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Pensées 169 à 173

M :Montesquieu 1726/1727-1755.
D :Bottereau-Duval 1718-1731.
E :1734-1739.
U :1739.
H :1741-1742.
J :1742.
K :1742-1743.
F :1743.
I :1743.
L :1743-1744.
O :1745-1747.
P :Damours 1748-1750.
Q :1750-1751.
R :Saint-Marc 1751-1754.
S :1754-1755.
V :1754.
JB :Jean-Baptiste Secondat ?-1795.
T :écriture des manchettes 1828-1835

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M : Montesquieu.
D : Bottereau-Duval_1721-1731.
H : 1741-1742.
P : Damours_1748-1750.
E : 1734-1739.
L : 1742-1744.
O : 1745-1747.
T : écriture des manchettes
JB : Jean-Baptiste_Secondat.
J : 1742.
K : 1742-1743.
F : 1743.
E2 :
I : 1743.
R : Saint-Marc_1751-1754.

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Pensées, volume I

169

[Passage à la main M]

Cette idée pourroit estre bonne cependant je doute et peut estre qu’il vaut mie [...]

Je suis persuadé que la deffence que font les Espagnols aux estrangers de faire le comerce des Indes est tres prejudiciable a leur puissance[1]
S’ils pouvoint le faire

Espagne

eux memes et si ce n’estoit point seulement sous leur non qu’on {p.140} le fit les etrangers ne le faisoint pas sous leur nom leur politique seroit bonne mais cette deffence est derisoire[2]
Elle est prejudiciable en ce que les etrangers font il faudroit D’ailleurs les memes etrangers ne fissent pas font ce comerce par leurs interlopes[3] ce qui detruit le comerce de Cadis[4], sans compter que le comerce en fraude est toujours ruineux a la nation contre qui il est fait parce que’il pour y trouver son compte il faut vendre a un haut prix ruine ses douanes de maniere que la nation souffrante ne tire paye les marchandises tres cher et ne tire aucun avantage de ses douanes[5]

Com<m>erce libre

Le commerce libre feroit que touttes les nations de l’Europe se nuiroint les unes les autres l’abondance des denrées qu’elles enverroint les tiendroint a bon marché c’est a dire {p141} y feroint [mot biffé non déchiffré] hausser augmenteroint le prix de l’or et de l’argent et des autres marchandises du pais

Espagne

Le roy d’Espagne auroit son quint franc[6] et des somes immences en douanes sur les autres denrées du pais
Les depenses qu’il fait contre les filibustiers[7] ne le regarderoint cesseroint et ce seroit aux autres nations d’Europe a les faire en tout ou en partie
L’Espagne seule ne seroit pas chargée de peupler touts les vastes continents[8].
Le roy metteroit a sa fantaisie des droits sur les marchandises d’Europe et d’Amerique et plus il y auroit d’habitans plus les droits seroint grands
On pourroit bien s’assurer des contre les trahisons et les entreprises des etrangers et meme leurs {p.142} contoirs seroint garans des avanies qu’ils pourroint faire
Le roy d’Espagne pourroit affermer a des compagnies particulieres ses douanes et touttes les nations de l’Europe deviendroint ses tributaires
Il seroit facille d’empecher que les relligions etrangeres ne corrompissent la purete de la relligion dominante.
Les Espagnols sont si bien etablis depuis la longue possession ou ils sont que quelques marchands etrangers ou naturalises ne sont pas a creindre
En un mot lors qu’une nation seule ne peut pas faire un comerce il faut qu’elle souffre que les autres le fassent a son plus grand avantage
Ce qui fit faire d’abort cette deffence c’est que les Espagnols creignoint d’estre troublés dans leurs {p.143} conquetes ainsi ils deffendirent sous peine de la vie aux etrangers d’y voyager

- - - - -

Passage de la main D à la main M

170

Remarqués que la bonne foy des Espagnols[1] a ruiné leur comerce et l’a transporté aux etrangers qui le font sans aucune creinte sous le nom d’un Espagnol

- - - - -

Main principale M

171

J’aime les querelles sur les ouvrages des anciens et des modernes elles prouvent qu’il y a d’excellens autheurs parmi les anciens et les modernes.

Voy p 119[1]

- - - - -

Main principale M

172

Le

J’ay mis tout cela dans la bibliotheque[1]

mathematicien ne va que du vray au vray, du faux au faux vray par les arguments ab absurdo[2] ils ne conoissent pas ce milieu qui est le probable le plus ou le moins probable[3] ; il n’y a pas a cet egart de plus ou de moins dans les mathematiques.

Mathematicien

- - - - -

Main principale M

173

{p.144} Xenocrate a Pherés[1]
[«]Vous voules que je vous parle de Pisistrate

Mis dans la Bibliotheque

De touts les grands homes qui ont paru sur la terre il n’y en a guere eu de plus singulier que Pisistrate.

Bibliotheque
Pisistrate

Pisistrate Il est né avec un genie superieur et cependant il est sommis a l’ascendant de touts les autres genies
Il n’a point de vanité et il a un souverein mepris pour touts les homes
Ceux qui l’ont trompé ont si fort decredité les homes dans son esprit qu’il ne croit plus aux honettes gens
Il a peu de vices qui partent d’un mauvais naturel ses vertus ne partent pas touttes d’un bon
Il n’accorde a la vertu que ce qu’il cede a l’importunité des gens vitieux Aupres de lui tout le privilege de la vertu est qu’elle ne nuit pas
Il sçait bien qu’il est au dessus des autres homes mais il ne le sent pas assés voila pourquoy il n’y a point de genie qui ne puisse trouver l’art de le conduire.
Il ne conoit point cette distance infinie qu’il {p.145} y a entre l’honette home et le mechant, et touts les differents degrés qui sont entre ces deux extremités.
Il a une facilité de moeurs et de comandement qui charme touts ceux qui lui obeissent persone n’a porté si loin la domination et persone ne l’a moins appu mais il ne l’a point faitte sentir a proportion de sa pesanteur
Il voit les homes en detail differament de ce qu’il les voit au milieu de la societé 
Il a une indifference pour les evenemens qui ne convient qu’a ceux que le ciel n’a pas fait naitre pour les determiner les evenemens.
Il fait en se jouant le travail des politiques il rencontre tout ce qu’ils avoint reflechi, et ses saillies sont aussi sensées que leurs meditations il fait de son esprit ce que les autres font de leur sens il gouverne toute la Grece sans paroitre sans penser meme a la gouverner et tout le monde suit l’ordre de ses desseins come si on suivoit le torrent de sa puissance.
{p.146} Il reussit bien moins dans le gouvernement de l’interieur de son royaume et pendant qu’il traite avec superiorité avec les roix il est la dupe æternelle de ses courtisans
Dans le gouvernement de l’interieur il veut toujours aller du bien au mieux il est toujours plus frapé du mal que des inconvenients qu’il y a a le reparer
Il corrige la ou il faudroit tollerer il s’immagine que le peuple qui pense avec tant de lenteur suivra la rapidité de son genie, et qu’il ouvrira les yeux dans un moment pour regarder come des abus des choses que le temps les exemples et la raison meme lui ont fait regarder come des loix
Avec ce sublime esprit qui fait les grands homes et les grands crimes Pisistrate seroit un home funeste si le coeur ne reparoit en lui le deffaut des principes mais le coeur le domine tellement {p147} qu’il ne scait ny reffuser ny punir incapable de tomber dans aucun inconvenient en faisant le mal il y tombe sans cesse en faisant le bien
Quand il parvint au gouvernement de Sicione il pardona les injures qu’on lui avoit faittes il pardona de meme ce qui est plus fort celles qu’on lui faisoit il falloit beaucoup travailler pour lasser sa clemence mais pour lors il frappoit des coups prompts et hardis et il etonoit et ceux qui l’avoint offense et ceux qui creignoint de le voir impunement offenser[2].
Dans les premieres années Pisistrate aima il trouva un coeur tendre[3] et des plaisirs que l’amour accorde reserve aux vrais amans dans la suitte il courut d’object en object et il est parvenu a posseder sans gout, il a fatigué ses sans a lui rendre ce qu’il a {p.148} perdu et il a tellement usé le principe de ses passions qu’il est devenu presque incapable de ce qu’on apelle si faussement jouir enfin il s’est jetté dans la debauche et il y a porté quelques agremens, mais quoy qu’on en dise la debauche ne se rafine point ses maitresses n’ont plus esté que les temoins d’une vie non pas libre mais licentieuse mais dans ces debauches Pisitrate perdit la raison et jamais son secret.
Les dieux irrités contre Sicione envoyerent une nuit un songe a Pisistrate il crut qu’il estoit le maitre de touts les heros de l’univers et ce songe fut cause de la misere publique
Un home d’une naissance obscure fut reçu dans la maison de Pisitrate il le il en fut regardaé d’abort avec mepris et ensuitte il passa obtint la confiance sans avoir passé par la consideration il obtint la confiance fier d’avoir {p.149} eu son secret il osa demender le souverein sacerdoce et l’obtint bientost Pisistrate remit dans ses lassé du comendement remit dans ses mains la souvereine puissance le perfide preparoit contre lui les plus cruelles ingratitudes mais Venus lui envoya une maladie qui arresta fit evanouir touts ses projets[4].
Pisistrate a esté hureux d’avoir regné dans un temps ou l’obeissance prevenoit pour ainsi dire le comendement car s’il eut regné dans des temps de trouble ou de confusion la disposition de son esprit estoit telle qu’il n’auroit jamais assés osé ou et qu’il auroit trop entrepris.
Je croy bien que Pisistrate creint les dieux immortels mais il paroit qu’il n’a pas grand egart aux petits interets des pretres et qu’il croit que aux interets de leurs ministres et qu’il est trop frape de ce principe que la relligion est faitte pour les homes et non pas les homes pour la relligion.
Pisistrate s’est refuse peu de femmes de la cour de Sicione mais il n’y en a pas une seule qui {p.150} puisse se venter qu’il ait eu de l’estime pour elle
Le roy de Sicione avoit conquis les estats d’un prince voisin et ne lui avoit laissé que sa capitale il envoya Pisistrate pour l’assieger le prince reduit au desespoir croyant qu’il lui estoit egal de n’ ne pas exister pas ou de ne pas comender fit des efforts incroyables un secours arrive les Sicioniens le laissent passer Pisistrate fuit abandone toutes les conquetes il auroit pu les conserver mais tout le monde deffendit l’honeur de Pisistrate on les soldats convint qu’il n’avoit pas manque de resolution et les capitaines que ce n’estoit pas lui qui avoit manque de conduitte[5]
Dans les affaires malhureuses un general est chargé de toutes les les fautes de l’armée et de la cour icy la cour et l’armée se chargent de toutte la faute pour absoudre le general
Pisistrate ne scavoit pas humilier mais il savoit renverser
Pisistrate estoit moins touche du beau et du bon que de l’extraordinaire et du merveilleux
Il avoit le cœur courageux ferme et l’esprit timide
Il estoit plus flatté de ses talens que de ses vertus
La timidité de Pisistrate lui venoit autant de la paresse pour agir et de la peine a faire le mal que d’aucune retour sur lui meme foiblesse d’ame
{p.151} Enfin dans les vices son esprit estoit tout et son coeur n’estoit rien
Pisistrate a esté le seul home que j’aye connu qui aiet ait esté inutilement gueri des préjuges

- - - - -

Le malheur de Pisistrate estoit un gout malade qui le portoit a se montrer plus vitieux qu’il n’estoit c’estoit un hipocryte de vices il affectoit de les avoir pire qu’il n’estoit il avoit une certeine hipocrisie a l’egart des vices qui faisoit qu’il affectoit de paroitre en avoir come un temoignage de liberte et d’independance[ »]
{p.152} L’es[6]
{p.153} Une page blanche.

Main principale M


169

n1.

Vers 1727-1728, période de transcription de ce fragment, Montesquieu rédige les Considérations sur les richesses de l’Espagne (OC, t. 8, p. 595-623), qui expliquent la décadence de cette nation. Cette analyse des rapports entre puissance et commerce sera ensuite étendue aux autres États dans les Réflexions sur la monarchie universelle en Europe [env. 1733-1734]. Un ensemble d’articles concernant les relations diplomatiques, les instruments de l’expansion commerciale et de la prospérité économique, amenant des comparaisons entre les États européens, témoigne de cette réflexion amorcée avant les voyages (nº 145, 146, 152, 153, 154, 161, 169, 177, 178).

169

n2.

Le commerce avec les « Indes » occidentales ne pouvait légalement être fait que par les Espagnols (voir nº 87, note 5). Les Hollandais, Français et Anglais utilisaient des prête-noms (Savary des Bruslons, Dictionnaire universel de commerce, [Amsterdam], Jansons, 1726-1732, t. I, p. 915-916, art. « Commerce d’Espagne »).

169

n3.

Un interlope est un navire qui trafique en fraude, en particulier avec les colonies d’une autre puissance, en violation du monopole de l’exclusif (Bernard Lavallé, L’Amérique espagnole, de Colomb à Bolivar, Paris, Belin, 1993, p. 127).

169

n4.

Lire : Cadix.

169

n5.

Une importante contrebande se faisait par la mer du Sud, les côtes de la mer du Nord et à l’intérieur du continent américain. Le monopole espagnol s’oppose au modèle anglais évoqué dans l’article nº 153.

169

n6.

Le quint royal (quinto real) correspond au cinquième des métaux précieux produit par le Nouveau Monde, perçu par la couronne d’Espagne.

169

n7.

Les flibustiers (« filibustiers »), mot employé dans la Caraïbe de préférence à corsaires, désignent ceux qui pratiquent la course avec une commission royale (Bernard Lavallé, L’Amérique espagnole, de Colomb à Bolivar, Paris, Belin, 1993, p. 134).

169

n8.

Sur l’impact migratoire du monopole, voir nº 87, note 8.

170

n1.

Qualité proverbiale, qui permet aux négociants étrangers de vendre leurs marchandises en Amérique sous le nom d’un Espagnol, sans crainte d’être trahis (voir nº 169 : Savary des Bruslons, Dictionnaire universel de commerce, [Amsterdam], Jansons, 1726-1732, t. I, p. 915-916, art. « Commerce d’Espagne ») ; cf. Pensées, nº 323 ; EL, XIX, 10.

171

n1.

Cf. nº 111.

172

n1.

Voir nº 140, note 1.

172

n2.

Les démonstrations mathématiques procèdent par déduction. On peut conclure à la vérité d’une proposition parce que les antécédentes sont vraies, ou si on établit que sa contradictoire aboutit à une conséquence dont la fausseté est connue. Il s’agit du raisonnement apagogique, ou « par l’absurde ».

172

n3.

Le probable ne renvoie pas ici à l’idée de probabilité mathématique, mais à l’idée d’un indice plus ou moins grand de vérité. Cf. Discours sur la cause de la pesanteur des corps, OC, t. 8, p. 233.

173

n1.

Premier état des Lettres de Xénocrate à Phérès [1724], rédigées entre février et décembre 1723. Sur la chronologie et les variantes de ce portrait de Philippe d’Orléans, sous le nom de Pisistrate, voir l’introduction et les notes de l’édition des Lettres (OC, t. 8, p. 293-305). Une cinquième lettre sera ajoutée après la mort du Régent, contenant un éloge funèbre et un hommage au jeune roi Louis XV, ce qui atteste de l’antériorité de ce fragment. Il est signalé comme citation par des guillemets au long en marge. Montesquieu a envisagé de l’intégrer, comme l’article précédent, à un ouvrage en projet, la Bibliotheque.

173

n2.

Sur ces allusions, voir Lettres de Xénocrate à Phérès [1724], OC, t. 8, p. 300, note 9.

173

n3.

Il s’agirait de Mlle de Séry, comtesse d’Argenton (1681-1748) : voir Lettres de Xénocrate à Phérès [1724], OC, t. 8, p. 302, note 14.

173

n4.

Il s’agit de Guillaume Dubois (1656-1723), Premier ministre du Régent, qui accède au cardinalat (« souverain sacerdoce ») en août 1721, disposant, selon Saint-Simon, de toute l’autorité, accusé de vendre les intérêts de la France à l’Angleterre et à l’Autriche, mort le 10 août 1723 d’un abcès à la vessie imputé à une maladie vénérienne (Saint-Simon, t. VII, p. 89, 765 ; t. VIII, p. 581, 592-594), événement permettant de dater ce passage (voir ci-dessus, note 1).

173

n5.

Le « roy de Sicione » désigne Louis XIV ; allusion au siège de Turin de 1706 : voir Lettres de Xénocrate à Phérès [1724], OC, t. 8, p. 304.

173

n6.

Début interrompu du développement sur l’esclavage ci-après.