Esthétique du vers Le premier dossier de la revue «Questions de style» est consacré à «L'esthétique du vers». Deux auteurs du programme de l'agrégation de lettres modernes 2003-2004 servent pour commencer de terrain d'exploration : ce sont Agrippa d'Aubigné et Philippe Jaccottet. Laure Himy-Piéri dans son article intitulé « "ma bouche est sans parolle" : typologie discursive et dispositifs métriques dans Les Tragiques d'Agrippa d'Aubigné» s'est efforcée dans l'étude des Tragiques (livre VII) de montrer l'imbrication entre discours inspiré et discours argumentatif, par l'étude des rimes, des phénomènes de concordance et de discordance entre rimes et distiques, entre mètre et syntaxe, entre écriture versifiée et stratégie argumentative. Puis Jawad Tlemsani s'est proposé dans son étude («Du chant du mètre complexe à un plus léger chantonnement : les combinaisons métriques dans L'Effraie, L'Ignorant, Leçons I de Philippe Jaccottet») de montrer l'effacement progressif chez Philippe Jaccottet, du mètre, au profit d'un système d'organisation interne au vers, plus apte à tenter cette saisie du monde dans sa simplicité, à laquelle aspire Jaccottet, et qui fait préférer, pour désigner sa poésie, le nom de «chantonnement» à celui de «chant». Enfin, Lucien Victor s'est penché sur la comparaison précise des deux versions du recueil Leçons : il y étudie au cours de « Sur Leçons première et deuxième versions, éléments d'analyse linguistique et stylistique» l'impact des modifications effectuées, dans les domaines tant énonciatifs, que syntaxiques ou métriques notamment, sur la réception du recueil par le lecteur.
Le rapprochement de ces deux auteurs par les contraintes du programme peut paraître vain. Pourtant les trois interventions ont permis de poser la question du mètre, du vers, mais aussi de la poésie : les intentions discursives, la présence énonciative, la parole à l'uvre, sont autant d'éléments qui, selon des modalités variables selon les siècles, les genres, les auteurs, remettent en question les règles (langue comme mètre).
à la suite de ces réflexions, deux voies de recherche s'ouvrent, que les articles à venir, nous l'espérons, poursuivront. On peut bien sûr se demander, quand les formes se défont, quand le syntaxique l'emporte sur le métrique, quand l'organisation discursive et argumentative est patente, quand le vers se libère, et tend vers l'abandon des rimes et des mètres, bref, quand les marques de la poésie s'estompe, à quoi tient le poétique.
Mais on peut aussi essayer de cerner l'apport de ces modifications formelles : il ne s'agit évidemment pas de se livrer à une pure taxinomie des usages ramenés à une norme qu'ils actualisent plus ou moins, mais de comprendre en quoi le travail formel est productif de sens, en quoi la «signifiance» écarte le terme «esthétique» de toute acception simplement ornementale, et académique.
C'est ce deuxième point qui permet de réunir les différents articles qui suivent, qu'ils soient ou non liés à des contraintes de programme. Eliane Delente («Le prédicateur et la référence démonstrative dans le sonnet «Mais si faut-il mourir» de Jean de Sponde») montre très bien comment Sponde inscrit par un système de bascule autour de la césure dans un vers globalement convergent, l'énonciation dans la contingence, et «constitue la parole comme un surgissement du monde de la contingence qui n'a d'autre devenir que le silence».
Lorsque l'époque est telle que la structure du vers s'estompe, le travail de différenciation ne peut évidemment plus porter sur la césure, qui s'est affaiblie, voire a disparu. C'est le cas chez Apollinaire. Franck Bauer montre alors que l'inscription énonciative se joue sur d'autres rapports : dans «Le sexe des rimes. à propos de quelques strophes de "La Chanson du Mal-Aimé"», il étudie en particulier «la recatégorisation comme «masculines» des rimes «féminines» de la tradition classique qui présentent la suite -voyelle + e, et, inversement, la recatégorisation comme «féminines» des «masculines» du type -voyelle + consonne(s)» pour y lire «une mise en crise de la différence sexuelle».
Enfin, Jean-Michel Gouvard («Le vers d'André Chénier dans les élégies») étudie la configuration des strophes et des vers dans les élégies de Chénier : les nombreux cas d'assouplissement de la césure du fait des discordances syntaxiques à l'intérieur d'un mètre binaire 6+6 sont pour lui la «marque de fabrique» de Chénier. Sommaire Laure Himy-Piéri
«ma bouche est sans parolle»: typologie discursive et dispositifs métriques dans Les Tragiques d’Agrippa d’Aubigné (livre VII) | [ XML ] | [ PDF ] | Jawad Tlemsani Du chant du mètre complexe à un plus léger chantonnement | [ XML ] | [ PDF ] | Lucien Victor
Sur Leçons, première et deuxième versions, éléments d’analyse linguistique et stylistique | [ XML ] | [ PDF ] | Éliane Delente
Le prédicateur et la référence démonstrative dans le sonnet «Mais si faut-il mourir» de Jean de Sponde | [ XML ] | [ PDF ] | Franck Bauer Le sexe des rimes À propos de quelques strophes de «La Chanson du Mal-Aimé» | [ XML ] | [ PDF ] | Jean-Michel Gouvard Le vers d’André Chénier dans les Élégies
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