaver et hujusmodi cetera, dicuntur narcotica.[1491/vue 38]

[2] [] VB 17, 75, 2Pline, livre 9. [] Plin. nat. 9, 88L’argonaute [nautilos], que d’autres appellent pompilos, compte parmi les animaux les plus merveilleux de la mer4Nombreux sont les Anciens qui se sont plu à décrire cet animal. Voir De Saint-Denis 1947, 75 ; D’Arcy Thompson 1947, 172-175 ; Kitchell & Resnick 1999, 1693, n. 237.. En effet, il monte à la surface des mers, renversé sur le dos, se soulevant peu à peu, en évacuant par un conduit son eau ; allégé pour ainsi dire de cette sentine, il navigue aisément. Ensuite, écartant ses deux premiers bras, il déploie entre eux une membrane d’une étonnante finesse : tandis qu’elle fait voile aux vents, il rame par-dessous avec ses autres bras, et, au moyen de sa queue placée au centre, il se dirige comme avec un gouvernail. Il avance ainsi en haute mer, se jouant comme les liburnes5Voir De Saint-Denis 1955, 127, § 88, 2 : « comparaison bien choisie par un homme de mer, qui connaissait la vélocité des liburnes, unités les plus rapides des flottes impériales ». ; à la moindre alarme, il absorbe de l’eau et plonge.

[2] [] VB 17, 75, 2Plinius libro IX. [] Plin. nat. 9, 88Inter praecipua autem miracula est qui uocatur nautilus, ab aliis pompilus. Supinus in summa aequorum peruenit, ita se paulatim adsubrigens ut, emissa omni per fistulam aqua, uelut exoneratus sentina facile nauiget. Postea prima duo bracchia retorquens, membranam inter illa mirae tenuitatis extendit, qua uelificante in aura, ceteris subremigans bracchiis, media se cauda ut gubernaculo regit. Ita uadit alto Liburnicarum gaudens imagine, si quid pauoris interueniat, hausta se mergens aqua.Nautilos, qui6quae VBd. ab aliis vocatur pompilos, inter praecipua miracula maris computatur7Pline classe le nautilus parmi les poulpes. De fait, D’Arcy Thompson, citant Arist. HA 525 a 20-25, relève que l’animal ressemble à un petit poulpe appelé bolitaena. De même, la double dénomination mentionnée par Pline est empruntée à Aristote (ibid.) ; pour les autres éléments de la description, voir Arist. HA 622 b 5-15.. Nam supinus in summa aequorum pervenit, ita se paulatim subrigens ut, emissa8post emissa hab. omni 1536 VB ex Plin. per fistulam aqua, velut exoneratus sentina facile naviget. Postea, prima duo brachia retorquens, membranam inter illa mirae tenuitatis extendit : qua velificante in auras, ceteris brachiis9branchiis 1536. subremigans, media cauda10caudo 1491. ut gubernaculo se dirigit. Ita vadit alto, Liburnicarum11luburnicarum 1491 Prüss1 VB2. gaudens imagine, si quid pavoris interveniat, hausta se mergens aqua.

[3] [] VB 17, 75, 3D’après le Liber de natura rerum. [] Arist. HA 487 b 8-11 MSLe nuage, selon Aristote, est un poisson qui vit dans l’eau, attaché à une pierre, dont il ne se sépare pas ; il ne s’en détache que s’il se trouve emporté par un courant impétueux.

[3] [] VB 17, 75, 3Ex Libro de naturis rerum12Thomas de Cantimpré ne dit rien sur la nubes. Le nom de cet animal apparaît dans la traduction latine d’Aristote faite par Michel Scot, dans un chapitre consacré aux animaux aquatiques qui, contrairement aux animaux terrestres, peuvent rester fixés au même endroit, comme les coquillages et l’éponge. Celle-ci, précise-t-il, semble avoir « quelque sentiment : la preuve, c’est, dit-on, qu’elle est plus difficile à détacher si on l’approche sans précaution ». Michel Scot ajoute alors l’information qui concerne la nubes, en la nommant à côté de la spongia. Aristote (Arist. HA 548 b 11-14) évoque à nouveau la sensibilité de l’éponge, la difficulté de l’arracher de son rocher et la manière dont elle se contracte pour lutter contre le vent et la houle, mais Michel Scot n’utilise plus alors le terme nubes : il lui préfère gamen pour traduire le nom grec de l’éponge en précisant qu’il s’agit de la spongia (gamen, scilicet spongie, Arist. HA 548 a 32 MS). Ainsi voir Arist. HA 548 b 11-14 MS : Et fingitur quod istud animal habet sensum. Et significacio super hoc est, quod sentit manum que volet extrahere ipsum a suo loco, et constringit se et difficile extrahitur ; et ita facit, quando percutit ipsum unda aut ventus fortis, ut non cadat a suo loco. En revanche, on retrouve mention de la nubes pour spongia (grec σπόγγος) dans Arist. PA 681 a 15-17 MS : […] quia nubes, quando applicantur cum locis in quibus manent, vivunt, et cum separantur ab eis, moriuntur, tunc putatur quod dispositio eius est sicut dispositio arborum. La traduction latine ne rend cependant pas exactement l’idée du savant grec : « l’éponge, nous l’avons dit, du fait qu’elle ne vit qu’attachée quelque part et cesse de vivre dès qu’on la détache, ressemble tout à fait aux plantes » (Louis 1957, 120).. [] Arist. HA 487 b 8-11 MSEt quedam animalia vivunt in aqua ; nam sunt applicata ad petram sicut genera halzim et[in interiori] spongie. [debet] <Etiam sentire spongia dicitur> et nubes est aliquid de hoc genere, et significacio super hoc est, quod ipse non descendit nec separatur a petra, ad quam applicatur, nisi aliquid cogat ipsum ad motum per atractionem et insperato, sicut frangunt experimentatores.Nubes, secundum Aristotelem, est piscis in aqua vivens, applicatus ad petram, a qua non descendit13discedit VBd. nec separatur, nisi per attractionem inspirationis concitus14coactus VB..

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1Le nom narcos, employé par Alexandre Neckam (ch. 63, 1), est à coup sûr la latinisation du grec νάρκη, « la torpille ». Le genre Narcine Henle, 1834, de la famille des Narcinidae Gill, 1862 dont le nom vient du grec νάρκη employé par Aristote, regroupe plusieurs espèces de torpilles des régions océaniques chaudes, tandis que le genre Torpedo Houttuyn, 1764 (famille des Torpedinae Bonaparte, 1838) est présent dans nos régions. Ce sont des poissons électriques. Voir D’Arcy Thompson 1947, 169. Pour une étude des réflexions suscitées par le pouvoir paralysant de la torpille chez les médecins de l’Antiquité grecque, voir Debru 2008.

2Le nautilos (du grec ναυτίλος) de l’Hortus sanitatis est un mélange de deux animaux, le nautile (Nautilus pompilius Linné, 1758) et l’argonaute (Argonauta argo Linné, 1758). Ce dernier ressemble à une petite pieuvre, mais il fabrique une nacelle spiralée, fragile, où la femelle abrite la ponte jusqu’à l’éclosion. Ses deux bras dorsaux sont pourvus d’une membrane dont la finesse pouvait faire penser à la voile d’un navire. L’argonaute se trouve dans les mers chaudes dont la Méditerranée, et il ne doit pas être confondu avec le nautile de l’océan Indien. Celui-ci construit une coquille spiralée, cloisonnée et très solide, dont il occupe la dernière loge. Cependant, la description du De piscibus, qui remonte à Plin. nat. 9, 88, via Thomas de Cantimpré (TC 6, 37) et Vincent de Beauvais (VB 17, 75), emprunte des caractéristiques de l’un et de l’autre. L’information donnée au début de la phrase est propre au nautile (Nautilus pompilius Linné, 1758), qui se déplace en évacuant l’eau par un siphon, et s’élève à la surface ou s’enfonce dans l’eau en faisant varier la proportion gaz-liquide dans les loges de la coquille. La description des bras évoque au contraire l’argonaute. Dans un autre passage de l’Histoire naturelle (Plin. nat. 9, 94), Pline évoque un animal qu’il appelle nauplius, qui est dans son esprit différent du nautilus et dans lequel nous pouvons reconnaître l’argonaute. Cette présentation, qui concerne cette fois exclusivement l’argonaute, a été reprise par Thomas de Cantimpré dans son chapitre concha ; mais elle n’a pas été utilisée par Vincent de Beauvais et ne figure pas dans l’Hortus sanitatis.

3La nubes est une invention issue de la traduction latine d’Aristote faite par Michel Scot. On peut considérer qu’il s’agit d’une sorte d’éponge (voir ch. 63, 3).

4Nombreux sont les Anciens qui se sont plu à décrire cet animal. Voir De Saint-Denis 1947, 75 ; D’Arcy Thompson 1947, 172-175 ; Kitchell & Resnick 1999, 1693, n. 237.

5Voir De Saint-Denis 1955, 127, § 88, 2 : « comparaison bien choisie par un homme de mer, qui connaissait la vélocité des liburnes, unités les plus rapides des flottes impériales ».

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1caput 62 1536.

2isidorus non hab. VB.

3Le narcos n’est pas mentionné dans les Étymologies d’Isidore de Séville. La source est AN 44.

4Le poisson appelé νάρκη par Aristote est la torpille, ou torpedo (ainsi traduit par Théodore Gaza), mais celle-ci fait l’objet d’une description spécifique au chapitre 92 de l’Hortus sanitatis. Or, Michel Scot (Arist. HA 620 b 28-29 MS) traduit le grec νάρκη par barkiz : Et operatio piscis qui dicitur barkiz manifestum est quod stupefacit manus ; il omet cependant de traduire la phrase précédente (Arist. HA 620 b 19-23), dans laquelle Aristote décrivait le même poisson, et donnait des détails repris dans le chapitre 75 de l’Hortus sanitatis pour la raha, poisson également doté d’un pouvoir paralysant.

5obstupescit VB.

6quae VBd.

7Pline classe le nautilus parmi les poulpes. De fait, D’Arcy Thompson, citant Arist. HA 525 a 20-25, relève que l’animal ressemble à un petit poulpe appelé bolitaena. De même, la double dénomination mentionnée par Pline est empruntée à Aristote (ibid.) ; pour les autres éléments de la description, voir Arist. HA 622 b 5-15.

8post emissa hab. omni 1536 VB ex Plin.

9branchiis 1536.

10caudo 1491.

11luburnicarum 1491 Prüss1 VB2.

12Thomas de Cantimpré ne dit rien sur la nubes. Le nom de cet animal apparaît dans la traduction latine d’Aristote faite par Michel Scot, dans un chapitre consacré aux animaux aquatiques qui, contrairement aux animaux terrestres, peuvent rester fixés au même endroit, comme les coquillages et l’éponge. Celle-ci, précise-t-il, semble avoir « quelque sentiment : la preuve, c’est, dit-on, qu’elle est plus difficile à détacher si on l’approche sans précaution ». Michel Scot ajoute alors l’information qui concerne la nubes, en la nommant à côté de la spongia. Aristote (Arist. HA 548 b 11-14) évoque à nouveau la sensibilité de l’éponge, la difficulté de l’arracher de son rocher et la manière dont elle se contracte pour lutter contre le vent et la houle, mais Michel Scot n’utilise plus alors le terme nubes : il lui préfère gamen pour traduire le nom grec de l’éponge en précisant qu’il s’agit de la spongia (gamen, scilicet spongie, Arist. HA 548 a 32 MS). Ainsi voir Arist. HA 548 b 11-14 MS : Et fingitur quod istud animal habet sensum. Et significacio super hoc est, quod sentit manum que volet extrahere ipsum a suo loco, et constringit se et difficile extrahitur ; et ita facit, quando percutit ipsum unda aut ventus fortis, ut non cadat a suo loco. En revanche, on retrouve mention de la nubes pour spongia (grec σπόγγος) dans Arist. PA 681 a 15-17 MS : […] quia nubes, quando applicantur cum locis in quibus manent, vivunt, et cum separantur ab eis, moriuntur, tunc putatur quod dispositio eius est sicut dispositio arborum. La traduction latine ne rend cependant pas exactement l’idée du savant grec : « l’éponge, nous l’avons dit, du fait qu’elle ne vit qu’attachée quelque part et cesse de vivre dès qu’on la détache, ressemble tout à fait aux plantes » (Louis 1957, 120).

13discedit VBd.

14coactus VB.

Annotations scientifiques

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