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Pensées 1690 à 1694

M :Montesquieu 1726/1727-1755.
D :Bottereau-Duval 1718-1731.
E :1734-1739.
U :1739.
H :1741-1742.
J :1742.
K :1742-1743.
F :1743.
I :1743.
L :1743-1744.
O :1745-1747.
P :Damours 1748-1750.
Q :1750-1751.
R :Saint-Marc 1751-1754.
S :1754-1755.
V :1754.
JB :Jean-Baptiste Secondat ?-1795.
T :écriture des manchettes 1828-1835

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M : Montesquieu.
D : Bottereau-Duval_1721-1731.
H : 1741-1742.
P : Damours_1748-1750.
E : 1734-1739.
L : 1742-1744.
O : 1745-1747.
T : écriture des manchettes
JB : Jean-Baptiste_Secondat.
J : 1742.
K : 1742-1743.
F : 1743.
E2 :
I : 1743.
R : Saint-Marc_1751-1754.
Q : 1750-1751.
S : 1754-1755.
V : 1754.

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Pensées, volume III

1690

{f.35r} [Passage à la main P] Materiaux qui n’ont pu entrer dans l’Esprit des loix.

- - - - -

Des banques publiques et des compagnies de commerce[1].
Pourrois-je a l’exemple de Giannony qui à fait l’Histoire civile du royaume de Naples[2], donner icy celle du royaume d’Alger[3]. Cette hïstoire est si courte qu’elle ne poura guêres ennuier le lecteur. Il est vray qu’elle est tres peu variée. Quelques milliers milliers de douzaines de coups de batons donnés sous un regne plus que sous un autre y font toute la difference des evenemens, il n’y à qu’un fait qui puisse etre transmis à la posterité.
Le dey Mehemet Gery etoit un jeune homme, il avoit un esclave chretien qui l’entretenoit {f.35v} souvent des richesses et du commerce de quelques etats d’Europe cela le frapa, il s’indigna de voir qu’il etoit maitre absolu d’un grand pays, et qu’il n’avoit point d’argent, il fit d’abord etrangler son premier ministre qui luy avoit dit en haussant les epaules qu’il n’etoit pas plus pauvre que ses predecesseurs, et qu’il ne pouvoit pas non plus etre plus riche, il choisit un nouveau vizir, qui luy parla parla ainsi dans le divan.
Tu m’as mis dans le ministere a la place d’un homme qui ne sçavoit faire ses affaires ni les tiennes. Voila deux nuits que je passe à former un projet qui signalera à jamais ton regne, il s’agit d’etablir une banque à Alger, afin que tout l’argent du pays se trouve dans un depost public. Toute la difficulté consiste {f.36r} à engager les marchands a l’y porter, car ce sont des coquins qu’ils ont toujours peur qu’on ne leur fasse quelque insulte, de mauvais sujets qui n’oublient rien pour te priver de ce qu’ils ont, et qui te verroient trainer dans les rües avant de t’offrir dix ducats ; il y a des expediens pour tout ; je les feray enlever tous dans une nuit, on les chargera de chaines, et ils receveront tous les jours cent coups de batons jusqu’à ce qu’ils aient declaré leur argent, nous leurs donnerons à la place un papier qui sera signé par les six plus anciens officiers de la milice, je ne doute pas que nous ne donnions un furieux echec aux banques d’Europe qui ne peuvent guêres se soutenir parce que les negotians qui les forment morguent sans cesse le gouvernement, et sont {f.36v} sans courage insolens comme des janissaires, au lieu que nos gens seront trop tres souples. Si ce projet reusit j’en ay un autre qui faira encore plus d’honneur a la nation algeriene c’est d’etablir une compagnie des Indes  ; tes femmes seront couvertes de pierr[er]ies et tu verras couler chez toy des fleuves d’or Mahomet serviteur du Dieu puissant soit à ton aide.
Il s’assit, un vieux conseiller se leva et apres avoir mis ses mains sur sa poitrine incliné son dos, baissé sa tête, il dit d’une voix plus basse seigneur je n’aprouve point le projet de ton ministre. Si la milice sçavoit que tu euses de l’argent elle t’etrangeleroit[4] le lendemain, il s’assit et le dey congedia l’assemblée.

- - - - -

Passage de la main M à la main P

1691

{f.37r} Il est tres remarquable que comme les Gots furent veincus en Italie par les Romains par le desavantage de leurs armes, ils furent par la même raison exter exterminés dans les Gaules par les Français. Ceux ci avoient une arme qui leur etoit particuliere, c’etoit la hac[h]e qu’ils jettoient avec une adresse singuliere, et qui brisoit toutes les armes deffensives. Ils avoient encore des especes de javelots courts appellés ancones

Agatias liv 1er

dont ils se servoient avec beaucoup de succes[1].

- - - - -

Main principale P

1692

Ceci est un fragment d’un ouvrage intitule que j’avois commancé intitulé Journaux de livres peu connus[1].
Souvent un prince qui punit croit faire un acte de justice, et il en fait un de cruauté.
Mr Zamega[2] ne dit pas pour cela qu’un prince ne doive etre quelque fois severe, sa bonté habituele depend telement de sa fermeté dans de certaines occasions que sans cela elle n’est qu’une foiblesse d’ame capable d’affoiblir l’etat ou d’en {f.37v} precipiter la chute, il ne peut etre retabli que par la fermeté du prince. Que si la licence a pris entierement le dessus, et que l’autorité soit meprisée, pour lors le prince n’a de vertus que le courage et l’opigniaterté[3] même, il faut que quelque action grande et inatendue retablisse les loix mourantes, il faut par quelque coup de desespoir relever le trosne ou s’ensevelir sous luy il n’est point necesaire de vivre mais de faire, de perir, de regner ; l’audace et la hardiesse peuvent seules reusir contre la timide insolence.

- - - - -

Main principale P

1693

Des loix qui exterminent la famille.

C’est l’usage en plusieurs lieux d’Orient d’exterminer la famille du coupable  ; dans ces pays on ne regarde les femmes, les enfans que comme des instrumens et des dependances de la famille, on les confisque comme parmi nous on confisque les biens, ils sont une proprieté du pere, ou du mary.

- - - - -

Main principale P

1694

{f.38r} Que dans le fond tout est echange.
Livre du commerce[1].

Pour sentir ceci il faut penser qu’une nation negotie avec une nation, celle ci envoie du vin et recoit du bled. Qu’a fait la monoye ? Elle à dans la suite continuelle des divers marchés qui se sont faits èté la commune mesure et du bled et du vin. Si cet etat à envoié moins de vin qu’il n’a recu de bled, l’argent à fixé le terme ou cette nation à recu assez de bled pour son vin, c’est à dire à fixé le moment ou les echanges de part et d’autre etoient justes, c’est à dire ou cette même nation à recu asséz de bled pour son vin, que si elle recoit encore du bled la monoye n’a plus cette même fonction à faire, il faut que l’argent soit donné comme troc, et non plus comme signe. En un mot dans la solde qui se fait toujours en argent, l’argent ne doit plus etre consideré comme signe mais comme marchandise[2].
{f.38v} Il suit de la qu’un etat qui ruine les autres se ruine luy même, et que s’il manque à la prosperité comme il manque a la sienne la raison en est claire. Un etat ruiné ne peut faire d’échanges avec les autres, les autres ne peuvent pas non plus faire d’echanges avec luy[3]. Ce qui fait que l’on ne sent pas bien cela c’est que l’on ne sent bien que le mal qui nous vient de la perte du commerce immediat. Toutes les nations tiennent à une chaine et se communiquent leurs maux, et leurs biens.
Je ne fais point une declamation, je dis une verité la prosperité de l’univers faira toujours la notre.
Et comme dit Marc Antonin, ce qui n’est point utile à l’essein, n’est point utile a l’abeille[4].

- - - - -

Main principale P


1690

n1.

Montesquieu présente, de façon plaisante, et sous forme d’apologue, des idées développées dans L’Esprit des lois : la puissance financière ne pouvant être dissociée de la puissance publique, les banques et les compagnies de commerce ne conviennent pas au gouvernement d’un seul (XX, 10). Par ailleurs, la proportion constante entre la quantité d’argent disponible et celle des marchandises en circulation, qui favorise les échanges et assure la prospérité, suppose la confiance et la liberté des acteurs économiques, incompatibles avec le gouvernement despotique : « la tyrannie et la méfiance y font que tout le monde y enterre son argent » (XXII, 2). Montesquieu s’appuie à ce sujet (ibid., note (c) : Derathé, t. II, p. 68) sur l’ouvrage de Jacques Philippe Laugier de Tassy, chancelier du consulat à Alger (1717-1718), intitulé Histoire du royaume d’Alger, avec l’état présent de son gouvernement, de ses forces de terre et de mer, de ses revenus, police, justice, politique et commerce […] (Amsterdam, H. du Sauzet, 1725 – Catalogue, nº 3128).

1690

n2.

Cf. nº 446. Montesquieu envisageait d’acquérir, lors de son séjour à Naples (Spicilège, nº 660), cet ouvrage très rare, absent du Catalogue, dont il a pu entendre parler par ses relations : l’abbé Conti, fréquenté par Montesquieu à Venise (voir nº 585, note 1), avait soutenu la publication de Dell’Istoria civile del Regno di Napoli libri XL de Giannone, qui dénonçait la corruption du clergé et dont les exemplaires sont séquestrés ou brûlés après sa publication à Naples en 1723 ; Jacob Vernet accueillit et aida Giannone lorsque celui-ci se réfugia à Genève et il se chargea des manuscrits du savant italien après son enlèvement, le 24 mars 1736 (Voir Sven Stelling-Michaud et Paul Waeber, « Pietro Giannone et les Genevois à l’aube des Lumières », Bulletin de la Société d’histoire et d’archéologie de Genève, t. XVI, vol. 1, 1976 [1978], p. 23-54). Sur Montesquieu lecteur de Giannone, voir Shackleton, p. 90, p. 92, p. 175, p. 252, p. 255 ; Salvatore Rotta, « Montesquieu nel Settecento italiano : note e ricerche », Eliohs, octobre 2003, Scritti scelti di Salvatore Rotta [en ligne à l’adresse suivante : http://www.eliohs.unifi.it/testi/900/rotta/rotta_montesettit.html] ; Eleonora Barria-Poncet, L’Italie de Montesquieu, entre lectures et voyage, Paris, Classiques Garnier, 2013.

1690

n3.

Le chapitre VI de l’ouvrage de Jacques Philippe Laugier de Tassy (Histoire du royaume d’Alger, avec l’état présent de son gouvernement, de ses forces de terre et de mer, de ses revenus, police, justice, politique et commerce […], Amsterdam, H. du Sauzet, 1725) décrit le pouvoir absolu mais tout à fait précaire du dey, régent d’Alger sous la domination de l’Empire ottoman (ibid., p. 212-226) ; si l’épisode raconté par Montesquieu tient du conte philosophique, son épilogue cadre avec cette description d’un maître absolu « esclave des esclaves » (ibid., p. 219).

1690

n4.

Lire : étranglerait.

1691

n1.

Ces armes, dont les ancones, sont décrites au livre II de l’Histoire de l’empereur Justinien d’Agathias (II, 3, 3), contenue dans l’Histoire de Constantinople du président Cousin (Histoire de Constantinople depuis le règne de l’ancien Justin jusqu’à la fin de l’Empire. Traduite sur les originaux grecs par M. Cousin […] [1672-1674], Paris, D. Foucault, 1685, t. II ; voir nº 598, note 1).

1692

n1.

Voir nº 140, note 1. Pour le troisième carton intitulé « Ouvrage non imprimé », le catalogue des manuscrits envoyés en Angleterre précise : « Ouvrage que je ferai sous le titre de : Journal de livres peu connus, où j’ai joint plusieurs lettres orientales & autres pays, assez singulières » (LP, OC, t. 1, p. lxxvi).

1692

n2.

Voir nº 526, 1565 et 2002.

1692

n3.

Lire : opiniâtreté.

1694

n1.

Cet article fait partie des « Materiaux qui n’ont pu entrer dans l’Esprit des loix » (voir nº 1690), en rapport avec les livres sur le commerce et la monnaie (EL, XXI et XXII) ; Montesquieu y affirme l’interdépendance des intérêts entre nations commerçantes et s’oppose aux thèses mercantilistes : voir Céline Spector, Montesquieu et l’émergence de l’économie politique, Paris, H. Champion, 2006, p. 190-191.

1694

n2.

Sur la représentation des marchandises par l’argent et vice versa, et sur leur disponibilité proportionnelle, voir EL, XXII, 2.

1694

n3.

Voir l’exemple de la Hongrie à l’article nº 1800.

1694

n4.

Cf. nº 1657.