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Pensées 98 à 102

M :Montesquieu 1726/1727-1755.
D :Bottereau-Duval 1718-1731.
E :1734-1739.
U :1739.
H :1741-1742.
J :1742.
K :1742-1743.
F :1743.
I :1743.
L :1743-1744.
O :1745-1747.
P :Damours 1748-1750.
Q :1750-1751.
R :Saint-Marc 1751-1754.
S :1754-1755.
V :1754.
JB :Jean-Baptiste Secondat ?-1795.
T :écriture des manchettes 1828-1835

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M : Montesquieu.
D : Bottereau-Duval_1721-1731.
H : 1741-1742.
P : Damours_1748-1750.
E : 1734-1739.
L : 1742-1744.
O : 1745-1747.
T : écriture des manchettes
JB : Jean-Baptiste_Secondat.
J : 1742.
K : 1742-1743.
F : 1743.
E2 :
I : 1743.
R : Saint-Marc_1751-1754.

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Pensées, volume I

98

Julien n’estoit point apostat[1] car jamais il ne fut proprement chretien,

Julien

car on ne scauroit estre chretien sans renoncer au paganisme au lieu qu’on peut estre payen sans renoncer au {p.89} christianisme le paganisme adoptant toutes les sectes meme les intolerantes. C’est pour cela que le changement de Constantin ne fit pas de revolution dans l’empire
Du temps de Constantin ses enfants et de Julien mème le christianisme estoit tres peu etendu le paganisme florissoit come avant sous Constantin et il ne fut detruit que sous Theodose[2]
Il y a apparance que Julien a son retour de Perse auroit esté fatal au christianisme mais sa mort fortifiée du prejugé de punition divine[3] fut un coup tres favorable parce qu’il frapa les esprits chancelans
On ne scauroit asses admirer la moderation de cet empereur sur les discours seditieux que le clergé chretien tenoit contre lui meme en sa presence[4] et jamais on n’a {p.90} porté le crime de leze majesté plus loin que l’on fit contre lui.

- - - - -

Main principale M

99

[Passage à la main D]

Mort d’Alexandre

Telle etoit du tems d’Alexandre la situation du monde que tout ce qui n’etoit pas grec paroissoit a peine et qu’il n’y avoit d’univers que son empire[1].
Je ne trouve rien de si beau que l’embarras et la consternation de l’univers après sa mort[2] tout le monde se r se regarde dans un profond silence, la rapidité de ses conquêtes avoit prevenu toutes les loix ; le monde pouvoit etre soumis aux conquerans, l’admiration le maintenoit fidelle, on avoit vû le monde une conquête mais non pas une succession. Tous ses capitaines se trouvoient egaleme egalement incapables d’obeir et de commander, Alexandre meurt et c’est {p.91} peut etre le seul prince dont la place n’ait pu etre remplie ; l’on l’homme manqua comme le roi, la succession legitime fut meprisée, et on ne put pas seulement convenir d’un usurpateur.
Cette grande machine privée de son intelligence se demembra, tous les capitaines partagerent son autorité, personne n’osa par respect succeder a son titre

Mis dans l’esp. des loix[3]

, le nom de roi parut enseveli avec lui, non pas comme il est arrivé quelquefois par la haine, mais par le respect qu’on avoit pour celui qui l’avoit porté.
Les nations captives oublient leurs haines et le pleurent, il sembloit qu’elles crussent que leur captivité ne commençoit que de ce jour après av avoir perdu celui la seul a qui il n’etoit pas honteux d’obeir.

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Passage de la main M à la main D

100

Il se fait de tems en tems des inondations de peuple dans le monde

Flux et reflux d’empire & de liberté

qui font recevoir par tout leurs meurs et leurs coutumes {p.92} l’inondation des mahometans aporta le despotisme[1], celle des hommes du Nord le gouvernement des nobles[2], il a fallu neuf cens ans[3] pour abolir ce gouvernement la et etablir dans chaque etat le gouvernement d’un seul, les choses subsisteront de même et il y a aparence que nous irons de siecle en siecle jusqu’au dernier degré de l’obeissance jusqu’à ce [que] quelque accident change la disposition des cerveaux et rende les hommes aussi indociles qu’ils l’etoient autrefois, voila comme il y a toujours un flux et reflux d’empires et de liberté

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Main principale D

101

A present qu’on est dans le goût des collections et des biblioteques

Catalogues des livres perdus

il faudroit que quelque laborieux ecrivain voulut faire un catalogue de tous les livres perdus qui sont cités par les anciens auteurs, il faudroit un un homme libre des {p93} soins et des amusemens mêmes, il faudroit donner une idée de ces ouvrages du genie et de la vie de l’auteur autant qu’on pourroit le faire sur les fragmens qui nous restent et les passages cités par d’autres auteurs qui ont echapé au tems ou au zele des religions naissantes, il semble que nous devions ce tribut a la memoire de tant de sçavans hommes; une infinité de grands hommes sont connus par leurs actions et non pas par leurs ouvrages

Ouvrages inconnus de grands hommes

, peu de personnes sçavent que Sylla a fait des commentaires[1] et que Pyrrhus a fait des institutions militaires[2][.] et Hannibal des histoires[3] :
Cet ouvrage ne seroit pas aussi immense qu’il paroit d’abord, on trouveroit dans Athenée[4], dans Plutarque, dans Photius[5] et dans quelques autres auteurs anciens des sources fecondes, on pourroit même se borner et ne traiter que des poëtes, des philosophes ou des historiens.
Je voudrois aussi qu’on travaillât au catalogue des arts, des sciences et des {p.94} inventions qui se sont perduës, que l’on en donnât l’idée la plus juste qu’il seroit possible, les raisons qui ont pû faire qu’on s’en est degoûté ou qu’ils sont restés dans l’oubli, et enfin comment on y a suppleé.
Je voudrois aussi qu’on traitât des maladies qui ne sont plus et de celles qui sont nouvelles, les raisons de la fin des unes et de la naissance des autres.
Ces a Je voudroy encore que l’on recüeillit toutes les citations de St. Augustin des auteurs perdus. et autres &c

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Main principale D

102

Ces animaux que nous apellons fabuleux parce que nous ne les trouvons

Animaux qu’on appelle fabuleux

plus sur la terre quoiqu’ils ayent eté exactement decrits par les anciens auteurs ne pourroient ils pas avoir existé et leur espece s’etre perduë, car je suis persuadé que les especes changent et varient extraordinairement ; qu’il s’en perd et s’en forme de nouvelles[1] {p.95} la terre change si fort tous les jours

Idem les maladies aux medecins

qu’elle donnera sans cesse de l’emploi aux phisiciens et observateurs

Changement dans le globe

, que dis-je elle les deshonorera toujours, Pline et tous les anciens phisiciens seront convaincus d’imposture quelque vrais qu’ils fussent de leur tems, il n’y a personne qui voyant aujourd’hui le ruisseau du Jourdain ne regardent comme une [mots biffés non déchiffrés] expression amphatique tout ce qu’en ont dit les ecrivains sacrés. Une fontaine a aujourd’hui une proprieté, il est impossible que dans le mouvement de tous les principes elle la conserve invariable, ou le plus ou le m le moins suffiroit pour changer tout ; les auteurs qui nous decrivent la Gaule n’ont pas pu errer au point de se tromper dans une chose si generale et si connuë. Voyés pourtant comme Justin[2] la decrit ; nous accusons sans cesse les anciens de trahir la verité, pourquoi voulons nous qu’ils l’aimassent {p.96} moins que nous, ils devoient au contraire l’aimer davantage parce que leur philosophie avoit pour objet les meurs plus que la notre ; cet admirable ouvrage de Mrs de l’academie[3] que nous regardons comme la verité physique sera sujet quelques jours aux reproches des modernes futurs, et ils ne pourront souffrir de lire des descriptions qu’ils ne trouveront pas conformes a ce qu’ils verront.
Na que j’ai oûi parler d’un voyage d’Addisson ou il a cherché a faire voir par les choses que les poëtes ont chantées et par ce qu’elles sont a present combien il seroit dangereux de les croire, mais ce qu’il attribuë a des mensonges poëtiques pourroit bien peut etre etre attribué à des changemens reels.[4]

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Main principale D


98

n1.

La réhabilitation de Julien l’Apostat, opposé traditionnellement à Constantin par l’historiographie chrétienne, a été entamée dès le XVIe siècle par Montaigne (II, 19) et poursuivie par La Mothe Le Vayer (De la vertu des païens [1642], Paris, A. de Sommaville, 1647, II, p. 263-304 – Catalogue, nº 2338 pour Œuvres, Paris, A. Courbé, 1656). Montesquieu fera l’éloge de Julien dans les Romains, où il loue ses vertus et sa bravoure (XVII, p. 230, l. 110-111).

98

n2.

Avec l’empereur Théodose (vers 346-395), qui prend une série de dispositions légales contre le paganisme, le christianisme devient religion d’État.

98

n3.

Julien meurt au cours d’une campagne en Mésopotamie (363), alors qu’il avait entrepris la restauration du paganisme, rétabli comme religion officielle. Théodoret de Cyr (393-vers 460) raconte que le soldat qui a porté à l’empereur le coup fatal « n’a été que le ministre et l’exécuteur des ordres de la justice divine » (Histoire ecclésiastique, III, 25, 7). Outre ses œuvres séparées en latin (Beati Theodoreti opera in duos tomos distincta, Cologne, J. Birckmanum, 1573 – Catalogue, nº 90), Montesquieu possède l’ouvrage cité dans un recueil en latin d’historiens ecclésiastiques grecs, comme Socrate de Constantinople et Sozomenes, qui évoquent Julien (Ecclesiasticæ historiæ scriptores græci, Paris, 1571 – Catalogue, nº 204).

98

n4.

Allusion à l’épisode raconté par Socrate de Constantinople (Histoire ecclésiastique, III, XII, 1-5), repris par Montaigne (II, 19, p. 669) et par Fleury dans son Histoire ecclésiastique (Paris, P. Emery, 1704, t. IV, l. 15, p. 6), au cours duquel l’évêque de Chalcédoine, Maris, reprocha publiquement à l’empereur son impiété et son apostasie.

99

n1.

Montesquieu souligne plus loin que les conquêtes d’Alexandre ont fait connaître l’Orient à l’Occident (nº 1714).

99

n2.

Plusieurs auteurs racontent la douleur fatale de la mère de Darius, qui se laisse mourir après la disparition du conquérant (Diodore de Sicile, XVII, 118, 3 ; Justin, Histoire universelle, XIII, 13, 1). Montesquieu s’inspire surtout de Quinte-Curce, qui souligne le deuil des Perses perdant celui qu’ils considéraient comme le roi le plus légitime et le plus digne de les gouverner (X, 5, 19-25) ; sur la signification politique, selon Montesquieu, de ce deuil, voir Pierre Briant, Alexandre des Lumières, Fragments d’histoire européenne, Paris, Gallimard, 2012, p. 353.

99

n3.

La disparition d’Alexandre nourrira dans L’Esprit des lois la réflexion sur le rapport entre monarchie et dimensions du royaume (VIII, 17).

100

n1.

Montesquieu explique la progression du despotisme par la sévérité des religions monothéistes, opposée à la douceur et à la gaieté du paganisme antique (nº 1606), et par l’évidence et la simplicité de cette forme de gouvernement (nº 831, 892, 918, 935 ; EL, V, 14 : Derathé, t. I, p. 71). Sur le rapport entre islam et despotisme, voir EL, XXIV, 3.

100

n2.

Les Lettres persanes ont déjà opposé les invasions des peuples libres du Nord, qui limitaient le pouvoir de leur prince, aux conquêtes des nations d’Asie, imposant l’autorité d’un seul (LP, 125 [131], p. 480, l. 53-70) ; cf. nº 545, 803. L’Esprit des lois accentuera cette opposition entre les Goths qui « fondèrent partout la monarchie et la liberté », et les Tartares qui instaurèrent « la servitude et le despotisme » (XVII, 5), pour mieux défendre, avec Boulainvilliers et contre Dubos, les droits historiques de la noblesse, en se fondant sur le principe d’une conquête libératrice des Francs (EL, XXX, 24, 25).

100

n3.

Ces neuf cents ans pourraient correspondre au temps qui sépare l’instauration, dans les premiers siècles, du gouvernement gothique (voir nº 810), de l’installation en Europe de monarchies héréditaires, remplaçant l’« autorité féodale » (Réflexions sur la monarchie universelle en Europe, OC, t. 2, p. 353).

101

n1.

Les mémoires perdus du dictateur sont la source principale de la Vie de Sylla par Plutarque (IV, 5 ; VI, 10 ; XXXVII, 1).

101

n2.

Plutarque, Vie de Pyrrhus, VIII, 3.

101

n3.

Cornelius Nepos, Hannibal, 13, 2-3.

101

n4.

Voir nº 13, note 4.

101

n5.

La Bibliothèque de Photius (820-891) est constituée de 280 notices, résumant ou citant des œuvres antiques et de théologie byzantine, dont la plupart sont perdues (Photii Bibliotheca cum notis David Hoeschelii et scholiis Andreæ Scotti, [Genève, Oliva], 1612 – Catalogue, nº 2554 et nº 2555 pour l’édition de 1611).

102

n1.

L’évolution et la disparition des espèces (nº 91, 1486 et 2016) remettent en cause le créationnisme et tout cadre fixiste (nº 1174, 2014) mais relèvent plus généralement d’un relativisme sceptique : tout est changeant (nº 76). Voir Denis de Casabianca, Montesquieu. De l’étude des sciences à l’esprit des lois, Paris, H. Champion, 2008, p. 407-411.

102

n2.

Voir nº 41n.

102

n3.

Il s’agit de l’Histoire de l’Académie royale des sciences (Paris, 1699-1719, 20 vol. – Catalogue, nº 2566). Cf. nº 806.

102

n4.

Remarks on Several Parts of Italy de Joseph Addison (Londres, J. Tonson, 1705 – Catalogue, nº 3071 ; extrait par Montesquieu entre 1731 et 1736 : Geographica, p. 13-22). Cf. ci-après, nº 103.